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03 février 2017

La la là

La la land commence de manière sympathique, mais je n'accroche pas plus que ça. Impossible de toutes façons avec les gesticulations over-enjouées de la caméra. Et pour cause : la première partie tout entière se résume au premier plan de la dernière : un plan de palmier mimant la tête renversée… bientôt déplacé par des techniciens d'un studio de cinéma. Il faut un peu de temps pour voir non pas sous ou derrière les images (couleurs vives, plans léchés) mais pour voir les images -  en tant que telles. Et comment on vit par, pour et à travers elles.

Forcément, ça devient de mieux en mieux au fur et à mesure, même si. La comédie nous fait des frayeurs de soufflé (échange parfait, répartie affûtée et puis banalité), et les numéros musicaux ne me donnent pas vraiment envie de danser, peut-être plus jazz que jazzy (comme l'héroïne, je n'aime pas le jazz ; mais contrairement à elle, je ne m'y fais pas)(et comme elle, je ne peux aller plus loin sans vous faire une confession : même si j'ai chanté faux avec ma cousine que nous étions des sœurs jumelles nées sous le signe des gémeaux, je ne suis pas sûre de jamais avoir vu les comédies de Jacques Demy - cette part de nostalgie-là ne pouvait donc avoir de prise sur moi). La scène de l'observatoire de Magic in the moonlight m'a plus fait rêver que celle de La la land, où je me suis demandée si, dans quelques années, on trouverait ça aussi daté que Grease et son paradis de bigoudis chauffants. Cela se regardera probablement comme un film de Fred Astaire, un de ces films qu'on ne regarderait pas s'il n'était avec Fred Astaire, mais qu'avec Fred Astaire on regarde, comme ça, pour la scène de claquettes où Ryan Gosling a les mains dans les poches et la chemise-bidou qui lui fait le sex-appeal tout doux - pas vraiment pour moi, mais pourquoi pas. Ginger Rogers est Emma Stone, toujours parfaite avec son visage au bord de la décomposition. Les globes oculaires prêts à rouler hors de leur orbite, la bouche qui tord le sourire en grimace et vice-versa de casting en casting. Je crois avoir compris celles qui la trouvent laide avec ses yeux de poisson ; c'est cette quasi-laideur que je trouve infiniment belle. Moins figée, même si le film en use et abuse au point de glacer aussi cette beauté, lassante dans la caricature de son idiosyncrasie.

Cela marche quand même, justement parce que tout ne marche pas et que ça piétine dans la vie de nos wannabe artistes, l'actrice et le jazzman qui sont là à L.A. pour réaliser que leurs rêves rendent dure la réalité - qui serait bien douce sans cela. Douce comme un retour chez papa-maman (plutôt qu'à la case départ) ou un contrat blindé signé avec Universalis (plutôt qu'avec le diable pour un jazzman pur et dur qui se retrouve à pianoter sur un synthé). L'actrice et le musicien se rentrent tellement dans le lard que c'est sûr, une évidence de comédie romantique, ils sont faits l'un pour l'autre. Cela ne sonne pas juste, pourtant, dixit la comédie musicale : ils ont trouvé quelque chose d'autre que l'amour, qui le fonde parfois et parfois pas, une présence entièrement bienveillante et entièrement exigeante, qui les encourage les pousse et les engueule à devenir ceux qu'ils voulaient être, quitte à ce que cela se fasse sans eux. Ou peut-être que c'est exactement ça, s'aimer, en-deça de la vie partagée. <SPOILER up to the end>Au-delà aussi : nos deux artistes ne se disent pas je t'aime, seulement je t'aimerai toujours au moment de se séparer (sur le mode : je serai toujours là-bas pour toi). Forcément, ça devient très beau, parce que le film fait exactement ce qu'il faut pour : il donne une fin. Ils s'aimèrent, se marièrent et eurent des enfants… mais pas ensemble. Et dans un croisement de regard, fortuit, des années après, la caméra s'emballe pour nous donner à vivre tout ce qu'ils n'ont pas vécu, toute une vie au conditionnel passé qu'ils auraient pu vivre, mais pas de si, il n'y a pas de bascule, pas de remord, pas de regret, rien à refaire, juste des vie divergentes que l'on fait se croiser pour la beauté du geste, pour la danse et la musique, pour le cinéma, pour donner à voir tout ce que contient ce regard-là, entre ces deux-là (parce qu'aussi, on a du mal à le concevoir sans ça, l'amour sans le couple qui le défend contre le temps). Le film nous refuse ce que l'on veut - pour mieux nous le donner symboliquement. Paré de la beauté des choses révolues, que l'on garde précieusement en soi justement parce qu'on les a perdues. Ou jamais vécues*, c'est tout un.

* sauf au cinéma

29 janvier 2017

Problèmes de degrés

Parfois, mon détecteur à second degré se brouille.

La première fois que je suis tombée sur un texte de Montesquieu, au début du collège, j'ai senti qu'il y avait une arnaque, mais je n'arrivais pas à décider si c'était du lard ou du cochon. L'ironie, je la connaissais persifleuse, pas pince-sans-rire. On m'a donné les outils pour en comprendre le fonctionnement, et roule ma poule, face A lard, face B cochon, je te retourne n'importe quel texte comme un gant. Les occasions de revenir à un telle perplexité ont été rares (peut-être les premières minutes de découverte du Gorafi, qui n'avait pas alors la notoriété d'un mème), mais il y en a encore, comme me l'a prouvé ce vendredi d'il y a deux semaines, vendredi j'ai-des-problèmes-de-degrés. 


Se noyer dans le partenaire dialectique du pébroc

Aborder l’œuvre de Magritte par le biais de la philosophie est plus que pertinent, et l'expo du centre Pompidou en elle-même est plutôt bien goupillée (je n'avais jamais fait le lien entre le motif récurrent du rideau et l'histoire de Zeuxis relatée par Pline l'Ancien, par exemple), mais les textes explicatifs, mes amis, les textes… Je n'ai pas réussi à décider si leur galimatia philosophico-pédant était ou non à prendre au premier degré. Palpatine me soutient que oui. Ayant encore foi dans l'humanité, j'ose espérer que le commissaire de l'exposition ne s'est pas noyé dans "le partenaire dialectique du pébroc" (sic). Causer "gallinacé" à propos d'un tableau qui reprend la thématique de la poule ou l’œuf est bien une marque d'humour, non ?

Magritte, Les Vacances de Hegel 

Au moment de trancher, le doute revient : les lettres de Magritte sont bien sérieuses (plus simples et efficaces que le cartel sur le pébroc et le verre d'eau, soit dit en passant). Et si le commissaire s'était laissé contaminer par l'esprit de sérieux avec lequel les surréalistes ont pris le rêve ? Breton n'a pas l'air de rigoler quand il exclut Magritte de son club surréaliste…

Dernière pièce à charge : la police totalement illisible choisie pour les introductions sur les murs. Bonne poire, j'essaye de la justifier par la seule justification que je puisse imaginer, i.e. l'auto-dérision par auto-sabotage. Difficilement déchiffrable, le texte devient image et se fait alors le pendant des images qui se donnent à lire comme un texte énigmatique. La trahison du texte après celle des images en quelque sorte, pour mieux nous renvoyer aux tableaux. Et moi, comme une andouille, je me fais avoir à chaque fois, je lis les cartels en police 10 tôtâlement adaptés à l'affluence (heureusement, les tableaux de Magritte se méditent plus qu'ils ne se contemplent : on emporte les images avec soi ; pas besoin de rester planté devant la toile pendant des heures).


Carlos William Carlos

Rebelotte le soir au ciné, avec Paterson, de Jim Jarmusch.
Lundi. On suit lentement la journée du personnage éponyme (Adam Driver), conducteur de bus dans la petite ville de Paterson, où vécut le poète Wiliam Carlos Williams. Paterson écrit lui aussi des poèmes (à propos d'amour et de boîtes d'allumettes) le matin dans son bus, à midi aussi un peu à côté de sa lunch box, mais pas le soir, parce qu'il retrouve sa femme qui repeint la maison en noir et blanc, cupcakes compris, et va ensuite promener Marvin jusqu'au bistrot où il boit une bière au comptoir.
Mardi. Quelques lignes en plus, le garage de bus, les passagers, la pause déjeuner, sa femme, une nouvelle lubie en noir et blanc, Marvin, une bière. Rien ne se noue, sinon le spectateur.
Mercredi. Une page peut-être, le garage de bus, d'autres passagers, le blanc près de la cascade pour la pause déjeuner, sa femme, du noir et blanc, Marvin, une bière. Combien de degrés ?

Il m'a bien fallu jusqu'au jeudi pour admettre que, non, vraiment, l'ironie n'était pas le propos - une projection de moi seule, paniquée que l'on puisse se satisfaire d'une telle vie, pourtant (parce que ?) pas si éloignée dans le fond de la mienne, celle de la plupart des gens : un boulot, une marotte ou passion que l'on glisse dans les interstices laissés par ledit boulot, de l'affection amicale ou amoureuse, un ciné de temps en temps. Il m'a fallu du temps pour accepter la bienveillance, certes souriante, du réalisateur. Pour me dire que la poésie de Paterson n'est ni géniale ni risible, pas même un but en soi, juste une belle manière de traverser la vie. Au final, c'est Alice qui résume le mieux l'enjeu de ce film "entièrement dédié à la poésie et au quotidien" : "Comment habiter poétiquement le monde, ou plus optimiste encore, comment serait-il possible de ne pas habiter poétiquement le monde ?" Comment ne pas éprouver le besoin de transcender quoi que ce soit, bonne question, je n'en sais rien. Il faudrait déjà que je sache lire de la poésie, sans grandiloquence (toujours cette peur de l'insignifiant, qui nous pousse à en faire des tonnes)(alors que Jim Jarmusch, lui, se contente d'échos et ça suffit à nous faire sourire). 

Rime interne : mon professeur d'anglais de khâgne m'a offert un recueil de William Carlos Williams que j'aime beaucoup sans jamais l'avoir vraiment lu (manque de vocabulaire, excès anti-lyrique kundérien). Un Penguin argenté, avec une reproduction de Brueghel sur la couverture et une non-histoire de brouette rouge à l'intérieur.

07 janvier 2017

Musubi

Très très bel animé que Your Name, de Makoto Shinkai. Sur tous les plans : graphique, narratif, poétique. Cela débute par un coup classique dans le registre fantastique* : l'échange involontaire de corps entre Taki (lycéen tokyoïte) et Mitsuha (lycéenne qui, habitant un trou paumé splendide, ne rêve que de Tokyo). On commence à être familier des personnages lorsque survient un twist temporel qui met le comique en sourdine pour laisser passer quelque chose de plus essentiel. D'humain, de poétique.

En Occident, nous sommes si prompts à mépriser ce qui ne relève pas de la rationalité pure que nous nous trouvons privés d'une sensibilité qui ne soit ni sentimentalisme ni superstition. Écartelé entre le concept et la poésie, notre langage dichotomique manque de mot pour traduire musubi qui, nous explique la grand-mère de Mitsuha est ce qui lie les êtres, un nœud, un lien que nous peinons à concevoir autrement que comme et par l'intelligence désincarnée qui est la nôtre (inter-legere), alors que c'est tout autant les nattes aux motifs sacrés que Mitsuha et sa grand-mère tressent selon des méthodes de tissage ancestrales, le lien avec lequel Mitsuha attache ses cheveux et que Taki noue à son poignet, et le ruban de la comète qui scelle leur destin à tous**. Liaison plus que nœud, peut-être, car musubi ne fige pas ; c'est une force de création, d'expansion.

Du coup, il n'y a pas vraiment de fin, même s'il y a clôture (la boucle est bouclée mais le fil toujours là) : il s'agit d'un processus toujours à l’œuvre, ce qui se fait et se défait dans le temps. Pas de début identifiable non plus, d'ailleurs : le commencement se dérobe sous l'effet du paradoxe temporel et s'oublie-se rappelle à nous sous la forme de l'origine. C'est le feu qui a brûlé les écrits expliquant les rites que la famille de Mitsuha s'applique à perpétuer ; c'est aussi la rencontre entre deux êtres qui savent être liés mais ont tout oublié de l'autre, à commencer par son nom - ce qui donne lieu à une belle séquence ferroviaire dans le goût de The Eternal Sunshine of the Spotless Mind. L'animé finit en quelque sorte là où le film commence. Si vous aimez l'un, vous devriez aimer l'autre. L'un comme l'autre sont incroyablement beaux.

 

* Le coup est tellement classique qu'un journaliste plaçait la plongée dans le fantastique au moment du twist - ce qui correspond peut-être davantage à notre littérature fantastique où l'on s'interroge sur la frontière entre rêve et réalité. Je connais mal mais aime déjà beaucoup le fantastique nippon, où l'on se demande moins si "c'est vrai" (François Jullien nous dirait probablement que ce rapport obsessionnel à la vérité est un fourvoiement-rétrécissement de la pensée occidentale) que comment l'onirisme nous aide à mieux appréhender notre vie.

** J'allais sortir mon couplet habituel de chaque détail qui prend sens (pas parce qu'il en a en soi, mais parce qu'il est mis en relation, en écho, avec d'autres), mais ce serait tomber-rester dans le storytelling, alors que Your Name ne cherche pas la virtuosité narrative. Celle-ci s'oublie dans le temps même où elle œuvre ; chaque détail tombe à sa place, évidente, polysémique.


Edit : l'article de Libération a la citation exacte : « Ce mot, qui est le nom ancestral de notre divinité protectrice, à un sens profond. Nouer des fils est musubi. Relier des gens est musubi. Le cours du temps est musubi. Ce sont autant de facettes de la puissance divine. Ainsi les tresses que nous tissons sont un art divin et représentent le fil du temps lui-même. Les fils dansent, s’entremêlent, se démêlent et se brisent. »
Je ne partage pas la perception du journaliste, mais j'aime beaucoup ce passage : "Dans ces instants de grâce, Your Name ressemble à une polyphonie éraillée. Les voix de Mitsuha et de Taki, condamnées à n’être que de lointains échos, entamant un fascinant discours asynchrone sur la disparition et l’absence." Probablement le sentiment de perte (sans objet) qui rend cet animé si émouvant et met les larmes aux yeux de Taki et Mitsuha sans qu'ils sachent pourquoi.

20 décembre 2016

Titanic sur l'Hudson River

En 2009, Chesley Sullenberger a réalisé un amerrissage d'urgence sur l'Hudson River, sauvant d'un crash quasi-certain les 155 personnes à bord de l'Airbus qu'il pilotait. Dire cela n'ôte rien au suspens* de Sully, le film qu'en a tiré Clint Eastwood, même si, comme moi, vous avez loupé cet événement à l'époque. Le film démarre en effet après le sauvetages des passagers et reconstitue peu à peu les événements. L'usage des flashbacks est doublement intelligent : la structure narrative épouse à la fois le trauma (renforcé par les cauchemars du pilote, qui voit son avion se crasher) et l'enquête menée par le comité des transports, lequel, au lieu de remercier le pilote d'avoir ramené les passagers sains et saufs, lui reproche le non-respect des procédures (alors que c'est justement l'instinct du pilote qui a permis d'éviter le pire). D'où les doutes, la bataille et la fin très hollywoodienne, lorsqu'on revient une dernière fois sur le moment du crash, non plus en image, mais à l'écoute de la boîte noire : les enquêteurs ne peuvent qu'être impressionnés par le sang-froid du pilote et de son co-pilote (même pas un fuck ou un my God). Fierté, fin du trauma, et consécration du héros, après avoir rappelé toute l'ambivalence de la notion, déjà questionnée dans American Sniper (sauveur / je-n'ai-fait-que-mon-travail / a-t-il fait son travail ? a-t-il voulu jouer les héros ?).

* On a beau savoir comment l'histoire se finit, l'épisode de l’amerrissage déclenche une furieuse envie d'attraper le bras de son Palpatine. Brace for impact. Cela secoue toujours de s'identifier à un personnage confronté à sa mort. Mais c'est pour mieux partager ensuite l'émerveillement du rescapé devant le miracle, devant le simple fait d'être en vie.