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21 juin 2012

Un Järvi peut en cacher un autre

« Non, mais bon, Järvi met toujours de la patate dans ce qu'il fait », se motive Klari avant le début du concert, alors que je place tous mes espoirs de re-motivation dans ma glace menthe-chocolat.

Le quiproquo est enclenché : quand je vois arriver sur scène le chef d'orchestre, j'ai une petite pensée désolée pour Klari. En sortant du concert, je vérifie par SMS qu'elle est tout aussi enchantée que moi par ce « jeune homme » dansant à souhait que je verrais bien dans West Side Story côté portoricain. C'est dire à quel point ce qu'on sait peut influer sur ce qu'on voit : à programme hispanique, chef sud-américain. Ce que je ne savais pas, parce que je ne lis le programme qu'après le concert, c'est que Kristjan, qui a effectivement vécu en Amérique (du nord), est le frère de Paavo – tous deux Järvi et estoniens. Ce qui explique au passage l'affinité particulière avec Arvo Pärt mentionnée dans le programme et Erkki-Sven Tüür sur Wikipédia. Il me plaît pourtant de garder mon chef sud-américain pour un programme dont Ravel est le seul nom que je puisse prononcer sans l'écorcher : allemand seconde langue est plus utile pour Strauss que pour Joaquin Rodrigo ou Carlos Chavez, dont la deuxième symphonie ouvre la soirée.

La Sinfonia India n'est pas aussi peuplée que le pays qui l'inspire, mais presque : huit contrebasses côté cour, deux harpes côté jardin et des percussions inconnues au bataillon en arrière-scène, ça envoie du lourd. Et du sémillant. Ce sont des sonorités qu'on n'a pas l'habitude d'entendre, conquérantes à regret, planantes... au-dessus d'un désert rocheux, mais ça, c'est parce que Palpatine m'a fait regarder Tigre et dragon la veille.

Le Concierto de Aranjuez de Joaquin Rodrigo fait du désert une métaphore et me conduit sous des cieux plus cléments, près de la mer, où les grains de sable se confondent avec les sequins d'un lourd châle de flamenco. Les distances que l'on survole ne sont plus de grands espaces, mais de longues durées : on aperçoit une cour espagnole d'autrefois, une noblesse altière sans rien d'empesé, assemblée autour de la harpe qui l'a convoquée. Ses cascades de cordes me font immanquablement penser à la trame d'une tapisserie, métamorphosant la harpiste en Pénélope moyenâgeuse. Sauf qu'il s'agit ici d'un harpiste, un grand maigre tout en os (que je rousiguerais bien), et que le son produit ressemble moins à celui d'une source cristalline qu'à celui d'une guitare éraillée (le programme confirme : à la base, le morceau se joue bien à la guitare). Tirons sur la corde : harpe, cithare, guitare. L'instrument si aisément identifiable devient plus étrange à mesure qu'on le détaille, avec ses cordes colorées, ses pédales de piano, sa tour corinthienne, ses dorures florales et son cadre de bois basculé contre le musicien comme la contrebasse contre l'épaule de son lutineur. J'observe fascinée les doigts effilés parcourir et malmener de main de Maistre le rideau de cordes. Il semblerait qu'une fois encore, je commence par le meilleur (les lieds avec Mathias Goerne, la harpe avec Xavier de Maistre).

En bis, un hiver très âpre de Vivaldi, qui me fait d'autant plus frissonner que mon corps en connaît chaque inflexion. Les archets rebondissent, les cordes graillent, la harpe rauque, le froid cinglant, je n'avais jamais connu un hiver si vif et désolé. Sans réclamer un printemps et encore moins un été (une demande qui n'est pas de saison), j'aurais volontiers écouté les deux mouvements suivants.

Après l'entracte vient l'Espagne que tout ceux qui, comme moi, n'y ont jamais mis les pieds reconnaîtront le mieux : l'Espagne d'un Français, très couleur locale, avec Alborada del gracioso de Ravel. Les soli du bassoniste me sont un peu gâchés par les narines sifflantes de mon nouveau voisin, si bien que ma mémoire enregistre le teint rubicond du musicien sans procéder à la prise de son – cinéma muet assez burlesque.

Fort heureusement replacée pour Le Tricorne de Manuel de Falla, je guette et savoure la danse du meunier, concentré de sensualité brute. Forcément, cela manque un peu de José Martinez, mais Kristjan Järvi ne démérite pas sur le plan chorégraphique. Si Paavo est un valseur, son frère est à l'évidence un danseur de comédie musicale, à mi-chemin entre Grease et West Side Story. Le bis (dont je veux bien qu'on me trouve le nom, nom d'un p'tit bonhomme) est à ce titre le clou du spectacle : il marque les crescendos en levant les pieds, sur les talons ; bat la mesure à coups de déhanchés ; saute pour lancer comme une canne à pêche son énergie jusqu'aux percussionnistes ; fait une grande glissade-embardée d'un côté, comme un serveur de cartoon qui rétablirait in extremis l'équilibre d'une immense pile de plats, pour découvrir, sous la cloche en argent, un coup d'archet décuplé.

Ils étaient là : Klari, Palpatine, B#5 et C. 

Arabella, beauté straussienne

J'étais un peu réticente dimanche à m'enfermer tout l'après-midi alors qu'il faisait enfin beau, mais après une salade au soleil et trois heures d'opéra, je ne l'ai pas regretté. Comme il ne faut pas non plus perdre l'habitude de râler, je signalerais quand même que ça commence à bien faire les augmentations du Pass jeune. Je croyais que les 30 € d'Hippolyte et Aricie étaient un tarif spécial rapport au fait qu'on avait un autre orchestre, mais cela semble être devenu la nouvelle norme en douce (même l'ouvreur de la billeterie n'était pas au courant). C'est toujours mieux que les 180 € du parterre, certes, mais les prix cassés sont la contrepartie de la loterie qu'impliquent les règles du jeu. Sans compter que lorsque le parterre est vide et que l'on organise un concours pour les brader au tout-venant à 45 €, on a la légère impression de se faire prendre pour un pigeon. Une chauve-souris, passe encore, mais un pigeon, non merci. Plutôt que d'augmenter les prix, on pourrait commencer par réduire le nombre d'invitations, non ?

A moins qu'il ne s'agisse d'un tarif spécial Renée Fleming ? Est-ce pour sa venue également que le prompteur affichait les surtitres en français et en anglais ? Ce serait une excellente #triomphale idée si l'on rajoutait un prompteur, plutôt que d'écraser les lettres et les interlignes, ce qui, malgré la nuance de couleur, fait que l'on chope souvent la mauvaise ligne. Cela m'a rappelé la gymnastique de La Bohème, opéra italien dont l'action se passe en France et que j'ai vu à Berlin.

 

Je suis contente d'avoir enfin vu et entendu la chanteuse tout feu tout flamme dont j'ai souvent croisé le nom. Effectivement, sa voix enveloppe de même syllabes et spectateurs (c'est une idée ou elle n'articule pas très bien l'allemand ?), quand elle ne se fait pas elle-même avaler par la puissance de l'orchestre. Aucun souci en revanche de ce côté-là pour Michael Volle, qui fait un adversaire tout à fait plausible à l'ourse qui a attaqué son personnage, Mandryka. Et puis, tout de même : Julia Kleiter, qui m'a fait croire au début de l'opéra qu'elle serait l'héroïne d'un opéra mal-nommé.

 

© Ian Patrick

 

Déguisée en garçon car les parents "n'ont pas les moyens d'élever deux filles", Zdenka/Zdenko plaide auprès de sa soeur Arabella la cause de Matteo, qui ne peut plus prétendre à en devenir le prétendant : ce jeune homme bien sous tous rapports n'a plus l'heur de plaire à la belle, qui paraît du coup un brin superficielle par rapport à sa soeur. Celle-ci, soucieuse que le garçon ne mette pas à exécution ses menaces de suicide s'il venait à se faire définitivement écarter de la course au mariage, s'ingénie à lui envoyer des lettres en les signant du nom de sa soeur et se prend bientôt au je (t'aime).

Arabella, cependant, valse entre les trois prétendants qui se pressent autour d'elle, remettant au bal du soir sa décision : un, deux, trois... un, deux, trois... un, Elemer, deux, Dominik, trois, Lamoral... On a l'impression que cette jeune femme fleur et robe bleues pourrait arrrêter sa décision à l'effeuillage d'une marguerite ou aux cartes, en quelque sorte une tradition familiale (la mère se les fait tirer par une voyante au début de l'opéra et le père se révèle un joueur notoire), mais elle préfère au hasard le destin : elle attend un étranger. D'instinct, elle sait que l'amour doit l'arracher à elle-même, et la délivrer d'un moi forcément trop étriqué.

 

© Ian Patrick

 

L'étranger arrive sur fond de hasards et quiproquo, amoureux d'Arabella avant même de l'avoir vue, tout prêt à la ramener chez lui en traîneau (rien à voir avec l'excursion d'Elemer). Enchantée, la belle ne demande qu'une nuit avant le départ, pour savourer seule le sentiment amoureux, comme si l'amour était séparable de celui qui l'inspire, plus précieux dans son image que dans son accomplissement charnel.

 

© Ian Patrick

 

C'est là que légèreté et gravité achèvent de basculer : pour qu'il ne soit plus question de suicide, Zdenka, toujours au nom de sa soeur, se donne à Matteo, que Mandryka suprend ensuite en train de remercier chaudement Arabella pour lui avoir accordé à son insue ce moment de félicité. La tragédie de Matteo tourne au vaudeville tandis que le conte d'Arabella prend des allures dramatiques. Le quiproquo, loin d'être un vulgaire ressort théâtral, fournit à Mandryka et Arabella l'occasion de donner corps à leur amour. Lui, l'inébranlable, est troublé par le doute, tandis qu'elle s'offusque de ce que, après avoir dans un coup de sang demandé réparation par les armes, il prenne l'affaire à la légère, félicitant même Matteo de sa conquête. L'indulgence trop prompte de l'un offense l'autre, qui ne mettra pourtant pas beaucoup plus longtemps à pardonner : l'oubli répandu sur une illusion de perfection permet à la relation de prendre le pas sur la passion. Les chevaux ne se sont pas encore élancés que les voilà parvenus, blessés et vivants, dans un au-delà de l'amour où celui-ci n'est pas un vain mot. L'histoire est finie, elle peut commencer. Sur l'abîme de cette fêlure originelle. Fêlure féconde : le rêve advient dans la réalité, à l'image du décor à la Magritte, où les nuages s'invitent sur les immenses battants papillonnants d'un appartement à moulures.


A feuilleter : les carnets sur sol.

* Cela me rappelle dans une lecture d'enfant, Deux pour une, une anecdote sur des jumeaux qui allaient à tour de rôle à l'école parce que les parents n'avaient qu'un seul costume de présentable ; la supercherie est débusquée par l'instituteur : il s'aperçoit que l'élève est doué en calcul trois jours par semaine, et bon en orthographe les deux autres jours seulement.

17 juin 2012

Manon, de la vieille histoire ?

Le ballet de Kenneth MacMillan est la preuve la plus évidente du retard que j'ai accumulé dans mes chroniquettes. Cela serait gênant si j'essayais de soutenir que la position phare du ballet est l'attitude (ah ! ces tours attitude en dehors sur jambe pliée des gueux qui débarquent dans un tourbillon de loques) ou si j'entreprenais une comparaison avec La Dame aux camélias pour essayer de voir ce qui rend les portés plus fluides encore. Mais ce qui m'a frappée, et qui me frappe toujours deux mois après, c'est le renversement de la perspective. 

Dans L'Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, l'abbé Prévost rapporte le récit du premier : le cadre des mémoires, qui donne une caution morale aux aventures du chevalier, laisse rapidement la place au roman, et Des Grieux prend en charge la narration à la première personne. Ma lecture remonte à quelques années, mais dans mon souvenir, Manon est une fille charmante et impossible, frivole et joyeuse, une fille légère, une girouette qui sans cesse se tourne vers de nouveaux amants, attirée comme une pie par la richesse, mais à qui on ne saurait en vouloir, car on ne la voit qu'à travers le regard amoureux de son amant, à qui elle lui fait du mal sans penser à mal. On compatit avec ce pauvre hère qui s'est entiché de celle qu'il ne fallait pas, et qui n'y peut mais -- la passion dans tout ce qu'elle a de plus passif, qui invite aux folies et en fait subir les conséquences à ceux qu'elle entraîne ; la passion tout aussi délètère et enivrante que l'alcool, comme est là pour nous rappeler en contrepoint le frère de Manon. 

 Le ballet raconte la même histoire, et pourtant il dit tout autre chose. Il n'y a pas sur scène de point de vue autre que celui du spectateur : l'empathie va à l'interprète qui la suscite. Et Josua Hoffalt ne fait pas le poids face à Aurélie Dupont. Il se recroqueville sous la souffrance et elle rayonne. Si vous ajoutez à cela Aurélien Houette en Monsieur G. M., dont la perruque et les vêtements d'époque révèlent une puissance de séduction totalement insoupçonnée - de ma part, du moins - il devient évident que vous sentez, ressentez, riez et souffrez avec Manon.

Le deuxième acte est un joyau : elle s'impose comme une reine au milieu du bordel. Toutes les filles vantent leurs charmes et vous ne voyez qu'elle, rayonnante de présence et de bijoux, parfaitement dans son élément, de luxe et de volupté. Tout comme Aurélie Dupont, qui retient l'attention en retenant ses gestes, Monsieur G. M. est outrageusement attirant : il ne danse pas, bouge à peine, et attire à lui tous les regards que Manon n'a pas déjà absorbés. L'incroyable présence des deux danseurs se traduit en tension sensuelle, sexuelle, même, sans que le moindre geste ait été déplacé.

Après une telle intensité, on a du mal, tout étourdi que l'on est, à comprendre l'amour que Manon porte à Des Grieux, un amour dont on ne sait d'où il sort et dont on sait très bien où il va les mener -- à leur perte. Elle n'est plus sereine, se laisse emporter dans un tourbillon de portés enflammés, n'est plus maîtresse de la situation, seulement celle de Des Grieux. Avec ses riches amants, Manon est une reine ; avec Des Grieux, elle est elle-même, n'est plus qu'elle-même, une tautologie agitée par la passion. Leur amour ne rime à rien et n'existe que par la souffrance qu'ils s'infligent l'un l'autre : indifférence blessante, jalousie possessive, indifférence libératrice, jalousie récupératrice...  à tel point que l'on se demande si Manon n'est pas allée chercher là sa perte, devançant celle de sa jeunesse et de sa beauté qui seules lui assurent sa liberté de courtisane. Le bracelet que le geôlier lui passe aux poignets à la fin, alors qu'elle s'est exilée avec Des Grieux en Amérique, révèlerait alors la nature de celui, en tout point semblable, que lui avait offert Monsieur G. M. : des menottes en diamants pour une demoiselle dans une prison dorée.

C'est une vérité étincelante, et pourtant, sous prétexte qu'elle concorde trop bien avec l'idéal chrétien de l'abbé Prévost, on ne veut pas l'admettre. Aurélie Dupont est trop entière pour qu'on n'en veuille pas à Des Grieux d'avoir arraché Manon à son univers, de ne pas lui avoir laissé les illusions qui lui restaient (et les nôtres par la même occasion). Manon meurt d'être devenue elle-même à l'écart de tout ce qui la définissait ; comme une fleur qu'il aurait cueillie, elle se fâne peu après lui avoir appartenu. 

De ce gâchis ressort le drame : non pas celui d'un homme qui s'est laissé entraîner par une jolie écervelée, dont la mort serait une juste punition divine, mais celui de deux libertés incompatibles. Manon et Des Grieux ne sont pas Roméo et Juliette ; ce qui entrave leur amour n'est pas d'abord la société, même s'il s'y inscrit. C'est un désaccord plus profond, qui touche à la façon dont chacun entend sa liberté : pour Manon, elle est absence de lien et abondance de biens, libre circulation d'un homme à l'autre pour surtout ne manquer de rien ; pour Des Grieux, elle est autonomie, libre choix de liens qu'il tient cependant à nouer. L'amour, pour lui, c'est enfin s'autoriser à s'attacher, à nouer une relation de toute la force de son affection ; pour elle, à ne rien se promettre, à ne pas se faire de cadeau (qui signifient l'attente d'une contrepartie chez ses amants réguliers).

Cela peut surprendre, lorsque la tradition a établi la figure de l'homme volage et de la femme éplorée. Ici, c'est Des Grieux qui se fige dans une grande quatrième fendue suppliante, et Manon qui semble à tout instant prête à s'envoler vers d'autres horizons aux draps froissés. C'est d'ailleurs ce renversement qui lui prête un parfum envoûtant de liberté : c'est parce qu'elle se comporte comme un homme dans un monde où la femme n'a aucun droit qu'elle semble si libre... libre d'évoluer en maison close ou de se perdre dans la rédemption que ce monde lui impose. Mais ce renversement met surtout en lumière cette chose toute bête, tragique et banale : l'incompatibilité entre deux personnes qui s'aiment. Que ce soit l'homme ou la femme volage, l'homme ou la femme fidèle, il semblerait qu'on choisisse toujours celui ou celle qui nous fera des histoires (d'amour), qui nous tiendra vivants en nous faisant doucement souffrir. Que l'un renonce à lui-même et c'est la fin -- Manon meurt ; qu'aucun ne renonce, et chacun souffre, et aime -- équilibre nécessairement précaire.

Tout cela se condense en une scène de plus en plus nette dans mon souvenir à mesure que le reste s'efface : une traversée où Manon agite le bracelet de Monsieur G. M. sous le nez du chevalier, qu'elle fait reculer, un piqué après l'autre, repoussant à chaque pas l'épaule de celui qui se renfrogne. Elle le bouscule et il bat en brèche, ébranlé par son air badin autant que par le bracelet. Faisant mine de plaisanter, elle ravale sa souffrance au rang de bouderie. Le désaccord profond est refoulé, l'entente un instant sauvergardée, encore fragilisée.  

30 mai 2012

Le concert aux yeux Peer

Cinq minutes, pour découvrir un compositeur, c'est un peu short. Top départ, pour débuter le concert de ce soir, nous vous proposons une ouverture... promenade de lutins dans la forêt... de Carl Nielsen... sans arbres, en fait... qui serait à la musique ce que Bournouville est à la danse... et sans lutins, qui ne sont autre que des gens masqués battant joyeusement le pavé... une figure au Danemark... figures dérobées et bande pourchasseuse : les longs nez noirs se transforment en une nuée de moustiques... c'est, c'est... fini. Ou Maskarade, si vous vous appelez Julien Lepers.

 

1. Cavalcade enjouée. Pas une chevauchée triomphante. Plutôt une fuite narquoise.

2. Un morceau de plénitude oublié au creux du monde, que l'on ne peut découvrir que par le regret de l'avoir perdu. Plage, nuage et doigt coupé, je ne parviens pas à me souvenir comment fini La Leçon de piano.

3. Allegro, allez !

Mieux qu'une dissert', le Concerto pour piano n°2 en fa majeur de Dimitri Chostakovitch en trois parties. En prime, Alexander Toradze nous demande quel mouvement nous voulons en bis, mais je suis à peu près la seule à oser le slow one, so... c'est reparti pour la chevauchée intrépide : tandis que les mains rappellent que le piano est un instrument percussif, les pieds martèlent le sol mieux qu'un jockey aux genoux cagneux en plein Far West. Et de prendre appui sur le dernier accord pour sauter dans les bras de Paavo Järvi.

 

Les choristes rentrent en scène pour Peer Gynt, puis trois solistes qui se répartissent en triangle autour du choeur. Au sommet, une femme que l'on dirait l'incarnation de la femme : elle va s'asseoir au fond de l'orchestre comme elle prendrait place sur un trône, une rivière de diamants portée avec autant de naturel qu'une montre Swatch. Une robe bleu-grise très élégante et des cheveux libres comme s'ils étaient en permanence soufflés par le vent. Un maintien à conquérir le monde, et une tranquillité à l'avoir déjà fait. Une gueule. Une allure folle. Et quand elle ne chante pas, elle regarde le monde comme si tous s'offraient à elle, tranquillement renversée sur son banc, les cheveux rejetés, comme si elle prenait un bain dans un jacuzzi. Le tout naturellement, sans ostentation. Wow.

Face à Aurore Bucher (plusieurs ont dû s'y brûler...), forcément, le jeune récitant fait un peu pâlichon et sa déclamation, un peu forcée. Avec son humour de celui qui sait en faire un peu trop, qui colle parfaitement à notre anti-héros, Arnaud Denis n'a cependant pas grand mal à nous entraîner dans son histoire farfelue, où les trolls, les femmes, le désert et la tempête font rage. Je ne comprends toujours rien, mais je m'amuse toujours autant.

Sans trop chercher à retrouver le fil non directeur, je suis Roland Daugareil taper du pied comme un violoneux de taverne, les femmes débiter des gaudrioles d'autant plus gauloises qu'elles sont en français (Le Teckel, qui était dans la salle (!) riait encore le lendemain de « à défaut d'hommes, nous nous contentons de trolls ») et le Grand Courbe anticiper les détours du parcours vaguement initiatique de Peer Gynt (« -Qui es-tu ? - Je suis moi-même. Peux-tu en dire autant ? »). Ann Hallengerg, dans une robe violette un brin désuète, se livre à une improbable scène de séduction avec notre gringalet d'anti-héros, tandis que Mari Eriksmoen, étoile nordique tombée de nulle part, vient jouer les douces épouses débordant de bonté, rayonnant de sérénité dans sa robe rose passé. Sacrée soirée.

Quelques notes avec ou sans troll chez Paris-Broadway, Joël et Palpatine