05 juin 2015
Dandinera bien qui dandinera le dernier
Concert du mercredi 3 juin
Chaque mouvement des Escales d'Ibert nous débarque ailleurs. Mais le programme se trompe : après Rome et Palerme, ce n'est pas la Tunisie, c'est l'Inde. Les premières mesures nous plongent en plein Livre de la jungle. Mais où est Bagheera ? Je cherche la panthère dans l'orchestre, au travers des archets-feuilles de bananiers ; je l'entends ondoyer mais ne parvient pas à la repérer : le clarinettiste n'a pas l'instrument à sa bouche, la flûte est au repos, les cors sont trop graves... et d'un coup, j'aperçois le fourbe hautbois qui, avec son minuscule embout, paraissait éloigné des lèvres du musicien. Bagheera, c'est le hautbois ! Il me semble que Klari avait parlé de chaton qu'on égorge au fond des bois à son propos1, mais je n'imaginais pas que ce chaton pût devenir un fauve, dans une forêt tropicale. Le hautbois, Bagheera ! Après cela, je ne m'étonne même plus que le chef d'orchestre, débarqué à Valence dans le troisième mouvement, avance pieds et bassin comme un danseur de flamenco.
Le précipité transatlantique nous dépose à New York pour le Concerto pour piano en fa majeur. Je ne sais pas si c'est le soliste, Jorge Luis Prats, ou le rythme tenu par le chef d'orchestre, Yutaka Sado, mais je n'ai pas cette irrésistible envie de me dandiner sur mon siège que me déclenche normalement Gershwin. Trop lent ? Ou si rapide que disparaissent les moments de suspension qui vous font sentir des pics vertigineux et vous précipitent aussitôt, quatre à quatre, dans les escaliers de secours des façades new-yorkaises ? Trop rapide ou trop lent ? Je ne parviens même pas à me décider entre les deux extrêmes, qui se rejoignent d'une curieuse manière. Sur le moment, je soupçonne le chef d'avoir dirigé le Roméo et Juliette obèse de l'année dernière, à Pleyel ; en réalité, il y a essoré Le Lac des cygnes à grande vitesse !
Les bis que le pianiste nous ressert (juste un fond, indique-t-il du pouce et de l'index) ne m'enivrent pas plus que ça, mais ils rendent le sexy bassoniste fort gai et c'est un plaisir d'observer ses fossettes se creuser, ses doigts2 tambouriner sur ses bras croisés, et sa tête partir de droite et de gauche, aspirée vers les sommets.
Est-ce la bassonophilie ? le morceau de gâteau au chocolat préparé par @ArianeVillette, à l'entracte ? la partition bien connue ? Stravinski n'a eu qu'à tirer les ficelles de Petrouchka pour que je me mette à me dandiner, telle la ballerine mécanique, sur mon nouveau siège (replacée du 10e au 8e rang de parterre, j'ai eu confirmation de ce que l'accoustique-extraaaaooooordinaire-de-la-Philharmonie vaut jusqu'audit 8e rang, au-delà duquel il ne faut plus espérer vibrer – du moins pas au sens propre). Les musiciens, disposés comme dans un amphithéâtre, bien étagés, sont tous visibles, même les vents, et c'est un véritable plaisir de suivre la partition, d'entendre les instruments se répondre sous nos yeux, animant le pantin. J'ai beau connaître le ballet, je me suis laissée surprendre par la fin : comment ça, déjà fini ?
1 Alors en fait, non, j'ai juste tout mélangé.
2 Ses mains, non mais ses mains ! A la fois puissantes et fines, elles me rendent folles.
22:38 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, concert, philharmonie, odp, ibert, gershwin, stravinski