30 janvier 2014
Le roman d'une garde-robe
Quoiqu'illustre inconnue, Alice Alleaume constitue un excellent fil directeur pour l'exposition du musée Carnavalet consacrée à la mode parisienne de la Belle époque aux années 1930 : Alice est une élégante qui collectionne robes et accessoires avec « un goût très sûr » (admirez l'ingéniosité du commissaire d'exposition pour présenter au visiteur les robes non griffées) mais aussi et surtout fille d'une couturière et première vendeuse chez Chéruit, une maison aujourd'hui disparue mais qui, à l'époque, a pignon sur la place Vendôme, tout comme Worth, où travaille sa sœur. Inclus dans une ribambelle de maisons dont on s'amuse à trouver celles qui ont survécu (Lanvin, Cartier...), ces noms qui ne nous disent plus grand-chose ont le mérite de nous plonger sans a priori dans le monde des maisons de couture et dans la vie de leurs employées aussi bien que de leurs clientes. C'est d'ailleurs l'une des premières choses qui nous surprennent, avec O. et Palpatine : il ne semble pas y avoir une grande différence sociale entre Alice et ses clientes. La vendeuse a visiblement les moyens de se constituer une garde-robe made in place Vendôme et, toute jeune, apprend l'anglais pour répondre aux besoins d'une clientèle en grande partie étrangère – américaine, notamment. Sans légende, le tableau figurant la sortie des employées des maisons de couture semblerait représenter celle d'un salon.
Carnets de vente, listes de clientes, lettres de commandes, répertoire des modèles déposés avec des échantillons d'étoffe pour lutter contre la contrefaçon (mais tout le monde ou presque sait coudre à l'époque, non ?), photographies des essayages, gravures des magazines de mode... contre toute attente, c'est la documentation qui se révèle la plus intéressante. Les carnets de bal me laissent rêveuse : nul doute qu'aujourd'hui, ces feuillets accompagnés de crayons miniatures seraient à l'effigie d'Hello Kitty. La liste des danses, à côté desquelles on inscrivait le nom de chacun de ses cavaliers, donne une tout autre idée de la fête, organisée, cadrée – terriblement prévisible, penserait-on aujourd'hui, mais alors peut-être terriblement excitante pour cette raison même. L'exposition donne également vie au livret ouvrier, qui jusqu'à présent n'existait que dans mes cours d'histoire de khâgne. Cette espèce de carnet de correspondance porte les traces de la vogue anthropométrique : on apprend ainsi que la mère d'Alice avait le front « haut », le visage « ovale », le menton « rond », le nez « moyen » et la bouche « moyenne ». « Je serais complètement déprimée si on me décrivait comme ça », observe O. Plus réjouissantes, les illustrations de Sem à la limite de la caricature ; celle sur l'essayage des feutres ne dépareillerait pas dans Monsieur.
La soixantaine de modèles et la centaine d'accessoires exposés suscite moins l'admiration que l'étonnement et la curiosité : que devient la cage thoracique comprimée dans cette robe corsetée ? Ah, c'est à cela que ressemble une plume d'autruche ! (Cela vieillit fort mal.) Ce qui saute aux yeux, surtout, c'est le contraste entre les robes corsetées de la Belle époque et les drapés amples simplement retenus aux hanches des années 1920. Comme dirait O., « tu t'es fait suer pour avoir une taille fine et, au final, ça ne sert à rien, on ne le voit même plus ». Passé l'étourdissement suite à l'abandon du corset (trop d'oxygène d'un coup), on a dû se rendre compte que ces robes ne ressemblait pas à grand-chose et des coupes un peu plus cintrées réapparaissent à la fin des années 1930. On y est !
« Le roman d'un garde-robe » est une exposition fort bien conçue, jusqu'à la typographie des titres des cartels... Une fois n'est pas coutume, je n'ai pas attendu les derniers jours pour y aller : si jamais j'ai éveillé votre curiosité, vous avez jusqu'au 16 mars pour la visiter.
À lire : le dossier de presse
À voir : quelques photos
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28 janvier 2014
Lulu femme nue
Karin Viard en Lulu
Alors que la mamie du film déclare qu'elle en a marre d'être vieille, je me demande si j'ai bien fait d'aller voir Lulu femme nue avec ma grand-mère. À la sortie, elle exprime la crainte inverse : ce n'est pas vraiment un film pour les jeunes, si ? Pour qui, alors ? Lulu est une femme entre deux âges, partie passer un entretien d'embauche après des années au foyer. Cela ne donne rien sinon l'occasion, acte manqué sur acte manqué, de ne pas rentrer : elle échoue en beauté à Saint-Gilles, un bled aussi paumé que ses habitants. Il y a l'homme sur la plage, comme tombé des rochers, dont elle tombe amoureuse ; ses deux frères qui vivent au camping et le suivent à la trace, ne sachant pas quoi faire de leurs journées et encore moins de leur vie depuis qu'ils ne lui rendent plus visite au parloir ; la gamine qui se fait rabrouer par la patronne du café, dont on ne sait si elle est plus bête ou méchante ; la grand-mère qui héberge Lulu après qu'elle a tenté de lui voler son sac, et finit avec une nouvelle couleur de cheveux vaguement mauve ; la fille de Lulu, qui trouve moche l'amant de sa mère mais espère que ça fera les pieds au mari qu'elle a vachement mal choisi, et la tante qui hallucine en voyant sa sœur sortir toute nue de la mer, toutes formes dehors. C'est la seule scène de nudité de tout le film si bien que Lulu, toute nue, est surtout dans le dénuement : brièvement matériel, lorsque son mari, croyant mettre fin à son escapade, déclare sa carte bleue volée mais surtout affectif, redécouvrant tardivement le bonheur de deux bras qui attendent pour la réchauffer. Dans ce monde de cartes postales tristounettes qui font drôlement plaisir à recevoir, où les illusions s'usent plutôt qu'elles ne se perdent, il n'est pas question de repartir à zéro mais simplement de retrouver le sens de la sympathie au gré des rencontres. Le film est un peu lent mais c'est la vie. Surtout, Solveig Anspach réussit à ne porter aucun jugement sur ces vies de bric et de broc : on est mal fagoté, mal dégrossi et pas forcément très dégourdi mais on sait rire et partager. Pour peu qu'on apprenne à la voir avec tendresse, une Lucie se cache en chaque Lulu.
14:30 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : film, cinéma, lulu femme nue, karin viard
23 janvier 2014
Le Jardinier de Versailles
Le château de Versailles est assez moche, il faut bien l'avouer, avec ses couches successives grâce auxquelles rien ne va avec rien. Mais une fois que l'on se retrouve, derrière, dans le parc, c'est une autre histoire... Cordonniers obligent, je n'y vais pas si souvent que ça mais j'adore cet endroit et j'étais curieuse d'en apprendre davantage, par celui-là même qui y travaille (et y vit !). Dans Le Jardinier de Versailles, Alain Baraton mêle, comme on pouvait s'y attendre, Histoire, botanique et petites anecdotes mais aussi, et c'était la bonne surprise de cette lecture, des réflexions extrêmement pertinentes sur notre époque, qui vont bien au-delà de la botanique, l'observateur de la nature l'étant aussi de son temps. Voilà qui mérite bien une chroniquette, sans doute !
Un mille-feuille historique
L'absolutisme de Louis XIV a été tel que c'est encore aujourd'hui dans l'image de son règne que le château de Versailles est figé – à l'exception du Petit Trianon préempté par Marie-Antoinette. Alain Baraton replace l'image dans sa chronologie : Versailles est d'abord un domaine où l'on vient chasser le gibier et folâtrer les belles et le redeviendra en partie après la mise sous tutelle des courtisans par le roi-soleil. À la Révolution, le parc, menacé d'être divisé et vendu en parcelles, est sauvé grâce à l'idée du jardinier d'alors, de mettre la production du potager royal à disposition du peuple. Tombé en disgrâce avec la royauté et devenu aujourd'hui un musée, il ne continue pas moins d'héberger tout un tas d'événements politiques et mondains (un chapitre entiers est consacré aux fêtes d'alors et d'aujourd'hui), qui sont partie intégrante de son histoire.
Cet aspect mille-feuilles de l'histoire de Versailles lui confère une atmosphère particulière. « Malraux a su mettre en mots le sentiment confus qui domine à Versailles : qu'importe le vacarme et les prouesses de ces clinquants ballets de puissants, puisque leur renommée n'atteindra jamais celles de ces lieux ! [...] À Versailles, nous sommes tous des "hôtes de passage"1. »
Des rois qui sont allés voir si la rose...
À défaut d'être honnêtes hommes, soyons honnêtes : les anecdotes grivoises sont celles que l'on préfère. On en apprend de belles. Ainsi de Louis XV qui a un « goûteur attitré : un de ses valets est chargé de "tester" les demoiselles et tient un carnet rigoureux des caractéristiques de chacune. Un métier pas déplaisant en somme, mais risqué en ces temps de vérole... Si, au bout de quinze jours, il ne se voyait pas pourvu d'un chancre et de pustules, le bon roi honorait la dame. La méthode resta infaillible jusqu'à la fin... du roi, qui mourut de la petite vérole. En quelques années, le règne avait transformé le parc en bordel et les mères en maquerelles2. »
Mais ma préférée, c'est certainement Louis XIV qui s'est représenté sous les traits d'Hercule et a placé juste en face de sa statue celle d'une maîtresse déguisée en Diane chasseresse – les deux se regardant droit dans les yeux (et c'est effectivement assez rare pour qu'on le remarque). Il paraît que la reine était si courroucée par cette manière d'afficher publiquement son infidélité qu'elle fit planter une haie entre les deux.
Le Nôtre et La Quintinie
Tandis que le château a ses rois, le jardin a d'autres noms propres. Le Nôtre est certainement le plus connu. Ce qui l'est moins, c'est qu'il se voulait d'abord peintre et a étudié l'architecture. Sa vocation première a fortement influencé sa conception des jardins : « il dessine l'espace, mais ne le cultive pas. Le parc de Versailles tient surtout de l'aménagement urbain : des perspectives, des plans à différents niveaux, des parterres immenses, une statuaire omniprésente et des jets d'eau, tel est Versailles3. » « Le jardin est une cité idéale, parallèle à la cité idéale qu'est le château, bâti selon des lignes et des lois géométriques4. » L'auteur trouve cela déprimant, préférant les pelouses champêtres vers le Trianon, mais c'est précisément la raison pour laquelle j'aime ces jardins : ils n'ont rien de naturels et ne s'en cachent pas. Des jardins à la française. Pourtant « s'il l'a popularisé, ce n'est pas lui le véritable créateur du jardin "à la française". Même pour Versailles, Le Nôtre s'inspire des travaux de Claude Mollet et de Jacques Boyceau de la Barauderie5. » Ingénieux mais pas inventeur.
À Le Nôtre, Alain Baraton préfère une autre figure, avec laquelle il se trouve plus d'affinité : il s'agit de La Quintinie, plus orienté jardins fruitiers et potagers. Pour que Louis XIV puisse manger souvent asperges et figues, qu'il affectionne, il invente de nouveaux moyens de les cultiver pour les acclimater à nos climats et les récolter à contre-saison. Alors, merci qui ?
Petites histoires d'aujourd'hui
Habiter et travailler dans le parc de Versailles, vous imaginez ? Alain Baraton raconte ses promenades nocturnes, les fêtes avec ses amis, ses conquêtes amoureuses (apparemment, l'effet château fonctionne très bien même sans le physique de prince), les habitués qui rythment sa journée, les amants pas si bien cachés qu'il faut déloger mais aussi, moins drôle, la découverte de suicidés et, plus loufoque, les visiteuses persuadées d'être la réincarnation de Marie-Antoinette ou d'avoir rencontré son fantôme (je préfère l'histoire du gardien hagard, persuadé d'avoir assisté à une apparition surnaturelle en ayant vu deux blondes nordiques faire leur toilette matinale dans un bassin près duquel elles avaient campé). À côté de ces anonymes, il y a les célébrités croisées au détour d'un bosquet : Nicolas Kidman, lisant sur un banc, Boris Eltsine, déambulant au matin d'une journée politique ou encore Milos Forman, hurlant contre le jardinier qui a tondu une pelouse champêtre, rendant inutilisables toutes les scènes tournées la veille.
Absolutisme administratif
Versailles n'échappe pas au règne de la paperasserie : « L'outil administratif est devenu extraordinairement lourd avec les ans : […] engager un simple vacataire nécessite presque quarante pages d'écriture6. » Et c'est l'administration dans toute sa splendeur :
« Versailles, comme tous les jardin possédés par l'État, dépend du ministère de la Culture. À de rares exceptions près, celui-ci préfère s'occuper de cirque ou du théâtre et n'a que faire du recrutement de maîtres-ouvriers ! La preuve, le changement de tous les titres à la fin des années quatre-vingt : il fallait absolument que le mot "art" soit prononcé ! […] Le résultat fut qu'une bonne partie du personnel, à commencer par moi, fut dans l'obligation de repasser des concours pour avoir le bonheur de devenir "technicien d'art", et aujourd'hui, il n'y a plus un seul "jardinier" à Versailles7. »
Ça n'arrive pas qu'aux femmes de ménage techniciennes de surface...
La régression du progrès
Alain Baraton consacre aux outils plusieurs pages qui raviraient bien des khâgneux pour leurs khôlles de philo. Il y explique comment, au début de sa carrière comme depuis des siècles, l'outil est le prolongement de la main. En le transmettant à la fin de sa carrière ou de sa vie (car les jardiniers les emportaient à la retraite), on transmet en même temps un savoir ancestral. Adaptés à la morphologie de leur propriétaire, parfois décorés, les outils étaient précieusement entretenus. Pour le professionnel, il y en avait de toutes sortes : Alain Baraton prend l'exemple des arrosoirs, « outils biscornus et bizarres » avec toutes les formes et les têtes possibles et imaginables. Mais « aujourd'hui, l'arrosoir destiné à une de mes équipes sera le même que celui de n'importe lequel de ces paisibles jardins de banlieue pavillonnaire. L'instrument du professionnel est mis à la portée de tous, et le seul élément qui le distingue de l'amateur est la quantité d'outils à sa disposition, mais non les outils eux-mêmes. Mises en commun, les choses deviennent communes8. » Du coup, « ce matériel n'est jamais entretenu : on l'use, puis on le jette. »
Les outils d'antan sont remplacés par des répliques jetables en plastique, complétées par tout un tas de machines dont la perfection reste à prouver.
« Tous les ans, les jardiniers se métamorphosaient en colosses : montés sur d'interminables échasses, ils maniaient des croissants gigantesques pour égaliser les cimes. [...] Le plus extraordinaire est sans doute que malgré les coups de cisailles malencontreux, les erreurs, les accidents, les sempiternelles égalisations, la coupe était toujours impeccable. Aujourd'hui, nous utilisons un appareil fort compliqué et nous respectons à la lettre toutes les lois de la géométrie : allez savoir, la ligne est beaucoup moins droite à l'œil9. »
La révolution technique qu'a connu Alain Baraton depuis ses débuts est d'autant plus remarquable que le métier de jardinier n'évolue pas beaucoup dans l'imaginaire commun. Mais le passage du cheval au tracteur n'est pas si bénéfique qu'il y paraît : outre la perte de l'aspect pittoresque, les tracteurs détériorent les sols en les tassant. Le progrès dans la rapidité du travail constitue ainsi un recul pour l'environnement. Et il n'est pas certain que la rapidité soit en elle-même une bonne chose :
« Quand trois jours sont nécessaires pour abattre un chêne, et que ce travail est long et pénible, vous pouvez être sûr que les arbres abattus le sont à bon escient. Maintenant les jardiniers ont tendance à agir à la légère : ils abattent en large, sans réfléchir, et tant pis si l'arbre voisin tombe aussi. Le travail est moins bien fait. C'est l'hécatombe, mais ce n'est pas grave vu que celle-ci fut brève. Avec la vitesse, paradoxalement, il est toujours trop tard10. »
Que celui qui n'a jamais regretté d'avoir cliqué sur « envoyer » une fois le mail parti lève la main.
« La lenteur est essentielle à mon métier : les limaçons choisis par Le Nôtre [pour figurer sur son blason lors de son ennoblissement] sont une manière humoristique de souligner cet aspect primordial. Voilà pourquoi la révolution technologique qui s'est opérée ces dernières années n'a guère été un succès11. »
Le temps d'apprendre
La vitesse à tout crin a d'autant plus d'impacts négatifs sur le travail du jardinier qu'elle incite aussi à bâcler aussi sa formation : « notre société ne tolère un long apprentissage que pour les métiers où la sécurité est en jeu », c'est-à-dire pour le pilote ou médecin mais pas pour le jardinier. Or, « un geste s'append avec lenteur, du moins beaucoup moins vite qu'une formule de mathématiques : la main, la mémoire du corps est plus lente que l'intellect. Combien de fois faut-il refaire un geste, si simple soit-il, pour le maîtriser12 ? » Et le jardinier de comparer cet apprentissage à celui du pianiste – les balletomanes transposeront aisément ces remarques à la danse...
Le temps passe ailleurs, dans une formation théorique qui n'est pas vraiment pertinente.
« Je plains les stagiaires d'aujourd'hui : nous ne savons plus, à mon avis, enseigner les métiers manuels. Le jardinage est inculqué comme les mathématiques ou la philosophie ! […] C'est beau de vouloir l'égalité des chances et des savoirs, mais il faut reconnaître la diversité de ces derniers. Le pire est que cette quête, plutôt généreuse, de l'égalité, se termine par une uniformisation des enseignements, et comme en France nous avons la manie des hiérarchies, le modèle que doivent suivre toutes les disciplines est celui des disciplines les plus nobles, c'est-à-dire intellectuelles. L'égalité qui enfante la orme et le conformisme, déjà, moi, ça me ferait plutôt vomir, mais en plus l'échec de cette formation est patent : quel est le résultat de ces CAPA, BEPA, bac pro autres BTS dans les jardins ? Mes petits « bleus » connaissent sur le bout des doigts leurs manuels e botanique et sont incapables de reconnaître une plante quand elle est dans un bosquet et non plus dans un livre ou sur un cédérom13 ! »
Le Jardinier de Versailles fourmille d'histoires et d'observations dont on n'aurait pas pensé qu'elles nous captiveraient mais que l'on se surprend à suivre avec beaucoup d'intérêt. On finit par avoir de la sympathie pour l'homme qui se découvre à travers son amour pour le parc et on n'a aucun mal à le croire lorsqu'il dit : « Habitant à Versailles, j'ai tendance à confondre mon métier et ma vie : je n'avais pas la vocation du métier, mais aujourd'hui j'en ai la passion14. » Communicative, donc.
11:10 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, lecture, alain baraton, le jardinier de versailles
20 janvier 2014
Mièvrerie et cynisme : match nul, beau film
Philomena n'est pas l'histoire de la vieille dame éponyme qui cherche la trace du fils qu'on lui a arraché il y a cinquante ans, alors que, mère-fille, ses parents l'avaient envoyée expier son péché chez les nonnes. C'est l'histoire de Martin, journaliste politique viré de la BBC pour avoir fait un parfait bouc émissaire, qui méprise tout ce qui est récit d'expériences personnelles (human interest stories) et qui remet pourtant à plus tard l'écriture de son livre sur l'histoire de la Russie après avoir croisé la fille de Philomenia. Il ne veut ni séduire la fille ni aider la mère et c'est avec le plus grand cynisme qu'il se lance dans cette enquête-reportage, bien décidé à torcher un papier plein de clichés qui l'autoriseront à mépriser encore davantage ceux qui les lisent et s'en émeuvent (ici, verser une larme pour le combat d'une pauvre fille spoliée par des nonnes diaboliques).
Je veux aller en Irlande !
À partir de là, un peu comme dans une comédie romantique, les deux personnages, obligés de cohabiter, vont devoir apprendre à se connaître. Aucun des deux ne tient l'autre en grande estime de prime abord : Martin déplore les effets désastreux sur l'intellect d'une vie à lire le Reader's Digest et des romans à l'eau de rose, tandis que Philomena désapprouve ce journaliste sans foi ni loi, qui ne sait éprouver que colère, mépris et exaspération. Pourtant, elle va devoir reconnaître la capacité d'empathie de Martin qui, prenant peu à peu les choses à cœur, jure contre ces fucking Catholics qui leur font obstacle et utilise ses techniques de méchant journaliste pour l'aider. La vieille dame, qui n'a pas assez d'esprit et de culture pour comprendre les plaisanteries du journaliste issu d'Oxford (mais assez de jugeote pour savoir qu'il ne la tient pas en grande estime) va le surprendre. Des heures passées devant la télévision et à ses lectures bien-pensantes, Philomena a emmagasiné pas mal de clichés mais aussi élargi son horizon : apprenant l'homosexualité de son fils, elle demande s'il a eu des enfants et devant le regard gênée de son interlocutrice, qui ne sait pas comment faire face au déni d'une mère, explique qu'elle a eu des collègues homosexuels et que l'un d'eux était « bi-curieux ». Et Martin d'être à nouveau scié quand la vieille dame se montre parfaitement au courant des implications politiques du sida sur la communauté gay.
Exemple de scène cocasse : la narration du roman à l'eau de rose dans le terminal de l'aéroport, en petite voiture.
Le réalisateur joue ainsi avec nos a priori (attentes ou préjugés) et, si je n'ai pas beaucoup entendu la salle rire, je me suis payée bon nombre de fous rires silencieux avec Palpatine (« Mon estomac se réveille toujours avant moi »). C'est toujours avec beaucoup de cocasserie que la tentation du cynisme comme de la mièvrerie est évitée, à l'image de la fin du film où Martin demande à Philomena de lui raconter son énième lecture à l'eau de rose pour ne pas avoir à refuser d'emprunter le livre. La quête n'a pour ainsi dire rien donné, si ce n'est une certaine tranquillité d'esprit à la vieille dame et un article que Martin avait finalement décidé de ne pas écrire pour épargner Philomena mais que celle-ci insiste pour faire publier – à la fois pour faire connaître le scandale d'enfants irlandais vendus par des nonnes à des familles américaines et pour remercier Martin. Sans Martin, pas de Philomena. C'est grâce à lui que, transformant le fait divers en histoire, Stephen Frears fait un bon film et pas seulement du bon sentiment.
12:09 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : film, cinéma, philomena, stephen frears