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19 décembre 2011

Faire un carnage

Prenez un différend entre gamins qui se termine par un coup de bâton dans la tronche et deux dents en moins ; deux couples new-yorkais ; et, très important, le sens de la politesse, qui interdit de se quitter en mauvais termes. Jettez le tout dans une seule et même pièce, ajoutez un peu de crumble froid et de coca tiède, fatiguez bien la bonne pâte ainsi obtenue, et tout le monde vomira bientôt ses tripes, au propre comme au figuré.

 

[Se (dé)composer un visager]

 

Les quelques extraits que j'avais lu m'avaient déjà donné envie de découvrir la pièce de Yasmina Reza, alors quand j'ai vu que Kate Winslet figurait dans l'adaptation du Dieu du carnage par Roman Polanski, j'ai résolu de ne pas la laisser passer. Comme les quatre personnages qui ont envie d'en finir rapidement, on est un peu tendu au début et l'on se demande si Nancy, la bonne bourgeoise, et Allan, l'avocat du diable, vont encore en avoir pour longtemps. Une fois que le piège est refermé, en revanche, que les hostilités sont ouvertement déclarées, cela devient reposant "parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir ; qu'on est pris, qu'on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur le dos, et qu'on n'a plus qu'à crier,-- pas à gémir, non, pas se plaindre, -- à gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire, qu'on n'avait jamas dit et qu'on ne savait peut-être même pas encore. Et pour rien : pour se le dire à soi, pour l'apprendre, soi." A gueuler et dégueuler, avec moins d'idéaux mais plus d'humanité que l'Antigone d'Anouilh, car on ne s'affronte pas ici deux à deux mais quatre à quatre.

Rapidement, le partenaire n'est plus un allié indéfectible et l'on s'appuie tantôt sur le genre (entre nous... entente masculine, solidarité féminine) tantôt sur l'alternative à son conjoint (au moins, lui... alors que toi...) pour s'envoyer les piques les plus blessantes. Le spectateur se prend à rire avec tous pour ne pleurer avec personne. La scène où Nancy balance le portable d'Allan dans le vase aux tulipes est aussi hilarante qu'exaspérante sa manie de s'interrompre à tout instant pour répondre aux appels de son associé. Les inititiés se diversifient et les sympathies sont fluctuantes : Allan, répugnant de cynisme et grossier de mépris, parvient, whisky à la main, à s'amuser de la situation et son cynisme même le sauve un peu de l'abaissement général, tandis que Penelope, cette femme si charmante, devient ivre et vite insupportable avec ses grands principes de qui cherche à sauver le monde tous les dimanches. Rétrospectivement, son souci que le gamin fautif s'excuse auprès de son fils n'est qu'ingérence dans la manière dont l'élèvent ses parents. Les adultes ont beau être au-dessus de ça, des disputes de cour de récréation, lorsqu'on touche à leurs enfants, c'est leur éducation et partant leurs valeurs que l'on remet en question.

[Judie Foster/Nancy au bord du ring...]

Dès lors qu'il n'est plus possible de sauver la face, les quatre adultes s'emploient à détruire ce qui reste, prétextant que leurs mines défaites sont le "vrai visage" des hypocrites. La frénésie de destruction qui s'empare d'eux n'est pourtant autre chose qu'une frénésie de la franchise -- destruction franche et massive. On ne se demande plus pourquoi se poursuit ce huis-clos sartrien : il devient évident que chacun ne peut plus se disculper qu'en accusant l'autre. Nul besoin d'inventer quelque raison surnaturelle, le dieu du carnage n'exige pas la foi. Un talent certain, en revanche, pour les quatres acteurs qui tiennent le film à bouts de bras (mais pas de force) : Kate Winslet, Jodie Foster, Christoph Waltz et John C. Reilly sont d'enfer à incarner les autres, ces gens que nous ne pouvons pas supporter mais que nous sommes à notre tour. En résumé, Carnage est une tuerie.

 

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[Oui, c'est exactement ça, le bouquet.]

"On ne sait plus si l'on rit jaune ou noir : c'est la méchanceté ordinaire mais finalement véritable, sous les apparences de domination des instincts" chez Palpatine.

07 décembre 2011

L'Art d'aimer et de jouer à l'élastique

 

Vanessa se risquait à une belle nuit de sexe dérobée à William mais refuse de se l'octroyer lorsque Louis lui dit son amour. Louis, c'est Emmanuel Mouret, qui filme les métamorphoses du désir sans faire d'histoire. L'Art d'aimer est une thématique et agrège une suite d'anecdotes pas si mineures que cela. Elles sont disposées de manière à se faire écho et celle d'Achille ponctue de ses courtes saynètes tout le film. Atermoiements amoureux : sa voisine veut une aventure et du naturel, peu compatible dans sa perspective avec la politesse, qu'elle prend pour l'absence de désir, et rend la chose difficile à Achille contraint d'éviter l'impolitesse comme la brusquerie.

Du naturel... Les dialogues, tout à la fois directs et délicats, ont un peu comme chez Rohmer une tonalité surnaturelle et mènent pourtant tout naturellement à des situations improbables. Zoé propose à son amie de lui prêter son mari pour lui faire du bien, et plus tard, après avoir décliné l'offre, Isabelle acceptera de remplacer Amélie, mariée à Ludovic, auprès de Boris, l'ami amoureux dont elle espère ainsi détruire les fantasmes -- elle ne détruira finalement que leur amitié. De toute la ribambelle de personnages, elle est la seule à ne pas jouer franc jeu.

 


Des lits -- flagrant délit ?

Chez Mouret, personne ne trompe personne. Tout au plus se trompe-t-on, soi-même, parce qu'on ne veut pas céder à son désir ou parce qu'on oublie que la franchise n'empêche pas d'être blessant. Ainsi Vanessa préfère ne pas cacher son rendez-vous avec Louis à William mais celui-ci, aussi désireux soit-il de laisser à sa femme sa liberté, ne parvient pas à se dissimuler que là où il y a du désir il peut y avoir de l'amour. Il ne doute pas de Vanessa qui elle-même ne remet pas en question leur amour (au point de se retire lorsque l'aventure risque de mener à une histoire) mais cela ne change rien à sa "jalousie", ce nom parfois si commode pour imputer à l'autre la souffrance qu'on lui inflige -- en toute innocence, en témoigne la surprise qu'a Vanessa de se trouver ennuyée lorsque la situation s'inverse et que William annonce un rendez-vous parrallèle.

 

Gaspard Ulliel : l'argument d'autorité pour aller voir le film.
[Il ressemble ici à un camarade de lycée qui était tout sauf sexy... un peu perturbant.]

 

Ces amours à géométrie variable se jouent d'un même désir, mis sens dessus dessous selon qu'on veut ou non le faire coïncider avec l'amour, le sexe, la tendresse, le couple, le mariage ou la liberté -- désir qui, quelle que soit la forme qu'on lui aura donnée, obéit aux mêmes sentiments humains, lesquels déterminent de fait l'élasticité du lien amoureux. Très proche, relâché, on le sent à peine, au point de pouvoir se croire devenu indifférent. Mais l'étire-t-on pour laisser la place à une troisième personne, les moindres mouvements de celle-ci se répercutent de part et d'autre sur le fil tendu, au risque de le rompre. En véritable artisan de l'amour, Paul prend le risque de laisser Emmanuelle sauter à l'élastique aller vers les amants qu'elle se retenait de prendre : mais alors, libre de séduire qui bon et beau lui semble, elle n'a plus envie de coucher qu'avec son mari. Le lien amoureux, véritable élastique, rapproche d'autant plus les amoureux qu'ils se sont laissés libres de s'éloigner. Après l'avoir étiré, Emmanuelle se laisse volontiers aller à la détente. Le couple, décidé une fois pour toutes lors du mariage, redevient un choix ; le lien, librement (re)noué, n'a plus la pesanteur des chaînes ; et tout cela se lit sur le visage d'Ariane Ascaride, dénoué, apaisé, radieux. Emmanuelle, Emmanuel... Mouret esquisse là un magnifique portrait.

L'art et la manière d'aimer.


30 novembre 2011

Lecture numérique

[Si vous m'avez déjà accompagné dans une librairie ou que vous êtes déjà converti, vous pouvez éventuellement commencer directement au troisième paragraphe. En vertu du droit premier des lecteurs énoncé par Daniel Pennac, vous pouvez aussi ne pas lire.]

Avant de faire la pub du format e-ponyme, il faut que ce soit bien claire : je suis le genre de balletomane qui, lorsqu'elle achètait son programme, ne commençait pas par le lire mais par le sniffer. Et si cette phrase est au passé, ce n'est pas parce que j'ai grandi (il suffit de voir mes grandes chaussettes colorées pour s'en convaincre) mais parce que l'Opéra a augmenté les tarifs de changé ses programmes et que les nouveaux, imprimés sur papier glacé, n'utilisent plus cette encre à base de madeleine proustienne. Je suis aussi le genre de lectrice à rendre fous les libraires comparer pendant vingt minutes deux éditions d'un même ouvrage, sans même qu'il s'agisse d'une traduction. Voire deux exemplaires de la même édition, pour déterminer si la micro-corne (visuelle) sur le coin inférieur droit de la quatrième de couverture est plus ou moins traumatisante que la nano pliure (tactile) de la tranche. Je suis aussi le genre de personne bordélique à ne ranger que ses livres, par ordre alphabétique d'auteur (classique)... à l'intérieur de chaque collection. Je suis superficielle visuelle, que voulez-vous, je me souviens d'un livre par son aspect physique. Ajoutez à cela que je possède toujours un dumbphone de la première génération (celui-là même que tout le monde avait avant -- un 3315) et vous devriez être convaincu que la souris de bibliothèque non geekette n'était pas tout acquise à la cause numérique.

Aujourd'hui, j'ai un Cybook Opus de Booken, dont le look tout en arrondis me rappelle délicieusement ma Game Boy pocket (argent, offerte pour mes 7 ans par mon père, au grand dam de ma mère qui a quand même fini par avouer que c'était de sa faute si les piles se déchargeaient si vite -- pour être exacte, c'est la petite musique de Tetris qui l'a trahie -- "Dis maman, tu n'aurais pas fait deux lignes, là, par hasard ?"). Et je bave comme ce n'est pas permis sur le nouvel Odyssey qu'a acheté Palpatine. Sage, néanmoins, j'attendrai la couleur pour justifier un achat concupiscent. Mais ce n'est pas de gadget électronique dont je veux vous parler. La course à la technologie nous pousse à chercher la performance pour la performance et à exiger des caractéristiques nullement requises (16 niveaux de gris quand 4 fournissent un contraste tout à fait satisfaisant ; temps de rafraîchissement qu'on trouve toujours trop lent alors que la même durée ne nous gêne pas le moins du monde quand il s'agit de tourner une page de papier) au détriment d'autres plus essentielles (comme les tailles de police, très limitées sur le Sony, la S étant trop petite et la M trop grande). Mais je ne cherche pas là à vous dire quel lecteur d'ebooks acheter : Bookeen. Pour une fois, je voudrais qu'il soit question non de livre mais de lecture numérique. Les pro-ebooks passent très rapidement sur la question alors que c'est, il me semble, un point fondamental à aborder pour engager la discussion avec les réfractaires.

On ne lit pas de la même façon sur un livre ou sur un reader, quand bien même le confort visuel est le même grâce à la technologie e-ink. Un reader n'offre pas la matérialité du livre -- ou plutôt faudrait-il dire n'offre pas la même matérialité que le livre. Par son format, son poids (léger) et sa couleur (j'ai renoncé à l'orange pour le confort de l'environnement de lecture, c'est dire si la couleur importe), le reader tient en main. En main, au singulier. C'est la première différence d'avec le livre papier qui exige une deuxième main pour tourner les pages sinon pour rester à la (bonne) page (à moins de lire assis à une table, ce que je n'envisage que pour un travail scolaire). Je ne sais pas si le livre numérique, c'est de la pornographie, mais c'est en tous cas un livre qui se lit dans toutes les positions. Finies les fourmis dans les bras quand on lit allongé sur le dos ou les pages qui se referment quand on se tient à la barre (ça vire SM, là -- la barre du métro, hein). Le livre numérique est un livre qui se lit d'une seule main. Dans tous les sens du terme. Sans couverture et sans le regard du libraire, du caisser ou des autres clients, la lecture est volontiers plus osée (j'ai quand même fait gaffe à qui était à côté de moi avant d'entamer Sade dans le TGV et on a peut-être pu croire que la clim ne marchait pas dans mon secteur quand j'ai fini un passage lubrique d'Apollinaire). Alors que l'anonymat des achats de livres en ligne fait problème, la lecture est paradoxalement moins affectée par la peer pressure (le téléchargement est encore plus discret qu'un colis de la poste).

La liste des ebooks les plus téléchargés est assez éloquente à ce niveau. A l'exception notable de la Bible ? Oui et non. A versailles, sans conteste. Mais dans un environnement farouchement athée, cela peut aussi faire lever les sourcils. Pour beaucoup, j'imagine que c'est aussi un peu l'occasion qui a fait le larron (légal) : on ne l'aurait pas acheté mais tout de même, cela ne ferait pas de mal d'avoir ce texte fondamental dans sa bibliothèque. C'est l'effet domaine public, qui induit un regain d'intérêt pour les classiques sur le mode "why not ?" ; gratuit, pas d'appréhension. Mais parmi tous les téléchargements de la Bible, il n'est pas aberrant de penser qu'il y ait de vrais croyants ; ceux-ci offrent le plus bel exemple de ce que l'on peut dissocier livre et lecture, puisqu'ils téléchargent comme n'importe quel autre ouvrage ce qu'ils considèrent comme le Livre, pour ainsi dire sacré. (Vous me direz, cela fait belle lurette que la Bible existe en poche. N'empêche que j'en ai rarement vu sur les étagères...) Le numérique minore le livre-objet tandis que la lecture se trouve valorisée*. On pourrait certes invoquer un déplacement de la snobinardise, qui résiderait dorénavant dans la possession du reader et non plus dans le livre qu'il faut avoir lu (mais pas nécessairement lire) ; il me semble néanmoins que la place de l'objet socialement reconnu est occupée par les tablettes type iPad. A priori, le possesseur d'un lecteur d'ebook est lui-même un lecteur -- par opposition à un consommateur. Sans le prestige du papier ni la fierté du geek, ne reste que la lecture.

Dans cet environnement dépouillé, j'ai l'impression d'être davantage concentrée sur ce que je lis. Grâce à cette ardoise magique, n'existe que ce qui est affiché à un instant T. La masse que l'on tient habituellement dans la main gauche est tout entière dans notre mémoire et il n'y a pas dans la droite matière à sentir si la fin est assez proche pour que l'héroïne meurre sans détruire toute l'intrigue, ou pour que le mariage annoncé serve de garrot à une histoire qui finit bien, et non d'élément perturbateur ouvrant sur tout une série de rebondissements. Il y a bien l'indication du numéro de page, en bas de l'écran, 142/379, mais les fractions ne m'ont jamais vraiment parlé au-delà du huitième (1/8 est encore décent ; après, les parts de gâteau deviennent vraiment trop petites). D'ailleurs la page n'est plus l'unité pertinente. Et ce n'est pas une question de vocabulaire, où "écran" se substituerait à "page". Cette dernière n'a de sens que par rapport à l'édition papier dont elle est appelée à se défaire. Avec le livre numérique, l'inspecteur ne peut plus confondre le délinquant parce qu'il dit avoir glissé la preuve qui l'innocente entre la page 181 et 182 de tel bouquin, parce qu'avec le livre numérique, le recto s'affiche avec le verso (181-182/379) pour peu qu'on ait choisi une police de caractère supérieure à celle de l'édition papier.

Voilà une autre valorisation de la lecture en tant que telle : la possibilité d'afficher le texte à une taille adaptée à notre vision et au contexte de lecture (fatigue, faible luminosité...). Finis les pavés en police 8, où l'on est prié d'admirer le chef-d'oeuvre dans son ensemble sans lire entre les lignes, comme ces tableaux qu'on alourdit de cadres massifs qui les dénaturent, et que l'on insère dans des scénographies qui mettent en valeur le spectateur venu les voir plus que les toiles (cf. On n'y voit rien, de Daniel Arasse). J'aimerais bien entendre Kundera à ce sujet, lui qui pestait contre les éditeurs de Kafka (édificateurs d'un monument, maçonné à coups de paragraphes bien denses) et a obtenu de Gallimard une mise en page aérée où le lecteur puisse prendre le temps de se poser. Il commence peut-être à être un peu âgé pour se faire le fossoyeur de son époque, mais sait-on jamais, Ray Badbury a bien changé d'avis.

C'est assez cohérent d'ailleurs : le livre numérique n'est pas une aide au pompier pyromane qui est dispensé d'autodafé, il montre d'évidence que la lecture est affaire de mémoire. Carte mémoire, pourrait-on dire pour le plaisir du bon mot, mais davantage souvenir de ses lectures et de celles des autres, qui forment la base sur laquelle s'édifie la pensée. Pas de volume pour nous bercer de l'illusion rassurante que nous possèdons le savoir, juste quelques mots apparus sous nos yeux pour nous inviter à les faire nôtres avant de les effacer. En ce sens, cela ne me gêne pas outre mesure d'avoir un appareil qui ne permette pas l'annotation : on laisse des marques pour s'y raccrocher, pour y revenir, alors que le seul fait de les laisser trahit le savoir et la crainte que l'on a de ne pas en avoir le temps. Pas d'illusoire rempart contre l'oubli (et in fine la mort), pas de réduction, juste le risque de l'effacement et le pari de la mémoire. Il y a là quelque chose de la beauté et de la menace d'Une trop bruyante solitude. La lecture numérique, c'est aussi un peu cela, la fascination pour la destruction, ambivalente au point de cotoyer la beauté de la (re)création.

 

* Le contrepoint malheureux à la marginalisation des bibliothèques-décor, c'est qu'on ne pourra plus se faire une idée de la personne chez qui l'on met les pieds en jetant un oeil à ses bouquins. La tête un peu penchée : tiens, c'est marrant, celui-là je l'ai lu quand... La seule tare majeure que j'ai trouvé au livre numérique, cependant, c'est que je n'ose pas lire dans mon bain avec. Quand on risque de noyer 8 €, passe encore, mais un reader...

26 octobre 2011

Picorage après midi

« Goethe, rapporte René Guy Cadou (1920-1951), estimait que tout ce qu’il écrivait était testamentaire. La posture romantique et la théâtralisation postume sont manifestes, qui souhaitent contrôler, même après la mort, l’image du poète, la fixer et rejeter les commentaires qui s’écarteraient de l’analyse de ses seuls écrits [...]. »
Pourquoi les morts nous écrivent-ils si souvent ?

Je pense au Goethe de L'Immortalité, aux Testaments trahis, au lyrisme et à la figure du poète au sujet desquels Kundera a exprimé la plus grande méfiance, et finalement à la manière (romantique, alors ?) dont il a barricadé l'interprétation de son oeuvre : conclure à un romancier paradoxal très agaçant ou à la permanence des illusions même après en avoir défait les mécanismes ?

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Maupassant, Préface de Pierre et Jean :
« Raconter tout serait impossible, car il faudrait alors un volume au moins par journée, pour énumérer les multitudes d'incidents insignifiants qui emplissent notre existence. [...]

Faire vrai consiste donc à donner l'illusion compète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non à les transcrire servilement dans le pêle-mêle de leur succession. »

Sinon cela donne Pérec : accumulation baroque de petits faits vrais, irréelle à force de réalisme.

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Les Raboteurs de parquet, G. Caillebotte

Pourquoi donne-t-on toujours Caillebotte comme illustration du réalisme ? Ne voit-on pas qu'il rabote le réel jusqu'à ce que des copeaux de parquets soient aussi volubiles que les arabesques d'un balcon en fer forgé ?

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C. D. Friedrich, Le Rêveur ou les Ruines d'Oybin en Allemagne

En miniature, l'évidence est grande, les romantiques ont fait de la nature leur divinité. Je me place de l'autre côté du vitrail : j'ai besoin d'un cadre bâti par l'homme pour apprécier la verdure ailleurs que dans mon assiette.

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Renoir, Caillebotte. N'y avait-il donc au XIXe siècle à Paris qu'un seul marchand de parapluies ?

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« Ornifle. — Et qu'est-ce qui vous prouve d'abord quevotre mère n'a pas eu d'autre amant que moi en vingt-cinq ans ?
Fabrice, doucement. — L'honneur. Maman avait beaucoup d'honneur. Et je vous ai déjà dit qu'elle se considérait comme mariée devant Dieu.
Ornifle. — L'honneur... L'honneur... C'est trop facile !
Fabrice, grave et un peu comique. — Non. C'est difficile. C'est même bigrement difficile, croyez-moi. Si vous vous figurez que je n'ai pas mieux à fare dans la vie, moi, que de vous tuer ! J'allais me marier et j'ai encore des examens à passer. »
Ornifle ou le Courant d'air, Anouilh

Antigone qui a appris le sens de l'humour.
Il faudrait que je lise les pièces grinçantes et les pièces roses d'Anouilh.

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« J'ai regardé devant moi
Dans la foule je t'ai vue
Parmi les blés je t'ai vue
Sous un arbre je t'ai vue »

Première strophe d' « Air vif », d'Eluard.

Je penche pour l'impression rétinienne.