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07 juin 2014

Le paradoxe Noureev

Pour qui ne l'a jamais vu danser sur scène, il existe un paradoxe Noureev : alors que la danse est avant tout art du mouvement, les photographies rendent bien mieux compte que les vidéos de ce qu'a pu être l'expérience des spectateurs – comme si, en immobilisant le geste, les photographies réussissaient à canaliser l'énergie débordante de sa danse, l'ardeur brouillonne redevenant fougue. Ce que je trouve à chaque fois le plus dingue, c'est son regard, un regard de fou qui dissuade immédiatement de toute midinetterie balletomane. On ne peut pas être fan de Noureev, même avec ses mains lascives sur le torse dans le Corsaire, même en shorts et gants de boxe dans Black and Blue (ballet qui a aiguisé ma curiosité et dont je n'ai trouvé aucun extrait – YouTube, tu me déçois beaucoup). C'est en revanche avec plaisir qu'on observe les photographies de Francette Levieux dans l'exposition1 organisée à la mairie du XVIIarrondissement par Ariane Dollfus, qui, fait rare, a eu la très gentille attention de convier une brochette de balletomanes blogueuses/twitteuses au vernissage. Vous avez jusqu'au 9 juillet pour aller vous perdre place de Clichy.

 

1 J'y ai notamment découvert que, vers la fin de sa vie, Noureev avait pris des cours de direction et dirigé lui-même l'orchestre pour des soirées de ballets. Suis-je la seule à tomber des nues ?

02 juin 2014

Allemand et resplendissant

Un mélomane hausserait sûrement le sourcil mais Le Tombeau resplendissant d'Olivier Messiaen me fait penser à un Sacre du printemps où la terre serait remplacée par de gigantesques calottes glacières, des falaises de glace dont des pans entiers s'effondrent sur le passage de la musique, détachés d'un coup métallique par les cuivres. Au fond de ce canyon arctique, le spectateur lève les yeux vers les hauteurs, là où, à force de blancheur, des couleurs inatteignables naissent de la lumière, vers les hauteurs formidables qui se referment sur lui – comme un tombeau.

Après Un requiem allemand de Brahms, on mourrait presque volontiers, persuadé d'être accueilli au cœur du Dieu vivant par la clameur du chœur de l'Orchestre de Paris, bientôt enveloppé par la voix de Matthias Goerne, douce comme la peau de l'ours qu'il m'évoque, avec sa bouche qui s'ouvre toujours plus, une gueule prête à gober le monde, au-dessus de bras un instant retombés, alors que les pattes faisaient leur miel de la mélodie. Tandis que Marita Solberg garde une mine impassible, faisant semblant de ne pas être là jusqu'à ce que sa partie arrive, le baryton s'entoure de l'orchestre et du public : il articule silencieusement les paroles du chœur comme s'il voulait s'y fondre, dirige les yeux en l'air en direction de ses chaussures, et les discrets saluts qu'il adresse du regard à des amis aperçus dans la salle sont si souriants qu'ils semblent s'adresser à tous. Une omniprésence preuve de l'existence du Dieu Goerne, dirait Palpatine – un Dieu sensuel qui trahit le plaisir de vivre, même lorsqu'il chante la nécessité de la mort. La croyance a beau, dans son exigence, peindre une vie aride, les paroles sont désamorcées par la musique des voix, si belle qu'on ne saurait consentir à mourir : comment l'écouterait-on sinon ?

01 juin 2014

Piège de cristal

Peut-on se déballetomaniser comme un ticket de métro se démagnétise ? Depuis quand Christian Lacroix a-t-il mauvais goût ? Est-ce moi ou Aurélie Dupont lutte-t-elle pour avoir une arabesque à 90° ? Autant de questions qu'agite Palais de Cristal, à la danse aussi pure que vide – de grandes structures que n'habillent que des tutus-guirlandes de Noël. Je croyais aimer Balanchine mais peut-être n'aimé-je que Joyaux, comme une éclatante exception. (Ou alors, l'Opéra ne sait pas le danser. Il faudrait voir le NYCB pour trancher.)

Le Daphnis et Chloé de Millepied est plus vivant, plus espiègle, plus coloré ; les tourbillons de musique emportent les danseurs dans de belles poses en escargots, qui ne sont pas sans rappeler celles d'Apollon musagète. Pourtant, pas de répit ni de relief, cela tourbillonne encore et encore, dérobant au spectateur tout point d'accroche, encore et encore, presque indépendamment de la musique, qui prend clairement le dessus. Philippe Jordan à la baguette pour du ballet, on applaudit cette bonne idée. Mais lorsque l'orchestre est plus applaudi que les solistes du ballet par un public qui est normalement acquis à ce dernier, il faut peut-être se poser des questions – même si, en entendant l'ovation déclenchée par l'apparition de Benjamin Millepied, je crains qu'une réponse toute faite n'y soit apportée : la célébrité. Plus besoin d'étoiles quand on a des stars, vraiment ? (Heureusement, certaines comme Léonore Baulac brillent sans y avoir été invitées.)

Mit Palpatine

25 mai 2014

Les Capulet et les Montaigu

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Photo Ch. Pelé

Bien sûr, dans Les Capulet et les Montaigu, il y a Roméo et Juliette. Mais ce n'est pas l'essentiel, ce n'est pas l'histoire d'amour qui est au centre de l'opéra de Bellini, ce ne sont pas deux individus mais deux familles et, moins encore que deux familles, deux clans, deux clans masculins pris dans une guerre dont ils n'arrivent pas à sortir, pas même Juliette, à qui Roméo propose de fuir, et qui se trouve prise au piège de l'honneur, cet honneur masculin, viril, cet honneur macho et princier, qui nous rappelle pourquoi Roméo et Juliette ne pouvaient qu'être italiens. Derrière les voix pures qui s'élèvent, on entend les remous d'une époque, d'une société, toutes vicissitudes qui sont peintes à grands traits vibrants dans la musique de Bellini et sur les hautes palissades qui ne sont pas la moindre des beautés de la mise en scène de Carsen, avec ses duels au ralenti et sa gerbe d'épée et de sang initiale, avant que les membres du clan Capulet viennent un à un retirer leur Excalibur, fiers et résignés. C'était magnifique.

Mit Palpatine