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07 janvier 2011

Concerto ou tard mais plutôt tard

J'ai aimé le Concerto pour piano n°1 de Tchaïkovski. Je crois avoir aimé la symphonie qui suivait, mais cinq heures de sommeil pour la Cinquième symphonie, c'est trop juste. Dommage qu'il n'y ait pas de Septième, j'aurais pu garder les proportions et les yeux ouverts. Je tiens néanmoins à souligner que je ne dormais pas mais que « je reposais mes yeux » (toujours au passé, indice de la mauvaise foi paternelle). Un peu comme le mini-pc qui se met en veille avant que la batterie ne lâche pour de bon, j'ai fermé les yeux pour garder les oreilles ouvertes. Cette subtilité n'aurait pas été possible sans Palpatine qui doit ainsi être remercié pour avoir eu la bonne idée de diriger toute la symphonie sur ma cuisse droite ; les pizzicati chatouillaient beaucoup, j'ai du me retenir de rire alors que les grosses contrebasses commençaient à s'exciter en fronçant le sourcil, au premier rang desquelles j'ai nommé le poète de Spitzweg, très en forme ce soir-là, qui se tournait vers ses camarades et mon sourire (la zone du public où je me trouvais, vous chipotez bien, je trouve) pour trouver à partager son enthousiasme.

Cela a du se faire sans mal pendant la première partie tant Arcadi Volodos, le pianiste, le suscitait. Il faut dire qu'un bourrin délicat ne se trouve pas sous le sabot d'un cheval. L'oxymore est parfaitement illustré par les deux derniers bis où il fait suivre un morceau aux accents foucades espagnoles d'une mélodie douce et lente, lente et poignante où la lenteur est proportionnelle au plaisir. C'est brrr même si j'ai crains une fois ou deux que le pianiste ne tombe à la renverse comme un vulgaire cancre tant il rejetait vigoureusement sa tête en arrière – le bonhomme a la jouissance douloureuse. Je bats des mains avant de battre en retraite.

D'avoir somnolé à l'entracte m'a ensuite plongée dans l'atmosphère de ces fins de dîner lorsque, enfant, je vacillais comme les bougies que je voyais sur la table avant de sombrer dans une torpeur où les voix des adultes parvenaient avec un éclat curieusement assourdi, phonèmes limpides que l'on perçoit avec une étonnante acuité alors qu'on ne les comprend plus. C'est cette même étrange lucidité qui, face aux sons des instruments, m'a fait apprécier la musique et ne m'en a laissé presque aucun souvenir, mis à part les coups d'archets déchirant – l'air comme une feuille de papier. Lovée dans mon siège, j'ai passé une chaleureuse soirée.

26 décembre 2010

Benjamin Millepied, Léa Seydoux et Ralph Lauren

Les balletomanes prendront le premier et laisseront les deux autres à Palpatine qui restera peut-être un peu moins sur sa faim, car le très court métrage réalisé par Asa Mader et le danseur-chorégraphe (également boyfriend de Natalie Portman depuis le tournage de Black Swan, semblerait-il), s'il n'est pas avare en gros plans sur la demoiselle sensible-zet-triste (ne sait-elle rien jouer d'autre ou est-ce son état de pose naturel et ne sait-elle pas jouer du tout ?), n'est guère prodigue de danse : une chamaillerie amoureuse en forme de tango, quelques gestes, quelques images, voilà tout. Reste à espérer que la version longue qui doit sortir courant 2011 sera un peu plus développée ; le court-métrage aura alors été une belle bande-annonce et pas seulement un spot publicitaire pour Ralph Lauren qui habille les deux protagonistes.

 

Photobucket

J'ai déjà le parquet (pas l'appart' unfortunately) ; je veux les même chaussures pour aller avec.

 

Time doesn't stand still à voir ici.

Alors : court-métrage, bande-annonce ou spot publicitaire ?

22 décembre 2010

Volatiles et volatilité : Uliana Lopatkina dans le Lac des cygnes

Le Lac des cygnes ne représente pas pour moi le ballet par excellence et je ne me serais certainement pas battue pour aller voir Emilie Cozette mais refuser une place pour Uliana Lopatkina quand Pink Lady vous l'offre sur un plateau eut été cracher dans la soupe. D'autant que la soirée attire la balletomane et que les blogueuses se sont donné rendez-vous pour se rencontrer. Sachant que Pink Lady me connaissait et que je connaissais Amélie, il a suffit de trouver celle-ci pour être présentées à Cam's, Fab et plus tard, au Petit Rat. Rajoutez la sympathique terreur des Pass' et une B#1 qui a surgi de nulle part et vous obtenez un groupe de gentilles hystériques qui débriefent dès l'entracte.

 

La distribution était ce que j'appelle, passez-moi l'expression, une putain de distribution, qui ne s'est pas contentée de donner à la guest star russe José Martinez comme partenaire. Afin que mes hormones ne viennent pas perturber ce compte-rendu et que celui-ci ne soit pas sans cesse interrompu par des éclats d'enthousiasme digressifs et régressifs, je regrouperai toute mon admiration baveuse en une partie distincte.

Au premier coup de jumelles braquées sur José Martinez, je tombe sur le derrière, juste derrière, sur Héloïse Bourdon : la soirée commence bien. Comme je ne dirai jamais assez combien cette fille est magnifique (et magnifique danseuse, cela va de soi), il suffira de préciser que l'ayant retrouvée dans les quatre grands cygnes, j'ai assez rarement regardé les trois autres. Quand de surcroît elle est accompagnée d'Allister Madin dans la Czardas du troisième acte, imaginez le délice.

Eh oui, je suis éperdue d'admiration pour Héloïse Bourdon ; mes hormones ne sont pas l'unique cause de cette béatitude baveuse, tout au plus des catalyseurs. Si l'on pourrait se rouler aux pieds d'Audric Bezard en toréro (dans la veine de José Martinez dans le Tricorne), c'est avant tout parce qu'il y a dans son dos et dans ses mouvements retenus une puissance folle. La preuve, c'est que ses cheveux gominés étaient affreux mais qu'on n'en regardait pas plus son acolyte à la belle gueule pour autant – sauf Pink Lady mais c'est qu'elle a un faible pour Florian Magnenet. Heureusement que leurs partenaires avaient des variations durant lesquelles ils disparaissaient, sinon je ne les aurais jamais vues. Vous comprendrez maintenant aisément pourquoi la vidéo de ballet est un pis-aller : la caméra n'est jamais là où on voudrait et, parce qu'elles ne regardent pas la même chose au même moment, deux personnes ne voient jamais le même ballet. Une subtile manière de vous inviter à aller lire les autres balletomanes-blogueuses, vous en conviendrez.

Notre enthousiasme ne doit pas épargner Emmanuel Thibault que l'on ne voit guère, comme le fait remarquer Amélie, que dans des pas de trois. C'est fort regrettable car il suffit de le voir faire une préparation (pas les tours, pas les sauts, la préparation, bras ouverts, regard franc, présence forte) pour liquider le soupçon de pure virtuosité qui pèse sur lui. Non, malgré son ballon, ce n'est pas du cirque (critique aussi injustifiée pour le danseur que pour le cirque, pourrait vous dire quelqu'un comme Sara, qui déniche des troupes avec un vrai sens artistique – j'avais trouvé fort pertinent de critiquer le comparant de la critique même, dans un dossier de Lire consacré à Boris Vian, en disant qu'en faire l'auteur de 'romans d'adolescent' était aussi réducteur pour le livre que pour ses lecteurs).

Si José Martinez, avec sa sensualité distante, pourrait très bien figurer dans cette liste de Noël, je crois néanmoins que nous pouvons poursuivre – ou débuter, selon ce qu'on attend d'un compte-rendu.

 

Premier acte : quelques colonnes massives et la cour plante le décor social. Du courtisan lambda à la reine et son fils en passant par les chevaliers et les prétendantes, la hiérarchie est imposante et aussi stratifiée que celle du corps de ballet, des demi-solistes et des étoiles (par leur rôle sinon par leur titre car à l'opéra des sujets peuvent tenir le rôle d'étoile et des étoiles être distribuées en demi-solistes). Entre les valses aux motifs complexes avec ces dames et la danse policée des guerriers (que de force contenue, hum ! Mince, j'étais censée avoir bavé en première partie pour ne pas en mettre partout ensuite), les hommes sont résolument des chevaliers : courtois envers leur dame et prêt à pourfendre l'ennemi avec noblesse et panache. Au vu de ces attentes sociales, le Prince est un peu à la masse et sommé par sa mère de devenir un homme : pour ce qui est de l'homme de cour, une arbalète fera l'affaire (faudrait voir à ne pas abîmer son beau pourpoint – ces accessoires, lyre dans Apollon musagète, arc dans Sylvia et donc arbalète dans le Lac, donnent toujours l'air un peu idiot) ; quant à l'homme de cœur, c'est justement le moment de choisir une épouse. Il va y penser, va y penser, mais pour le moment il préfère aller jouer avec son arbalète dans la forêt.

Le Prince n'a évidemment pas l'air d'un benêt surtout quand il est tenu par José Martinez, danseur noble par excellence, racé ; grandes lignes, aisance et élégance, il en impose. Une élégance jamais effacée, faudrait-il préciser, quoique son brio ne se départisse jamais de classe (il n'est pas spécialement chaleureux et pourtant sa danse n'est pas froide). Pourtant, si elle s'exprime avec panache (ah, les grands jetés de Losé Martinez !) dans les sauts lorsqu'il est seul, l'assurance du Prince se défait lorsqu'il doit tenir son rang et que le précepteur rôde autour de lui. Les pas deviennent alors hésitant et ses attitudes, celles d'un enfant... ou d'une femme fragile telle que savent en produire les archétypes ou, en l'occurrence, un pédagogue à l'antique. J'ai été assez impressionnée de ce que José Martinez, ce bel et grand homme, puisse paraître un jeune homme presque enfant- et cependant jamais puéril- aux côtés du précepteur. Difficile de savoir qui de José Martinez ou de Stéphane Bullion est à l'origine de cet accent de justesse mais comme il s'agit probablement des deux, cela a considérablement amélioré le regard que je pouvais porter sur celui-ci.

Je commence à comprendre pourquoi on a pu le nommer. D'habitude, à jouer les mystérieux, Stéphane Bullion me paraît plat, comme absent ; ici, cette absence, parce qu'elle sert le propos, rend le personnage plus présent que jamais. Exit le précepteur/Rothbart méchant, ouh qu'il est méchant ; place à un personnage qui reste en retrait et devient d'autant plus machiavélique qu'il sait rester discret. Si on ne le voit pas, c'est qu'il fait tout pour qu'on ne le voit pas, pour qu'on ne prête pas attention à ce qu'il trame ; on ne le voit pas mais, fantomatique, il hante la scène en permanence, vêtu d'une cape sombre comme pour mieux s'y fondre. Sorte de mage noir chez qui l'immobilité est plus impressionnante que le mouvement, il ne fait pas de vague dans ce Lac qu'il finira pourtant par déchaîner. Simple précepteur au premier acte et silhouette menaçante au deuxième, lorsqu'il file le Prince dans la forêt, il ne s'imposera vraiment qu'à partir du troisième. Ne vendons pas la peau du cygne avant de l'avoir plumé et passons au premier acte blanc.

 

Deuxième acte : après une courte apparition dans un prologue très poétique qui anticipe sur le tableau final sous forme d'un songe prémonitoire du Prince (j'avais complètement oublié cette vision – From-the-Bridge a raison, c'est vraiment un beau spectacle), surgit le cygne blanc. Et fiat Uliana Lopatkina. Comme je l'avais déjà vue dans la Mort du cygne (repris en bis qui plus est) lors du gala au théâtre Montansier, je savais à peu près à quoi m'attendre. Ce dont je ne m'étais pas rendue compte, c'était de sa taille qui n'a rien à envier aux quatre grands cygnes – il lui fallait bien José Martinez comme partenaire, habitué qu'il est à cette grande perche d'Agnès Letestu (mais quelle perche ! Les grandes danseuses, tout de même... je prêche pour ma paroisse, et alors ?) ; sur pointes, elle le talonne.

Les grandes danseuses ont toujours tendance à être moins rapides mais est-ce vraiment une raison pour avoir fait ralentir les tempi à l'extrême ? Du coup, elle n'est pas la seule à battre de l'aile, l'orchestre aussi, qui par contrecoup paraît parfois jouer en accéléré lorsque reprend le corps de ballet. L'étoile russe est difficile à intégrer à plus d'un titre : autre école, autre style, et donc autres qualités en comparaisons desquelles nos cygnes semblent danser sur un lac gelé, engourdis et raidis par le froid. Je m'étais déjà fait la réflexion lorsque j'avais découvert le ballet avec Svetlana Zakharova en artiste invitée, le corps de ballet a presque l'air lourd à côté. Les ensembles étaient pourtant chouettes (une chouette n'est pas un cygne me direz-vous et vous aurez raison), à l'exception des quatre petits cygnes, mal synchronisés au point que c'était Eleonore Guérineau, la plus solide, vive et précise de toutes, qui semblait décalée (elle est aussi nettement plus petite que les autres, l'importance des tailles se vérifie – dommage de la voir si peu pour... si peu). Mais comme la tradition est ce qu'elle est, ils se sont fait grassement applaudir, tandis que les quatre grands cygnes, nettement meilleurs, n'en ont pas tant eu ; sans parler de José Martinez qui a essuyé la suite du decrescendo (un malheureux tour qui ne se voit même pas au milieu d'équilibres très étirés, pfff). De toutes façons, il n'y en a que pour la star de la soirée.

Il faut dire qu'elle est impressionnante. D'abord, elle n'a pas le même nombre d'articulations que les autres, il n'y a pas d'autre explication à des mouvements de bras, de poignet et de cou aussi déliés. Elle a bien quelques vertèbres en plus ; Uliana Lopatkina est l'Odalisque de la danse. On n'a plus une danseuse en face de nous, pas vraiment un cygne non plus (si aucun documentaire animalier n'est programmé sur Arte, allez faire un tour sur le Grand Canal du château de Versailles pour vous rafraîchir les idées – ce n'est franchement pas l'animal dans lequel je me réincarnerais et Matthew Bourne en avait une vision plus juste avec ses cygnes masculins agressifs), mais quelque chose d'autre, de véritablement autre, une créature étrange et fascinante. C'est si peu humain, cette bête-là, que ses sentiments en viennent à relever de l'instinct et brouillent la lisibilité de l'action.

Amélie a raison de dire que chacun de ses mouvements a une signification ; difficile cependant de dire à chaque fois précisément laquelle, comme si tous ces mouvements n'avaient qu'une raison d'être : faire de la danseuse un cygne. La métamorphose est aussi surprenante que réussie, et comme c'est rarement le cas, nul doute là-dessus, Uliana Lopatkina est un cygne remarquable. Tous ses mouvements font signe, la font cygne. Or Odette est une jeune fille qu'on a transformé en cygne, elle n'est pas un volatile de toute éternité. Je trouve dommage que l'interprétation de Lopatkina ait tendance à l'oublier, ce qui rend sa prestation assez linéaire et comme étrangère à l'histoire. Pas étonnant du coup que Fab y voit plus « une guest-star russe et un danseur étoile de l’Opéra qu’une princesse-cygne et un prince Siegfried unis dans un amour impossible ». Logique aussi d'avoir eu l'impression d'un manque de contact dans le pas de deux, alors que Livia, plus proche de la scène, nous a assuré qu'ils se regardaient de façon soutenue. Nul doute que Palpatine, s'il avait été là, se serait obstiné à y voir de la zoophilie.

Pour le dire autrement, on est davantage en présence d'une fantastique créature que d'un personnage et l'on pourrait contempler celle-là pendant des heures sans que celui-ci ait évolué d'une plume. Elle danse au passé, comme si son destin avait déjà eu lieu, il n'y a plus d'espoir, le sale espoir, tout est apaisé et il ne reste plus au spectateur fasciné qu'à la regarder se mouvoir, cou craintif et bras fragiles. C'est une danse volatile, qui nous hypnotise le temps qu'elle dure et qu'on oublie à l'instant même, on ne s'en rappelle presque rien lorsqu'on ne l'a plus sous les yeux, hormis quelques beaux moments où la peur animale laisse paraître la jeune fille craintive. J'aime quand elle se redresse brusquement (dans la mesure où Lopatkina peut être brusque, évidemment) au-dessus du Prince agenouillé, comme touchée par-derrière par un coup bas de Rothbart qui use de son pouvoir pour la ramener à lui, et que cependant elle reste cambrée, le buste tendu de désir vers l'avant (oui, c'est le quatrième acte, je mélange un peu mais comme c'est aussi un acte blanc, ça ne risque pas de déteindre). Aussi, au deuxième acte, j'aime quand le Prince la détourne en la tenant par les poignets ou en lui tenant les poignets croisés, c'est là toute l'ambiguïté d'une femme qui dans le même instant refuse de s'abandonner et abandonne son refus. Des instants rares, dans tous les sens du terme.

 

 

Le troisième acte est encore un acte de cour où les danses n'ont plus vraiment de fonction sociale (hormis celles des fiancées, présentées au Prince, qui sont aussi les seules dans cet acte à avoir de beaux costumes – tous formidables lors du premier ; j'y suis de plus en plus sensible) ni non plus narratives par conséquent et virent au pur divertissement. Je me souviens pourquoi le ballet m'avait laissé une impression de longueur quand je l'avais vu pour la première fois et que je ne connaissais pas assez bien le corps de ballet pour savoir ce que j'allais me mettre de croustillant sous la dent.

J'étais curieuse de voir ce qu'Ouliana Lopatkina allait donner en Odile. Son cygne noir est un cygne blanc tel qu'il serait dansé par une Européenne et, même s'il n'est plus lent, on ne peut pas dire qu'il soit rapide. Notre étoile russe a décidément besoin d'une musique ralentie pour faire admirer le miroitement de ses gestes et rendre perceptibles leurs nuances. Heureusement qu'Odile est un personnage plus manichéen qu'Odette (c'est une marionnette aux mains de Rothbart pour rappel) et qu'elle invite à resserrer son propos. Néanmoins, la différence principale entre le cygne blanc de Lopatkina et son cygne noir n'est autre que son sourire. Retour aux origines du rire, forcément diabolique, la fissure par lequel le démon vous possède. Par la seule force de ce sourire, la danseuse devient une femme, une rousse (ombre à paupière verte, forcément) qui n'a pas les courbes de Jessica Rabbit mais n'en est pas moins fatale. Tout diadème et sourire dehors, on ne voit qu'Odile qui fait donc écran aux véritables relations qui sont en jeu entre Siegfried et le précepteur, visé à travers le cygne noir. Celui-ci est à n'en pas douter le jouet de Rothbart ; Lopatkina fonctionne très bien avec Stéphane Bullion, la danse au passé de la première est en adéquation avec l'absence-présence du dernier.

Le parti pris d'un cygne noir très proche du blanc introduit le trouble puisque l'interprétation d'Odile rejaillit sur Siegfried et que celui-ci n'a plus l'air d'un nigaud bien attrapé mais d'un homme plus épris d'une personne (quel que soit l'endroit qu'elle explore dans le spectre de ses possibilités d'existence, qu'elle soit bonne ou maléfique) que de l'amour en tant que tel (ce qui serait le cas d'Odette qui veut bien de n'importe qui pour amoureux du moment qu'il lui permet de redevenir humaine – en même temps, il est vrai que seul un amoureux fidèle, donc véritable, peut la révéler ainsi à elle-même, ne simplifions pas trop), un homme qui se trompe bien plus qu'il ne trompe celle à qui il a juré de rester fidèle. En effet, c'est bien l'intrusion d'un troisième élément qui perturbe l'équilibre et précipite tous les personnages à leur perte : c'est à partir du moment où le Prince rencontre le cygne que le précepteur (celui qui conseille) apparaît clairement comme la seconde identité de Rothbart (celui qui manipule, le conseil n'étant plus laissée à l'appréciation de celui qui en bénéficie) ; de même, c'est parce que l'influence de Rothbart, l'amant refoulé, demeure que le cygne est dédoublé en Odette-Odile. L'influence devient manipulatrice à partir du moment où elle n'est plus réciproque entre deux êtres.

Quoique ce genre de lecture résulte de la vision même de Noureev, l'interprétation des solistes la faisait ressortir en s'éloignant de la fable pour s'engager dans la complexité de la psyché. Beaucoup aimé cela. On en oublie d'autant plus aisément les fouettés et la musique correspondante : il faut vraiment s'appeler Uliana Lopatkina pour ne pas appeler ça une catastrophe. Comme quoi, on peut être une grande danseuse et ne pas avoir une technique infaillible Ou simplement ne pas réussir les fouettés à la russe : ma prof de danse m'a raconté que Polina Semionova galérait jusqu'au jour où elle les a fait à l'européenne et où ils sont passés comme une lettre à la poste – quand de surcroît les fouettés à la russe sont moins beaux... (faut bien qu'elles ait un défaut, ces Russes et assimilées). En fait, j'ai presque trouvé que ses variations étaient ce qu'il y avait de moins bon chez Uliana Lopatkina qui n'a en revanche pas son pareil dans les pas de deux et tous les moments avec le corps de ballet. C'est paradoxal mais elle est d'autant plus une grande danseuse qu'il y a moins de pas : elle tient de tels équilibres et rend les entre-pas et les ports de bras les moins remarquables si dansants que les grands moments de la chorégraphie perdent de leur relief (pas la même amplitude que Svetlana Zakharova pouvait avoir, par exemple), ce qui permet par la même occasion de réintégrer les variations et autres passages attendus dans l'ensemble dont on ne devrait pas pourvoir les détacher : le ballet.

 

 

Quatrième acte, enfin, que je ne développerai pas parce qu'on y retrouve tous les éléments que j'ai pu dire, qui ont bien pris en mayonnaise. La fin est belle quoique l'agonie soit lente, d'où une émotion toute esthétique (cygnes-roseaux et Prince qui sombre dans le lac, recouvert par des fumées vertes, chouette, ah non pardon, il meurt, toutes mes condoléances), loin que j'étais d'avoir la larme à l’œil comme Amélie.

 

Aux saluts, le parterre est parsemé de petits rectangles bleus et dès que la star russe arrive, les flash crépitent sans vergogne (pendant le spectacle aussi et au flash, malgré l'interdiction de toute photographie – j'ai cru un moment qu'une lampe de sortie de secours était en phase terminale à cause du clignotement verdâtre). Il faut dire que ses interminables révérences s'y prêtent, les photographies ne devraient pas être trop floues. Bras étirés à l'infini, tête penchée et visage dérobé comme dans l'attente indécise d'une couronne ou d'un couperet (c'eut pu être le rideau, qui avait commencé à descendre et s'est arrêté cinq mètres après les cintres pour cause de fin de révérence trop anticipée), ses révérences sont, comme sa danse, si lentes qu'on ne sait trop si elle courbe humblement la tête ou si elle se gargarise des applaudissements. Le sourire qu'elle affiche enfin fait pencher pour la première hypothèse et le port de bras en grande quatrième fendue que, depuis l'avant-scène à cour (mais pourquoi part-elle ? elle sort ?), elle a adressé à ses partenaires et au corps de ballet achève de nous faire fondre ; ce n'est pas tous les jours qu'une artiste invitée a l'élégance de remercier la compagnie avec laquelle elle s'est produite...

 

J'accompagne le groupe de balletomanes à la sortie des artistes et, comme je ne suis pas une groupie dans la vie réelle, prends rapidement congé. Oui, il y a des choses que je sais faire rapidement, contrairement à ce que ces posts laissent penser – un jour, il faudra que j'arrête de vouloir faire des compte-rendus qui mêlent la représentation proprement dite avec sa distribution, l'histoire telle qu'on peut l'analyser et mes délires personnels ; qu'est-ce que je jette en premier ?

 

 

21 décembre 2010

La Fiancée vendue rachetée par ses couleurs


Opéra tchèque, couverture de programme colorée... partie en toute ignorance avec un bon a priori pour cet opéra de Smetana, je suis arrivée à une conclusion décevante : le tchèque power n'opéra pas. Ce n'est pas mauvais, loin de là, mais c'est loooooong. Long comme une comédie de Molière jouée au rythme des Feux de l'amour.

L'intrigue n'en est presque plus une tant elle est archétypale : Marenka aime Jenik mais ses parents l'ont promise à un autre, l'un des fils de Micha. Vasek, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est un gros benêt qui, avec son ballon vert, m'a fait penser à Alain avec son cerf-volant dans la Fille mal gardée ; Andreas Conrad est particulièrement bon lorsque Vasek se recommande toujours de sa « Ma-ma-ma-man », façon grenouille de Platée. Il suffit de ne pas avoir laissé échapper dans les surtitres, à cause du mal au coup, que Jenik est le fils du premier mariage de Micha (remarié après le décès de la mère de Jenik, et je vous le donne en mille, « si avoir une bonne mère est une bénédiction... avoir une marâtre est une malédiction ») pour savoir d'emblée que le mariage aura lieu entre les jeunes gens qui s'aiment (et nous en rabattent les oreilles) sans que le contrat soit caduque. Toute l'originalité réside dans la ruse de Jenik qui accepte de passer pour un vendu et vend sa bien-aimée pour trois cents ducats sous réserve qu'elle se marie avec « le fils de Micha » - heureusement pour lui que les périphrases existent et que le vieux père veuille bien faire le bonheur de son premier fils pendant que le second s'en va secondé par sa môman.

 


J'adore les scènes de groupe où tout le village, hommes en casquettes noires et femmes en fichus et robes cintrées sous la poitrine, chante et danse devant un ciel jaune très orangé (forcément, j'aime). De véritables danseurs viennent entraîner ce beau monde et c'est bien gai. Plus tard, lorsque la voiture des forains arrive (et nous éblouit de ses phares pendant un bout de temps), la luminosité descend et les lumières de la grande roue s'allument tandis que les teintes du décor virent au violet. Je rends donc grâce aux danseurs et à William Orlandi, responsable des décors et costumes, d'avoir sauvé ma soirée de la fadeur.


La Fiancée vendue rachetée par ses couleurs... vous ne croyiez tout de même pas qu'il s'agissait de la chanteuse, si ? Inva Mula a sûrement la voix du rôle mais pas la tête à l'emploi : alors que Piotr Beczala a simplement l'air d'un « grand garçon » en Jenik avec sa casquette bleue et son blouson jaune moutarde de Playmobil, elle me fait à tout instant penser à ma grand-mère maternelle que je verrais très bien avec la même robe blanche (sans les nœuds dans les cheveux, faut pas pousser mamie dans les orties). Leurs duos me paraissent interminables tant les paroles sont insipides (je sais que les répétitions peuvent être poétiques mais là, ce n'est clairement pas écrit – à ne surtout pas aller voir deux jours après Ariadne auf Naxos de Strauss où le livret de Hugo von Hofmannsthal tient vraiment la route) et je leur préfère des scènes où les personnages sont un peu plus nombreux, notamment celle où Kecal (Jean-Philipe Lafont), agence matrimoniale à lui tout seul, achète leur fille aux parents de Marenka par un bon déjeuner. Le couple de gros paysans fait des mines, le père la bouche arrondie sous les sommes annoncées par la famille du gendre idéal, la mère qui trouve que ça va bien mais écoute quand même, sait-on jamais. Là-dessus, Marenka arrive en léchant son cornet de glace et c'est un vain que Kecal lui passera un autre plat sous le nez, la jeune fille partira en plantant la boule de glace dans l'assiette de son père : y'a comme qui dirait une couille dans le potage. Le tout reste tout de même un peu trop potache à mon goût, même si ce comique à grosses ficelles (manœuvrées au ralenti- y'a pas que Franklein la tortue qui ait deux de tens') rejoint parfois une représentation joliment naïve.


Des gens simples, oui, mais qu'ils laissent les jérémiades aux tragiques élégiaques et qu'ils se réjouissent dans des chansons à boire (« la bière est un don du ciel » avec ça on était bien barré, heureusement, l'ivresse arrive avec les danseurs qui se livrent à de réjouissantes acrobaties sur la table du banquet) ou au cirque (que font les danseurs, tout à tour caniches savants, cheveux de manèges et autres bestioles non identifiées). Bref, j'aime le populaire mais dansant.

12:56 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : opéra, garnier