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01 novembre 2016

Bridget Jones 3

Jamais 2 sans 3 ou les plus courtes sont les meilleurs, Bridget Jones Baby balance, comme son héroïne entre Patrick Dempsey et Colin Firth - comme d'hab', a-t-on envie de dire, sauf que cette fois, il est au moins autant question d'ADN que de coeur puisque Bridget ne sait pas duquel elle est enceinte. Du coup, malgré quelques bonnes répliques et une caricature fun des petits jeunes en hipsters, je trouve ça tout de suite moins drôle (même s'il ne faut pas occulter que les deux premiers films étaient déjà moins drôles que les bouquins). Ce qui était mignon à 20 ou 30 ans l'est nettement moins à 40 ans, où la loose botoxée commence à virer au pathétique. À force d'être vu et revu, cela ne ressemble plus à grand-chose. OK, c'est haut en couleurs, on ne s'ennuie pas, mais tout de même, ce bordel, ça commence à être fatigant et on espère ne pas en être là dans 10 ans. Alors on rit encore un peu, oui, mais parce que ça craint. Bien plus que le pull-renne de Noël qu'on retrouve en forme de clin d'oeil à la fin du générique (de la salle blindée, j'ai été la seule à en profiter). 

16 octobre 2016

Le cul entre deux océans

Aussi pressé et tiré par les cheveux soit-il, le mélo fonctionne toujours sur moi, pourvu qu'il dévaste de beaux visages dans des paysages à la dimension de la tragédie (fut-elle intime). Une vie entre deux océans (océan de culpabilité, océan d'amour) remplit le cahier de charges en échouant une embarcation sur une île quasi-déserte, à l'exception de Michael Fassbender et Alicia Vikander, gardiens du phare.

Un mauvais choix, suivi d'un autre mauvais choix allant à l'encontre du premier, et le visage lumineux d'Alicia Vikander (auquel j'associe la vitalité de Mathilde Froustey, à qui elle me fait toujours autant penser) se referme tandis que celui de Michael Fassbender joue la polysémie : le mutisme de l'homme qui rend son entourage serein en s'occupant de tout en vient à cacher-révéler la culpabilité qui le ronge depuis bien avant les faits, son passé de soldat comme péché originel. Cet homme a ce truc qu'ont peu d'acteurs : une profondeur épidermique, la capacité de tout suggérer par une chorégraphie d'infimes mouvements.

Pour l'épanouissement lacrymal et soupirant du spectateur, le duo est complété par Rachel Weisz, magnifique en mère éplorée. J'ai écrasé ma petite larme et j'ai même trouvé plus joli que cliché ce mantra de résilience : on ne pardonne qu'une fois, quand tenir rancune est un travail de ressassement, de tous les instants. Amen et bon vent.

La fin du monde, juste

J'avais beaucoup aimé Les Amours imaginaires, puis je me suis ennuyée à mourir devant Laurence Anyways, au point de ne pas donner une chance aux films suivants de Xavier Dolan. Juste la fin du monde m'a cependant fait de l'oeil, à cause de son acteur principal. Qu'il s'agisse d'une adaptation, d'une pièce de Jean-Luc Lagarce, promettait en outre de limiter les débordements du jeune réalisateur au niveau du scénario (de fait, un seul clip, comme un cheveu sur la soupe). Alors j'ai tenté, et grand bien m'en a pris parce que, même si le film est parfois un peu poussif, ça transpire l'humain.

Louis (Gaspard Ulliel, qui s'appelle décidément souvent Louis ces temps-ci) revient dans sa famille après douze ans d'absence pour annoncer sa mort prochaine. Je ne spoile rien, tout cela est dit dans les cinq premières minutes du film. On ne sait pas de quoi souffre le jeune homme, ni à quelle échéance il est condamné, mais cela importe peu : cette mort annoncée, connue seulement du public et du principal intéressé, sert surtout de clôture. Il n'y aura pas de prochaine fois ; tout doit se jouer ici et maintenant, dans un huis-clos intense qui n'est pas sans rappeler Carnage. Les personnages s'empoignent avec la même (absence de) politesse et la même violence, dans un même mélange d'attraction et de répulsion : on aime ce frère-fils-beau-frère admirable ; on l'aime tellement qu'on le déteste de ce que lui ne nous aime pas, pas assez, pas autant. La caméra, braquée sur les visages en gros plan, ne laisse aucune échappatoire, aucune possibilité de prendre du recul, aussi accablante que la chaleur subie par les personnages. C'est viscéral, et très intelligent.

Le terme de "non-dit" revient dans toutes les critiques que j'ai lu, pour caractériser les tensions entre les personnages. Pourtant, les choses sont dites : de biais, de travers, maladroitement, mais elles sont dites, lors de face-à-face successifs dans des pièces isolées. Comme un Cluedo.

Dans sa chambre, la petite sœur de Louis (Léa Seydoux, sensible et butée) lui dit son admiration, et sa déception aussi, qu'il ne s'occupe pas plus d'eux, même si elle ne veut pas lui reprocher quoi que ce soit.

Dans la cuisine désertée, la belle-sœur (Marion Cotillard, parfaite de balbutiements) lui dit qu'elle n'a rien contre lui, mais ne veut pas être mêlée à tout ça, prise à partie.

Dans le cabanon du jardin, sa mère (Nathalie Baye, caricature surmaquillée) lui dit qu'elle ne le comprend pas, mais qu'elle ne l'en aime pas moins, et l'enjoint à encourager les autres, cette fratrie dont il s'est défaussé. Ils ne veulent pas des réponses, ils veulent de l'amour.

Dans la voiture du frère qu'il a accompagné chercher des cigarettes, enfin, celui-ci (Vincent Cassel, presque faux tant il marque son hostilité, au mieux taciturne) met les points sur les i : il refuse d'être mis dans sa poche ; il ne se fera pas embobiner par les petites magouilles langagières du grand auteur.

Tout est dit. Il n'y a pas quelque chose à dire qui serait tu ; il n'y a rien à dire à cet étranger de la famille, qui ne cesse de sourire, par nostalgie, pour s'excuser. Après douze ans de cartes postales, le small talk sur les photos des enfants et les poules du voisin sonne faux ; on attend autre chose : des updates dignes de ce noms, des déclarations, des explications, des amandes honorables, mea culpa, tout ça. Mais de chaque côté, la vie a passé et il est difficile de la résumer ; il n'y a pas grand-chose à en dire, c'est comme ça : la famille qui macère dans sa médiocrité et l'auteur à succès qui, s'en étant arraché, n'a jamais eu envie de revenir. (On comprend vite pourquoi ; l'erreur n'était pas de partir, mais de revenir. Sans retour, cependant, pas de film… d'où cette mort annoncée.) Il n'y a plus rien à dire, il n'y a plus qu'à gueuler, à pleurer, à taper. À partir, une bonne fois pour toute, une dernière fois.

15 octobre 2016

La Danseuse

Dans Philosophie de vivre, ma lecture du moment, François Jullien oppose effectif et déterminatif, i.e. la chose en train de se faire et celle, devenue identifiable, que l'on peut nommer : lorsqu'un phénomène est devenu assez saillant pour être déterminé, il est déjà sur le déclin, déjà engagé dans une métamorphose distincte de l'essor qui a rendue son émergence effective. C'est précisément ce qui rend le film de Stéphanie Di Giusto si juste, si beau : lorsqu'on identifie "la danseuse" comme Loïe Fuller, lorsqu'elle coïncide avec le personnage de l'histoire de la danse, elle n'est déjà plus l'artiste intrépide qui a lutté pour concrétiser ses projets, portée par son désir de mouvement.

Passé le surgissement, le geste chorégraphique tend à disparaître derrière l'exercice physique et la machinerie technique : le film nous montre une Loïe couverte de bleus (à cause du dispositif qu'elle porte pour faire bouger les mètres et les mètres de tissu de sa robe), les yeux injectés de sang (à cause des éclairages) ; on finit par moins la voir danser que s'entraîner avec poids et machine, et préparer, dessins techniques et brevetables à l'appui, les dispositifs scéniques qui l'ont rendue célèbre. Pour parachever la chute-apothéose, la réalisatrice lui prête une aventure malheureuse avec Isadora Duncan (Lily-Rose Depp en nymphette sadique, digne du personnage de Veda dans Mildred Pierce) : "C'est elle, la danseuse" dira Loïe, il est vrai plus artiste que danseuse.

Ses danses serpentines, hier copiées, sont déjà en voie d'être dépassées, même si elle s'y régénère comme un phénix, disparaissant sous ses voiles pour mieux s'inventer. Une fleur, un calice… Jamais une danseuse. "C'est ma robe qu'ils aiment, pas moi" pressent la jeune femme, terrée dans un coin alors qu'on l'attend pour une soirée en son honneur – créer pour être vue, pour être aimée, pour vivre un peu plus : au-delà du spectacle, éphémère ; en-deça de sa répétition à l'infini, délétère.

C'est ce qui est très beau dans ce film : comment fait-on pour s'inventer ? pour perdurer ? pour vivre et pour mourir, quoi. Loïe sait exactement ce qu'elle veut et le veut jusqu'à la tyrannie, jusqu'à devenir elle-même et ne plus savoir que faire de cette tautologie. Comme une fin de l'Histoire, c'est la fin du film et la fin de Louis, ce personnage fictif de mécène-ami-amant assez critiqué (Loïe Fuller, quoique brièvement mariée, était lesbienne), mais qui se comprend si on le voit comme une figure du destin, un double de Mary Louise Fuller (il assiste à la naissance des danses serpentines, offre à la danseuse un voile de soie plus léger et c'est encore son argent qui permet à Louise-Loïe de traverser l'Atlantique…).

Si l'on est honnête, c'est aussi (surtout ?) l'occasion d'offrir au public féminin hétérosexuel un joli moment de Gaspard Ulliel, et de nimber d'une beauté nostalgique supplémentaire Mélanie Thierry, dans le rôle de Gabrielle, la véritable amante de Loïe Fuller, ici gouvernante fidèle. Il fallait bien Soko, dont la réalisatrice souligne qu'elle "peut être à la fois sublime et ingrate", pour faire ressortir chez chacun une beauté plus brute – traits que l'on tire sur le visage des jeunes premiers.

Un premier film, vous imaginez ?