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14 juin 2015

Beauté de l'apaisement

En ouverture, Laurence Equilbey prend le micro pour expliquer que Dvořák a composé son Stabat Mater après avoir perdu trois enfants coup sur coup, et souhaiter aux personnes qui auraient connu des tragédies que cette musique puisse leur apporter consolation et réconfort. Dans le confort de ma vie sans problème, l'apaisement est simple quiétude. Résistant à une douce somnolence, je remarque que le rythme de tout un passage épouse la respiration d'une poitrine qui a cessé de hoqueter et laisse désormais les larmes couler paisiblement, deux soupirs répondant à une lente inspiration1.

Baignée dans ces pleurs qui ne sont pas les miens puis dans la lumière dorée du final, cuivres et soleil couchant, je me rappelle que je suis heureuse d'être vivante et, plus encore, de l'être parmi ceux qui le sont avec moi. J'ignore si la beauté peut apaiser le chagrin d'un deuil, mais elle console d'être soi-même mortel : du moins cette beauté-là l'aura-t-on vécue, ensemble.

 


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 À moins que ce ne soient deux brèves inspirations répondant à un profond soupir. Le début et la fin reprenant le même rythme, on peut imaginer par le passage de cette respiration-ci à celle-là l'apaisement progressif de la douleur. Dans le programme, cela devient « un mètre ternaire, un rien dansant, qui produit un balancement cyclique, doux et enivrant comme l'écoulement des larmes » (Marianne Frippiat).

10 juin 2015

Et la lumière fut – un ballet à elle seule

Pour écrire le mouvement, Russell Maliphant utilise les corps mais aussi, ce que peu de chorégraphes font, les lumières. Conçus par Michael Hulls, les éclairages deviennent un véritable art, à mi-chemin entre la sculpture et le dessin, qui tantôt sculpte tantôt gomme les corps – corps qui émergent et disparaissent, sans cesse renouvelés sous nos yeux. Il y a la lumière quasi-stroboscopique de Still, qui démultiplie les percussions et les effets de popping de Dickson Mbi ; la lente giration d'After light qui transforme Thomasin Gülgec en figurine de boîte à musique, comme entraîné par la rotation de la ronde d'images projetées au sol, lesquelles se dilatent et se contractent au gré des Gnossiennes ; et la douche carrée de Two, cage au sein de laquelle Carys Staton livre une espèce de combat de capoeira à la lumière (répétition ou interprète, c'était moins incisif que dansé par Sylvie Guillem).

Le travail des lumières était moins central dans la seconde partie, composée de Critical Mass (duo masculin que j'avais trouvé beaucoup plus excitant dansé par le Ballet de l'Opéra de Lyon, de passage au CND) et de Still Current, duo qui aurait mérité des lunettes vraiment à ma vue, un re-replacement au parterre1 (le premier balcon était parfait pour apprécier le ballet de lumières de la première partie) et un peu plus d'heures de sommeil au compteur (c'était deux jours après le retour de San Francisco). Fatigue ou distance, je n'ai pas été gagnée par le sentiment d'excitation qui me prend d'habitude lorsque force et sensualité animent avec une force égale des duos rythmés-étirés où les danseurs ne cessent de s'attirer et s'esquiver, suaves et musclés. Cela mériterait d'être revu. En attendant, la poésie planante d'Afterlight valait à elle seule le déplacement.

Pour un compte-rendu plus détaillé, rendez-vous chez le petit rat.

 

1 Il y avait si peu de monde que c'était pour ainsi dire placement libre : la programmation danse du théâtre des Champs-Elysées est aussi bonne que sa politique tarifaire est mauvaise.

2001 en 2015

Ciné-concert du samedi 30 mai

Du ciné-concert proposé de l'Orchestre de Paris, j'attendais plus du concert que du ciné, 2001 : a Space Odyssey faisant partie de ces films qui m'agacent prodigieusement. Sous couvert de mystère métaphysique et après nous avoir fait mariner pendant un prologue simiesque interminable puis nous avoir pris dans l'intrigue, Kubrik nous laisse purement et simplement en plan. La frustration est moindre au deuxième visionnage : on sait qu'il n'y a rien à en attendre. Autant donc profiter de la musique sans arrière-pensée. J'en étais à déplorer les cris des singes sur la musique lorsque l'os propulsé par la bestiole est devenu navette spatiale. Un Strauss a chassé l'autre. Le Danuble bleu. Devant la planète bleue. Comme pour le singe et l'outil, le déclic. D'un coup j'entends l'humour : Ainsi parlait Zarathoustra et son sur-homme pour qualifier la découverte de son ancêtre, la valse de Strauss pour une promenade en goguette dans l'espace1... La dérision désamorce la grandiloquence : le bout d'os n'est rien par rapport au vaisseau spatial et celui-ci n'est que l'aboutissement ultra-perfectionné de ce que l'outil a permis à l'homme de construire. Des siècles de progrès techniques balayés par un montage parfait.

Venue pour la musique2, voilà que je commence à entendre quelque chose au film. Et à l'apprécier, donc. J'abandonne le sens de la vie pour le présent l'histoire pour les détails, m'amuse de la longueur des instructions pour utiliser les toilettes en apesanteur (que l'on n'a évidemment pas le temps de lire, problème réglé), du sigle IBM sur le tableau de bord dans la cabine de pilotage (HAL, l'ordinateur de bord, est IBM-1 dans l'alphabet, souligne à la sortie Palpatine, fort de sa science geek), des messages de dysfonctionnement lorsque l'ordinateur décide de tuer tous les membres de l'équipage (l'informatique, fidèle à elle-même) et des parfaits raccords dans la scène finale de l'hideuse chambre verte où l'on voit Dave se voir plus âgé, avant que l'effacement de la silhouette-point de vue n'acte le vieillissement express du personnage.

Comme on ne se refait pas, je relève tout ce qui a trait à la nourriture : les plateaux repas sous forme de liquides à boire à la paille (en quelque sorte l'orgue à liqueur de Des Esseintes en version cheap-utilitaire), des sandwich au poulet ou au jambon – identiques – pas-terribles-mais-qui-s'améliorent (la SNCF, quoi), d'autres plateaux repas sous forme de solides non identifiables (on dirait les parallélépipèdes des légumes en sachet portionnables de Picard) et, enfin, un vrai repas avec des légumes en trois dimensions et de la viande qui vient manifestement d'un animal. Comme par hasard, le vrai repas intervient dans la chambre verte. Du coup, je pense qu'on peut entièrement fonder une interprétation du film sur sa représentation de la nourriture et arguer qu'il faut arrêter de chercher le sens de la vie (quête qui vous conduit, par souci d'efficacité, à bouffer des trucs lyophilisés) et profiter de ce qu'elle a à nous offrir (des bons petits plats, à déguster avec des couverts en argent, parce qu'on n'est pas des astronautes, bordel).

Egayée par ces élucubrations toute murines, j'accepte beaucoup mieux le final-foetus straussien. Sans compter que la nature de ce putain de monolithe noir est enfin révélée : c'est une radio diffusant uniquement du Ligeti (il faut avouer qu'Atmosphères, Lux Aeterna et le Requiem sont parfaitement trouvés pour donner une réalité sonore à tous les champs magnétiques ou ondulatoires qu'on pourra imaginer). Autre mystère de taille à avoir été levé : la finalité de la Philharmonie, qui a été créée – mais c'est bien sûr ! – pour les séances de ciné-concert (certes, les sièges sont loin d'être aussi confortables que ceux des MK2 ; mes genoux n'auraient pas été contre un partenariat Jean Nouvel - Martin Szekely). En bonus, les loupiotes indiquant la présence des marches traîtresses donnent à la salle, plongée dans l'obscurité, un air d'aéroport de nuit, aux multiples pistes de décollage.


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 Pour éviter que l'humour ne tourne à la farce, Kubrick « a souhaité diffuser l'enregistrement du Beau Danube bleu réalisé par Herbert von Karajan et l'Orchestre Philharmonique de Berlin. Une interprétation ample, plus solennelle que légère, à l'opposé de certaines versions sucrées. » Antoine Pecqueur, extrait du programme. Mais quoiqu'on fasse, le Beau Danube bleu restera pour moi associé à Tom & Jerry.
2 Casé entre Ligeti et les deux Strauss, il ne faudrait pas oublier Khatchatourian (à jamais confondu avec associé à Khatchatryan).

05 juin 2015

Dandinera bien qui dandinera le dernier

Concert du mercredi 3 juin

Chaque mouvement des Escales d'Ibert nous débarque ailleurs. Mais le programme se trompe : après Rome et Palerme, ce n'est pas la Tunisie, c'est l'Inde. Les premières mesures nous plongent en plein Livre de la jungle. Mais où est Bagheera ? Je cherche la panthère dans l'orchestre, au travers des archets-feuilles de bananiers ; je l'entends ondoyer mais ne parvient pas à la repérer : le clarinettiste n'a pas l'instrument à sa bouche, la flûte est au repos, les cors sont trop graves... et d'un coup, j'aperçois le fourbe hautbois qui, avec son minuscule embout, paraissait éloigné des lèvres du musicien. Bagheera, c'est le hautbois ! Il me semble que Klari avait parlé de chaton qu'on égorge au fond des bois à son propos1, mais je n'imaginais pas que ce chaton pût devenir un fauve, dans une forêt tropicale. Le hautbois, Bagheera ! Après cela, je ne m'étonne même plus que le chef d'orchestre, débarqué à Valence dans le troisième mouvement, avance pieds et bassin comme un danseur de flamenco.

Le précipité transatlantique nous dépose à New York pour le Concerto pour piano en fa majeur. Je ne sais pas si c'est le soliste, Jorge Luis Prats, ou le rythme tenu par le chef d'orchestre, Yutaka Sado, mais je n'ai pas cette irrésistible envie de me dandiner sur mon siège que me déclenche normalement Gershwin. Trop lent ? Ou si rapide que disparaissent les moments de suspension qui vous font sentir des pics vertigineux et vous précipitent aussitôt, quatre à quatre, dans les escaliers de secours des façades new-yorkaises ? Trop rapide ou trop lent ? Je ne parviens même pas à me décider entre les deux extrêmes, qui se rejoignent d'une curieuse manière. Sur le moment, je soupçonne le chef d'avoir dirigé le Roméo et Juliette obèse de l'année dernière, à Pleyel ; en réalité, il y a essoré Le Lac des cygnes à grande vitesse !

Les bis que le pianiste nous ressert (juste un fond, indique-t-il du pouce et de l'index) ne m'enivrent pas plus que ça, mais ils rendent le sexy bassoniste fort gai et c'est un plaisir d'observer ses fossettes se creuser, ses doigts2 tambouriner sur ses bras croisés, et sa tête partir de droite et de gauche, aspirée vers les sommets.

Est-ce la bassonophilie ? le morceau de gâteau au chocolat préparé par @ArianeVillette, à l'entracte ? la partition bien connue ? Stravinski n'a eu qu'à tirer les ficelles de Petrouchka pour que je me mette à me dandiner, telle la ballerine mécanique, sur mon nouveau siège (replacée du 10e au 8e rang de parterre, j'ai eu confirmation de ce que l'accoustique-extraaaaooooordinaire-de-la-Philharmonie vaut jusqu'audit 8e rang, au-delà duquel il ne faut plus espérer vibrer – du moins pas au sens propre). Les musiciens, disposés comme dans un amphithéâtre, bien étagés, sont tous visibles, même les vents, et c'est un véritable plaisir de suivre la partition, d'entendre les instruments se répondre sous nos yeux, animant le pantin. J'ai beau connaître le ballet, je me suis laissée surprendre par la fin : comment ça, déjà fini ?


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 Alors en fait, non, j'ai juste tout mélangé.
2 Ses mains, non mais ses mains ! A la fois puissantes et fines, elles me rendent folles.