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28 juin 2015

Far from the madding crowd

 

 photo Carey-Mulligan-sourire_zpsm7r3qmge.jpg

 

Bathsheba Everdene donne envie de se laisser aller à l'onomastique, tant le personnage joué par Carey Mulligan dans Far from the madding crowd a du caractère et de la fantaisie. Indépendante mais pas farouche, souriante mais déterminée, la jeune femme administre d'une main de maître la ferme dont elle vient d'hériter, sans songer à prendre un homme à ses côtés. Eux y pensent pour elle. Ils sont trois :

Gabriel, le voisin de sa tante, qui, par un retournement du sort, se voit contraint de se faire embaucher : il devient le berger de Bethsheba – et son subordonné (pas gagné),

William, le propriétaire fermier voisin, dont l'amour s'embrase suite à une plaisanterie équivoque (attention à la pitié dangereuse),

et Frank, soldat en uniforme rouge, aussi élégant que gaulois.


Commence alors une valse à trois temps :

Gabriel, le camarade, le compagnon, l'homme sur qui l'on peut compter pour sauver la récolte, les moutons et vous aimer,

William, le protecteur plus âgé, l'admirateur qui veut vous couvrir de robes, de bijoux et de chastes baisers,

Franck, le séducteur, qui sait vous émoustiller.


Gabriel, tendre ; William, passionné ; Franck, sensuel... chaque personnage est pourtant plus fouillé que son seul rôle l'exigerait :

Gabriel ne restera pas éternellement Lassi chien fidèle ; il est bien décidé à partir sans se retourner une fois sa maîtresse bien établie et, entre-temps, n'admet pas d'être malmené, ripostant aux coups d'orgueil ;

William n'est pas l'amoureux transi inoffensif que ses bredouillements laissent penser ; son obsession confine à la folie ;

Franck n'est pas le séducteur désinvolte et sans scrupules que l'on imagine ; s'il n'a plus de parole, c'est qu'il l'a donnée à une autre femme, qu'il a aimée et perdue, n'étant pas parvenu à l'épouser.


L'art et la manière d'aborder Bathsheba :

à peine la connaît-il que Gabriel la demande en mariage ; Bathsheba dit non au mariage, non pas à Gabriel lui-même, qui ne le comprend pas ;

William lui aussi la demande en mariage ; Bathsheba ne dit pas non au mariage de raison, auquel elle peine pourtant à se résoudre, ce que William ne comprend que trop bien ;

Franck, lui, ne demande qu'à l'embrasser et, n'ayant pas de réponse de la demoiselle au souffle coupé par une démonstration d'épée, le fait et se fait épouser.

 

On est bien heureux qu'il n'y ait plus aujourd'hui besoin de se marier pour s'apercevoir que le désir et l'amour ne coïncident pas forcément, car le motard, nouvel avatar du soldat à cheval, l'emporte encore et toujours sur le grand cœur friendzoné. Il faudra dans le cas de Bathsheba moult hasards pour rectifier le tir et l'on n'a pas toujours, dans la vie, ces mêmes habilités narratives1. Alors par pitié, fières mesdemoiselles, n'étouffez pas le désir que l'ami amoureux fait naître chez vous ; et par pitié, messieurs silencieux, ne brûlez pas les étapes, ne vous emportez pas tant que le désir n'est pas là, mais dites-le lorsque vous êtes amoureux.

Il serait tout de même dommage de vous faire couper l'herbe sous le pied, surtout si votre bienaimée est aussi belle et impressionnante que Bathsheba Everdene / Carey Mulligan. Elle ne m'avait pas émue plus que cela lorsque je l'ai découverte dans Shame, mais là, quelques années plus tard et quelques siècles en arrière, j'en suis tombée amoureuse : ce sourire ! ces quenottes ! ces fossettes ! et ce regard malicieux ! Les robes victoriennes n'y sont peut-être pas entièrement étrangères tant, longues et cintrées, elles conviennent aux silhouettes sveltes. Je me souviens que Kaya Scodelario dans Les Hauts de Hurlevent m'avait fait le même effet. Corps frêles et fortes têtes dans une campagne juste ce qu'il faut de sauvage2... ah ! soupirez, soupirez !

 

 photo Carey-Mulligan-robe-bleue_zpsebvshhp9.jpeg


1
 Ce ne sont pas seulement des coups de théâtre fort commodes pour arranger la situation et mener à un dénouement heureux, comme on peut en avoir dans les comédies de Molière ; ces retournements constituent aussi des points de rupture dans la psyché et modifient en profondeur les relations que les personnages peuvent entretenir, au point qu'il n'y a plus de retour en arrière possible. Il se passe quelque chose et ensuite c'est comme ça. La première fois que j'ai pris conscience de la puissance narrative ces micro-événements altérants, c'est dans Thinks... un roman de David Lodge.
2 OK, très sauvage (et boueuse et tourbeuse) dans ce Wuthering Heights.

27 juin 2015

L'homme est un dinosaure pour l'homme

Incarnée au cinéma par le savant fou plein de bonnes intentions, l'hybris de la tragédie grecque a encore de beaux jours devant elle. Après Iron Man qui crée Ultron pour sauver le monde (de l'homme), voilà que les savants de Jurrasic Wolrd créent un nouveau dinosaure de la mort-qui-tue pour divertir l'homme (de la mort). Afin d'obtenir un monstre qui soit tout de même un peu plus terrifiant que le T-rex – so old –, l'équipe a imaginé un dinosaure génétiquement modifié. Comme du maïs, sauf que là, c'est le maïs qui te mange. Quelle différence avec les anciens dinosaures, qui étaient déjà issus de manipulations génétiques ? demanderez-vous en inspecteur des travaux innovants. On ne s'est pas servi de l'ADN de la grenouille pour combler les trous du génome, non, on a pris celui de tel reptile ou batracien pour telles et telles de ses terrifiantes qualités : le dino star est délibérément génétiquement modifié. Maurice a encore dépassé les bornes des limites. On reproduit toujours ses erreurs... et les blockbusters.

On prend les quasi-mêmes, donc, une armée de savants, un milliardaire, des dinosaures, deux blondinets pas forcément blonds et on recommence. Mais comme toute chose qui se répète, Jurassic World transforme l'horreur de Jurassic Park1 en comédie. On y meurt de manière très propre, gobé plutôt que croqué – ou alors à distance, via des panneaux qui retransmettent les constantes vitales des soldats vétérinaires (la vidéoprotection, messieurs dames). Les victimes ne suscitent aucune empathie, elles sont là pour corser la fuite des héros en culotte courte. Ou plutôt de leur tante et de son acolyte, dresseur de raptors. Les vraies vedettes du film, ce sont eux : la rousse sans cœur au carré parfait qui finira humaine et échevelée après avoir passé deux heures à courir en escarpins, et le boyfriend badass. En leur compagnie, on prend plaisir à ce que les choses aillent de mal en pis, jusqu'à ce qu'ils aient, comme dans The Age of Ultron, the Vision et décident de traiter le mal par le mal. T-rex et dino-OGM ; Jurrasic Park et Jurassic World : *it's a small world after all*.

(Tout ça parce qu'on n'a pas voulu tuer la bestiole quand il en était encore temps : l'humanisme tuera l'homme.)

(Je ne me pardonne pas d'avoir à ce point manqué d'à propos et de ne pas avoir prévu de Dinosaurus pour la séance.)


1
 Le premier volet est le seul que j'ai vu. Et encore, vu est un bien grand mot, étant donné le nombre de scènes aperçues entre mes doigts – j'étais petite, oh !
Pour être tout à fait honnête, j'ignorais même que deux autres films étaient sortis depuis l'épisode du moigneau, il est où le moigneau ?

14 juin 2015

De Dusapin et Duruflé

Concert du lundi 8 juin avec le Münchener Kammerorchester et le Rias Kammerchor

Geistliches Lied op. 30 m'a tellement plu que je suis prête à réviser mon préjugé contre Brahms. Il faudra voir s'il n'a pas triché, car j'ai un faible pour les choeurs et il est facile par là de m'émouvoir. Les mains d'Alexander Liebreich y sont peut-être aussi pour quelque chose, précises comme celles des danseuses indiennes et fluides comme une danseuse classique en rêverait. J'adore la manière qu'elles ont, après avoir intimé aux instruments de la boucler (boucle dans l'air), de faire respirer les dernières vibrations dans le silence (lente ouverture, caresse prolongée).

Pascal Dusapin continue de me fasciner. Quelques mois après Penthesilae1, je découvre Disputatio, composition cristalline sur un texte d'Alcuin, savant du VIIe siècle. Le dialogue maître-élève rappelle la dialectique socratique, sans qu'il y ait jamais l'amorce d'un raisonnement : le monde se saisit par la définition de ce qui est, définition mi-tautologique mi-poétique appliquée à tout et à rien. On n'est pas loin des élucubrations grammaticales et pour ainsi dire surréalistes d'Aristote lorsqu'il s'attache à montrer qu'une chose ne peut pas à la fois être et ne pas être. Alcuin a bien retenu la subtilité (une chose ne peut pas être elle-même et son contraire en même temps et sous le même rapport) et la tourne sous forme de devinette : qu'est-ce qui à la fois est et n'est pas ? Rien, répond le disciple, car rien est par le mot et n'est pas par la chose. Le disciple est un choeur de trois jeunes femmes aux voix incroyablement pures et aiguës, qui vous tiennent des Quid est aux « i » infinis. Associées à l'harmonica de verre, ces voix, bien plus que les définitions qui sont données comme réponses à leurs questions, donnent le monde comme transparent. Le maître, incarné par un choeur mixte plus nombreux et plus grave, vient polir ce que cette curiosité aiguë peut avoir, dans sa fragilité, de blessant pour nos oreilles. Et le dialogue passe, dans un souffle.

À l'entracte, nous confions une banane au « gardien de la nourriture » et c'est l'estomac serein que nous abordons le Requiem de Duruflé. Contrairement à la première écoute, ce n'est pas tant le choeur qui me subjugue, même s'il est de toute beauté, mais la mezzo-soprano. Assise sur sa chaise, les pans d'une veste délirante tombant en froufrous de néoprène de part et d'autre, son allure déjà m'étonne en me rappelant le personnage dessiné de Robin Wright dans Le Congrès : même coupe de cheveux, même dos très droit, même port de tête, cou étiré. Sa voix se révèle tout aussi étonnante ; je ne l'aurais pas soupçonnée si forte, si belle, sortant d'un corps aussi mince. L'alliage germano-grecque ? Il faudra que je me souvienne du nom de Stella Doufexis pour l'écouter à nouveau.


1
« Après plus de deux années consacrées à la composition de mon opéra Penthesilea, où tous les protagonistes se déchirent et se massacrent comme des fauves pour aboutir à un néant mortifère total, aborder les profondeurs sereines d'un jeu de questions-réponses ontologiques m'a fait beaucoup de bien... » Pascal Dusapin, note du programme.

06 juin 2015

Jet-laguée de la life

affiche avec la tortue affiche 3 perso

Laggies, titre plus évocateur que Girls Only.
A comedy about acting your age.

 

Megan (Keira Knightley) est tellement en décalage avec son groupe d'amies trentenaires qu'on se demande si ce sont encore des amies. Au mariage d'une d'entre elles, le petit-copain-de-toujours de Megan la demande à son tour en mariage et là, bah là, elle a un truc urgent à faire – genre fuir. Sous couvert de séminaire personnel, elle s'achète une semaine de tranquillité pour faire le point, i.e. joyeusement régresser avec Annika (Chloë Grace Moretz), la gamine d'à peine 20 ans qu'elle a rencontrée sur le parking d'un centre commercial et chez qui elle va squatter.

Mine de rien, une semaine, c'est assez pour s'apercevoir qu'elle a grandi et s'est affranchie des conventions complex(ant)es des années lycée... que suivent toujours à la lettre ses amies trentenaires, sérieuses comme des bouddhas sans tétons. Découvrant avec Craig (Sam Rockwell), le père d'Annika, qu'on peut devenir adulte sans renoncer à sa fantaisie, l'adolescente de 28 ans qui compte sur son papa pour lui dégoter un petit boulot dans sa boîte va peu à peu cesser de se complaire dans ses twenties. On peut être responsable (Craig exerce comme avocat et prend à cœur l'éducation de sa fille) sans tirer son sérieux du conformisme ambiant.

On pourrait évidemment déplorer que la maturité arrive par un homme plutôt que par un métier, mais 1° on est dans une comédie romantique et 2°, comme le dit Craig, ce n'est pas votre situation qui vous donne votre place dans la vie ; il lui faut encore trouver la sienne, alors même qu'il est père et avocat. J'ai trouvé ça très juste ; j'ai beau habiter dans mon studio, avoir un CDI et rempli ma première déclaration d'impôts, je ne m'en sens pas plus adulte pour autant. En revanche, les relations que j'entretiens avec moi-même, mes amis, Palpatine, mes peurs et mes envies, ça, ça devrait faire une différence dans mes thirties.

 

 photo laggies-keira-tortue

 

Cela étant dit, la première raison d'aller voir ce film reste la scène où Keira Knightley, à quatre pattes dans le jardin, essaye de donner à manger à une tortue anorexique, mastiquant dans le vide, une banane à bout de bras.

 

Megan et la tortue