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08 février 2015

Hong Kong : illuminations

À la sortie du métro à Causeway Bay, le regard est aspiré vers le haut, cherchant la lumière naturelle au-delà des enseignes lumineuses, dans le corridor de ciel laissé par les buildings. Je ne savais que que New York était aussi en Asie. Ce qui frappe, surtout, outre le monde et le bruit, c'est la saturation de l'espace visuel, dans une surenchère d'enseignes et de publicités. Reprenez votre souffle : bienvenue à Hong Kong.

 

 

On pourrait parler de tissu publicitaire, comme on parle de tissu urbain. Lorsqu'une fenêtre l'interrompt, c'est pour mieux refléter ce qui se trouve de l'autre côté, jamais bien loin.


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Avec mon goût pour les reflets, je suis aux anges. Surtout lorsqu'ils créent des concaténations de cultures, comme ici, où le Mc Donald s'insère dans les caractères d'un restaurant chinois (enfin, à en croire les lampions, parce que l'affiche suivante annonce des Legends of India).


 

Enseignes, publicités, imprimées ou lumineuses, à LED ou à néon, statiques ou clignotantes, ce brouhaha lumineux, que l'on associerait spontanément à Broadway, trouve sa quintessence dans le quartier de Kowloon.

 

 

Peu importe que ce quartier s'anime à la tombée de la nuit, on dit : Bonjour Kowloon !



Vous n'imaginez pas le nombre de boutiques qui portent des noms français – de manière plus ou moins pertinente. Vous déambulez tranquillement dans un centre commercial quand tout à coup... Tout à coup, enseigne vestimentaire. La frenchiness aurait pu faire l'objet d'un safari-photo, au même titre que les chèvres ayant envahi les devantures en prévision du Nouvel An chinois. Je ne me suis d'ailleurs pas remise du French Yvelines Chocolate Burger (sic !) croisé dans une « boulangerie » chinoise. Qu'est-il passé dans la tête du mec pour qu'il nomme ainsi une viennoiserie qui n'a jamais existé en France, pas plus dans les Yvelines qu'ailleurs ? Avait-il un ami habitant là-bas, qui, dans un grand moment de désert de placards, s'est fait des tartines avec du pain à hamburger ? C'est tellement improbable, j'adore la machine à suppositions loufoques que cela met en branle.

07 février 2015

Hong Kong souterrain

Les transports font partie intégrante d'un voyage et c'est d'autant plus vrai de notre séjour à Hong Kong que, notre hôtel étant excentré, nous avons beaucoup pratiqué le métro, à raison d'une bonne heure par jour. Le métro a beau être un non-lieu, qui court-circuite la ville, c'est un endroit passionnant à observer quand on est à l'étranger, justement parce qu'il n'y a a priori rien à voir. Dans ce huis-clos quotidien, on peut regarder les gens sans qu'ils se sentent dévisagés, observer leurs habitude et deviner leur mode de vie1. Petit tour des étonnements souterrains.

L'organisation. Châtelet est l'antithèse parfaite du métro hong-kongais, où l'on sait gérer les flux de voyageur comme nulle part ailleurs. Les interconnexions entre les lignes les plus empruntées se font non par sur une mais deux stations : on ne descend pas au même endroit selon que l'on veut emprunter la ligne suivante dans un sens ou dans l'autre. Il en résulte des changements hyper optimisés, où la ligne suivante se trouve en face sur le quai (les deux directions d'une ligne sont souvent superposées). C'est au premier changement que l'on découvre...

La discipline. Stupéfaction : les Hong-Kongais attendent le métro en ligne. En ligne ! La réputation des Allemands est totalement usurpée ; même à Berlin, je n'ai jamais vu ça. Les passagers arrivent sans se presser et se placent derrière les précédents, formant peu à peu deux petites lignes devant chaque porte, de part et d'autre de la flèche qui indique la place à laisser aux passagers pour qu'ils puissent sortir de la rame. Mieux encore : quand le métro est plein (c'est-à-dire, selon la conception parisienne, quand il y a encore de la place pour faire rentrer facilement dix personnes par porte), ils restent debout devant les portes ouvertes et attendent tranquillement qu'elles se ferment et laissent place au métro suivant, le nez dans leur smartphone. D'un coup, on imagine beaucoup mieux comment ce peuple peut faire corps et la titraille racoleuse des magazines économiques, façon La Chine en marche, prend une tout autre dimension. Les passagers du métro hong-kongais sont une armée en puissance.

Les lois. Il faut dire que, d'une manière générale, ça ne rigole pas. On ne mange pas et on ne boit pas dans le métro, ni dans les trains ni dans l'enceinte (the paid area). On ne fume pas non plus sur les quais menant aux ferry, ni ailleurs, en fait – à se demander où les fumeurs fument. Des amandes substantielles sont là pour vous en dissuader et vous discipliner. On vous travaille au corps – qu'il faut sain.

La phobie des microbes. Le sol est si propre que l'on pourrait manger par terre – c'est-à-dire si on en avait le droit. Je croyais que l'interdiction de boire et de manger dans le métro était une question de propreté, mais à voir les masques chirurgicaux portés ça et là (les passagers masqués sont loin d'être majoritaires mais ils sont tout de même en nombre non négligeable), il semblerait que ce soit surtout par crainte des microbes. Le soupçon est entériné par la fréquence à laquelle les toilettes publiques sont non pas nettoyées mais désinfectées : toutes les deux heures. Dans chaque cabine, une petite pancarte Flush after use vous rappelle à l'ordre, quand la chasse n'est pas à détection automatique (moyenne de deux chasses par personne, du coup). La seule fois où la propreté s'est vue au niveau des stations services des autoroutes françaises, c'est sur le site touristique du gros Buddha. Ah, ces saletés de touriste

La pudeur. Crainte des microbes ou pudeur, on ne mélange pas sa salive : je n'ai vu aucun couple s'embrasser. Les bisous que je fais à Palpatine dans le cou (puis un peu plus haut à mesure que la barbe repoussait) en deviennent le comble de l'impudeur. Tout juste se tient-on la main. Question tabou corporel, Palpatine pourra vous parler de sa surprise en découvrant sur un étal de journaux du porno chinois, que, contrairement au japonais, il n'avait jamais vraiment vu passer (le plus étonnant, c'est quand même d'avoir réussi à trouver des Chinoises avec de la poitrine, parce que, d'une manière générale, elles en ont à peu près autant que moi, c'est-à-dire pas). Tout cela risque de changer dans les années qui viennent, sous les assauts des sex-toys made in China, que l'on trouve parmi d'autres babioles, plus ou moins artisanales, au marché de nuit de Temple Street ! Pour éviter la frustration enfantine d'avoir un jouet mais rien pour le faire marcher, le dernier stand de la rue s'est spécialisé dans les piles. On a bien ri. Fourni sans piles.

La climatisation. Il n'y a pas de fenêtres dans le métro, mais on a quand même les cheveux qui volettent. Au premier courant d'air glacé, Bill Bryson s'est mis à clignoter dans ma mémoire et je me suis souvenue des États-Unis et de la polaire qu'en plein été, j'étais obligée de trimballer avec moi pour ne pas prendre froid. J'aurais préféré que l'américanisation s'en tienne aux Starbucks.

La taille. La taille des gens, d'abord, plus petits en moyenne qu'à Paris : Palpatine se sent inhabituellement grand ; une dame nettoyant le lavabo des toilettes lève les bras en riant pour me faire signe qu'elle me trouve grande (ou alors elle apprécie ma casquette gavroche, je ne sais pas, après tout). La prolifération des terrains de basket, partout dans la ville, dans les écoles, sur les toits, paraît encore plus curieuse quand on prend en compte ce critère de taille.
La taille des rames de métro, ensuite, comme des gratte-ciel couchés. La longueur est telle qu'à Paris, la tête du métro serait déjà arrivée à la station suivante quand la queue entre en gare. Il n'y a pas de wagon (comme dans la ligne 14), si bien que, lorsque le métro prend un tournant, dévoilant l'interminable alignement des barres, j'ai l'impression de retrouver cet ersatz d'infini que, petite, je provoquais à souhait, en me tenant entre les miroirs qui recouvraient les portes de la penderie de ma grand-mère, me transformant à moi toute seule en corps de ballet (je crois que mon goût pour les mises en abyme vient de là).

L'anglais. Tout, presque tout, est sous-titré en anglais, quitte à être plus royaliste que la reine. Le fameux Mind the gap, importé par habitude alors même que le gap est quasiment inexistant, se trouve ainsi parfois explicité : please, be aware of the difference of level between the the train and the platform. Bien plus que la conduite à droite ou les uniformes très private school des écoliers (les filles, toujours aussi peu gâtées avec des jupes droites sous les genoux), la langue est l'aspect le plus visible de l'héritage colonial. Et sûrement le plus avantageux : Hong Kong offre ainsi au touriste le dépaysement de la Chine sans les inconvénients de la Chine. Pour se convaincre de la barrière mise à bas, il suffit d'essayer de comparer le nom d'un restaurant donné en chinois dans le guide avec les idéogrammes, comme tracés à la main, de la devanture : compter le nombre d'idéogrammes distincts est encore le moyen le plus rapide de savoir si l'on se trouve au bon numéro, tant la graphie manuelle est différente de la dactylographiée !

L'écriture. Véritable challenge informatique que de permettre la saisie de centaines d'idéogrammes à partir d'un clavier de smartphone... Rien que pour ça, j'ai adoré lorgner sur les téléphones. N'ayant pas le moins du monde l'impression de m'immiscer dans la vie privée des gens, analphabétisme local aidant, je ne m'en suis pas privée : entre deux pages Facebook, j'ai pu observer deux moyens d'écrire des SMS en chinois. Le premier relève de l'OCR : on dessine l'idéogramme à main levée et le téléphone propose le caractère correspondant (ou ceux qui s'en approchent). Le second serait davantage « syllabique » : on compose l'idéogramme grâce à des touches qui reproduisent les traits de base, les touches proposées s'adaptant aux traits déjà choisis, jusqu'à ce que le téléphone soit en mesure de proposer des idéogrammes entiers (un peu comme les machines de la SNCF, où les lettres du clavier se grisent en fonction du nom des gares correspondant aux lettres déjà entrées). L'ardoise magique découverte au Relay de l'aéroport, qui a pour particularité que son résultat est exportable en PDF, prend tout son sens dans un pays où écrire, c'est dessiner.

Il y a aussi les petites idiosyncrasies du métro, qui ne laissent rien deviner sur Hong Kong mais font qu'on le reconnaitra dans les films ou en photo comme étant bien le métro de Hong Kong. Ma préférée, c'est cette affiche :

affiche métro

On ne s'arrête pas quand on entend la sonnerie, mais quand on entend DO-DO-DO – par opposition à DING-DONG (affiche verte), qui indique que l'on doit laisser descendre les passagers avant de monter à bord de la rame.
 

Il y a aussi ce pictogramme de place prioritaire, où le petit vieux, à la différence de la femme enceinte et de l'éclopé, appuyés sur le dossier, est courbé en avant sur sa canne.

affiche métro

 

J'ai pensé aux petits vieux que l'on a croisé dans les rues en train de pousser des chariots de cartons et me suis aperçue à mon retour en France que notre pictogramme présente exactement les mêmes caractéristiques. Comme quoi... Les voyages conduisent à s'étonner de ce que nous ne verrions pas chez nous. Ce regard anthropologique ferait de nous des poètes si nous parvenions à le conserver en dehors du cadre qui l'a fait naître et à le poser sur nous-mêmes au quotidien pour nous voir, nous-mêmes, autres. Illuminations à suivre.

28 janvier 2015

Aparté #2

La jeune fille que je suis sur le point de croiser tient ouvert des deux mains un livre vert, trop grand pour être un livre de poche. Quand j'arrive à sa hauteur, deux syllabes prononcées à voix haute me parviennent, sans que je puisse leur donner une quelconque signification. Je vois, je revois, déjà (dépassée), son regard, absent et comme retourné en lui-même, qui semble chercher à lire une connaissance inscrite à l'instant même dans la mémoire, du trait tremblotant de qui marche.

Un livre trop grand pour être un poche, deux syllabes sans signification : il suffit d'un regard pour donner sens à ces bribes de geste et savoir que cette jeune fille révise en marchant. Comme cette incantation scolaire me paraît étrange, maintenant que je ne la pratique plus !

25 janvier 2015

Carnet de lecture, janvier 2015

Écrire à propos d’œuvres déjà composées de mots tient moins de la transcription que du résumé - sauf à se lancer dans une véritable critique littéraire. L'envie n'y est pas ; il y a des gens qui font cela beaucoup mieux que moi. Je ne consignerai dans cet éphémère carnet de lecture que quelques extraits, une ou deux réflexions plus ou moins fortuites, au cœur ou à la marge des lectures qui les ont suscitées.

 

Le Flûtiste invisible, Philippe Labro

« Elle s'est levée et s'est dirigée vers un phonographe – vous vous souvenez ? Un de ces merveilleux appareils qu'on ne trouve plus aujourd'hui que chez les antiquaires. »

Dad, pourtant parfaitement en phase avec son temps, fait parfois ça : poser d'emblée qu'il est dépassé. Se croire déjà trop vieux pour être compris, alors qu'on l'est parfaitement, serait-il un symptôme de l'âge qui vient, le pressentiment, peut-être, du moment où l'on ne sera véritablement plus compris ? Parce qu'on sait ce qu'est un phonographe. Je le sais depuis toute petite, depuis Babar, je crois. Le phonographe reste curieusement associé au dessin animé et à l'élégance de la vieille dame : proximité graphique entre le pavillon de l'appareil et l'oreille des éléphants ? première représentation de l'objet ?

Mais si c'est déjà par le biais d'une représentation que je connais le phonographe et pas par l'objet lui-même, peut-être que la génération suivante, de laquelle l'auteur espère être lu, ne la connait pas. Et d'un coup, ce n'est plus l'âge de l'auteur que marque cette innocente incise (vous vous souvenez ?), mais le mien. Sur le coup du phonographe, en dépit de l'arithmétique des années, je suis plus proche de l'auteur que des lecteurs en herbe. Mais alors, faudra-t-il tout expliquer ? Accepter de se laisser dévorer par les notes de bas de page ? Un intervenant du master édition nous racontait que, déjà, son jeune fils ne comprenait plus Gaston : qu'est-ce qu'était tout ce courrier des lecteurs ? Pourquoi toutes ces lettres ? Ils ne pouvaient pas envoyer des mails, comme tout le monde ?

 

La Beauté, tôt vouée à se défaire, Yasunari Kawabata (recueil de deux nouvelles)

« Le Bras » est l'une des plus belles choses que j'ai lues depuis longtemps. Une fille confie son bras à un homme, qui l'emporte chez lui pour une nuit, et c'est toute l'étrangeté de l'abandon amoureux qui surgit, dans un mélange d'érotisme et d'onirisme comme seuls les Japonais savent le faire (j'ai découvert ce fantastique nippon avec « Le Bureau de dactylographie japonaise Butterfly » dans La Mer, de Yôko Ogawa).

« Il y a quelque chose que je comprends mal chez les femmes, c'est leur manière de s'abandonner. Je me demande ce qu'elles entendent par « s'abandonner ». Pourquoi le souhaitent-elles, et pourquoi en prennent-elles l'initiative ? Je n'ai jamais compris, même quand j'ai su que leur corps était fait dans ce but. »

 

« La Beauté, tôt vouée à se défaire. » Je préfère le titre au récit, tentative d'épuisement d'un meurtre, qui souligne tout à la fois notre besoin d'ordonner le réel pour le comprendre et l'impossibilité d'en restituer le chaos. La reconstitution est toujours une re-création, aussi récréative soit-elle pour le lecteur. Le meurtre l'exemplifie, mais on en fait tout aussi bien l'expérience en essayant de se souvenir des paroles exactes d'une conversation. Même d'une seule phrase, c'est quasi-impossible. On s'arrête à la version qu'on estime la plus proche ou la plus à même de reproduire l'effet ressenti. Les guillemets, qui n'ont plus vocation à contenir une citation exacte, ne sont plus qu'une trace d'oralité, qu'on laisse pour signaler qu'à cet endroit, ce moment, quelque chose a été dit.

« Il me semble surtout que le malheur des hommes a commencé à partir du moment où ils ont appris à le conserver artificiellement. »

 

La Nouvelle rêvée, Arthur Schnitzler

Je ne savais pas que La Nouvelle rêvée était à l'origine d'Eyes Wide Shut. Je l'ai prise à cause de Mademoiselle Else et de l'érotisme qu'Arthur Schnitzler fait surgir de la pudeur (du refoulement, si l'on se réfère à la Vienne des années 1900). Comme dans le film, s'opposent des faits réels vécus comme dans un rêve et un rêve beaucoup trop réel une fois raconté – comme si les images agencées à l'insu de la rêveuse devenaient à voix haute, adressées à son mari, des intentions qui lui étaient imputables. On sait si bien se faire du mal ; Arthur Schnitzler le saisit comme aucun autre. On sait si bien se faire du mal – à soi, par le truchement de l'autre. Indice que l'autre n'est qu'un intermédiaire : le narrateur ne réussit pas à en vouloir à sa femme, Albertine (qu'on pense aussitôt disparue, à cause de Proust). Elle sera là, chacun sera là pour l'autre, pour qu'il ne s'en veuille pas – la vie de famille apaisante après la piqûre éprouvante de la passion.

 

Le Restaurant de l'amour retrouvé, Ito Ogawa

Je consignerai quelques-unes des jolies métaphores qui émaillent ce livre quand je l'aurai récupéré (j'oublierai sûrement mais, au moins, vous saurez qu'il contient de jolies métaphores). Ce roman où la narratrice cuisine pour les gens, qu'elle rencontre en amont du repas pour le préparer en fonction de leur situation et de leur personnalité, m'a fait prendre conscience que mon envie récente de me mettre à cuisiner est surtout une envie de revoir/recevoir mes amis, qui me manquent un peu – par ma propre faute, par paresse. Au programme des week-ends prochains : l'achat d'une table et de chaises. Près d'un an après la pendaison de crémaillère qui n'a toujours pas eu lieue.