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16 décembre 2012

Je n'ai pas de titre mais je kiffe Forsythe

In the middle, somewhat elevated : une paire de cerises dorées, éclat métallique que je n'avais jamais vu sur les vidéos. Dessous : my piece of cake. Des pas précis, arrêtés nets, enchaînés à toute vitesse, brusquement relâchés sur un accès de nonchalance et aussitôt repris sous un angle improbable, hanche en avant ou attitude décalée. Avec leur justaucorps bleu canard et les collants noirs qui dessinent un slip plus foncé par-dessus, les danseuses s'attaquent à des équilibres qu'il ne s'agit pas de retenir mais de repousser, pour les désaxer et étirer toujours davantage le déséquilibre. Les suspensions et les arrêts brusques n'entravent jamais la vitesse de l'ensemble, lui donnent au contraire un relief saisissant. Les déhanchés n'en sont que plus sensuels, tout comme les torses ondulants, répercussions brèves et intenses des coups portés par les jambes. Dès que le mouvement menace de s'alanguir, il est contrecarré par un geste rapide qui entraîne le corps dans une nouvelle direction. Il n'y a pas plus sexy que cet oxymore dansé, aussi extrême dans sa force que dans sa suavité. A ce point, la virtuosité devient insolente : on vous défie de ne pas être séduit. Je ne résiste pas deux secondes : ce mélange d'autorité et d'indifférence me fait toujours de l'effet. Sans compter que les a-coups de la musique nous précipitent dans la bataille : on se baisse d'un épaulement pour éviter une jambe, on contracte les abdos pour retarder un déséquilibre et on donne un coup de tête pour arrêter un tour. Explosion, chuintement et claquement assourdissant, la puissance de suggestion du train n'a jamais été aussi violente que dans ces éclats sonores, triturés électroniquement au même rythme que les corps des danseurs.

Ces derniers s'éclatent. Côté garçons, je renie sans scrupule Audric Bezard pour Axel Ibot, qui déménage. Le style convient particulièrement bien à Laurène Lévy dont l'immense buste amplifie le mouvement et ses secousses à merveille. Il ne convient en revanche pas du tout aux danseuses que j'ai pu voir dans une seconde distribution : les petits modèles mettent à profit leur centre de gravité plus bas pour foncer comme des bolides et camper des équilibres inébranlables ; c'est techniquement irréprochable mais on perd tout ce qui fait la saveur de la chose, à savoir l'avant-goût du danger. Seule l'incertitude donne cette assurance désinvolte, si sexy, à ceux qui se risquent dans d'improbables déséquilibres. Terreur et pas de pitié pour le spectateur qui doit continuer de frémir après avoir sursauté au crash sonore de l'ouverture.

 

Le souvenir émerveillé que j'avais d'O Zlozony / o composite est resté un souvenir : Aurélie Dupont, alors stellaire, a comme perdu une partie de son aura et l'étoile, réduite à sa matière, est devenue dure comme la pierre. J'espère qu'elle ne nous couve pas une naine blanche... Entourée d'une part par Jérémie Bélingard, son compagnon à la ville, et Nicolas Leriche, son partenaire de scène, elle me donne l'impression de conclure un moment de sa vie de danseuse et d'interdire toute nostalgie au spectateur. L'émotion ne ressurgit que lorsque les deux hommes se retrouvent seuls en scène, allongés par terre, tournant lentement autour de leur axe – planètes foetales qui accomplissent paisiblement leur révolution, sous les chuchotements d'astres lointains comme le souvenir d'une berceuse.

Isabelle Ciaravola, comme en apesanteur, me fait retrouver en partie la sensation de sérénité et d'émerveillement que j'avais eue la première fois – même si Jérémie Bélingard, les pieds sur terre, ne semble toujours pas appartenir à la même galaxie que ses deux partenaires ; même si j'étais venue pour voir Muriel Zusperreguy, que j'imagine très bien dans ce rôle après sa Lune simple et sensuelle dans Caligula (si l'Opéra pouvait arrêter de changer les distributions à la dernière minute sans prévenir, ça serait sympa).

 

In the middle m'a enthousiasmé au possible ; Woundwork 1 m'a émue. Découverte préméditée dans un cas, totalement insoupçonné dans l'autre. La jupette rose, un brin étrange sur Isabelle Ciaravola (1re distribution) et Marie-Agnès Gillot (2nde distribution), dont les bustes sont un peu plus larges, mais parfaitement assortie par son asymétrie au chignon banane d'Eleonora Abbagnato est bien la seule chose qui ne soit pas totalement harmonieuse. Les deux couples, qui ne s'alignent qu'au tout début et à la toute fin, évoluent chacun à leur rythme, chacun avec leur grammaire, forgée dans l'intimité d'une relation que j'imagine nourrie par des années d'écoute et d'entente. C'est d'une grande beauté ; d'une grande tristesse, aussi. Comme si une telle maturité artistique ne pouvait être qu'éphémère. Je regrette soudain de penser qu'il seront la prochaine génération à devoir quitter la scène. Qu'on nomme Eleonora Abbagnato avant qu'elle ne s'éloigne à nouveau ! L'Opéra manque cruellement d'une blonde solaire dans ses constellations et elle est tellement belle en scène... Je n'ai pas réussi à détacher les yeux du couple qu'elle formait avec Nicolas Le Riche.

 

Deux visionnages n'ont pas été de trop pour apprécier tout le foisonnement de Pas./Parts : des pas en veux-tu en voilà et des morceaux qui enchaînent en laissant les danseurs finir au son d'une nouvelle musique les mouvements auxquels les avait entraînés la précédente – décalage qui rappelle le flottement d'une piste de danse lorsque le DJ passe d'une chanson à l'autre. Justaucorps bicolores en recto-verso, T-shirts fushia ou noirs à paillettes, la couleur se trouve aussi dans les éclairages, froids ou chauds selon que retentit une sirène de paquebot ou qu'est chuchoté, on a peine à y croire, un chachacha, bientôt confirmé par un rythme endiablé. Une grande fête pour terminer la soirée.

02 décembre 2012

Sous champi ou sous sédatif, une chance sur deux

Depuis que Marie-Agnès Gillot fait les plateaux télé et les pages beauté people des magazines féminins, elle a troqué son statut d'étoile pour celui de star. La grande bringue qui dénotait parmi les autres danseuses, y allant parfois comme une bourrine, ça me parlait ; la grande gueule qui veut à tout prix qu'on la regarde, ça me baratine. Les apparences ne sont pas toujours trompeuses ; parfois, il n'y a juste rien derrière, seulement de belles couleurs. Pour ça, on n'en manque pas : du rose, du mauve, de l'orange (!!), du jaune, et fluo avec ça. Débauche de couleurs mais aussi de formes dans un passage qui tombe comme une groseille dans la soupe : boules façon pompons de caniche ou grappe de colère, bâtonnets à mi-chemin entre la baguette et le kayak (ou un sex toy de compét') et cônes style sapin synthétique déboulent sur scène et en repartent en emportant définitivement l'humour qu'ils avaient introduit. Place à la danse, la vraie, que l'on doit voir sans idée préconçue, sans chercher d'histoire, juste ressentir. Je veux bien qu'on abandonne le ballet narratif. Je veux bien me laisser aller à la sensation. Mais en l'absence de fil directeur, cela glisse sur moi comme les danseurs sur scène.

 

Des sapins dansants

Nuage noir pour le Petit Rat, grosse myrtille de la pub Oasis pour Aymeric, avec derrière un chamallow pour le patient et persifleur Palpatine.

Le truc rose

Abeille pour le Petit Rat, banane rose géante pour Pink Lady, cigare pour Une envie d'ailleurs.
Et pour vous ? N'hésitez pas à exercer votre interprétation critique et à partager les fruits de votre imagination en commentaires...  (Y compris pour le rocher/bunker/morceau de Toblerone du décor.)

Les glissades des danseurs qui s'élancent pour de grandes traversées en dérapages plus ou moins contrôlés sont pourtant des trouvailles, qui prolongent le travail des pointes en « pied cassé ». Plutôt que de lancer les hommes dans une imitation de la technique féminine en leur mettant des pointes aux pieds, Marie-Agnès Gillot a lancé tout le monde sur un terrain peu exploré – et glissant, donc. Il n'y a guère que dans Giselle, en effet, que l'on trouve un morceau de bravoure de ce genre : la diagonale de la variation du premier acte est une suite de ronds de jambe sautés sur pointe. Cela implique de rentrer son cou-de-pied (pratique quand on n'en a pas, ou peu, comme c'est souvent le cas des hommes) et de crisper légèrement la cheville pour tenir sur le bord du plateau du chausson – un peu comme les carres en patinage. Et les danseurs – et les danseuses – patinent : certains s'y lancent avec entrain mais d'autres, moins casse-cou, semblent surtout angoissés à l'idée de se blesser , si bien que le spectateur, crispé, se met lui aussi à prier pour qu'aucune chute ne survienne. Peut-être n'a-t-on pas choisi les bons danseurs : ils n'ont pas franchement l'air de s'éclater, même dans des passages sans danger où la technique sur « pied cassé » sert surtout à se relever et à tenir en équilibre.

Il s'en dégage une impression de statisme, maqué à grand renfort de ports de bras. On les voit bien émanant du corps sculptural et anguleux de Marie-Agnès Gillot ; sur de plus petits modèles, c'esr un peu plat. Or le style d'un chorégraphe, c'est ce qu'il reste lorsqu'il a transmis à d'autres, d'autres corps, les mouvements qui lui viennent naturellement. Voir un chorégraphe danser ses propres pièces, c'est souvent voir l'origine du mouvement, comme inscrit dans son corps – quelque chose d'évident, de limpide. Parfois c'est encore plus beau sur les interprètes (c'est le cas de Preljocaj, par exemple) et l'on ne peut plus douter de la valeur chorégraphique des mouvements. Mais parfois, au contraire, ils perdent de leur intensité sitôt que chorégraphe et interprète ne font plus un, et l'adaptation devient synonyme de déperdition. Marie-Agnès Gillot a visiblement créé à partir d'elle (les radiographies de sa colonne vertébrale sont là pour vous le rappelez si jamais vous faisiez mine d'oublier) mais aussi pour elle – elle là, ça se gâte.

Même le choix des solistes sonne faux (comme la modestie de l'apprentie chorégraphe) : Chaillet semble là pour faire la promotion du spectacle auprès du grand public, qui connaît sa belle gueule de mannequin, et Alice Renavand, la caution chorégraphique, car pas une création contemporaine ne se fait sans elle. Niveau affinité, on repassera. Seule Laëtitia Pujol, assez inattendue dans ce registre, semble s'y amuser.

 

 

Que reste-t-il au final de ces apparences ? Un clip. Qui met en scène des hommes sexy à souhait avec leur casquette militaire et leur torse serré de cordages, qui, sur les femmes, deviennent un instrument de bondage. Pointes pour les hommes, cordages pour les femmes : érotiserait-on un sexe en lui attribuant ce qui appartient à l'autre ? Mais ce serait beaucoup dire, car en fait d'érotisme, il n'y a dans ce ballet que ce que l'on projette à partir des costumes : pas grand risque d'être ému par la danse, lisse et aseptisée comme les gants de vaisselle dont on a affublé Vincent Chaillet. Sous apparences n'est pas assez modeste pour être drôle et n'a pas le talent que réclame l'arrogance, malgré de bonnes idées. Voire à cause de ces bonnes idées : mais Marie-Agnès, ce n'est pas avec idées que l'on chorégraphe, c'est avec des gestes.

 * * *

 

Après le divertissement superficiel vient l'ennui profond : Cunningham ou l'intellect aride. La Pythie m'a raconté être partie au bout de cinq minutes. Pourtant Un jour sur deux est hyper dansant pour un Cunningham : je veux dire, les danseurs se touchent, quoi ! Y'a du contact ! De là à ce qu'il soit humain, faudrait pas pousser non plus, mais il y a des apparences de pas de deux, de l'interaction, avec un partenaire-contrepoids. Et des académique que même il en existe des bien plus moches. Surtout, les danseurs de l'Opéra de Paris présentent un avantage formidable pour le béotien ès Cunningham : ils ont la technique sans en avoir le style. Ce qui signifie qu'ils ne font pas tous tout le temps la gueule. Et même, de temps à autre, une intention, répréhensible car déjà trop lyrique en soi, anime un port de bras autrement raide comme la justice, encouragement discret pour le spectateur. On ne sait pas trop pourquoi on est là, semble-t-il dire, mais on y est et on y va, jusqu'au bout, même si c'est aride. Émilie Cozette, libérée de savoir pourquoi tel ou tel geste, est en revanche comme un poisson dans l'eau. Je laisse les Balletonautes en tirer les conclusions qui s'imposent.

 

Emilie Cozette et Hervé Moreau, par Julien Benhamou. 
La preuve qu'il y a contact.  

 

Il faut se résigner : c'est la seule manière de traverser le ballet. Alors peut-être, à force de laisser vos yeux suivre la ligne d'une jambe, perdre le buste auquel elle était raccordée et enregistrer la présence d'un nouvel académique, vous atteindrez cette attention flottante qui vide peu à peu la pensée de sa réflexivité pour la concentrer sur le mouvement insignifiant et perpétuel de la scène. Insignifiant, parce tout geste est proscrit, pour que jamais l'interprétation critique ne se mette en mouvement. Perpétuel, parce qu'à force de mouvements, on atteint une sorte d'immobilité – cela bouge juste assez pour que l'attention flotte sans jamais être attirée par quoi que ce soit. J'imagine que c'est ce qu'on appelle la méditation. C'est à la fois extrêmement reposant (on s'approche asymptotiquement de ne penser à rien ; on fait le vide sans, heureusement, jamais y parvenir totalement) et totalement épuisant (on ne peut pas rester concentré indéfiniment). Pas certaine que ce soit mon truc mais, quoiqu'il en soit, c'est une expérience que je vous laisse méditer.  

 

LA position du ballet.
Quelques instants plus tôt ou plus tard, promenade arabesque générale synchro (coïncidence cagienne ?)  avec un brouhaha d'hélicoptères.


 

Sélection ...WTF ...délicieuse(ment) méchant


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« L’émotion traduite dans les corps est impressionnante : on pense autant à Balanchine qu’à Béjart. »

Dans la catégorie je balance deux noms pour faire genre je m'y connais, celle-là est assez géniale. Recalé en histoire de la danse.

Le JDD

 

« Marie-Agnès Gillot/Merce Cunningham à Garnier : épure et austérité »
De l'épure, donc.  

« Les danseurs qui ont eu 3 mois pour appréhender les pointes, glissent vaillamment sur un lino brillant avec une rapidité de mouvement et de déplacement qui évoquent Cunningham. » Toute transition n'est pas bonne à prendre. Recalé en histoire de la danse.

Culturebox

 


 

« Colourful minimalism meets the Village People »

Laura Cappelle

 

« palette "Smarties" d'un côté ; sobriété gris métal de l'autre » 

« [les danseurs sont] lancés comme des boules de bowling »

Le Monde



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« Bien que réduite de vingt minutes, cette pièce aujourd’hui de 67 minutes a du mal à séduire les hommes et les femmes pressés de l’époque twitter. Mais il faudra bien un jour comprendre que redonner du temps au temps est essentiel à notre vie. » 

Le JDD 

« Émilie Cozette danse sa partition comme ces soprano étrangères qui articulent parfaitement un texte qu’elles ne comprennent pas. »

« Sylvie Guillem aurait dit jadis à un journaliste : "J’ai appris à apprécier le plafond de Chagall à l’Opéra en assistant aux ballets de Merce Cunningham." »

Les Balletonautes, qui commettraient des crimes parfaits tant ils excellent dans la critique assassine.

 

Fifty shades of Cunnningham : le meilleur article écrit sur Un jour sur deux, et le seul qui vous le fera peut-être aimer. Avec le mode d'emploi de Danses avec la plume pour "apprendre à se déconcentrer".

 

17 novembre 2012

Kitri killeuse

Ravie d'avoir une place pour la pré-générale de Don Quichotte, je le suis plus encore lorsque je vois apparaître Mathilde Froustey sur scène. Je la voyais bien dans le rôle. Difficile en effet de ne pas la voir : elle qui n'est déjà pas du genre à se faire prier en temps normal a carrément bouffé du lion. Sa pantomime a beau être bon enfant (parfait lorsqu'on sait que la soirée leur est réservée), le premier qui emmerde Kitri, elle le décapite d'un développé. Même un fétichiste renoncerait alors à se trouver dans ses chaussons... Au-delà de la fatigue physique, qui rend plus épuisant de contrôler sa force que de la laisser déborder (il faut être en forme pour pouvoir s'économiser), cette débauche d'énergie révèle le besoin qu'à Mathilde Froustey, survoltée-révoltée, de se défouler. Il faut dire que le résultat du concours de promotion ne se justifierait que par une nomination extraordinaire, en vertu du précédent établi par celle de Mathieu Ganio alors qu'il était encore sujet.

Un peu trop rapide, un peu trop brusque... c'est le trop-plein qui s'évacue. Tant pis pour le tour à la seconde du dernier acte ; il peut bien être sacrifié si c'est pour ensuite aborder l'ensemble des représentations avec davantage de sérénité. Car une fois que les corps se sont échauffés et que les esprits se sont apaisés, les personnages se dessinent : Pierre-Arthur Raveau, découverte miamesque, donne une classe certaine à la fougue de Basilio, tandis que Kitri est tour à tour séduisante (mouvements un peu plus lents, qui donnent le temps à la sensualité de s'exhaler), piquante (les fameux équilibres de la miss, qui flirtent avec la musicalité et semblent toujours vous narguer) et espiègle (la Coppélia-attitude, avec les pieds flex et le buste désarticulé qu'elle se fait brinquebaler de son amoureux à son prétentieux prétendant).

Du reste de la distribution, on retiendra Laura Hecquet en danseuse de rue (entre ça et Cappricio, elle fait beaucoup la danseuse, en ce moment – il faut dire qu'avec le profil qu'elle a...), un peu raide au premier acte mais bien plus voluptueuse au troisième ; Héloïse Bourdon en reine des Dryades, qui suit l'exemple de Mathilde pour faciliter le travail des photographes avec un magnifique équilibre attitude (en prenant des chaussons moins bruyants ou en ne forçant pas les glissades vers l'écart, ce sera parfait), et le chef des gitans dont je ne connais pas le nom et dont je veux connaître l'identité et plus vite que ça ! Il supplante en sexytude le toréador qui, malheureusement pour moi, rayonne de gay-itude (ou d'application, je ne sais pas, après tout) jusqu'au premier balcon, alors que celui du Bolchoï m'avait laissée dans un état proche de la pâmoison.

Et c'est là que le bât blesse : lorsque le souvenir des Russes ressurgit. Certes, il ne s'agit que d'un filage et les danseurs sont probablement fatigués par les répétitions sans être galvanisés par une salle comble, mais les ensembles, parfaitement au point, manquent pourtant de mordant. Sans aller jusqu'à la fougue slave, on attend plus d'ardeur, de sémillant ; il faut non seulement y aller mais se laisser aller : ce ballet n'a d'intérêt que s'il est drôle et affriolant, que si le corps de ballet est aussi crâneur que les toréadors (pas en vert sapin de Noël, par pitié) et aussi aguicheur que Kitri. Je veux que l'on m'agace, que diable ! – comme le toréador agace le taureau. L'opéra s'est peut-être un peu trop appliqué à nous faire voir rouge en programmant Don Quichotte un an seulement après le passage du Bolchoï. À voir. 

AROP lyrique

Il est peut-être un peu étrange d'assister à la remise d'un prix lorsqu'on n'a jamais entendu la chanteuse qui le reçoit, mais le récital qui suivait était une bonne occasion pour continuer ma découverte de l'opéra. Quand on laisse les chanteurs choisirent leur morceau, cela donne, sous des airs de parenté (vous me mettrez trois Mozart, trois Rossini, deux Massenet et deux Tchaïkovsky), un joli florilège.

Sans prompteur ni connaissance des opéras dont ils sont extraits, je me retrouve un peu dans la position du spectateur qui verrait la variation du premier acte de Giselle en gala pour la première fois et ne saurait pas que les ports de bras ponctuant chaque pirouette saluent respectueusement la cour (bras droit) et amoureusement Albrecht (bras gauche). Si vous ajoutez à cet hors-contexte une fâcheuse envie d'aller aux toilettes, vous obtenez un moyen infaillible de savoir si tel ou tel chanteur vous émeut. Certains m'ont fait totalement oublier que quelques minutes plus tôt, je comptais discrètement le nombre de sièges qui me séparaient du couloir...

Andriy Gnatiuk, entré sur scène avec un air supérieur, m'a donné une furieuse envie de découvrir Le Barbier de Séville dès qu'il s'est mis à articuler avec des mines impayables (sourcil de hibou et regard perçant du petit rigolo qui joue de son apparence de premier de la classe) une sorte de rap d'opéra.

Tiago Matos qui, à cause de son choix, avait mon attention avant même d'ouvrir la bouche (et celle du petit rat, mais peut-être pas pour les mêmes raisons), m'a replongée dans La Ville laissée pour morte il y a deux-trois ans : Mein Sehnen, mein Wähnen, es träumt sich zurück...

En se métamorphosant en Mimi, Andreea Soare a repris un air du seul autre opéra de la soirée auquel j'avais déjà assisté. Alors que cet extrait de La Bohème avec une voix toute ronde est accueilli par moult quintes de toux, Palpatine conclut : « C'était tellement bon qu'ils sont devenus tuberculeux. »

Impressionnante aussi (quoique peut-être pas aussi émouvante) : Olga Seliverstova, à qui l'on a manifestement oublié de dire qu'il n'y avait personne à l'amphithéâtre et aucun orchestre à couvrir. L'accompagnement se fait en effet par quatre pianistes qui se relaient, en évitant autant que possible de mélanger les genres. D'ailleurs, on saluera les femmes d'un côté, les hommes de l'autre – la seule rencontre étant celle d'Onéguine et de Tatiana. Celle-ci est interprétée par la reine de la soirée, à savoir Ilona Krywicka, *évidemment* polonaise (Polish tends to be my new Czech). J'ai néanmoins préféré l'air de La Vierge par lequel elle a ouvert la soirée, où s'entendait davantage cette espèce de sensualité tout en rondeur...

N'oublions pas la pianiste Alissa Zoubritski, avec ses mains délicatement dansantes et la plus belle robe de la soirée (en voyant défiler toutes ces robes bustier en drapés souvent plus rideaux que grecs, j'ai pensé avec un pincement au cœur à toutes ces magnifiques robes de soirée Paule Ka, que l'on ne voit jamais...). Côté vestimentaire, c'est Palpatine qui assure le spectacle avec son haut de forme – très pratique pour se retrouver quand on n'a plus de portable ou quand on a besoin d'énoncer ses coordonnées géographiques : « Tu ne me vois pas ? Je suis à côté d'un monsieur avec un chapeau claque. » Palpatine de s'étrangler. Rien de tel qu'un délicieux jus de fraise pour faire glisser et finir la soirée en beauté et bonne compagnie – makis et rires compris. Seul regret : pourquoi n'y a-t-il pas pareil gala pour la remise des prix de la danse ?