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04 octobre 2009

Soirée Edvard Grieg au théâtre des Champs-Elysées


Jeudi, c’était une autre première pour la souris : concert de musique classique. Un billet de dernière minute – à noter que le TCE a la dernière minute plus souple que l’opéra : les guichets ouvrent une heure et non quinze minutes avant le début du spectacle (à 20h et non 19h30 en plus, ce qui laisse le temps de remonter jusqu’au Pomme de pain s’avaler un sandwich, condition sine qua non pour profiter pleinement de sa soirée). Huit euros plus tard, je me retrouve donc dans un fauteuil d’orchestre.
Ce n’est pas à une journée près que je connais rien de plus à la musique, mais c’est très amusant d’observer une brève rencontre entre l’enthousiasme de Palpatine et celui d’une dame inconnue. Alors qu’il s’empare de son programme et qu’il se demande à haute voix qui dirige (oui, se demande, parce que si la question m’était adressée, elle aurait été purement rhétorique), une dame à côté lui souffle « Kurt Masur », comme elle aurait lu sur le menu un plat particulièrement alléchant. Puis en stichomythie viennent la pianiste et les chanteurs solistes ; petit canon d’enthousiasme. Je ne connais évidemment aucun de ces noms, mais quelque chose me dit que ça promet d’être chouette, parce qu’ils font exactement la même tête que lorsqu’on m’annonce Aurélie Dupont et Nicolas Leriche en distribution.

En première partie de soirée, Elisabeth Leonskaja et l’orchestre nous ont joué le concerto pour piano et orchestre en la mineur (j’ai le programme sous les yeux, vous vous en doutez bien – mais avec un peu de chance, je vais retenir – il faut se rappeler qu’à une époque (pas si) lointaine (une décennie, quoi), je ne connaissais pas le nom des étoiles de l’opéra). Passé un petit accrochage visuel en observant la pianiste bientôt cramoisie marteler son instrument jusqu’à en faire ostensiblement trembler le couvercle, la vision cesse de m’être encombrante. Elle ne me détourne plus de la musique mais m’aide à l’entendre : pour une quiche très Van Goghienne dans mon genre, voir qui a l’archer à la main et quand soufflent les cuivres aide à les discerner quand ils jouent en même temps. Par exemple, un certain son rapide et récurrent s’associe très clairement aux brefs coups d’archer des contrebasses.
Cette espèce de collage visuel et auditif trahit évidemment d’où je pars. Ressurgit alors le charmant souvenir de l’année test de formation musicale pour les danseurs au CNR : je suis absolument infoutue de discerner clairement les instruments lors de l’écoute d’un morceau. Question d’entraînement, vous me direz – peut-être que d’aller au concert et de voir l’orchestre me permettrait de développer une mémoire auditive via la mémoire visuelle (aucun doute que c’est celle qui marche le mieux chez moi, je n’ai pas eu besoin d’attendre les inutiles et ennuyeux cours de méthodologie en 6ème pour le savoir, moi que ça dérangeait, lorsqu’on me faisait réciter mes leçons, que l’on ne tourne pas la page au bon moment, puisque j’avais à l’esprit l’exacte disposition des lignes écrites dans la page : cela me prouvait qu’on ne m’écoutait pas vraiment et que l’on avait donc pu laisser glisser des inexactitudes - imaginez un peu le drame. Non, vraiment, psycho-khâgneuse était presque zen à côté).
J’étais donc tout à fait ravie que l’orchestre ait été sorti de sa fosse - enfin par rapport à l’opéra, parce qu’au TCE, on utilise bien peu la fosse (que je n'avais donc pas même remarquée) : hors concert, on ne fait rugir les lions que bande enregistrée, ce qui nous a valu un enregistrement pourri pour certaines parties du gala des étoiles. Genre son repiqué sur un cassette audio de répétition. Et qu’on n’aille pas me dire qu’on ne trouvait pas d’autres enregistrements de Paquita. Bref ; je digresse beaucoup aujourd’hui (ou seulement plus que d’habitude). Pour revenir à nos moutons tous de noir vêtus (mais pas brebis galeuses, hein, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit), je dirai bien platement que le concerto m’a bien plu. On peut apparemment le réécouter sur radio France, même si vous ne verrez pas l’éclat des instruments sur le fond noir des tenues de concert, ni la main de la pianiste, qui se suspend en l’air après que la dernière note ait résonné, et qui reste là quelques instants avant que les applaudissements ne viennent la déstatufier.

Suivait en seconde partie de soirée Peer Gynt, dont je connaissais sans le savoir certaines parties – par conséquent, vous aussi : si vous ne me croyez pas, allez vérifier (écoutez le matin et ce qui se passe dans la halle du roi des montagnes). L’histoire de Peer Gynt est totalement loufoque, traversée de femmes après qui court le personnage éponyme à travers le monde ou encore de trolls qui courent après lui, de leur pas si léger mais tellement enthousiasmant. En bref, ça courrait en tous sens, et cependant virevoltaient les archers. Après, ne me demandez pas pourquoi le récitant, Eric Génovèse, avec son visage tout lisse et pourtant exceptionnellement expressif, me faisait penser à une grenouille de dessin animé. Peut-être était-ce à cause de ses mimiques impayables, lorsqu’il mimait la frayeur de son personnage, ou qu’il attendait son tour de parole, assis derrière son pupitre, battant la mesure du pied droit, le visage réjoui levé vers le plafond, comme si la musique était un lâcher d’oiseaux qu’il regardait s’envoler. Ce n’est pas pour rien qu’il sort de la Comédie-Française. Sa diction répondait avec vivacité à la musique et s’y accordait parfaitement dans les moments où texte et musique se chevauchaient.
La part qu’occupent récitation, musique et voix (en même temps, sauf un passage du chœur a capella) varie sans cesse, et le « mélange de verve, de truculence et d’ironie », pour citer le programme and cut it short, était des plus réussis. On se laisse complètement emporter par cette histoire abracadabrante, dont on perd d’ailleurs vite le fil, soulevés par la musique qui s’enfle –j’adore quand la mer des archers devient houleuse. Y’a pas à dire, je me suis éclatée les mains en applaudissant. Saluts à n’en plus finir, et on repart jusqu’au rer comme de sales petits trolls.

03 octobre 2009

Wozzeck hören oder sehen ?

Mercredi dernier, Palpatine a pris la chose en main (i.e. moi et le gouffre me servant de culture musicale - métaphore habituellement réservée au cinéma, mais ça marche aussi) et m’a traînée à l’Opéra pour voir… un opéra. Ca paraîtra logique à beaucoup de monde, mais je n’y ai jamais vu que des ballets. Et le seul opéra que j’ai vu auparavant, c’était la Flûte enchantée au château de Vaux-le-Vicomte et il y a avait un peu de danse dans la mise en scène. Wozzeck, d’Alban Berg, c’était donc sinon une grande, du moins une petite première pour moi. Après la course pour gagner nos places de balcon obtenues à la dernière minute (enfin, à l’avant-dernière pour être exacte ; je n’ai pas encore reçu mon Pass jeune, parce qu’il paraît que mon adhésion à l’Arop n’avait pas encore été prise en compte – ne pas se demander pourquoi j’en ai reçu un mail le lendemain), il a fallu atterrir. Et là, force est de constater que je ne sais pas vraiment écouter et de reconnaître que l’oreille, ça s’éduque. J’ai mis un certain temps à synchroniser la lecture du prompteur avec l’écoute du texte allemand, et, tout en observant la mise en scène, à pouvoir entendre simultanément, quoiqu’en les distinguant, les voix et la musique. C’est un peu comme en danse, où il faut apprendre à désolidariser le haut du bas du corps afin de pourvoir ensuite coordonner les deux.

A la fin du premier acte, je commence à trouver mon rythme de croisière (gardez vos sarcasmes, je suis une cruche, ça sonnerait creux). De retrouver un peu d’allemand y aide bien : au tout début, impossible d’isoler des mots distincts dans les phrases prononcées ; puis en m’aidant du prompteur en français, je devine à retardement (rot – blot- tot, comme le refrain d’une comptine – oui, bon, je n’ai jamais été bilingue, hein, et c’est fou comme on perd vite en deux ans) ; à la fin, avec un coup d’œil en diagonale au prompteur, je devine par avance (« dunkel », yes ! – je sais, je m’amuse vraiment de pas grand-chose). N’empêche que ça me donne envie de refaire de l’allemand – pas au point de trouver les amphis à la fac, cela dit, faut pas déconner non plus.

Je ne connais rien à la musique ; je la ressens, je peux danser parfaitement en mesure (enfin presque, la plupart du temps, dirons-nous), mais l’écouter tout simplement, en restant immobile, j’ai du mal, la vision m’encombre. Tandis que la musique passe très bien en mouvements et que je pourrais presque dire que je l’écoute avec tout mon corps, mon oreille se perd dans les rythmes, la mélodie, la diversité des instruments, et le vocabulaire qui me permettrait d’identifier tout cela me fait cruellement défaut. Il m’est donc impossible de vous parler de cet opéra proprement dit - de dire que cela m’a paru… étrange n’avance strictement à rien.

Heureusement, même si les voix ajoutent à la difficulté de l’audition, Wozzeck est tiré d’une pièce de Büchner et l’intrigue, étant bien plus qu’un prétexte à la musique, permet à la novice (le mot technique pour « cruche ») que je suis d’entrer (un peu) dans cet opéra. Je ne vous ferai pas de résumé de l’action, vous trouverez cela ici si cela vous amuse, et ne me livrerai pas à un décorticage dans les règles, d’autant que ma paresse vous dira qu’il a déjà été mené à bien là (un petit extrait pour la route pour ceux qui ne cliqueront pas : « Œuvre de la déliquescence jusqu'à la perte au sens Absolu de soi, Wozzeck explore tous les travers imaginables du faillible, de la pauvreté et de la misère humaine, sachant que pauvreté et misère ne nous adviennent pas toujours que par le statut social. Ce qui y est perdu est précisément l'Absolu sans lequel la vie ne peut se faire. » - tant qu’on est dans le repiquage, je garde la formule d’ « opéra de l’absurde » de Palpat' ) Il est d’ailleurs curieux de constater que cette fan d’opéra se lance dans une analyse de la pièce plus que de l’opéra (je schématise, bien sûr) – même si la musique doit certainement forger la perception que nous avons de l’ « histoire ». Ce doit être en partie parce qu’on ne fait pas sangloter les violons que le drame de Wozzeck peut être intense sans virer au pathétique pour autant. La mise en scène y contribue aussi par la banalité qu’elle expose : la caserne a été transposée en une grande cantine, derrière les vitres de laquelle des gamins s’agitent pendant quasiment toute la durée du spectacle. Je n’ai pas pu de m’empêcher de me demander d’où ils sortaient, si leurs déplacements étaient réglés (pour certaines entrées cela ne fait aucun doute), s’ils s’éclataient vraiment à courir partout sur scène et à sauter dans le trampoline gonflable ou si, justement, ces jeux réitérés chaque soir les gonflaient. Ah oui, je n’ai pas non plus capté pourquoi un pianiste restait planté côté cour sans jouer, à allumer et éteindre une lampe à des moments dont lui seul pouvait savoir qu’ils étaient clés. Questions pour le moins aussi existentielles que celles qui se posent à Wozzeck. Aussi curieuse (déplacée ?) la mise en scène soit-elle (et encore, apparemment, ils se sont calmés sur les couleurs par rapport à la dernière fois où il a été monté à Bastille), avec ce décor à la banalité étroite, « à la réalité, même pas sinistre, mais simplement rétrécie – et c’était peut-être pire-» * de cette cantine aux allures de hangar, la folie de Wozzeck s’expose sans exploser. A part un vol de chaussures dans lesquels l’amant (un bien grand mot pour un simili punk avec du bide, sur qui Marie n’a sauté qu’une fois avant d’implorer la Sainte éponyme de lui pardonner) a shooté, pas de cataclysme : c’est au milieu d’un décor immuable que Wozzeck implose.

Après la vidéo (d’époque, donc de piètre qualité) de la scène de la folie de Giselle par Olga Spessivtzeva …  vers laquelle B#2 m’a envoyée, on pourrait se demander si la folie est si reconnaissable que ça, tellement plus inquiétante de ne pas être surjouée ; la raison qui se décompose d’elle-même sans grand éclat. C’est malin, maintenant je n’ai plus qu’à lire L’Histoire de la folie de Foucault (auquel cas vous pourrez faire une pétition pour ne pas avoir de post là-dessus).

C’était la critique chaotique d’une souris décontenancée. Inquiétez-vous, ce n’est pas fini.

* Melendili aura reconnu Perec.

21 septembre 2009

Le gala des étoiles du XXI ème siècle, édition 2009

(rien que ça)

Ce gala a lieu tous les ans au théâtre des Champs-élysées, j’y avais assisté il doit y avoir un peu plus de quatre ans (ou alors j’avais zappé le compte-rendu blog). Bien que Lucia Lacarra ne soit plus programmée, l’affiche n’a pas changé depuis - le principe non plus : on réunit des étoiles de différentes compagnies, on leur fait danser des pas de deux du répertoire et le balletomaniaque compte les fouettés doubles (ou triples, selon les années). Il est parfois de bon ton chez le balletomane non maniaque de mépriser ces galas pot-pourri où la performance risque toujours de glisser promptement du sens anglais au français et le pas de deux de virer au numéro de cirque. Certes, le rapprochement annoncé de différentes étoiles prédispose à la comparaison qui a vite fait de déboucher sur un classement. Certes, la volonté de servir des morceaux de choix peut se traduire par un saucissonnage des grands ballets du répertoire d’où on extrait un pas de deux, dansé hors contexte. Certes, la juxtaposition des pièces n’est parfois pas très heureuse, même si l’on pourrait invoquer le principe de la variation (ce serait assez de saison) et du contraste « baroque » (c’est l’adjectif génériquement correct pour parler d’un bordel organisé).

Cependant – vous attendez les raisons que vous interpréterez comme prétexte si vous faites partie des balletomanes non maniaques, mais qui en sont vraiment- c’est l’occasion de voir des danseurs que l’on ne connaît que par youtube (l’Allemagne a beau être proche, se rendre à l’Opéra là-bas vous coûtera quand même plus cher que d’aller avenue Montaigne – à plus forte raison pour les provenances plus éloignées) et de faire quelques découvertes chorégraphiques.

Tout ne se vaut évidemment pas : si en fine bouche vous n’en faites pas qu’une bouchée, vous pourrez toujours apprécier tantôt le danseur, tantôt la chorégraphe (ou l’un en dépit de l’autre) – et si cela n’était pas le cas, vous pourriez encore vous livrez à une passionnante étude anthropologique du balletomaniaque. Via les applaudissements, notamment. Ils commencent assez doucement, ce qui est un phénomène habituel, puisqu’une salle a toujours besoin de se chauffer (il fait pourtant une chaleur de gueux au théâtre des Champs-Elysés, si vous avez une robe de soirée décolletée de partout, n’hésitez pas, cela vous épargnera d’utiliser la Terrasse en guise d’éventail – et d’acheter le programme si vous avez refusé le journal distribué gratuitement), et entretenu de ce qu’il est pris en compte, puisque le programme est plus ou moins composé de sorte à obtenir un crescendo.

Plus curieux sont la proportion qu’ils prennent pendant la coda des pas de deux classiques, où cela a été jusqu’à provoquer la suspension de la musique quelques secondes le temps que ça se tasse (et que le suivant puisse avoir une chance de danser en musique et non pas au rythme qui salue les prouesses de son partenaire). Avec la délicatesse et la précision de l’enfoncement précipité de la touche « pause » sur un transistor en pleine répét.

Lorsque Daniil Simkin est en scène, les applaudissements perdent toute règle de savoir-vivre, il semblerait que l’à-propos soit redéfini par le spectaculaire. Pas de quoi mépriser le « bon » public, d’autant que j’en fais partie : je préfère dire que sa bonhomie enfantine me fait sourire. Enfin, c’est quand même dans cette espèce de schizophrénie que se trouve l’origine de l’aveu : oui, la virtuosité du jeune prodige est réjouissante, mais non, je ne le reconnaîtrai pas. On voudrait profiter des infinis pirouettes du zébulon sans que les applaudissements intempestifs nous forcent à penser (nous fassent nous rendre compte ou nous fassent croire, c’est là toute la question) que c’est la prouesse technique qu’on admire, et non l’aisance scénique dont la technique ne serait que le complément de la présence.

En danse le brio, s’il est souvent attendu, est toujours un peu suspect de dissimuler un manque de sens artistique. Je me rappelle un concours de l’opéra où, dans la variation imposée de la fête des fleurs à Genzano qu’elle « dominait de sa technique », Mathilde Froustey nous narguait allégrement – mais aussi, c’est qu’elle savait bien que tout le public jouait ce jour-là au jury ; et dans sa variation libre, elle s’était adressée au jury comme au public, montrant qu’elle savait parfaitement ce qu’elle faisait (ça n’avait d’ailleurs peut-être pas plu, elle s’est fait sacquer cette année-là – mais aussi, l’intelligence qui s’affiche comme se sachant telle est souvent agaçante).

Et Daniil Simkin, me direz-vous ? Assurément, il manque encore d’étoffe par rapport à sa maîtrise, mais celle-ci étant telle et son jeune âge aidant, je n’en veux rien savoir et qu’on me laisse m’esbaudir tranquillement ^^

A présent que sur la forme je me suis mis à dos les fanatiques du gala et leurs détracteurs, le contenu !

La Belle au bois dormant ouvrait la soirée, non pas dans la version de Noureev ou de Petipa, mais celle d’Ashley Page, dansée par Sophie Martin et Adam Blyde, du Scottish Ballet. Je ne connaissais absolument pas ce chorégraphe, et sans que ce soit une révélation, je verrais plus amplement son travail avec plaisir. Les portés sont plutôt originaux, sans pour autant laisser la moindre impression de maniement acrobatique. Ce serait virevoltant si ce n’était fluide, qualité qui loin de gommer tout contraste accorde aux entrepas toute l’importance qui leur est due afin qu’ils exercent leur fonction de liaison. Une tranquille découverte, qui aurait gagné à n’être pas placé en tout début de soirée.

Le rideau se baisse après le premier pas de deux ; je trouve ça un peu étrange jusqu’à ce que Ana Pavlovic entre en avant-scène côté jardin et provoque le lever du rideau en y frappant : un seul coup, la pièce a déjà débuté. I.V.E.K., une création de Leo Mulic pour deux danseurs du Ballet National de Belgrade, commence comme elle se terminera (avec Andrei Colceriu) après sa fin : dans le silence. A en juger par les quelques vidéos qu’on peut trouver sur youtube, il s’agit visiblement d’une habitude du chorégraphe – pas si gênante qu’on pourrait le croire, s’il est vrai que la danse créé son propre rythme. On aurait presque l’illustration de l’interdépendance de la danse et de la musique : la mise en exergue de danse silencieuse nous conduit à entendre la musique d’une certaine manière et celle-ci, même une fois tue, continue d’influencer notre perception du mouvement. Cette pièce m’a beaucoup plue, mais comme j’aurais un peu de mal à vous donner une idée du style avec des phrases aussi tordues que «  les bras sont toujours en tension mais jamais tendus », et que la création n’a malheureusement pas encore été filmée (ou le film piraté), mieux vaut aller vous faire une idée en regardant B sonata du même chorégraphe, interprété par Drew Jacoby et Rubinald Pronk – que j’ai découvert avec ceci, qui me fascine au plus haut point.

Avec le Corsaire, morceau de choix ou de bravoure selon qui l’interprète, on arrive de plein pied dans la tradition du gala. Si Dmitry Semionov, quoique très on danseur, m’a paru un peu maigrichon (question de carrure plus que de finesse, contre laquelle je n’ai rien – bien au contraire), Polina Semionova était tout simplement sublime. Je tenais vraiment à la voir, et n’ai pas été déçue du déplacement. Ca peut paraître un peu bête à dire, mais elle est belle – pas seulement parce que c’est une fille ravissante, mais parce que sa danse est belle. Pas une fille mais une danseuse superbe. On devine dans le buste le travail à la russe ; plus que dans les bras d’ailleurs, c’est assez marrant. Grande et très fine, elle ne donne pourtant pas l’impression d’une liane (comme c’est le cas de Lucia Lacarra). Il reste en elle quelque chose d’athlétique – ou de puissance, si vous préférez, s’il est vrai que sa danse est incroyablement calme (même dans ses fouettés) et éloigne le pas de deux du Corsaire du tape-à-l’œil. Pour la première fois ou presque les paillettes ne m’ont pas paru de trop sur le costume. Aussi belle à l’œil nu qu’aux jumelles, le sourire magnifique qui sait rester discret… la grande classe quoi.

L’enchaînement est plutôt heureux, l’intensité de Bella Figura succède aisément au charme de Polina Semionova. J’ai découvert Jiri Kylian avec le ballet de l’Opéra de Lyon dans Petite mort – à tomber raide- et forcément, j’ai vu quelques extraits  de Bella Figura sur internet. D’en voir un nouvel extrait interprété par Aurélie Cayla et Yvan Dubreuil, danseurs du Nederlands Dans Theater, ne me donne envie que d’une chose : assister au ballet en entier.

Nouvelle plongée au fonds du non-nouveau pour trouver des inconnus de l’Opéra de Munich de l’inconnu avec le pas de deux de l’acte II du Lac des cygnes dansé par Daria Sukhorukova (je ne me répéterai pas deux fois) et Marlon Dino. Je suis sans avis sur ce dernier, « ne se prononce pas », comme on dit dans les questionnaires. Elle, en revanche… bien sûr, on trouvera toujours plus ceci, moins cela, et d’autant plus aisément que le cygne blanc semble avoir été dansé par la terre entière, mais j’ai bien aimé. Peut-être lui suis-je déjà reconnaissante d’avoir montré patte blanche et de ne pas avoir choisi l’éclat plus violent du cygne noir (que j’adore, il ne faut pas croire, mais en contexte, c’est mieux). Mais pas seulement : elle sait faire montre de finesse sans jouer la délicate. J’adore ses mains ; je devais avoir un problème avec l’articulation des bras à l’école russe ce soir-là, il faut croire (avec un pareil nom, oui, russe ; il semblerait que les Allemands aient un don particulier pour récupérer les danseurs de cette nationalité). Ce poignet quand elle est côté cour, de dos ! Oui, bon, on a le droit d’avoir des fixettes occasionnelles bizarres (pour d’autres ce sont les nez étranges – le sien n’était pas mal dans le genre, d’ailleurs) ; c’est pourtant plus souvent qu’il ne faudrait que les mains se trouvent comme des choses mortes au bout des bras… J’aggrave mon cas, vous dites ? Peut-être. Maman a trouvé le pas de deux un peu long ; simplement lent pour moi.

L’unique solo de la soirée était réservé à Daniil Simkin dans Les Bourgeois, une chorégraphie de Ben Van Cauwenbergh sur la chanson de Brel (tout est dans l’ancrage de la rime, hein). Le côté foutage de gueule est toujours réjouissant quand on peut aisément se le permettre. Ce qui est le cas. Glissades sautillantes. La clope au bec, entre Voltaire et Casanova, on pourrait dire : « épatant ». Ne comptez pas les tours, vous risquez de vous donner le tournis. Pour un peu, « la salle est en délire », mais que voulez-vous… les bourgeois, c’est comme les cochons, plus ça devient vieux, plus ça devient… : « Les bourgeois, c’est comme les cochons, plus ça devient vieux, plus ça devient… ». Il n’y avait pas trop de l’entracte pour que tout ce petit monde se remette de ses émotions. C’est qu’il se décoiffe le gamin qui ne paye pas de mine lorsqu’il salue ! 

Paquita n’était clairement pas un bon choix pour les danseurs de Belgrade, qui donnaient alors l’impression d’être une erreur de casting, quand bien même leur premier duo devrait le démentir. Andrei Colceriu n’est pas à la hauteur techniquement, et cela passe d’autant moins bien qu’il vient après mini-Baryshnikov (il y a l’entracte, certes, mais la mémoire d’un spectateur, même de poisson rouge, en excède la durée) et qu’il se renfrogne à mesure que ça se gâte. Ana Pavlovic est sans conteste plus à l’aise, mais la mayonnaise ne prend pas (elle a des jambes bizarres, en plus, bien que je n’ai pas réussi à décider pourquoi au juste – elle faisait juste musclée dans son justaucorps contemporain… le physique atypique devient presque disgracieux en tutu plateau.) Je préfère oublier cette seule mauvaise surprise de la soirée pour garder en mémoire I.V.E.K, dont le style leur convenait parfaitement.

Sophie Martin et Adam Blyde revenaient avec Aria, un extrait d’In the Light and Shadow, de Krzysztof Pastor (il est désormais évident que j’ai le programme ; je n’aurais pas eu le temps de relever l’orthographe sur le prompteur – bonne idée d’utilisation dérivée, soit dit en passant). Comme à leur premier passage, ils servent la chorégraphie sans se faire remarquer, et c’est déjà en soi remarquable. Ca l’est l’autant plus que celle-ci l’est également. J’aime bien ces duos qui ne sont pas forcément des pas de deux, où le couple peut danser côte à côte à égalité, sans que la distinction masculin/féminin doive sans cesse se faire sentir, et le danseur servir de faire-valoir à la ballerine. Pour avoir une idée du style, je pourrais vous dire que j’ai cru un instant que c’étaient les danseurs du Nederlands Dans Theater, mais il serait plus prudent de vous envoyer par là (heu en fait j'ai mis lelien plus haut)

Pour la deuxième partie de la soirée, Odette s’est réincarnée en Raymonda (j’avais prévenu que je ne me répéterai pas deux fois). Le couple de l’Opéra de Munich reste dans le tout classique, mais le choix de Raymonda ne manque pas d’élégance. Je ne sais pas si c’est de l’avoir un jour travaillée en stage, mais la variation de la claque m’en colle une à chaque fois que je la vois. La force devient formidable de retenue, et cela convient bien à notre danseuse russe (je ne pense toujours rien de son partenaire, sinon qu’il a l’air un peu ahuri).

Come neve al sole (ici en vidéo pirate avec Polina Semionova, décemment filmé avec Alicia Amatrian, la demoiselle hallucinante que j’avais vue dans le gala de Roberto Bolle Curieux hasard de tomber sur cette vidéo, les instants d’assurance désinvolte m’ont fait pensé à elle) était franchement réussi, tant au niveau de la chorégraphie de Rolando D’Alesio, très drôle sans jamais verser dans l’exagération du burlesque ou l’insignifiance de l’amusement, que de l’interprétation de Polina Semionova et Dmitry Semionov, cette fois-ci très raccords. Autant le danseur du Corsaire aurait été interchangeable, autant sa place est parfaitement justifiée ici ; c’est même une évidence quand on voit une telle complicité entre les partenaires. Son physique tout en finesse prolonge même la similarité créée entre les partenaires par un costume identique : le short noir (tunique pour elle, en réalité) et le T-shirt rose vif contribuent à gommer les différences sexuelles. Seules restent les longues couettes de Polina Semionova, donnant d’emblée le ton de cette charmante chamaillerie (on ne tire pas les couettes, cependant, mais les T-shirts, extensibles jusqu’à devenir robe – là, on moins, on est à égalité, l’un comme l’autre en sont pourvus). On rit évidemment des airs faussement boudeurs, mais une certaine désinvolture empêche la chorégraphie de tomber dans le piège d’une parodie enfantine : on obtient plutôt quelque chose comme une tendresse espiègle, qui n’est pas sans me rappeler par moment le morpion de Barber Violon Concerto, de Peter Martins. Ludique sans être futile, on ne se prend pas au sérieux. J’adore.

Suivait un extrait de Whereabouts Unknown (petite question à Bamboo : est-ce qu’on pourrait traduire par « tenants et aboutissants inconnus » ou est-ce que ça a un tout autre sens ?), de Jiri Kylian. Magnifique, encore une fois. Les éclairages nous plongent d’emblée dans l’obscurité dans une atmosphère de pénombre, où le clair-obscur qui sculpte les mouvements ralentis des danseurs donne l’impression qu’ils évoluent dans l’eau (nous, il n’y a aucune substance illicite dans mes céréales). Aurélie Cayla et Yvan Dubreuil sont à nouveau parfaits là-dedans.

La soirée se terminait en grande pompe avec le retour de Daniil Simkin dans Don Quichotte (What else ?), aux côtés de Yana Salenko, petite rousse (il vaut mieux, le jeune prodige n’est pas très grand) qui ne s’en est pas laissé compter par son partenaire. Il est certain que seule une fille à la technique sans faille peut danser avec un maniaque des multiplications qui vous colle un grand écart à chaque glissade un peu ample et rajoute des cambrés de malade à l’atterrissage de toute se diagonale de cabrioles. L’Ukrainienne de l’Opéra de Berlin (ils ont le coup d’œil sûr vers l’est, vous disais-je) a en outre une classe certaine, et l’intelligence de ne pas en rajouter (autant que cela est possible dans le pas de deux de Don Quichotte, s’entend) : chouette variation, piquante sans étalage, coda explosive.

Le final, arrangé sous la forme d’une coda géante a fait revenir tous les couples avec moult diagonales, manèges, sauts et tours (à la seconde à toute vitesse en se payant le luxe de changer de bras pour qui de droit), grands jetés en portés… lorsqu’un tutu blanc a pour symétrique un T-shirt rose fluo, c’est assez drôle. Bref, le grand défouloir, pour continuer sur la lancée de Don Quichotte. Puis les traditionnels saluts couple par couple, en ligne, femmes puis hommes, puis à nouveau par couple, etc. Les applaudissements atteignaient des pics avec Daniil Simkin et Polina Semionova – je me dis toujours que ce doit être frustrant pour les autres. La russe de Berlin avait résolu le problème : après ses variations, elle forçait un peu la main en saluant longuement (et on sentait le « oui, bon, ça va » du public à l’arrêt immédiat des applaudissements sitôt le noir fait). Observer les saluts est une partie du spectacle que j’adore ; certains sont un peu crispés (le phénomène), d’autres ont l’inclination de tête chaleureuse, et certaines encore de généreuses révérences.

Aussi inconstante ai-je été dans mon attention (une personnalité, un phénomène, une technique, une chorégraphie, une tradition/école), j’ai passé une très bonne soirée – seule la perspective de trois heures de répétition le lendemain m’a retenu de danser avenue Montaigne.

09 septembre 2009

Le funambule cherche l'équilibre entre Genet et Preljocaj

Samedi soir, au théâtre des Abbesses. Déjà, la catégorie sous laquelle est rangée le spectacle est bizarre, « danse-texte », avec son trait de désunion. Et du Genet est en soi étrange. Alors ce qu’est le Funambule de Genet et de Preljocaj, pas collaborateurs mais pas non plus simplement juxtaposés (le programme règle le problème en donnant une importance égale aux deux noms, situés de part et d’autre de la démesurée hampe rouge du « b » de « funambule » - que vient équilibrer celle descendante du « f »), je n’en sais trop rien. Si j’ai aimé, encore moins. Je n’ai pas aimé au sens où je pourrais dire « j’aime bien ça », et pourtant, malgré mon inclination pour les jeux de mots foireux, je ne peux pas non plus dire qu’il s’en est fallu d’un fil pour que cela ait été rasoir. Il va falloir trouver l’équilibre. Contrairement à ma voisine de droite, je n’ai pas regardé ma montre ; mais je l’ai vue le faire, et c’est suffisamment inquiétant – indice que j’avais l’attention flottante (à moins que ce ne soit au moment où la visibilité faisait défaut ?)

A un moment, le texte/Preljocaj dit que l’artiste n’est pas là pour occuper le spectateur, mais le fasciner. Pour ce qui est de la fascination, je crois que c’est réussi : le spectacle demande une attention épuisante, alors que voir de la danse est d’habitude pour moi une expérience d’a-tension, justement. On scrute : les moindres vibrations d’un début lent plutôt avare de mouvement (la captation des micro-gestes distillés exige une hyper-attention : la caresse de la table, qui agace la sensibilité du spectateur, finit par énerver un regard anesthésié), les paroles difficiles de lisibilité (Genet) et de diction (Preljocaj), la scénographie qui envahit de papiers la scène où Angelin s’ingénie à tracer son/des caractère(s).


 

 

Noyé dans une scénographie de ‘pas pied’


On peut s’émerveiller de trouvailles comme la table recouverte de papiers blancs et qui, convenablement éclairée, devient un tunnel à ombres chinoises, à expérimenter les déformations de l’ « image » de l’artiste ; ou comme les bandelettes de papiers qui tombent du ciel (enfin des tringles) et dans lesquelles il s’enroule, devenant un immense bougeoir immobile, la cire des bouts de papiers roulottés à ses pieds. Mais avec les rouleaux de papiers (non peints, mais il y remédie avec de la peinture rouge) qui tombent plus lourdement que les bandelettes, pour être de toute façon tailladés à coups de couteau ; celui, horizontal, qu’il fait se dérouler à la manière d’un tapis, d’un coup de pied (les spectateurs du premier rang ont du ranger les leurs), ou encore les paillettes qu’il fait voleter sur scène et dans lequel il se roule (un habit de lumière, oui, ça colle méchamment la paillette), les trouvailles se juxtaposent dans le temps comme dans l’espace sans grande cohérence. Parfaitement incongru, aussi, un moment où les lumières donnent une ambiance disco et Angelin se met à piocher dans un petit bol ce que l’on identifie comme des cacahuètes. J’ai ensuite vérifié auprès de Palpatine si je n’avais pas rêvé ou été complètement à l’ouest, mais il a confirmé, « c’était le moment sous LSD ». Bientôt les spectateurs la scène se trouve minée de cratères/caractères, noyée dans le papier où tente de surnager (j’ai d’abord écrit "surnoyé", mais, comme dirait ma prof de français de terminale, j’interprèterai moi-même mes lapsus révélateurs) le texte et le danseur – qui disparaît néanmoins du champ de vision des spectateurs côté cour pendant un moment.

 

En français danse le texte

 

Dans la bizarrerie et la fluctuation de l’attention, cependant, on grappille des choses. Je trouve Genet bizarre, mais les Bonnes, par exemple, m’avaient bien plues (encore de la fascination malgré – à cause de ?- quelque chose de dérangeant), et il y a dans le Funambule des traits qui touchent justes (parmi ceux qui peuvent nous toucher, ou plutôt que nous pouvons toucher du doigt, parce que quand même, il y a un paquet de phrases qui restent dans l’ombre).

Le funambule, c’est à la fois, très concrètement, Abdallah, l’amant de Genet, et une figure de l’artiste, de tout artiste, s’il est vrai que de fil en aiguille, l’écriture transparaît comme expérience similaire derrière le travail du funambule. Pour que ce soit moins le cirque (enfin, façon de voir, ce pourrait bien être l’inverse), Preljocaj a ajouté une résonance au texte ou plutôt l’a transposé dans l’intimité du danseur.

 

Que la solitude de l’artiste ne puisse advenir que sous des centaines de paires d’yeux (je n’ai pas le texte et le passage ne figure pas dans les citations du programme), c’est un paradoxe qui se comprend aisément pour qui est déjà monté sur scène, pour qui sait que la lumière qui l’éclaire dissout le public dans un néant obscur (et pourtant, il est là, on le sait, on le sent, il nous rend présent) – paradoxe presque palpable depuis la galerie où nous étions placés et d’où l’on pouvait presque aussi bien voir la salle que la scène.


 

[Entre lustre et cintre, l'impalpable frontière qui fait la solitude devant le public]

[Photo prise au théâtre Montansier, à Versailles - pas du tout le même genre que les Abbesses, c'est le moins qu'on puisse dire, mais un article trop long, ça s'illustre]

 

Puis il y a cette mort omniprésente, qui va au-delà de la chute mortelle qui semblerait résorber tout le problème en s’inclinant devant la loi de la chute des graves, sous la menace de laquelle évolue le funambule (si vous avez compris cette phrase dont je n’arrive pas à raccrocher les subordonnés, bravo, vous êtes aussi barge que moi). Une mort telle que la dépouille survient avant le cadavre (et le geste avant le corps ?) : « Veille de mourir avant que d’apparaître et qu’un mort danse sur le fil ». Ce mort, hologramme de vivant, on le retrouve sous forme d’image, celle que l’artiste projette et pour laquelle il doit renoncer à lui : «Ce n’est pas toi qui danseras, c’est le fil. Mais si c’est lui qui danse immobile, et si c’est ton image qu’il fait bondir, toi, où donc seras-tu ?». « C’est ton image qui va danser pour toi » - sa dépouille, je vous disais bien.

La mort gigotait sous son indéfinition, Preljocaj la dé-crypte : « Le texte parle beaucoup de l’effacement de l’interprète, de la mort de l’homme au profit de l’artiste », « Il parle tellement de l’engagement artistique, avec une syntaxe ciselée comme un diamant noir qui articule une pensée sur la mort, l’effacement, la mise en danger personnelle, physique, totale, qu’il est pour moi l’un des écrits les plus justes sur la danse. Ce mot revient toujours dans Le funambule, mais de façon décalée, comme métaphore pour parler d’autre chose. Et finalement, il se retourne comme un gant : ce texte prend une fulgurance étonnante quand on l’applique vraiment à la danse ».

Le danseur évolue en équilibre, pas dans les pas, assez ancrés dans le sol ; plutôt sous l’attention vacillante du spectateur (la flemme peut-être). Seul en scène, dans le vide, ce vide qu’il ne peut pas se remplir (ce serait du divertissement), qu’il tranche alors de ses gestes, comme il tranche les rouleaux de papier d’un couteau, et le texte, de ses mots.

 

L’association danse-poésie est cependant à double-tranchant : si elles se rehaussent parfois l’une l’autre, comme le fait traditionnellement le ballet avec la musique (et cette conjonction se produit justement lorsque la diction de Preljocaj est altérée par l’essoufflement, modulée par le rythme de ses gestes), elles s’éclipsent aussi, lorsque la poésie est dépouillée de son souffle, de sa valeur rythmique et musicale pour n’être plus entendue que comme une suite de mots difficilement compréhensibles puisque a-logiques. Cette tension entre son et sens se retrouve d’ailleurs dans la fréquence en pointillé de la musique, qui (lorsqu'il y en a) tantôt se substitue aux paroles, tantôt double la voix poétique. La tentation est alors grande de chercher à illustrer le texte par la danse (l’écueil est à peu près évité par Preljocaj), ou la danse par le texte (la tentation est grande pour le spectateur ; je ne pense pas y avoir entièrement résisté, parce que, selon le bon vieil adage d’Oscar Wilde, « the only way to get rid of a temptation is to yield to it »), et la déconvenue, proche.

Le mélange de danse et de lecture- récitation ne prend pas vraiment, même si à certains moments on veut croire qu’elles sont miscibles, quand Preljocaj se met à danser des enchaînements suivis. Reste de part et d’autre quelque bulles de mots ou de gestes à collecter ou à faire éclater. L’explication de texte pointe son nez ; ça manquait cruellement de danse.