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08 mars 2011

Akramkhadabra

Il y avait une place devant, mais j'avais une place au rang Q et j'y suis restée – sur le cul. Je ne connaissais Akram Khan que de nom (et encore, sans l'orthographe) mais nom de nom, il aurait été dommage d'en rester là. Vertical road s'apparente à du contemporain sans le côté contempo, à du butô sans lenteur, à du hip-hop sans ouéch, à de la danse indienne sans délicatesse maniérée et à un art martial sans défaite. Cela ne ressemble à rien et ça a pourtant de la gueule, ce n'est rien de le dire.

 


Les mouvements très ancrés dans le sol, genoux pliés, tête souvent relâchée, explosent et libèrent une énergie qui confine à la violence. Pas de portés mais des jetés ; ici, quand on déboule, c'est au sol. Les secousses qui agitent le corps vont des à-coups de la pulsation cardiaque aux spasmes frénétiques de la transe, tandis que la musique, indissociable des corps, martèle dans un crescendo qui alterne avec des moments d'acalmie, des battements de coeur plus ou moins essoufflé et assourdissant. Cela part des tripes et vous y prend. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai le cou qui part en avant, une épaule qui se rabat ou les abdos qui se contractent, tant nous fait entrer en empathie avec les danseurs la musique dont on finit par ne plus trop savoir si elle part du corps des danseurs, accompagne leur effervescence ou n'est que la résonance très amplifiée de notre propre être intérieur.

On ne comprend pas toujours tout, mais on le vit. Ce n'est qu'en passant chez Amélie que j'ai pu reconstituer le fil d'un homme qui, d'abord séparés des autres derrière une bache translucide (effet d'ondes frappant), s'immisce à leurs côtés et cherche à prendre l'ascendant sur eux, jusqu'à ce qu'il se retrouve exclu, à nouveau séparé par la bache mais côté public cette fois, et doive tendre la main (poser la sienne sur celle des autres, en contrejour) pour faire tomber le rideau (cette chute... après la Prisonnière, le Funambule ou Kaguyahime, je ne m'en lasse pas, c'est toujours aussi beau).

Entre les deux, l'étranger arrive avec ses tablettes, qu'il pose droites comme les autres, d'abord immobiles et qu'il déplace comme des pions, soulevant au passage un nuage de poudre, entre poussière d'une tribu ancestrale et sable d'une contrée désertique (mirage d'Amagatsu). Quand ces être s'animent, ils sont possédés. Cela donne lieu à des scènes incroyablement fortes, notamment lorsque, oscillant sur les pieds et les mains, les genoux en l'air, ils avancent comme une armée de fourmis et colonisent la scène, ou se rassemblent en cercle, bras en l'air, battle sans idole. Dans cette étrange communauté où les filles ne se distinguent des hommes que par des chignons qu'elles portent très haut et qui les font ressembler à des mangas karatéka, on ne s'attire pas, on s'aimante. Et c'est alors un formidable combat où l'on porte atteinte à l'autre sans jamais le toucher (au summum de son pouvoir, les mains de l'étranger tournent autour d'une sphère imaginaire et c'est un autre qui, pris dans ce manège, s'en trouve malmené). Si les comparaisons n'introduisaient pas des connotations parasites, je dirais sans hésiter que des guerriers manga se battent à coup de champs magnétiques et finissent sans volonté aux mains de l'autre : sous imperium. Non moins fascinant est le moment qui suit où deux corps se retrouvent entremêlés plus qu'enlacés, dans un duo d'une sensualité ni suave ni animale, avant que la fille ne soit hissée sur les épaules de l'homme et que, genoux face à son torse, elle redresse son buste vers la lumière qui l'aspire, juste au-dessus d'elle. Moment de suspension. Et ça reprend - aux tripes, toujours. 

Pour les photos des saluts (quoique pas le même jour), voir chez Palpatine.

04 mars 2011

C'est trop forsythe


Ce n'est malheureusement pas le ballet de l'opéra de Lyon, mais cela permet de se faire une idée.

Plus qu'extrême, c'est extra – hors des mouvements ordinaires. Et excitant.
Quelque soit l'adjectif, il faut un X, cette inconnue qui rend fascinantes les extensions du corps. Il y a certes des jambes au plafond, mais rien d'excessif, on ne fait pas d'écarts. L'extension est ailleurs, désaxée : d'abord dans ces bras qui se tiennent presque toujours derrière les épaules et font des danseuses de gigantesques créatures, monstrueusement sexy (surtout la très grande, la plus grande, en justaucorps bleue, une fille terrible). Les danseurs, eux, épaules rondes, sont plus dans la suavité et c'est d'autant plus surprenant qu'on n'imagine pas de suavité sans lenteur. La rapidité, dans Workwithinwork, est pourtant affolante, affriolante en devient la danse dans son austérité. On appuierait parfois bien sur pause, pour mieux en jouir, mais c'est alors une pose (jambes campées de profil égyptien, avec un poignet cassé qui traîne derrière, virgule provocante), nouvelle forme de tension qui demande tout autant d'attention. C'est de la danse pure, comme de la coke, et je m'éclate, c'est jubilatoire : la rapidité me dit énergie, l'imprévu, séduction, et les extensions, intensité. On en ressort grandi, neurone aéré, colonne vertébrale étirée, démarche élastique, prêt à conquérir le monde qui grouille à l'entracte.

Quintett m'a fait l'effet d'une retombée ; alors que le public (dont Palpatine) semble l'avoir de loin préféré pour être « plus humain », j'y ai davantage senti une posture de chorégraphe contemporain qui fait son cinéma avec un escalier creusé dans la scène et un gros projecteur qui, braqué dans sa direction comme un canon, le fait ressembler à un abri anti-atomique. Deux couples et une pièce rapportée y évoluent, ou plutôt faudrait-il dire deux femmes et trois hommes, s'il est vrai que les couples sont à géométrie variable. Il y a de belles choses, mais c'est vain comme une après-midi interminable dans un motel désertique, plus vain encore s'il est vrai que les occupants désœuvrés ne sont pas des gens médiocres mais des êtres à l'intelligence et à la sensibilité aiguisée. On ne s'en sort pas, on ne sort pas du piège de la nostalgie, c'est toujours la même rengaine, en l'occurrence « Jesus' blood never failed to me yet » de Gavin Bryars, à peine une minute qui tourne en boucle. On ne s'en aperçoit pas jusqu'au moment où cela devient insupportable, la fois de trop ; et l'intolérable tristesse se mue en indifférence.

19:23 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : danse, tdv

Moins de vague, plus de nerf, c'est trop liszt

Barenboim, boim boim, boim boim... faisait le cœur d'Ariana. Mes clap clap n'avaient pas la même intensité pour saluer le pianiste et lorsque Palpatine s'en est aperçu et que je lui ai confirmé que j'avais trouvé les concertos de Liszt beaux (de la frappe, des pizzicati, ah tiens, un triangle...) mais que cela ne me touchait pas plus que cela, il m'a conseillé de ne pas le dire trop fort, histoire de ne pas me faire lyncher : « On va te spécialiser pour l'année prochaine, ce n'est pas possible, là. Maintenant, je vois à peu près, assez bien même, je pense être capable de savoir ce qui est susceptible de te plaire. » Moi aussi : je progresse. Il reste de la marge, mon oreille vierge de tout Wagner est là pour le confirmer. Mais on a toujours besoin d'un plus petit grand jeune inculte que soi et j'ai pu assurer que Siegfried-Idyll n'avait pas l'air du tout d'un patchwork, quand bien même on y retrouvait des thèmes qui seraient plus tard développés dans l'opéra. Rien à voir avec la puissance sonore de ce qui s'échappait de la salle à Bruxelles, on a ici l'impression d'entendre les feuilles bruire, mais des feuilles qui seraient saturées d'une histoire longuement et lointainement écrite, à l'origine de ce murmure dense1. La lumière en halo autour des musiciens resserrés – frêle et sombre frondaison, d'où émerge une crosse de contrebasse et parfois une main dont les doigts en s'ouvrant autour de l'archet prolongent le son – achève le mystère de cette intimité fascinante. À côté de cela, la symphonie « italienne » de Felix Mendelssohn-Bortholdy, « d'une nature solaire, heureuse et odysséenne » n'intéresse plus que son héros, c'est-à-dire personne, en français dans le grec, et le romantisme virtuose de Liszt peut aller tempêter ailleurs, le compositeur se bat les flancs pour s’échauffer, et l'auditeur reste froid2 (le chef d'orchestre, quant à lui, n'échappe à la crise cardiaque qu'en raison de son jeune âge – on comprend rapidement pourquoi il n'est pas épais).

 

1 Amusant, ensuite, de lire dans le programme qu'à la suite de la berceuse vient un épisode « plus vigoureux, prophétisant des temps plus épiques : d'après Wagner lui-même, qui indiqua des éléments de programme pour sa pièce, après avoir endormi son enfant, la mère songe à son destin de jeune homme. »

2 Dites XXXIII, mon cher Valmont, c'est madame la marquise qui vous le demande et elle a très envie de jouer au docteur.

17:44 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : concert, pleyel

27 février 2011

Boris Ravel

Jeudi, à Pleyel, ce fut un programme de pièces courtes (la plus longue durait une demie-heure – point de symphonie pour une fois) pour une longue soirée poursuivie au Do ré mi, un bar- brasserie qui semble être une annexe à la sortie des artistes et où, quand on n'est pas passé prendre un cheesecake à la Mie dorée, l'on peut manger une salade méli-mélomane en écoutant Ariana débriefer sur Boris Berezovsky (pour le faire bref, elle a mis une option dessus1), et les autres sourire, objecter ou écouter devant leur verre de vin, de limonade, de coca ou leur chocolat (aperçu diffracté de notre assemblée hétéroclite).

Si Ariana a découvert le concertiste russe, dont le jeu vigoureux lui a fait oublier le physique d'ours circonspect (s'il ne jouait pas, on l'imaginerait sans peine affalé avec une bière à la main), j'ai pour ma part découvert que j'aime Ravel et pas seulement son Boléro. Shéhérazade ne m'a certes pas déplu mais ce que j'ai réellement apprécié, c'est le morceau qui ouvrait la soirée, Alborada del gracioso. Il était suivi par l'intrus de ce programme Ravel, le concerto pour piano n°2 de Béla Bartók, composition un peu toquée qui devrait me rendre curieuse à l'avenir. En bis, le pianiste russe a choisi de se laisser guider par les influences hispaniques de le soirée et annonce (cette seule attention à l'égard du public non mélomanianque est en soi une raison de l'apprécier) l'Asturia d'Albéniz. Ce n'est pas la première fois que je le remarque mais là, la rencontre des caractères slave et espagnol est plus que séduisante. Après nous avoir complètement pris par son air obsédant, la musique, ou le musicien, je ne sais plus trop, se joue de notre fascination et rend palpable (l'at)tension en la relâchant par un passage faussement tempéré pour mieux la reprendre juste après ; on est saisi. Et quand hongrois que c'est fini (désolée, le jeu de mot est tellement nul qu'il fallait que je le fasse) arrive une danse de Brahms (? c'est bien ça ?) en second bis. C'est un peu pâlichon après l'espagnolade bien frappée où j'ai brusquement compris que si l'on peut jouer un peu tout au piano, c'est peut-être qu'au côté très harmonieux qui peut couler d'un Chopin s'ajoute la puissance percussive (et là, le piano prend tout son sens, loin du seul prestige du piano à queue pour accompagner la queue de pie – genre, j'ai écouté Asturia à la guitare sur youtube, et si on y gagne en pittoresque, on y perd assurément en piment). Voilà pour la révélation évidente du jour.

Le Boléro, lui, n'en était pas une mais cela a été une belle expérience de le voir jouer. Parce qu'à y bien réfléchir, je l'ai déjà entendu « en vrai » ; seulement, ce n'est pas la même chose de se mettre à table devant José Martinez ou d'observer un orchestre. Les cordes commencent (à ne pas jouer) avec un air de « bon, c'est parti, y'en a pour un quart d'heure » et petit à petit, d'instrument en instrument et de pizzicati de métronome en coup d'archet bien décochés, chacun se trouve pris dans le rythme qu'il intensifie. Le contrebassiste- poète de Spitzweg est encore plus déchaîné que l'habitude (un peu rouge, visiblement heureux que l’orchestre fasse corps avec lui et pas seulement, comme c'est d'ordinaire le cas, qu'il se fonde dans l'orchestre) et le violoncelliste-hérisson, que j'aperçois par intermittences entre les jambes du chef, corrige son violon ; comme la batterie était juste derrière, on aurait dit que les archets étaient des lamelles de store métalliques. À la fin, c'est assez amusant, on dirait que tous les musiciens sont très heureux mais qu'aucun ne prend vraiment les applaudissements pour lui. Le violoncelliste-hérisson, que j'ai vu sourire largement pour la première fois (certes, pas tout le temps dans mon champ de vision) a rapidement repris son sérieux impassible, tandis que le batteur ne semble jamais s'être pris au sérieux et sourit de se voir ainsi au milieu de l'orchestre, clef de voûte mais non pas maître d’œuvre.

Avec ce rythme de batterie identique dans son crescendo juste en face de nous, j'ai compris à quel point cette musique pouvait être agaçante et comment Thierry Malandain avait pu en faire une illustration forte de l'enfermement quand Béjart en avait fait surgir la pulsion sexuelle. Et de fait, si, l'orientation de la conversation aidant, je n'ai pas pu m'empêcher de marquer quelques pas du second en sortant de la salle, ce sont bien des images du premier qui me sont venues pendant le concert. Parce qu'un Maurice n'en appelle pas toujours un autre, allez jeter un œil là-dessus.

1 En moins bref, voir les commentaires avec un peu plus de tenue (quoique...) chez Palpatine.