07 juin 2014
Maleficent, quite efficient
Disney met Maléfique plutôt qu'Aurore à l'affiche et tout le monde attend une Belle au bois dormant dark. Malgré les batailles et la coiffe noire d'Angelina Jolie, la relecture reste néanmoins souriante. Avec une méchante fée qu'Aurore n'a aucun mal à prendre pour sa marraine, on a tôt fait de se dire que, chez Disney, même les méchants sont gentils. Cette pointe de bonté au sein de la malfaisance (ou l'inverse) est pourtant la goutte d'eau qui transforme le tout-blanc tout-noir en yin et yang.
Plus de personnages de bonne ou de mauvaise nature mais la nature humaine, pour le meilleur et pour le pire : c'est la vengeance qui transforme Maléfique, ex-petite fée cornue choupie, en sorcière aussi puissante que malfaisante, après que Stéphane, ex-chenapan ensorcelé par les beaux yeux de Maléfique, lui a coupé ses ailes, mu par l'envie de devenir roi. Et si l'axe du mal dévie peu à peu de Maléfique au roi Stéphane, c'est que ce dernier, corrompu et mégalomane, s'enferme dans une paranoïa qui le prive définitivement de toute chance de rédemption, tandis que la mauvaise fée se laisse toujours davantage attendrir par Aurore. Bonté et niaiserie se confondent chez la ravissante jeune princesse (Elle Fanning, toujours parfaite), tout comme chez son prince, sorte de Siegfried-Disney qui ne peut du coup pas dé-niaiser / réveiller la princesse en l'embrassant. Seul un baiser d'amour sincère peut annuler le sort jeté par une Maléfique bafouée et l'on ne transige pas, quitte à admettre que le prince charmant ® n'existe pas. La mort du prince charmant, si ce n'est pas une révolution, ça... Le jeune prince n'aura droit de cité qu'une fois Aurore réveillée (je l'avais vu venir gros comme une maison)... par un baiser d'amour maternel posé sur son front .
Les contes de fées ne sont plus ce qu'ils étaient ? C'est sûr qu'entre les effets spéciaux qui piquent les yeux, les scènes pas toujours très bien ficelées et les emprunts qui sentent la consanguinité entre studios d'animation (genre on a fait des boutures d'Avatar1), on peut avoir la nostalgie des bons vieux Disney de son enfance. Mais ce sont ces bons vieux Disney qui nous ont fait oublier que dans les classiques qu'on n'a pas rouvert depuis une éternité, à peu près tous les personnages en prennent pour leur grade. Si, à défaut de sortir des sentiers battus, Maléfique sort du manichéisme, c'est déjà ça, non ?
Mit Palpatine
1 Un article de Rue 89 déplorait récemment la disparition de la nature dans les dessins animés de Disney. Contre toute attente, elle est assez présente dans Maléfique... tant que l'on ne s'aperçoit pas que les plantes et créatures lumineuses ont, comme dans Avatar, tout d'une nature arrosée par la fée électricité.
18:24 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : film, cinéma, maléfique, disney
Le paradoxe Noureev
Pour qui ne l'a jamais vu danser sur scène, il existe un paradoxe Noureev : alors que la danse est avant tout art du mouvement, les photographies rendent bien mieux compte que les vidéos de ce qu'a pu être l'expérience des spectateurs – comme si, en immobilisant le geste, les photographies réussissaient à canaliser l'énergie débordante de sa danse, l'ardeur brouillonne redevenant fougue. Ce que je trouve à chaque fois le plus dingue, c'est son regard, un regard de fou qui dissuade immédiatement de toute midinetterie balletomane. On ne peut pas être fan de Noureev, même avec ses mains lascives sur le torse dans le Corsaire, même en shorts et gants de boxe dans Black and Blue (ballet qui a aiguisé ma curiosité et dont je n'ai trouvé aucun extrait – YouTube, tu me déçois beaucoup). C'est en revanche avec plaisir qu'on observe les photographies de Francette Levieux dans l'exposition1 organisée à la mairie du XVIIe arrondissement par Ariane Dollfus, qui, fait rare, a eu la très gentille attention de convier une brochette de balletomanes blogueuses/twitteuses au vernissage. Vous avez jusqu'au 9 juillet pour aller vous perdre place de Clichy.
1 J'y ai notamment découvert que, vers la fin de sa vie, Noureev avait pris des cours de direction et dirigé lui-même l'orchestre pour des soirées de ballets. Suis-je la seule à tomber des nues ?
10:59 Publié dans Souris de médiathèque, Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, ballet, noureev, exposition
05 juin 2014
L'île de Giovanni
Kour-, Kour-, Kourlaev... non, ça, c'est un danseur... Kirill, Kouril- : Kouriles, les îles Kouriles ! Une heure quarante plus tard, je retrouve enfin le nom de l'île de Giovanni, réinscrivant l'animé de Mizuho Nishikubo dans le cours de l'histoire. L'épisode devait occuper environ deux lignes dans mon cours de khâgne ; autant vous dire je n'ai pas fait la fière quand j'ai vu les Russes débarquer sur l'île des protagonistes au lendemain de la seconde guerre mondiale. La Russie ? Au Japon ? En 1945 ? Les dates sont à peu près les seules références au contexte historique de tout le film. Alors que prendre un point de vue enfantin a, depuis les Lumières, tout du truc narratif, pratique pour dénoncer une réalité que le protagoniste ne comprend pas (sur le mode, on ne voit jamais aussi intensément que quand on voit quelqu'un ne pas voir), c'est dans L'Île de Giovanni un moyen de replonger le spectateur dans le brouillard du présent, au moment où il ne fait pas encore partie de l'histoire et où l'on n'en connaît ni la suite ni le fin mot.
Il en résulte un animé très nuancé, où les enfants nippons apprennent à jouer avec les « Ruskofs », en dépit des intérêts contradictoires de leurs parents. Giovanni (version occidentalisée de Junpei, avec un peu beaucoup d'imagination) en pince même pour Tanya, la petite fille blonde (du jamais vu) qui habite chez lui, dans la maison dont sa famille s'est fait expulser. Lorsque la population insulaire est déportée1, c'est de la laisser seule sur l'île qui inquiète Giovanni et son petit frère – un renversement de perspective qui fait sentir à quel point tous ces gens, pris dans la tourmente de l'histoire, en ont moins été les acteurs que les jouets, tout résistant ou commandant qu'ils aient été. À la génération des parents qui agissent par devoir envers leur patrie, même lorsqu'il n'y a plus d'espoir que cela change quoi que ce soit, succède la génération des enfants dont le devoir, semble dire le réalisateur, n'est plus nationaliste mais pacifiste : l'unique devoir des enfants, qu'ils soient enfants ou adultes, comme Giovanni qui revient, vieil homme, sur son île, c'est de ne pas en vouloir éternellement à des étrangers, qui ont eux aussi agi selon leur conception du devoir. L'ennemi historique peut alors laisser place à une multitude de gens avec lesquels danser bras dessus bras dessous, au Japon et au rythme du folklore russe. Jolie (a)morale de l'histoire : il faut se souvenir des circonstances et oublier à bon escient pour que l'espoir fasse vivre.
Mit Palpatine
1 En Russie, où l'on meurt littéralement de froid mais aussi où l'on voit, wow, de vrais trains pour la première fois.
22:24 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : film, cinéma, animé
02 juin 2014
Allemand et resplendissant
Un mélomane hausserait sûrement le sourcil mais Le Tombeau resplendissant d'Olivier Messiaen me fait penser à un Sacre du printemps où la terre serait remplacée par de gigantesques calottes glacières, des falaises de glace dont des pans entiers s'effondrent sur le passage de la musique, détachés d'un coup métallique par les cuivres. Au fond de ce canyon arctique, le spectateur lève les yeux vers les hauteurs, là où, à force de blancheur, des couleurs inatteignables naissent de la lumière, vers les hauteurs formidables qui se referment sur lui – comme un tombeau.
Après Un requiem allemand de Brahms, on mourrait presque volontiers, persuadé d'être accueilli au cœur du Dieu vivant par la clameur du chœur de l'Orchestre de Paris, bientôt enveloppé par la voix de Matthias Goerne, douce comme la peau de l'ours qu'il m'évoque, avec sa bouche qui s'ouvre toujours plus, une gueule prête à gober le monde, au-dessus de bras un instant retombés, alors que les pattes faisaient leur miel de la mélodie. Tandis que Marita Solberg garde une mine impassible, faisant semblant de ne pas être là jusqu'à ce que sa partie arrive, le baryton s'entoure de l'orchestre et du public : il articule silencieusement les paroles du chœur comme s'il voulait s'y fondre, dirige les yeux en l'air en direction de ses chaussures, et les discrets saluts qu'il adresse du regard à des amis aperçus dans la salle sont si souriants qu'ils semblent s'adresser à tous. Une omniprésence preuve de l'existence du Dieu Goerne, dirait Palpatine – un Dieu sensuel qui trahit le plaisir de vivre, même lorsqu'il chante la nécessité de la mort. La croyance a beau, dans son exigence, peindre une vie aride, les paroles sont désamorcées par la musique des voix, si belle qu'on ne saurait consentir à mourir : comment l'écouterait-on sinon ?
22:25 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : concert, musique, orchestre de paris, odp, pleyel, messiaen, brahms, goerne