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03 août 2011

Roméos et Juliettes

Voilà un bout de temps que je n'avais plus rien vu de Thierry Malandain et, bien que les Invalides soient plus éloignées de chez moi que le théâtre de l'Onde, c'est dans la cour d'honneur que je lui ai à nouveau rendu visite pour le second Roméo et Juliette de la saison.
 

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[Mouvement récurrent : arrondi de Roméo, transpercé par le bras passionné de Juliette]


Le prologue, un peu semblable en cela à l'Antigone d'Anouilh, commence par la fin : l'histoire est achevée avant d'avoir débuté et chaque personnage nous est présenté avec son destin. « Et maintenant que vous les connaissez tous, ils vont pouvoir vous jouer leur histoire. » La jouer, c'est-à-dire la rejouer : la représentation part d'un coup de canon, les Roméo et les Juliette démultipliés se redressent puis s'affalent à nouveau par vagues successives. Les boîtes-tombes sur lesquelles ils reposent deviennent ensuite des piédestaux où chacun reprend sa stature, puis sont ré-agencées en rempart pour que s'affrontent, une fois de plus, les Capulet et les Montaigu. L'histoire est en marche et surtout en danse puisque le chorégraphe abandonne le trop bien connu au profit du trop peu compris.
 


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Il importe peu que les évènements soient à peine racontés, tout juste évoqués : des robes sorties des boîtes-malles convoquent le bal et l'opposition des familles est présente sans qu'il soit besoin de diviser la troupe. Mieux vaut qu'elle vienne en renfort des deux amants qui rejouent ainsi le corps à corps de la cité. La scène d'amour est en effet bien charnelle. Le jardin des Capulet est hanté par de belles plantes qui apparaissent, cuisses et poitrines rondes, dans des bustiers-corsets et des shorty blancs (vous imaginez l'émotion de Palpatine). Trois ou quatre couples sont Roméo et Juliette qui sont à leur tour un jeune homme et une jeune femme qui se désirent autant qu'ils s'aiment. La répétition, d'abord identique puis avec variation, les sort de leur idéalité et leur donne corps ; ils sont plus uniques encore d'être doublés. Il y a les corps cambrés sur les caisses, les écarts portés au ralenti, les portés renversés où Roméo se retrouve nez à pied avec Juliette et caresse son mollet de la joue ou encore, allongés, les genoux pliés de Juliette qu'il ouvre et referme, une main sur chaque pied, avant de rabattre la jambe sur sa tête comme un bras autour du cou. Juliette, brune piquante comme un fard, est magnifique et les Juliette sont belles et sensuelles.
 

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[De magnifiques photos ici et .]

On est brusquement tiré du jardin et ramené à l'histoire par le duel de Mercutio et Tybalt, vivement chorégraphié, alors que j'avais pratiquement oublié, le temps d'aimer, qu'il s'agissait de danse. Provocation, esquives ou peut-être l'un des danseurs : on dirait une scène de West Side Story dont je me rappelle subitement qu'elle est une adaptation moderne du même couple mythique (cf. aussi la scène de bal rock'n'roll un peu plus haut). 

  

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[La p'tite bête qui monte, qui monte, qui monte...]
 

Une fois l'épisode dûment enterré, on revient aux amants et leur union par frère Laurent se confond avec leur perte. La scène est peuplée de fantômes de Juliette sur leur caisse, dont elles ont chacune exhumé leur robe de mariée. Je suis happée dans cet oubli dansé comme c'est parfois le cas dans les ballets blancs – ce n'est sûrement pas par hasard si ces Juliette ressemblent à des Willis (Lorsque Le Sang des étoiles a coagulé en de grandes ourses polaires, cela avait déjà donné un mémorable pastiche de la descente des ombres). L'ingestion du poison par le geste forcé d'une main-bec qui nourrirait son oisillon me rappellent le faune du chorégraphe (qui finissait par tomber dans la fente d'une boîte de mouchoirs – encore une boîte) mais les spasmes qui suivent ne sont pas de plaisir. La tragédie reflue du fond des temps et de la scène : fatalité du mimétisme, la dernière Juliette boit le poison. Les Roméo reviennent en noir et en désespoir. Dernier accès de danse athlétique avant que frère Laurent enterre le couple et la hache de guerre. Puis dans le silence tremblant du loquet de la caisse, il réveille les morts pour qu'ils abandonnent leurs passions et ressuscitent l'harmonie de la cité.

 

Tous les effets ne s'imposent pas avec la même intensité et le début mériterait peut-être davantage de relief mais ce Roméo et Juliette a l'intelligence de sa simplicité. Tout au plus pourrait-on regretter que l'ingéniosité de la mise en scène le dispute parfois à la danse proprement dite, cette danse un brin athlétique qui trouve pourtant de nouveaux appuis dans ces caisses (de résonance ?). Et voilà le mythe en mouvement.

11:57 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, ballet

La saison en un sissonne

[Le sissonne, c'est comme les cernes : masculin et traumatisant.]

D'un saut, remontons la saison pour voir ce qui nous a fait bondir...
 

L'année de la Russie en France a beau être passée, mes coups de cœur sont russes et pas seulement parce que je suis tombée amoureuse d'Ivan Vassiliev et du couple qu'il forme avec Natalia Osipova (oui, on peut tomber amoureuse d'un couple). LA soirée de l'année, c'est sans hésitation Anna Karénine de Boris Eifman, soirée graalesque s'il en fût. Inutile de distribuer des prix, il n'y a qu'un Graal et il n'est pas pour Parzival. Sans compter qu'après avoir raflé le prix de la révélation de l'année, le prix du spectacle injustement peu médiatisé, le prix de la chorégraphie, le prix de la mise en scène, le prix de la meilleure fin, le prix des costumes, le prix de l'interprétation féminine et le prix du public fossilisé d'admiration dans son fauteuil (entre autres), il n'en resterait plus beaucoup pour les autres. Mon (petit) dada (bossu) aura donc été russe.

 

Autre registre et autre découverte flabbergasting : Akram Khan avec Vertical Road. Il faut d'ailleurs remercier le théâtre de la Ville pour l'éclectisme et les audaces de sa programmation, qui m'a laissée perplexe, certes, mais aussi des images fascinantes avec Tyler Tyler (à moins que ce ne soit l'effet du fond d'écran). Elles ont parfois trouvé écho dans Eonnagata que j'ai laissé m'étonner sans le chroniquer.

 

À côté des découvertes, des confirmations : Cunningham, ce n'est pas pour moi, aussi intéressante intellectuellement que soit sa démarche. Et Karen Kain avait raison, Roland Petit est un fabuleux magicien mais pas toujours un parfait chorégraphe – une fois n'est pas coutume, Émilie Cozette n'est pas le bouc émissaire, il y a un Loup. Pina Bausch, elle, est à consommer avec fascination et modération. Quant à Forsythe, je l'aime abstrait, à la pointe du classique. Il y a également eu des ballets que je n'ai pas pu ou su voir et qui sont comme autant de question en suspend.

 

Je suis aussi tombée amoureuse plusieurs fois. Dans l'ordre d'apparition : Ivan Vassiliev, Andrei Merkuriev et Friedemann Vogel et Ivan Vassiliev et Friedemann Vogel. Cela ne me conduit nullement à renier mes amours parisiennes, Nicolas Leriche en tête (entêtée) ou, comme Amélie avec son Bélingard, Audric Bezard, ni mes amours féminines : j'ai craqué pour Evgenia Obraztsova et retrouvé avec un plaisir immense Eleonora Abbagnato et Myriam Ould-Braham – je veux qu'on les nomme étoiles ! D'une part parce que la Sicilienne n'a le droit de n'être l'Arlésienne que de Roland Petit ; d'autre part, parce que Juliette (chroniquette jamais achevée) est l'anatomie faite sensation. Enfin, une découverte avec Ève Grinzstajn que j'espère revoir la saison prochaine.   

09:22 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, ballet

28 juillet 2011

Mammamiami city ballet

À défaut de pouvoir assister à leurs spectacles, je suis allée voir un cours public du Miami City Ballet avant de partir en vacances. La file d'attente est étonnement respectée alors même qu'il faut renseigner chaque nouvel arrivant pour qu'il aille prendre place à la fin de l' escargot – donc près des premiers arrivés. C'est anormal mais rassurez-vous, au moment où deux entrées s'ouvrent, on se défile et c'est la ruée vers l'or. Heureusement, contrairement à la majorité des spectatrices qui essayent d'estimer le moindre mal entre être séparées quoique assez proche de la scène et rester ensemble mais loin, je suis venue seule et me case ainsi au premier rang à côté d'une charmante dame aropeuse qui profite bien de sa retraite, veut me montrer qu'elle est très au fait et n'a de cesse de répéter qu'Edward Villella était vraiment un danseur balanchinnien incroyable en son temps. Lorsqu'il arrive sur le plateau et tape la discute à une danseuse tout juste placée à la barre, c'est néanmoins un homme voûté qui apparaît. Cela ne l'empêche pas d'être d'excellente humeur tout au long du cours, tant avec les danseurs qu'avec le public qu'il instruit en VO – et de s'éloigner du micro avec quelques pas de profil façon beau gosse de comédie musicale.

Les danseurs ne sont pas en reste niveau bonne humeur et la nonchalance qu'ils affichent au début ne cache en rien une attitude blasée. Le rideau ne s'est pas levé parce qu'il n'a pas été baissé, les danseurs vivent leur vie : on se chauffaille en consultant son téléphone portable, une blonde arrive les cheveux défaits et entreprend tranquillement de se faire une tresse avant de traverser la moitié de la scène pour taxer un élastique à une camarade tandis que les derniers arrivants font le tour du propriétaire pour trouver une barre libre ou n'ayant pas atteint son encombrement maximal. Hormis un danseur en boxer vert, tout le monde adopte la technique de l'oignon et ôte précautionneusement ses pelures (wow, les guêtres roses, flashy) au fur et à mesure de l'échauffement (pour les remettre et recommencer le strip-tease au milieu). La grande fille à l'écharpe est particulièrement agréable à regarder, avec ses bras infiniment étirés en arrière. Je la fixe souvent pour essayer de comprendre l'exercice mais avec tous ces changements d'accents (intérieurs et extérieurs cohabitent joyeusement dans le même exercice) et de tempo, j'ai un peu de mal à suivre. Et lorsqu'on reprend l'exercice précédent, c'est pour mieux le dédoubler mon enfant.

Les exercices de dégagés et battements tendus me surprennent un peu, non tant par la vitesse, qui est un pré-requis balanchinien, que par leur nombre, quatre ou cinq au bas mot. Cela m'a rappelé C. qui faisait consister son échauffement express pré-représentation en une centaine de dégagés. Remarque, à la fin, les cinquièmes ferment.

Curieux également qu'on puisse avoir une telle vitesse de bas de jambe alors que le travail de pied n'est pas vraiment brossé ; je me suis même demandé si la miss côté jardin n'avait pas un problème genre ongle incarné qui l'empêche de mettre du poids dessus mais lorsqu'elle se mise à faire la toupie au milieu, force a été de constater que ce n'était nullement le cas. Les différences techniques sont toujours amusantes à observer. On a beau savoir que les Américains prennent leurs tours bras (et jambe arrière) tendus, c'est surprenant de les voir les prendre ainsi en diagonale ouverte (et de constater que la jambe tendue se plie souvent avant de partir).

La véritable surprise, cependant, c'est l'ambiance : une diagonale de grands battements jazzy (je n'ai jamais vu faire cela qu'en modern'jazz, d'ailleurs) se transforme ainsi en chorus ligne à mesure que les danseurs partent en groupes plus nombreux. Les claquement de doigts qui les accompagnent se muent ensuite en applaudissements lorsqu'on se met à rivaliser de virtuosité à la fin du cours, et le public ne se fait pas prier pour venir en renfort car, vraiment, c'est réjouissant. Et heu, c'est qui, là, le grand dadais à mèche qui fait des sissonnes à l'écart en guise d'entrepas ? Les sauts rajoutent à l'étourdissement qui culmine dans les diagonales des filles : les piqués déboulent à une telle vitesse que je n'ai tout bonnement pas compris ce que les demoiselles tricotaient, malgré les passages réitérés sur la piste de décollage.

Les danseurs sont tous jeunes, très jeunes (ils partent poursuivre leur carrière ailleurs ou l'âge de la retraite est inférieur du tiers à celui de l'opéra ?) mais forment comme une grande famille de frères et sœurs, auxquelles une lointaine cousine rend parfois visite (petite danseuse à T-shirt gris qui a pris le cours en invité). On aimerait bien les adopter.  

26 juillet 2011

Plus anatomique que sensationnel

[représentation du 6 juillet]

N'en déplaise à Kundera et à bien d'autres, les toiles de Bacon provoquent en moi un dégoût instinctif. Aussi la déception que m'a causée la dernière création de Wayne McGregor est-elle peut-être le signe que le chorégraphe de l'autrement plus enthousiasmant Genus a réussi son pari avec L'Anatomie de la sensation, dédiée au peintre.

La gestuelle qui m'avait tant emballée est toujours là mais ne trouve aucun point d'accroche ou d'anicroche sur le flot musical de Mark Anthony Turnage, ni sur le plateau de Bastille, beaucoup trop grand pour ne pas noyer les duos dans le vide. Bref, il y a comme un os avec cette pièce sans colonne vertébrale où les mouvements se suivent et ne se ressentent pas.

Il n'empêche qu'il y a quelques Oscars parmi les danseuses : Marie-Agnès Gillot, bien entendu, sculpturale, reptilienne et ondulante dans le deuxième mouvement ; Alice Renavand, souriante et sexy dans un huitième et avant-dernier mouvement plus enlevé (la seule à sourire de tout le spectacle – leur a-t-on demandé de faire la gueule?) ; et surtout Myriam Ould-Braham dans le cinquième mouvement. Tandis que ses deux acolytes Dorothée Gilbert et Laurène Levy nous entraînent dans une ambiance cabaret, elle est d'une sensualité bien plus provocante encore par son détachement affiché. Bras étiré en arrière qui soulèvent ses cheveux détachés comme au lever – public – du lit ou jambe écartée à la seconde poids du corps décalé sur la pointe, elle s'offre mais ne se vend pas, aussi rouge soit la lumière dans laquelle baigne sa traversée en avant-scène. La jeune fille mal gardée est clairement devenue une femme. Autant dire que Palpatine ne s'en remet pas mais après avoir vu le dos d'Audric Bezard emplir l'espace, je ne suis pas mieux. J'adore le dernier instant du quatrième mouvement où Marie-Agnès Gillot vient se réfugier prisonnière sous lui, comme une bête aux aguets. Dans les moments précieux, il y a encore le tour en attitude pliée d'Aurélie Dupont que Jérémie Bélingard conduit la main sur la nuque dans le sixième mouvement. Des ensembles qui dépotent au septième ciel mouvement et c'est bientôt le retour du mitigé à travers une toile en avant-scène, plus opaque que ne le laisserait imaginer les propos de chorégraphe sur les transparences du peintre. Il va maintenant m'être difficile d'être farouchement opposée à ceux qui ne peuvent pas voir McGregor en peinture. J'aimerais le revoir en chorégraphie.  

14:00 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, bastille