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25 mai 2016

Spectacle monstre

Julia Roberts et George Clooney à l'affiche, Jodie Foster à la réalisation : me voilà ! Moins coup de poing dans l'estomac que The Beaver, Money Monster est tout aussi bien ficelé. Un téléspectateur débarque en live sur le plateau d'une émission mi-boursière mi-bouffonne et prend en otage le présentateur (George Clooney), qu'il considère responsable de ses économies évaporées dans un investissement foireux. La prise d'otage fonctionne à merveille et on s'aperçoit seulement une fois le suspens retombé que c'était encore plus intelligent que divertissant.

Ce n'est pas pour rien que le film porte le titre de l'émission : si syndrome de Stockholm il y a, le geôlier est moins le preneur d'otage que le film lui-même ou plutôt, le divertissement. En effet, la réalisatrice (Julia Roberts), ange gardien dans l'oreillette de Clooney, prend le pari fou de continuer l'émission1, allant jusqu'à demander au cameraman de s'avancer pour faire disparaître l'ombre du visage du preneur d'otage (Jack O'Connell) et l'équiper d'un micro. Il faut faire entendre ses revendications, faire la lumières sur les magouilles financières à l'origine de son coup d'éclat. La réalisatrice active son réseau, dépêche ses journalistes dans tout New-York pour que la vérité éclate avant la bombe et le film se transforme, semble-t-il, en enquête, sur les traces du patron qui a ruiné ses actionnaires.

On veut savoir le pourquoi du comment ; du moins le croit-on jusqu'à l'apprendre et comprendre qu'on n'a jamais vraiment voulu la vérité, seulement le spectacle de sa mise en scène. Vous vous en foutez, d'où vient l'argent, quand il y en a, lance le criminel en col blanc lorsqu'il est attrapé. Il a raison : on est, la société est, nous sommes profondément indifférents – des monstres d'égoïsme, des monstres d'argent, qui s'intéressent au malheur d'autrui comme à une bête de foire (le preneur d'otage comme pauvre hère de téléréalité). La boutade finale, « qu'est-ce qu'on va bien pouvoir trouver pour la prochaine émission ? », enfonce le clou : the show must go on, divertis ou crève.

Mit Palpatine


1
Pari fou auquel répond l'hypothèse folle du spectateur : et si cette prise d'otage était une mise en scène fomentée par le staff de l'émission pour booster l'audimat ? (J'ai eu le doute.)

Pour mémoire : le passage avec la petite amie du preneur d'otage est vraiment ultime.

 

14 mai 2016

Bas-fonds forestiers

(Les potentiels spoilers ont été repoussés en bas de page.)

Le Japon est un pays où il fait décidément bon mourir. Après les falaises de Tojinbo dans Le cœur régulier, Gus Van Sant plonge Arthur, le personnage principal de The Sea of Trees, dans la forêt d'Adokigahara. Le problème d'aller se suicider à l'endroit donné comme première réponse par Google à la requête Perfect place to die, c'est qu'on n'y est pas le seul : Arthur croise un homme hagard et perdu qui, après s'être entaillé les poignets, a changé d'avis. En lui venant en aide, il se met en peine de repousser la mort qu'il est pourtant venu chercher, en apnée dans un océan d'arbres et de roches accidenté qui semble ne jamais devoir finir.

Des images de sa vie passée surgissent alors que sa vie présente est en danger, mais elles sont bien trop développées pour que l'on puisse les assimiler au film qu'on rembobinerait au moment de mourir. Ces scènes domestiques en plein survival movie, assez déconcertantes, sont en réalité exactement l'inverse : concertantes, à faire peu à peu converger des éléments épars, jusqu'à ce qu'ils fassent signe, symbole et enfin sens. Une alliance, une orchidée, un mot traduit au hasard d'une conversation… le signe est toujours délicat parce qu'il est à peine un symbole, toujours un détail qui peut en rester un, poussé en avant par le flux de l'histoire1 et aussitôt emporté dans son reflux, dans un sourire. On pourra mettre plein de gros mots dessus : culpabilité, purgatoire, fantastique2, rédemption ; on ne fera qu'occulter la délicatesse et la force de cette histoire qui ne se laisse pas résumer. Il faut l'éprouver dans les traits de Matthew McConaughey : même en professeur d'université, l'acteur conserve une âpreté que les cinéastes ont envie, et on les comprend, de frotter au rugueux de l'existence – écorce d'une forêt japonaise ou boue du Mississippi, peu importe, un matériau brut au contact duquel aviver nos souvenirs3.


1
J'aime beaucoup la manière d'attirer l'attention sur un détail, par exemple sur l'alliance, seul bout de métal qui reste lors du passage sous les portiques de sécurité à l'aéroport…
2 Le vrai bon fantastique : celui qui se laisse rationnellement expliquer point par point, mais qu'on ne peut s'empêcher de préférer dans sa globalité. Le seul élément qui m'a semblé « forcé » ne relève pas de l'histoire mais du récit : je trouvais que c'était d'une rare impolitesse ethno-centrée que de si peu s'intéresser à l'histoire de l'homme japonais, sous le prétexte que l'on ne pouvait pas comprendre sa culture… Le souvenir de Real qu'a déclenchée son apparition aurait dû me mettre la puce à l'oreille plus tôt. ^^
3 Nos souvenirs n'est certes pas une traduction idiote une fois que l'on a vu le film, mais c'est d'une platitude…

18 avril 2016

L'État contre Fritz Bauer

Der Staat gegen Fritz Bauer. À quel moment a-t-on jugé bon de traduire ce titre par Fritz Bauer, un héros allemand ? Non seulement c'est platement grandiloquent, mais c'est à la limite du contre-sens : au moment de l'histoire, le héros risque la prison pour haute trahison… Ses efforts pour retrouver et faire condamner les anciens dignitaires nazis se heurtent en effet aux anciens SS qui, plus de dix ans après la fin de la guerre, verrouillent encore le gouvernement et les institutions étatiques. Lorsqu'il apprend qu'Adolf Eichmann a été identifié en Argentine, Fritz Bauer prend ainsi la décision de contacter le Mossad - « parfois, il faut savoir trahir son pays pour le sauver ».

Outre de mettre un coup de projecteur sur le rôle de Fritz Bauer (Burghart Klaussner) dans cette affaire, le film de Lars Kraume a le mérite de reprendre l'Histoire en amont de sa réécriture univoque – parce que non, ce n'est pas en zigouillant les responsables de la solution finale que l'on remet en ordre la société dans laquelle elle a pu être mise en place… société qui, accessoirement, dans les années 1950-1960, traite encore les homosexuels comme des criminels – c'est là la petite histoire dans la grande, qui nous rend proche de ses protagonistes (même si Ronald Zehrfeld, dans ce rôle, n'a pas trop besoin de cela, jouant sur mon faible pour les armoires à glace à tête de nounours).

 

 

Épilogue, qui n'est un spoiler que si, comme la mienne, votre mémoire a fait un gloubi-boulga avec tous les noms nazis de vos cours d'histoire.
Adof Eichmann est capturé, mais l'extradition refusée : sous couvert de contrats commerciaux, l'État allemand a réussi à étouffer le scandale dont un procès aurait été l'assurance, le name-dropping nazi risquant de toucher des personnages aussi haut-placés que le bras droit du Président. Au lieu d'être jugé en Allemagne, Adolf Eichmann est pendu en Israël. Quelques années, plus tard, Fritz Bauer réussit à conduire les débats pour le procès de Francfort, second procès d'Auschwitz.

 

16 avril 2016

L'à venir

Le générique d'ouverture s'égraine lentement au cours de la première scène, trajet en bateau, famille emmitouflée, marche et station à un point de vue, jusqu'à ce que le titre s'affiche sur la mer à perte de vue, une tombe au premier plan : L'Avenir.

 

Voilà.
La mort est l'avenir de l'homme.

 

En attendant, il y a le présent et celui de Nathalie, ce sont des livres, de grands enfants, un mari philosophe, lui aussi, une mère qui perd la raison, des copies à corriger, une collection à diriger et un ancien élève normalien engagé.

 

L'à venir, ce sont des livres, des petits-enfants, un ex-mari toujours philosophe, la maison de retraite, des copies à corriger et un ancien élève normalien dégagé dans le Vercors.

 

L'à venir est encore un présent d'avant la mort, sans les lendemains qui chantent de l'avenir…
… quand les bouquins de philo se vendront comme des petits pains sans les couvertures Haribo que le marketing veut leur coller ;
… quand les élèves penseront par eux-mêmes après avoir entendu des kilomètres d'explications de texte (nous sommes à Henri IV1) ;
… quand elle retrouvera quelqu'un, c'est sûr, pourquoi pas plus jeune, lui souffle son ancien étudiant, que la bande-annonce poussait dans ses bras et nous dans le panneau ;
… quand on réussira à accorder ses pensées et ses actes, sans avoir à se renier soi ni à se retrancher du monde pour ça ;
… quand la liberté sera nôtre ;
… quand les poules auront des dents et nous fermeront le caquet.

 

L'à venir, au présent, c'est que …
… ces couvertures qu'elle dit élégantes sont moches de désuétude et les couvertures-bonbons rendent le savoir gai ;
… les élèves pensent à avoir le bac et l'auront tous avec mention (nous sommes à Henri IV2) ;
… l'amour se trouve sous le sabot d'un cheval et il n'y a qu'un chat noir, « obèse en plus », qui se fait balader dans une cage en osier – la boîte de Pandora ;
… la liberté est errance si on ne l'envisage pas comme une promenade ;
… il est plus dur d'aimer la vie que la sagesse, et c'est pourtant là qu'elle réside.

 

Nathalie trimballe à l'écran sa silhouette émouvante d'enfant qui a trop vite vieilli (je n'avais jamais remarqué que le corps d'Isabelle Huppert semblait avoir été resizé sous une tête d'adulte). Elle ne le prend pas bien ; elle ne le prend pas mal non plus : elle le prend comme ça vient. Au final, c'est moins son savoir qui la rend philosophe que, prosaïquement, le quotidien qu'elle maintient coûte que coûte, parce qu'il faut bien que vieillesse se passe. Même si, le con, il a pris tous les Levinas avec les annotations !


1
Ce qui, dieu merci, nous épargne les débats existentiels qui sonnent archi-faux.
2 Un jour, on aura un film de prof dans un lycée qui ne sera ni sur la montagne Saint-Geneviève ni en banlieue – juste un lycée un peu moche comme il en existe partout ailleurs.