19 décembre 2010
Bons baisers de Naxos – Zerbinetta
[Ariadne auf Naxos, de Strauss, à Bastille le 17 décembre mit Palpatine]
Ariane à Naxos s'annonce comme une mise en abyme ; on pourrait craindre de s'y perdre mais l'intrigue est si facile à suivre que l’œuvre en devient étonnamment complexe et qu'on risque à tout instant de s'y retrouver.
Un opéra doit être donné après le souper chez le plus riche homme de Vienne qui, dans la mise en scène de Laurent Pelly habiterait une sorte d'immense loft avec de grandes colonnes carrées qui évoquent les temples grecs avec la lourdeur brute des immeubles du Ring. Dès le lever du rideau, le public qui n'est pas en moon boots mais le regrette peut-être se met à rire : sur scène aussi, il neige. Tout à nos difficultés de circulations, nous avions oublié que la neige peut enchanter une scène ; la voiture qu'on voit apparaître en arrière-scène, elle, n'a pas fait plus d'effort qu'un flocon pour se déposer. Une joyeuse bande en sort, qui n'a pas vraiment l'allure de chanteurs lyriques et pour cause : il s'agit d'une troupe de bouffes qui doit égayer l'opéra d'un épilogue comique. Autant dire que cela ne ravit pas le compositeur, qui voit déjà son œuvre perdre tout sens, ni la prima donna qui, avec sa robe noire, n'est pas du même monde que la miss punky en talons aiguilles, jupe courte et cheveux courts, la Zerbinetta avec ses quatre amants, selon le titre de leur divertissement. L'opposition entre tragique et comique se redéploie en ennuyeux vs insignifiant, noble vs divertissant au point de paraître irréconciliable. Le majordome déclenche donc un branle-bas de combat lorsqu'il annonce que son maître exige que les deux spectacles soient présentés simultanément afin de libérer les convives à temps pour le feu d'artifice. Cela amuse bien les comiques qui ont l'impression de jouer un bon tour à ces personnes sérieuses qui les snobent, et désespère le compositeur (Sophie Koch, dont, malgré la belle voix aiguë, je me suis demandé si c'était un garçon ou non) qui refuse de voir son œuvre torpillée. Mais, comme ce sera le cas pour Ariane par la suite, il faut bien vivre. Secondé par le maître à danser désabusé, le maître de musique empêche le compositeur à se défiler et l'oblige à... composer – avec la situation.
L'entrevue avec Zerbinetta (Jane Archibald, formidable), à qui il faut bien raconter l'histoire pour qu'elle puisse y improviser, laisse entrevoir un nouvel horizon. Au fur et à mesure que la jeune fille se révèle n'être pas dupe de la comédie qu'elle joue, apparaissent en toile de fond des îles, comme émergeant du brouillard : elles sont là, ces îles grecques, sans qu'on ait su comment on y était arrivé. Le compositeur se prend à rêver et le spectateur à se demander si Zerbinetta ne serait pas une autre Ariane, surgi de la femme coquette sans qu'on ait plus pris conscience de cette transition-là que des mystérieuses îles. Mais il faudrait voir à ne pas tout confondre : celles-ci disparaissent tandis que celle-là reste une actrice comique. Le compositeur s'enfuit et s'effondre.
Après l'entracte commence... le premier acte, qui est unique puisqu'il s'agit de l'opéra hybridé de comédie, que les chanteurs ont du se résoudre à donner. Ariane s'éveille dans un décor déconstruit, c'est apparemment une marque de fabrique de Laurent Pelly. Mais là où le décor était joyeusement disloqué jusqu'à devenir une épave dans Platée où l'action partait à vau-l'au, il a ici un goût d'inachevé. La maison en construction avec escalier en ciment qui ne mène nulle part, structures métalliques qui sortent des colonnes où le béton n'a pas fini d'être coulée, cordon de sécurité à moitié dénoué, et brouette qui traîne n'est déjà pas très esthétique en soi, mais lorsqu'en plus un chœur de femmes vient nous parler d'oiseaux et de feuilles qui frémissent sur un air de toute beauté qui vous rend vous-même frémissant, c'est carrément pas terrible, même si on pourra toujours arguer qu'entre construction (de la maison) et déconstruction (du loft du prologue, dont on retrouve les colonnes), le décor est, comme Ariane abandonnée de Thésée, planté (là).
Ariane (Ricarda Merbeth) est perchée sur son étage-mezzanine comme une folle au grenier, en quête d'élévation. Mais lorsqu'elle s'éveille et que le monde la met bas, elle descend les degrés de l'escalier et s'enfonce dans l'espoir de la mort, ce monde où tout reste pur. Effectivement, l'absolu n'existe pas dans cette vie qui demeure inséparable de la corruption ; celle dernière ne cesse qu'avec la mort, immobilité parfaite et fin de toute chose. Pour qui ne veut pas changer, c'est le seul espoir qu'il lui reste et c'est logiquement celui d'Ariane qui refuse d'oublier Thésée et se complait dans la douleur. Elle ne peut donc rien entendre à ce que lui raconte Zerbinette et s'applique à faire la sourde oreille.
Pour toute auréole, Ariane n'a que cette bâche blanche souillée, bien loin de l'enveloppe dorée du Baiser de Klimt choisi comme couverture au programme.
Débarquée sur l'île en minibus avec ses quatre acolytes en chemise à fleurs, Zerbinetta est une vacancière qui profite du soleil en maillot de bain : inutile de lui promettre la lune ; de toutes façons les quatre zigotos ne la regardent pas, la lune, ils se sont arrêtés au doigt de Zerbinetta et lui obéissent à l’œil comme de petits chiens serviles (la déploiement des kékés en chaise pliante était très bon). Lorsque, allongée sur sa serviette de bain, elle a éparpillé ses archives de correspondance amoureuse, ses vocalises vont du rire à l'orgasme. Elle profite sans pour autant être insouciante, comme le montre le soin qu'elle met à parler à Ariane. Le divertissement que la troupe lui offre n'est pas que pure bouffonnerie puisqu'il s'agit bien de la divertir du chagrin où elle s'obstine. Seule avec elle, Zerbinetta redouble d'efforts sous un mode moins bouffon mais c'est d'elle qu'Ariane se détourne et nullement de son chagrin. Le front contre la colonne en béton, on dirait qu'elle boude et l'espèce d'un instant les rôles sont inversées, l'une est comique de tout prendre au tragique tandis que l'autre fait preuve d'un recul qui l'éloigne de la surface.
Le comique n'a pas dégradé l’œuvre tragique ou seulement au sens où il l'a extirpé de l'absolu, et les interventions de Zerbinetta vont bien au-delà du contrepoint comique que fournissent ses quatre compagnons. Tragédie et comédie ne se sont pas fondues en une grotesque farce parodique , non plus qu'elles alternent sans se heurter ; en ce monde où rien ne reste pur, leur juxtaposition nous fait comprendre qu'elles sont les deux faces de la même pièce et peuvent s'inverser sans transition, avec une rapidité vertigineuse. Le comique n'emporte pas le sens, il le provoque, et ce serait l'éloigner que de n'y lire qu'une farce grotesque (si l’œuvre est bien toujours plus intelligente que son créateur, on pourrait citer le compositeur : « Le mystère de la vie s’approche d’eux, les saisit par la main et ils commandent une farce grotesque, pour emporter loin de leur crâne indiciblement superficiel le sentiment d’éternité qui pouvait y rester ! »).
Zerbinetta finit par abandonner sa tentative en observant qu'Ariane feint de ne pas parler le même langage. Elle ne peut pas ne pas développer une certaine forme de surdité si elle veut demeurer la femme d'un seul homme alors que c'est à elle-même que Zerbinetta l'enjoint à demeurer fidèle. Le compositeur nous a prévenu : « Parmi des millions de femmes, Ariane est l’unique : celle qui n’oublie pas. » Pourtant, si elles ne parlent pas la même langue, elles parlent bien le même langage et, justement parce qu'elle y résiste et ne s'y rend pas immédiatement (il faut en parcourir, du chemin, pour se rendre à l'évidence, se diriger vers elle, contre elle, pour finalement capituler), Ariane finira par remotiver ce qui, dans la bouche de Zerbinetta, arrive comme un cliché.
Pour Zerbinetta,
« Chacun est arrivé comme un Dieu
Et son pas m'a aussitôt rendue muette, il m'a embrassé le front et la joue, et je suis devenue la prisonnière du dieu et j'ai été transformée du tout au tout!
Chacun est arrivé comme un Dieu
Et m'a complètement transformée
Il m'a embrassé la bouche et la joue
et je me suis abandonnée sans un mot!
Lorsqu'un nouveau dieu est arrivé, je me suis abandonnée sans un mot! »
Ce qui arrive à Ariane est similaire, à ceci près que son nouveau dieu appartient à la mythologie, qu'il s'agit de Bacchus et qu'il a débarqué à Naxos après avoir échappé à Circé. Et si Zerbinetta s'abandonne sans façons à de divins plaisirs, Ariane a du résister contre son désir de mort, de fidélité à un fantôme (celui de Thésée qui la hante comme le sien propre, elle qui n'est plus que l'ombre d'elle-même tandis qu'elle se mortifie) pour s'abandonner, elle et son passé, elle comme son passé l'a modelée, pour n'être plus Ariane qui n'existe que dans l'attente de Thésée.
« Qu'est-ce qui tombe de moi dans tes bras?
Oh, qu'est-ce donc de moi que j'abandonne, en as-tu imaginé le secret avec le souffle de ta bouche? »
Ce qu'il y a de terrible à être abandonnée, c'est finalement de devoir renoncer à soi telle qu'on était devenue au contact de l'homme aimé, à voir tout un pan de son existence partir dans l'oubli sans qu'il puisse jamais être animé et entretenu (la voilà, la flamme de l'amour, loin des métaphores pétrarquisantes). Tant qu'elle vit dans le souvenir, l'abandonnée ne s'abandonne pas, elle refuse de se dépasser, si bien que c'est dans le moment où elle chute aux pieds d'un nouveau dieu qu'elle s'élève à la grandeur tragique. La voilà qui cesse de vouloir vivre éternellement en rêvant à une mort pure et accepte de mourir pour renaître et vivre enfin, en dépit du rôle dans lequel elle s'est confinée et qu'elle a jusque là toujours repris à l'identique. Son nom ne résume plus à lui seul un destin, il n'est que l'étiquette qui permet de ne pas perdre le fil lorsque la personne se métamorphose d'une personnalité à l'autre. Il était temps de sortir d'elle-même et de transmuer son aspect de femme qui s'est laissée aller (cheveux un peu hirsutes, certaine lourdeur du corps, une sorte de ménade amorphe) en bacchante qui sait lâcher prise pour célébrer les mystères de son dieu (les chanteurs étaient bien assortis puisque Bacchus était campé par un chanteur dont l'ampleur n'était pas que figurée). Il n'y a qu'ainsi, dans cette perspective d'avoir laissé une partie de soi mourir pour continuer à vivre pleinement, que je puis comprendre la chute finale d'Ariane alors que Bacchus sort de scène à reculons et que tous les résumés de la pièce concluent par les fiançailles des deux personnages. Pour elle, le repos, enfin ; après avoir été abandonnée, elle abandonne sa mue.
Tout à été question de métamorphose puisque, contrairement à Bacchus sur qui les sortilèges de Circé n'ont pas fait effet, Ariane n'est pas une divinité immuable. Encore que le dieu puisse être mu de quelque façon, ému de sorte que « Désormais je suis autre que je n'étais ». Tandis que Zerbinetta, « prisonnière » de ses dieux successifs, en était transformée du tout au tout, le rapport d'influence s'est inversé avec Ariane, qui, elle, n'est sous l'emprise de personne. Elle ne s'en remet pas à quelque homme mis sur un piédestal à qui elle s'abandonnerait mais abandonne de son propre mouvement une partie d'elle-même, même si c'est au contact du dieu qu'elle est ébranlée. Chacun a besoin de l'autre pour se connaître et c'est grâce à sa méprise (elle prend Bacchus pour le messager de la mort avant de croire reconnaître Thésée, découvrant ainsi qu'elle a fait un dieu d'un homme inconstant et que son obstination à l'attendre la maintient dans une mort artificielle, « belle et orgueilleuse et immobile, comme [...] une statue sur [son] propre tombeau ») qu'Ariane peut reconnaître Bacchus, c'est-à-dire, en remontant les préfixes, naître avec lui une nouvelle fois, renaître à ses côtés. Et qu'importe si l'on entend l'écho tristement comique des amants de Zerbinetta lorsque le dieu promet à Ariane :
« Et les étoiles éternelles mourront avant
que tu ne meures entre mes bras! »
la mort d'Ariane a été empêchée.
J'ai passé proportionnellement un très long moment sur la fin de l'opéra, mais c'est là que tout se noue (grande intelligence que de nouer plutôt que de dénouer, la simplicité apparente nous entraîne jusqu'à la complexité la plus riche), que les contradictions font sens et que l'hybride devient pur chef-d’œuvre. C'est ce qu'il me fallait comprendre, prendre ensemble Zerbinetta et Ariane, pour que tout se tienne. Voilà un opéra où il ne faut pas trop prendre à la légère la légèreté et où tout est là sans être appuyé (pas comme dans cette tentative d'analyse à l'intelligence besogneuse, ça se saurait si j'étais un génie).
Si je ne vous ai pas achevés, allez donc lire ce qu'Ariana dit d'Ariane, c'est son post qui m'a débloquée et permis les articulations en mettant le doigt sur l'oubli. Et puis, concernant la métamorphose et la place du comique dans cet opéra, je vous recommande vivement l'article de Jean-Luc Nancy trouvé par hasard, un peu tard, après avoir rédigé ce compte-rendu – qu'il soit inclus dans le « dossier pédagogique » (p. 16) d'une autre mise en scène n'enlève rien à sa pertinence. Je n'y ai pas trouvé les citations que je cherchais mais tout ce que j'ai pu relire du livret de Hugo von Hofmannsthal est une relance. J'irais volontiers revoir cet opéra – quand cela aura eu le temps de décanter, pas dans quelques jours.
22:36 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : opéra, bastille
Des démonstrations pas si démonstratives
Mon professeur de danse m'a proposé de récupérer pour l'après-midi la place qui lui avait permis de voir deux de ses élèves pendant la matinée ; j'ai évidemment sauté sur l'occasion, d'autant que la journée va crescendo et que l'après-midi est réservé aux grandes divisions. La troisième a beau être réservée aux moins de 16 ans aux dires du programme, il s'agit vraiment d'un âge limite car les élèves en paraissent bien moins que cela. C'est une division où il fait bon avoir des origines étrangères : se détachent, chez les garçons, un asiatique techniquement à l'aise ; chez les filles, une petite métisse qui fait plaisir à voir. J'ai été surprise de voir que toute trace de maladresse n'avait pas encore disparu : le travail du bas de jambe est évidemment très propre mais certains garçons ont des bustes un peu gauches et les bras des filles manquent clairement de souplesse, avec des mains façon pelle à tarte quand l'exercice demande une grande concentration. Ce n'était pas une vue de l'esprit puisque lorsqu'ils sont revenus pour le caractère, Roxana Barbacaru a insisté pour que les filles tiennent leur bras et ne laissent pas pendre leurs mains. Et d'ajouter, faisant rire la salle, que plus on est petit, plus on danse grand. C'est aussi là, filles et garçons mélangés, qu'on se rappelle qu'ils sont très jeunes ; quoiqu'ils ne s'économisent pas dans ces pas librement inspirés de Napoli, leur danse manque encore de caractère, les filles comment à entrer dans le jeu (de séduction) tandis que la fougue affichée de certains garçons ne prend pas toujours sur leurs traits de gamin. Même s'ils manquent encore individuellement d'ampleur, il n'empêche que ce travail de corps de ballet est déjà très agréable à regarder.
C'est avec les deuxièmes divisions que cela commence à danser. Avec l'augmentation de la difficulté technique, les garçons mettent du temps à se synchroniser mais les filles sont très ensemble et leurs exercices s'enchaînent avec fluidité, le tout étant agréablement chorégraphié par Francesca Zumbo, une des seules parmi les professeurs des filles à sembler entretenir le dialogue avec ses élèves (au lieu d'une présentation rigide, elle s'amuse de ce que les pirouettes sont ce qu'elles préfèrent ou souligne leur mérite dans tel ou tel exercice). L'exercice de piétinés qui ouvre leur démonstration me fait justement piétiner d'envie (d'en voir certaines boitiller pour courir me rassure un peu) : d'emblée, l'accent est mis sur l'artistique et même si les jambes s'envolent au plafond, c'est la rapidité des changements de direction et des entrepas qui surprend, le style opéra de Paris en somme, qui n'a pas ici le côté mécanique que sa difficulté engendre parfois – bref, c'est dansant, on en oublie un peu de se demander qui est la meilleure (inévitable tentation de ce genre de manifestation).
Je repère une fille avec une grande bouche dont le seul défaut résiderait dans cette bouche parfois plus ouverte que réellement souriante, ainsi qu'une autre, pas du tout le type liane cette fois-ci : c'est la moins fine du groupe (mais je vois rassure, je suis encore plus épaisse qu'elle – exception faite de la poitrine et en avoir est suffisamment rare pour être identifiant) mais j'aime beaucoup son style, son allure, de jolis épaulements qui n'ont rien de chichiteux. Même si les physiques ne sont pas harmonisés, l'ensemble est harmonieux et le niveau peut-être plus homogène que chez les garçons. Ils sont dans l'âge ingrat, certains de juvéniles gringalets, d'autres avec déjà pas mal de musculature, l'un encore petit garçon, l'autre plutôt jeune homme, avec du beau gosse en puissance (il y avait un qui avait un peu un visage à la Ganio mais sans son côté tête à claque – je confonds peut-être avec la division précédente : contrairement aux filles, la tenue des garçons de change pas de couleur d'un groupe à l'autre, c'est moins facile à mémoriser).
D'une manière générale, les classes de garçons sont plus détendues, comme s'il y régnait une sorte de camaraderie sportive (même si la compétition y reste évidemment présente) ; c'est peut-être à mettre en relation avec le fait que les garçons nous présentent plus des tours de force techniques que de la danse (sauf dans la révérence où de simples pas marchés permettent de deviner des danseurs sous les acrobates) alors que les filles sont en plein processus de ballerinisation.
Le processus est achevé en première division : un bataillon de filles longilignes, graciles, aux mouvements déliés. Toute en blanc devant le cyclo bleu, on ferait bien d'en garder quelques-unes pour Apollon musagète. D'un coup les physiques sont harmonisés – mais pas nécessairement harmonieux : en première division, on ne mange plus (une seule exception, une fille au visage très doux, avec une jolie présence). Alors que les deuxièmes divisions, toutes roses, commençaient à être féminines, les premières ont achevé d'être délavées (la troisième division était en rouge) et de femmes en puissance sont devenues des danseuses, éternellement filles. Ces brindilles en font des tonnes, la métamorphose est assez spectaculaire, j'ai été vraiment surprise de la marche qu'il y a a d'une division à l'autre. Le niveau de la classe est si homogène que je suis bien en peine d'imaginer qui pourrait être engagé dans le corps de ballet.
Il y a plus de différence chez les garçons (un rouquin, un brun et un blondinet sont pas mal – y'en aura pour tous les goûts), quoique chacun y ait ses points forts et ses points faibles et qu'aucun ne soit vraiment au-dessus du lot. Côté physique, l'évolution est encore plus surprenante que chez les filles non devenues femmes : ils sont si baraqués qu'ils semblent danser la tête dans les épaules. Quoiqu'il en soit, dans le bouquet final de la classe de pas de deux, filles et garçons forment de beaux couples de danseurs prêts à être intégrés au corps de ballet – jusqu'aux personnalités qui se sont, semble-t-il, un peu émoussées.
J'en suis ressortie avec l'envie de faire d'infinies séries d'échappés et de retirés (la batterie ? - sans façon, je la leur laisse), tirez-en les conclusions que vous voyez. Pour rappel, si les démonstrations désignent bien l' « action de montrer concrètement au public en quoi consiste tel art ou tel sport », elles sont aussi (pourraient aussi être) le « signe extérieur qui manifeste les sentiments qu'une personne éprouve ou feint d'éprouver, ou ses intentions ».
12:24 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : danse, garnier
18 décembre 2010
Casse-Noisette
Arrivée au théâtre depuis la gare sans m'être cassé la figure sur les trottoirs glissants, je peste néanmoins contre ce temps de merde. - Mais non, pas un temps de merde, me corrige le mari de ma prof de danse : le temps rêvé pour danser Casse-Noisette.
Même si le froid ne facilitait pas l'échauffement et la sortie de la répétition générale s'est avérée assez épique - avec, dans le rôle du chevalier servant, notre photographe savoyard sachant conduire sur le verglas- c'est avec plaisir que j'ai floconné, arabisé et fleuri.
Une arabesque complément ouverte, je sais, mais croyez-moi, c'est toujours mieux que des piétinés sur pointes molles, en dedans et décroisés à cause de cuisses-jambonneau. Les six mois sans barre se font sentir, je n'ai plus de répondant dans les jambes, ça manque de nervosité. Mais j'avais une tiare , ferait remarquer Pink Lady.
Autant je lutte dans les flocons, autant dans la danse arabe, je suis chez moi.
Mode *J'occupe la scène, regardez-moi*
Je me gargarise si je veux.
Dos au public, je vois la drôle de tête de Clara et Casse-Noisette et je me dis que la sensation de relâchement que j'ai ne doit pas être qu'une impression : mon haut s'est dégrafé. Je me suis instamment déclarée pour le port du voile.
Malgré les débuts de strip-teaseuse qu'il m'a involontairement fait faire, j'adore ce costume : violet, bustier court façon la Bayadère (s'il y a bien un costume qui me fait rêver, remisez les tutus, c'est celui-là), et pantalon bouffant qui fait croire que les cuisses sont du même acabit que le ventre. Et on respire vachement mieux que dans le tu-tu te'ment ser-ré qu'on se d'mande comment 'va pouvoir danser 'vec alors qu'on asphy-xie déjà au repos.
Je vous salue Clara pleine de grâce.
Il n'y a que des photos de moi, c'est bien observé : d'une part, ces photos ne sont pas les miennes et il revient à chacun d'autoriser les photos qu'il veut bien voir publiées (en plus du photographe, n'oublions pas les modèles, ici quasiment tous mineurs) et d'autre part, c'est un comportement typique de tout danseur (amateur, du moins) de se chercher en priorité dans les enregistrements des spectacles et, une fois qu'il s'est trouvé, de chercher tous les défauts qui lui feront écarter les trois-quarts des photos (qui font encore moins de cadeau que les vidéos), au grand désespoir du photographe qui, lui, était ravi par l'effet du tissu ondulant et n'avait pas prêté attention au pied pas tendu, à la jambe en dedans ou au bras raide façon salut hitlérien. Comme dit mon médecin : les danseuses sont des chieuses ; pas parce qu'elle sont chiantes, hein, parce qu'elles sont exiiiigeantes, perfectionnistes... Nul besoin de s'arracher les cheveux, de toutes façons, j'ai un postiche :
En coulisse, il y a eu l'odeur de la laque, la pose des perruques, le maquillage où il n'y a pas à craindre d'avoir la main lourde, les pleurs des lentilles qu'il m'a fallu un bon quart d'heure à mettre, la métamorphose de la prof en vieille dame à coups de crayon pour les rides et de blanc dans les cheveux, la moustache à fixer sur la lèvre de la danseuse qui faisait le père (un rôle de travesti que je n'ai pas endossé, c'est assez rare pour être souligné - on n'est pas grande pour rien), la maman de la prof qui finissait de baguer les tutus et de coudre les juponnages des fleurs, la boîte de biscuits Delacre et la redécouverte des Délichocs, les changements rapides, les petites souris qui ont toujours envie d'aller faire pipi quand ce n'est plus le moment, les mouvements pour se garder chaud et s'étirer, les sautillés pour accélérer le rythme cardiaque et se libérer le tract, le retour de la musique en loge et surtout, surtout, derrière les pendrillons de velours noir, entre admiration et cohésion chaleureuse, l'enthousiasme de ceux qui attendent leur entrée pour ceux qui sont sur scène, l'interminable équilibre arabesque de la fée Dragée, le beau développé tenu d'une fleur, ou celui de T. qui boitait encore il y a trois semaine, bah ça va, on s'emmerde pas, qu'on souffle en souriant de l'aisance de nos jeunes solistes.
20:41 Publié dans La souris-verte orange, Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : danse, ballet
13 décembre 2010
Carrément Karénine
Anna Karénine, de Boris Eifman
Aaaaaaaah ! Excitation et soulagement : je ne suis pas devenue blasée, la fréquence des spectacles ne m'a pas ôté ma capacité à m'enthousiasmer. Il y avait franchement mieux à faire dimanche dernier que d'aller se faire plumer à l'Opéra pour voir des volatiles. Pourtant, avant que ma mère ne clique sur « réserver », je lui avais bien fait remarquer que le montant était tout de même de 154€ ; installées en plein milieu du parterre du théâtre des Champs-Élysées, on ne l'a pas regretté une seule seconde. En sortant, nous avons même couru comme un seul homme deux gamines au distributeur le plus proche pour tirer du liquide et revenir acheter le programme avant que le théâtre ne ferme. Un peu essoufflées, nous n'en avons pas moins épuisé notre lexique d'adjectifs laudatifs (tous mis au superlatif), en les accolant à tout ce qu'on pouvait imaginer : chorégraphie, émotion, costumes, amplitude, scénographie, coup de pied, interprétation, puissance des sauts, beauté de l'interprète, technique, construction, énergie, exécution, lumières... J'aurais voulu le revoir dans la foulée pour tout voir et jubiler, encore. Le roman de Tolstoï, qui n'a été entamé que de cinquante pages faute à des lectures universitaires, ne devrait plus traîner trop longtemps sous la table basse ; c'est un nouvel appel du pied (c'est comme ça, certains livres vous font de l’œil).
Véritable fauteuil d'orchestre. La lumière se baisse, bientôt suivi par le brouhaha du public. Le rideau se lève. Rien qu'une petite douche de lumière sur un petit banc et des jouets, à cour. Puis une grande douche éclaire la scène : vide. Une femme en robe de soirée apparaît, beaucoup trop séduisante pour être toujours la mère qui arrête un petit train électrique ou remet une peluche en place. Elle est déjà en décalage, et tellement belle. Karénine vient la chercher pour partir en soirée et le tableau poignant de cette femme qu'on vient relever de son rôle de mère, sa douce mélancolie, laisse place à l'étourdissement d'une scène de bal.
C'est le moment de marquer une courte pause pour rendre grâce au costumier, Viacheslav Okunev, qui a réalisé des robes de bals qui ne ressemblent pas à de grosses meringues empesées de froufrous et autres fanfreluches mais qui aient l'élégance de robes de soirées, fluides le long des corps longilignes, brillantes sans être clinquantes, corset de perles et ras de cou assorti. Elles ont l'allure de robes fourreau mais n'entravent jamais le mouvement : lors des tours et des sauts, le tissu se déploie et leur donne plus d'amplitude encore. On pourrait dire que cela virevolte si la danse n'était pas si puissante, les sauts si athlétiques et les portés si dynamiques. Cela tournoie davantage ; les hommes portent haut non les couleurs de leur dame, mais les dames elles-mêmes, quand elles ne sautent pas d'elles-mêmes aussi haut que les garçons (et gardent des cuisses de mouche, un mystère) – le tout à un rythme trépidant, entretenu par d'incessants relais dans les groupes qui se répondent deux à deux, façon produit en croix. C'est virtuose mais jamais gratuit : le groupe social s'impose dans toute sa force et laisse imaginer la réprobation qui sera la sienne face aux futurs amants qui n'en sont pour le moment qu'à leur rencontre, duos et soli alternant avec les ensembles.
A la première variation de Vronsky et rien qu'à sa façon de se jeter à genoux, on est déjà aux pieds d'Olgev Gabyshev. Oleg Markov n'est pas en reste en Karénine, quoique sa danse soit plus sèche, dans l’inquiétude de sa femme absente. Il y a ce formidable geste des mains croisées dans le dos, qui exprime d'abord l'attente puis l'impuissance du mari lorsque, ayant surpris les amants, il ne parvient pas à faire revenir sa femme vers lui. Il la malmène, elle s'écarte ; il la menace, elle le repousse ; il se montre tendre, elle se dérobe. Lorsqu'il la reprend par le bras, la contraignant et la soutenant tout à la fois, et que de profil ils avancent en une funèbre marche nuptiale, très raide, ses jambes se dérobent sous son corps devenu insaisissable de fluidité. Les pas de deux d'Anna avec l'amoureux mari, dur à force de tendresse, sont presque plus poignants que les effusions de l'amant, pourtant jamais lyriques. A chaque fois qu'on pourrait verser dans l'eau de rose, cela bascule, le développé seconde est ramené à terre manu militari, le renversé attitude fait un écart en arabesque et si l'on se jette à terre, c'est au sens propre. De même, avec Karénine, s'il y a scène de ménage, c'est seulement en vertu des portés-traînés dans lesquels la danseuse balaie la scène, traînée à bout de bras par son partenaire - c'est presque un miracle qu'ils ne se soient pas décrochés des épaules. Avec Boris Eifman, tout est grand, même la bassesse si jamais elle intervient.
Le désir n'a rien de velléitaire et, lorsque sont éclairés tour à tour (Vronskiyen avant-scène côté jardin, Anna en arrière-scène côté cour) les amants esseulés dans leurs lits respectifs, leur lascivité n'est pas celle d'une certaine indolence exotique : ce sont bien les corps, qui se cambrent, s'écartent, s'étalent et débordent de leur lit, qui se désirent, qu'ils désirent – aucune passion passive là-dedans, sinon pour le spectateur avide de toute cette beauté.
Le premier acte se termine par un boucle : même petite douche de lumière côté cour qu'au début, Anna au milieu du cercle que décrit un petit train électrique d'un enfant définitivement absent, il neige.
Le Russe se réchauffe à la vodka : la second acte commence avec des soldats ivres, de dos, debout sur leur chaise, sur laquelle ils s'affalent un à un, un serveur courant de l'un à l'autre pour rattraper in extremis leurs verres sur son plateau. La scène de caserne qui suit est un cabaret inversé : ce sont les hommes qui dansent avec leurs chaises (et que je prenne appel dessus pour sauter à l'écart et retomber sur mes deux jambes de part et d'autre de la chaise) et les spectatrices qui se réjouissent. La ligne du cancan final est remplacée par une revue de soldats qui tombent comme des dominos après que le bout de la file se soit écroulé d'ivresse.
Loin de cette virilité éthylique qu'il laisse à Karénine, Vronsky a amené Anna à Venise : quoi de mieux qu'un carnaval pour passer inaperçu et laisser libre cours à ses passions ? Sous le bal masqué policé se devine en effet l'instinct carnavalesque qui a envoyé valser les conventions sociales – y compris celles de la valse (à peine trouve-t-on encore trace de couples ; on parvient tout juste à distinguer les femmes des hommes, qui sortent tous de leurs gonds et de la scène en farandole). Une fois encore les costumes, un peu plus ouvragés que les précédents pour être perçu comme tels, sont superbes : richesse et profusion de perles, de plumes et de masques ne se termine pas en charivari visuel, cela reste d'une élégance rare sans paraître le moins du monde emprunté.
Après s'être perdu dans la foule, notre couple d'amant s'est réfugié à l'écart et, pour louer la beauté d'Anna, Vronski a entrepris de lui tirer le portrait. Bien entendu la séance connaît quelques pauses, ce qu'on n'avait pas de mal à prévoir vu la pose coquette du modèle. Vêtue à la façon du Diable amoureux, la danseuse laisse voir des jambes d'une finesse qui évoquerait la fragilité si elle n'était doublée de solidité technique. C'est presque trop fin, la robe lui sied finalement mieux.
Les amants ont semble-t-il voulu oublier que les débordements carnavalesques ne durent qu'un temps et leur couple, qui n'en est pas un, suscite des commérages dont la virulence ira jusqu'au rejet. Le bal au terme duquel ils finiront ostracisés est en tous points conformes à celui du premier acte où Anna accompagnait Karénine ; le amants n'ont de place que lors du défoulement carnavalesque et ne peuvent valser en bonne société, plates-bandes quadrillées par les couples mariés. La compagnie se fait de plus en plus menaçante (répartie en deux lignes, une dans la longueur, l'autre dans la largeur, qui se rapprochent petit à petit en un angle obtus), sépare les amants et les tourmente pour finalement leur tourner le dos et les laisser seuls, méprisés. Abandon magistral ; tous sont du côté du mari et de l'ordre bafoué.
Plus qu'abandonnée à son triste sort, Anna Karénine est livrée à son destin d'héroïne tolstoïenne. La déchéance s'accélère avec l'opium et la boisson. L'enfermement de la folie qui la guette est formidablement rendu par une trouvaille scénique : allongée au sol, c'est la tête et les bras passés entre les pieds d'une petite commode (à laquelle elle s'agrippe) qu'elle avale le contenu d'une petite fiole. Avant qu'on ait pu comprendre comment quelqu'un avait pu passer par derrière pour lui retirer sa robe (et avant que j'aie pu me précipiter sur scène pour voler sa sublime robe violette), elle se retrouve en académique chaire, c'est-à-dire nue. Son délire devient cauchemardesque ; elle est entraînée dans une ronde sabbatique, ou plutôt deux, s'il est vrai qu'elle passe d'un groupe à l'autre comme une courroie en huit, lancée et rattrapée comme une trapéziste, à ceci près qu'elle est traînée au sol et ne le quitte que lorsque la ronde tourne tellement vite que la force centrifuge la soulève. On a l'impression que ces deux roues vont la broyer si elles ne la désarticulent pas avant. C'est terrifiant.
Oppressant, aussi. On sent que à la situation paroxystique que la fin est proche. Le corps de ballet est revenu habillé en cheminot, les danseurs font de violents gestes mécaniques avec leur bras semblables à des cisailles et pour la seconde fois, la musique de Tchaïkovsky a laissé place à des bruitages : le train approche. Et là, la spectatrice que je suis a un sursaut socratique : Anna Karénine va mourir, cela ne fait aucun doute, mais va-t-elle bien mourir ? Je veux dire, comment le chorégraphe va-t-il la faire mourir ? Il faut qu'elle meure bien, pas moralement mais esthétiquement parlant ; que la chute ne tombe pas à plat comme le corps de l'héroïne. Je me souviens de l'insistance de Kundera dans ses essais sur le motif du train dans Anna Karénine, et j'ai peur. Il ne faut pas que surgisse un train en carton pâte. Le bruit du train s'amplifie. Anna monte sur la haute passerelle qui, avec son enfilade de colonnades, suggérait une promenade lors des scènes de bal (les femmes y faisaient figurer leurs charmes graciles en ombres chinoises tandis qu'en contrebas, les hommes faisaient éclater leur puissance) ; à présent, c'est vrai, je lui trouve un air de pont de chemin de fer. Elle avance au milieu de la passerelle, se met face au public, écarte les bras en croix et se laisse basculer vers l'arrière – avant qu'elle ait eu le temps de disparaître, toute une rampe de feux s'est violemment éclairée le long de la passerelle : c'est le spectateur qui s'est pris le train de plein fouet. Je suis éblouie.
Dernière image : un chariot qui pousse le corps dans une grande douche de lumière, sous la neige tombante, au milieu des cheminots : fin du premier acte, fin du second. Les rappels ne manquent pas non plus dans la salle, où l'on s'essaye aux bravos. Je regrette de ne pas avoir une voix qui porte et suis contente lorsque tout près de moi, comme par procuration, un bravo retentit d'une voix de ténor.
Voilà un ballet, un vrai, un ballet narratif et moderne (presque un oxymore tant c'est inespéré), sans divertissement, entier, qui vous prend aux tripes d'un bout à l'autre et ne vous laisse pas de répit dans votre fascination. On est épaté de virtuosité, saisi d'émotion, frappé de stupeur, étranglé de terreur et de pitié, ébloui et bouleversé de beauté vécue. J'aime la danse lorsqu'elle se fait sentir jusque dans la chaire voire dans les muscles du spectateur qui se sait pourtant fossilisé sur son fauteuil, pétrifié. Les danseurs sont bons, comme des acteurs ; le chorégraphe est un formidable metteur en scène ; quant à la danseuse, elle est sublime – à croire qu'il n'existe pas à proprement parler de danseuse russe, de ces filles qui dansent : quand elle n'est pas ballerine, elle est une femme. Fatale, ici, sans jamais être aguichante. Simplement, on ne peut en détacher le regard. D'où je suis quelque peu chagrin de ne pas savoir s'il s'agissait de Masha Abashova, comme l'indique le programme, ou bien de Nina Zmiievets comme l'annonçait et le maintient toujours la distribution en ligne sur le site du théâtre. Peut-être ne doit-on pas savoir le nom de cette fugitive beauté, passante baudelairienne.
Je vous ai dit à quel point ce ballet était sublime ?
00:20 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : danse, ballet