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05 septembre 2009

Du blogueur in-carnet

Traînée à Paris-Carnet, une réunion mensuelle de blogueurs en chair et en os (quoique… est-ce qu’un blogueur sans ordinateur en est encore un ?), j’ai pu avoir une piqûre de rappel de mon manque d’aisance à engager une conversation. D’autant qu’avec la musique, pourtant pas trop envahissante, j’avais l’impression d’être sourde – voire cruche, comme en arrivant où j’ai cru à tort qu’on s’adressait à moi, parce que j’avais attrapé un regard sans entendre les paroles qui m’auraient appris qu’elles ne m’étaient pas plus destinées que ledit regard. Une fois installée et bien calée dans ma chaise, ça va mieux. C’est un peu comme lorsqu’à la gare on arrive sur le quai : tandis qu’on avance pour être à la hauteur de la sortie désirée à l’arrivée et qu’on traverse l’espèce de podium créé par la file de passagers en retrait par rapport à la voie –éloignez-vous de la bordure du quai, s’il-vous-plaît- , on a la sensation d’être entièrement dévisagé par cette haie de déshonneur, qui a pris racine ; sitôt rentré dans le rang, quelques secondes suffisent à s’y fondre, et l’on peut à son tour voir sans être vu, les yeux pris dans la muraille invisible des corps alignés.

La maladresse de l’installation, toujours latente à cause d’une chaise décalée, du sac à poser ou d’un espace un peu juste entre les tables, n’a plus cours une fois assise dans ce café (restaurant, bar ?). Le corps rangé n’expose plus au regard, mais celui-ci y est logé, presque dissimulé à l’intérieur, comme si l’on épiait l’extérieur depuis une cabane d’enfant : le spectateur est tranquillement assis derrière sa table. Il suffit que l’on vous parle pour que brusquement le corps cesse d’être une cachette. La peau rétrécit, ou vous vous dilatez : vous en occupez à nouveau tout l’espace ; comme le grand pull sous lequel on se blottissait est maintenant moulant d’avoir bouilli à la machine, la peau s’ajuste à l’exacte dimension de votre moi qui l’a réinvestie. Délogée de votre poste d’observation, vous êtes sommée, vous avec vos couverts dans les mains et votre robe rouge sur le dos, de prendre part à la conversation.

 

Ces minuscules tropismes sont évidemment beaucoup moins terribles que leur description, recouverts par le bruit des rires, de la musique, des âneries et des vérités proférées avec enthousiasme. Un rire inclassable et monstrueux, qui reléguerait celui du Vates à un discret gloussement, secoue une chemise colorée et un chapeau blanc, avec quelques ondes de choc aux tables alentours, tant on est surpris de ce rire qu’on est bien obligé de qualifier de tel à défaut d’autre chose. Il y avait Alecska, que j’ai loupée (seul blogueuse que je suivais depuis un petit moment), Mademoiselle Moi, que j’ai découvert avec plaisir. Il y a comme ça des gens que l’on trouve franchement sympathiques, en dépit de la pauvreté de cette expression. Une ancienne khâgneuse qui reconnaît qu’on met du temps à en sortir et que, lorsqu’on se retrouve entre anciens, la conversation dévie inévitablement sur le sujet. Déjà cependant, on n’a pas vraiment parlé de la prépa, mais de son « après », ce qu’on en garde une fois que l’on s’est dépouillé de son formatage, de son orgueil et de ses frustrations (celles-ci n’étant rien d’autre qu’un effet de celui-là – risibles en fin de compte). Cela m’a mise de bonne humeur, il est toujours plaisant de deviner (qu’on se trouve en face de) quelqu’un. Puis la surprise, de retour chez moi, devant mon ordinateur, d’apprendre qu’elle a le sentiment d’être timide. Que devrais-je dire, alors que chemise bleue et sourire de moelleux au chocolat (désolée pour la caractérisation, j’ai un trou de mémoire) m’a fait remarquer qu’ils n’allaient pas me manger, et que je pouvais cesser de marteler la table avec la tranche des mains comme si je découpais des sushis au hachoir ?

 

Il y a aussi eu des flashs démultipliés par le reflet des glaces qui permettent aussi de surprendre une personne ou d’esquiver un photographe – c’est qu’ils sont légions dans la blogosphère. Il est d’ailleurs assez amusant de repérer certaines données récurrentes qui pourraient en esquisser une typologie – ce qui ferait que les blogueurs, même en l’absence de leur écran, forment un certain groupe. Pas mal d’informaticiens d’un côté, et de lettrés/sorbonnardes de l’autre. Il ne faudrait pas schématiser, puisque l’on trouve aussi des professeurs, policiers et autres professions et que tout ce petit monde se mélange. Il n’en reste pas moins qu’on y retrouve deux données constitutives du blog, l’écriture et l’ordinateur.

 

Impossible de faire le détail de toute cette soirée (là où l’on voit ce que ça donne de rédiger sur l’ordinateur, qui offre du blanco et des paperolles à l’inifini. Ca commence bref, et on truffe de paragraphes parasite) , d’autant que cela a duré un bon moment et que j’ai un mal fou à retenir l’association visage-nom-pseudo-blog(s) (déjà que sur une classe de quinze, je peux encore avoir des doutes aux trois-quarts de l’année…). Pour avoir les liens des gens présents, vus, inaperçus, écoutés ou adressés, c’est ici. On y trouve aussi des photos de la soirée, ici, par exemple (j’aime particulièrement le jeu de reflet et de cadrage de celle-là – c’est lui, chemise bleue et sourire de moelleux au chocolat). Si la curiosité vous y pousse, vous remarquerez peut-être que la plupart sont loin d’être des gamins. Je devais être l’une des plus jeunes ; en même temps, il faudrait que je fasse attention, je suis encore tombée des nues en apprenant que notre voisin de table n’avait que deux ans de plus que moi. Comme beaucoup d’autre, je l’ai placé derrière une ligne (pas infranchissable mais bien séparatrice) délimitant une zone « adulte » que je regarde depuis l’autre côté. J’ai décidemment du mal avec les âges, ne sachant pas trop si je vieillis à outrance ou si je me considère à tort ou à raison comme (encore ?) une gamine. Qui se barre en sautillant.

04 septembre 2009

Libre et ris

Il pleuvait en sortant du cinéma à Biarritz (cette seule phrase montre déjà le retard accumulée puisque je suis rentrée il y a une semaine et ne vous ai même pas encore parlé dudit film – c’est à venir ; en revanche, rien de particulier sur Biarritz, pour vous en consoler, aller voir par là), il me restait une demi-heure à tuer avant que le reste de la famille sorte de leur séance (on a fait salle à part – le Prophète ne me disait rien du tout – et à voir leurs visages plombés en ressortant, je me suis dit que ce n’était pas une mauvaise chose), et comme tout le monde sait que the pen is mighter than the sword, j’ai entrepris de flâner dans une librairie pour accomplir proprement ce meurtre. Un aperçu de carnets moleskines dans un coin papeterie et la pluie m’y ont gentiment poussée – amicale tape dans le dos.

 

 

L’étage du bas est encombré de monde et de dernières parutions pas spécialement engageantes, mais en avançant au fonds de la pièce, on croit voir une réserve, derrière un passage sans porte mais au chambranle arrondi qui supporte en guise d’enseigne quelques lettres ondoyantes tracées à la peinture noire.

Il faut se pencher un peu pour pénétrer dans cette caverne d’Ali baba, dont le seul sésame est d(e ne pas) avoir les yeux dans les(la) poche(s). Le bruit y est assourdi, et les quelques visiteurs qui ne peuvent pas circuler (c’est qu’il y a à voir) s’excusent silencieusement, s’effaçant autant que faire se peut en se collant à la rambarde de la coursive. On barbote très bien dans ce fonds de cale. Ce qui donne un air de familiarité à cette librairie où je n’avais pourtant jamais mis les pieds, c’est que les livres sont empilés horizontalement, comme cela finit ordinairement dans une étagère bourrée à craquer, où les poches sont déjà compressés en double rangée et où l’on comble les intervalles restant en en couchant d’autres par-dessus (l’épaisseur étant alors limitée par l’espace restant entre la rangée et la planche supérieure). Le genre de rangement que l’on déclare provisoire mais dont on s’accommode bien. Ce bordel organisé m’a d’abord fait penser que la réserve venait d’être transformée en espace poche, mais l’apparente négligence avec laquelle les livres étaient entassés lui donnait ce caractère intime et accueillant d’un lieu à peine dévoilé, encore un peu secret. La lecture des titres s’avère être facilitée par cette technique d’empilement : pas besoin d’incliner la tête pour être dans le sens de la lecture, ni d’aller au rayon anglophone pour s’éviter le torticolis en penchant la tête en sens inverse (il me semble avoir noté la même chose pour les dvd – comme quoi, il n’y a pas que sur la route qu’ils circulent à droite). On conserve la sensation de flânerie tout en pouvant aisément trouver quelque chose si on l’y cherche, puisque le classement est alphabétiquement rigoureux à l’intérieur de chacune des collections, bien distincte sur des étagères différentes – parfait pour des piles harmonieuses et éviter les Livres de poche (qui ont pour seul mérite d’être les initiateurs de l’objet éponyme).

 

 

A l’étage, le rangement est plus traditionnel, les grands formats se tiennent droits : c’est que chacun cherche à faire valoir sa singularité, qu’elle soit de largesse d’esprit, de hauteur critique ou de couleur annoncée. Ce qui attire, outre l’étagère des éditions Actes sud, c’est le canapé (qui affiche complet, alors même que l’on n’est pas vendredi, formidable journée où il semblerait que la maison offre le thé) et surtout la cabine, en plein milieu de la pièce, ou plutôt du pont supérieur, puisque le décor incite à filer la métaphore. Une cale-caverne, des flots de papiers où pêcher de bons livres frétillants, le silence grouillant de la mer : dans une petite libraire, c’est l’air du grand large, quand les grandes surfaces littéraires aux étals quelque peu aseptisés, attrapent toue le monde dans leurs filets, vendent leurs produits en gros, et ne se soucient pas beaucoup de la fraîcheur de l’arrivage (poissons serrés les uns contre les autres, parfois un scintillement, mais c’est une écaille qui s’est arrachée).

 

 

J’avais oublié ce que pouvait être une bonne librairie (en cause, leur raréfaction et l’attrait de l’étiquette jaune – phénomènes qui s’entretiennent, d’ailleurs). Face à la grande surface littéraire, où les livres sont vendus comme n’importe quel produit, elle est pourtant essentielle : alors que Gibert est parfait pour les achats compulsifs et les bibliographies, une bonne petite librairie permet de repartir avec une trouvaille qu’on n’était pas précisément venu chercher – solides provisions versus viennoiserie à déguster sur l’instant. Le premier pousse du côté des auteurs dont on connaît déjà une œuvre, qui offrent un point d’accroche au regard glissant sur l’impeccable alignement des couvertures brillantes sous les néons, tandis que la seconde invite à se laisser surprendre, le hasard pouvant prendre l’aspect d’un titre intriguant ou d’une couverture qui dépasse, de l’œil qui est arrêté par un ouvrage mis en valeur ou de la main qui fouille les titres escamotés. Le choix peut n’être pas immense, mais il a le mérite d’être fait : le premier coup d’œil à la librairie Louis XIV à Saint-jean de Luz m’a dépitée, mais la maigre sélection s’est avérée être de premier choix. On avait envie de tout, ou plutôt non, pas de ce tout qui entraîne l’indécision et se conclut par rien : envie de chaque livre pris singulièrement, tiré à soi, hors de la rangée, retourné d’un geste caressant, découvert par sa quatrième de couverture. On est pour ainsi dire dans la bibliothèque de quelqu’un, doté de goûts peut-être discutables mais particuliers. On pourra toujours objecter que la grande surface littéraire laisse au consommateur le choix de ses lectures, dans un éventail plus large que n’offrent les petites librairies. Mais l’éventail à nouveau se déploie, puisque le lecteur est libre de choisir l’une d’elles (ou de n’en choisir aucune et de papillonner à droite et à gauche) et la liberté y est encore plus grande de ce qu’elle ne flotte plus dans un environnement impersonnel et identique d’un magasin à l’autre d’une même franchise.

Et en toute incohérence, je continue à me faire débaucher par les étiquettes jaunes. Les occasions font le pardon.

 

01 septembre 2009

« C’est réjouissant de méchanceté »

S’était délecté le professeur de français en hypokhâgne, après nous avoir rapporté les propos truculents de Debussy (if memory serves) sur Wagner (de ça, je suis certaine). Il nous lisait parfois quelques extraits à la fin des cours, histoire de nous mettre en appétit –ce qu’il nous avait d’ailleurs très littéralement souhaité à midi une, après un passage de Mort à crédit où le dégueuli coulait à flots (curieusement, nous étions moins pressés d’arriver à la cantine tout d’un coup). Il ne faudrait pas que je me mette à introduire toutes mes notes par une anecdote de prépa, mais c’est précisément cet enthousiasme délétère et délecté que m’a immédiatement rappelé le dossier du numéro de l’été du Magazine littéraire.

 

Comme le suggère la couverture, se bouffer le nez peut avoir quelque chose de jouissif. Pour celui qui se déchaîne, bien sûr, mais aussi pour le bien peu stoïque spectateur qui prend un plaisir sadique à assister à l’étripage, sans risquer le masochisme ni la mauvaise conscience, puisqu’il peut sans risque, confortablement installé sur une falaise (suave mari magno) devant son poste de télévision, s’identifier superficiellement à la pauvre victime et condamner celui qui s’acharne sur elle. Cette analyse, très juste concernant les émissions de télé, qu’elle envisage, ne me semble pas pouvoir s’appliquer pleinement aux délicieuses haines d’écrivains, peut-être moins vides, malgré leurs allures de dispute de cour de récréation, que les ‘débats’ TV. Après tout, une dispute peut très bien être une discussion savante et celle-ci, récréative sans être puérile.

 

« Il y a des temps où l’on ne doit dispenser le mépris qu’avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux », assène Chateaubriand.* Alors que le mépris largement dispensé sur les plateaux télé s’éparpille et perd de sa force à vouloir tirer un bon mot, il ne perd rien de sa savoureuse puissance dans les duels entre littérateurs, pour qui tous les mots sont bons donc permis, et qui, par leurs attaques mêmes reconnaissent la valeur de leurs adversaires. L’indifférent ne serait pas insupportable, vrai ? Le lynchage auxquels certains se livrent ne dilapide jamais le texte : l’attaquant prend souvent l’homme et non son œuvre comme cible, comme s’il sentait qu’il ne peut rien sur le texte. Et même si l’un et l’autre devaient être indissociables, l’absence de transposition (qui déjà y confinait) se donne alors comme pure mauvaise foi, puisque vicieusement l’attaquant s’évertue à déclarer inaudible un style auquel il se rend sourd.


Si les piques des écrivains sont si réjouissantes, ce n’est pas seulement parce qu’ils savent manier les mots comme personne, mais parce qu’en artistes, ils ont le coup (d’œil) juste. Un direct, en somme. Qui cependant ne défigure pas vraiment l’adversaire ; plutôt une pique assez puissante pour l’embrocher et nous en faire apprécier la substance après l’avoir cuisiné. Lorsque Sainte-Bave ** s’acharne sur Hugo, on ne peut pas s’empêcher de reconnaître qu’il crache vise juste :

« Un écrivain de goût et modéré finirait admirablement plus d’un de ses paragraphes avec la phrase par laquelle Hugo commence les siens. Hugo dans l’expression, rencontre souvent ce qui est bien, ce qui est lumineux et éclatant, mais il part de là pour redoubler et pour pousser à l’exagéré, à l’éblouissant, à l’étonnant. Du Parthénon lui-même, il ne ferait que la première assise de sa Babel.

[…]

Le talent puissant de Hugo est devenu de jour en jours plus gros, pour ne pas dire grossier.

Victor Hugo :

Grossièreté. Malices cousues de câble blanc. »


Ce qu’il montre du doigt, c’est bien ce qu’il fallait d’abord toucher du doigt, i.e. la particularité stylistique, qui pour n’être pas nécessairement appréciée n’en fait pas moins la valeur propre à l’auteur. Toujours le détail qui (définit le) tu(e).


« Pour être méchant, il ne suffit pas de vouloir, il faut d’abord savoir faire mal »***, d’où que le plaisir à suivre ces combats de coqs à plume serait avant tout la joie de goûter leur intelligence. Ce qui n’empêche nullement d’être d’intelligence avec eux (on a souvent un favori entre ceux qui s’empoignent), encore qu’on puisse s’amuser tout autant, voire plus, lorsqu’on n’apprécie ni l’un ni l’autre, puisque, au plaisir d’entendre l’un se faire dire ses quatre vérités en rythme ternaire, s’ajoute celui de constater toute la mauvaise foi avec laquelle s’acharne l’attaquant. Les plus beaux combats sont entre adversaires de même talent. Que Saint-Simon ne s’inquiète pas trop sur le mal de sa méchanceté, l’intelligence peut faire feu de tout bois contre ceux qui sont simplement ‘bêtes et méchants’.

 


 

* Cette citation fait partie du florilège de pique, qu’on trouve dans Le Magazine littéraire, n°488, p.102. Elles sont inégales, certaines d’inconnus peu illustres, et tendent parfois vers la blague carambar du littéraire, mais ça ne m’a pas empêché, l’accumulation aidant, de m’étrangler d’un fou rire toute seule sur mon lit.

 

Quelques-unes pour la route :

« M. Rochefort, croyons-nous, souffre déjà d’une blessure qui ne cicatrise pas. C’est sa bouche. » Bierce

« La nature a horreur du Gide » Béraud

« Un cocktail, des Cocteau » Breton (c’est mignon tout plein, non ?)

« Dieu n’est pas romancier, M. Mauriac non plus. » Sartre, who else ?

« Zola – C’est un porc épique. » Barbey d’Aurevilly

«  Tant et tant d’arrivisme pour si peu d’arrivage » Dali sur Aragon

 

Où l’on voit le prestige des institutions :

« Maurice Ravel refuse la Légion d’honneur, mais toute sa musique l’accepte. Ce n’est pas tout de refuser la Légion d’honneur, encore faut-il ne pas l’avoir méritée. » Satie

« Quatre-vingts ans ! C’est l’âge de la puberté académique. » Claudel

 

Ma préférée : « Saint-John Perse, mais il a mis le temps » Je ne sais pas qui est Louis Scutenaire, mais c’est là que je me suis étranglée de rire. Peut-être qu’il était tard, ou peut-être est-ce d’avoir vainement tenté de percer un sens possible à ses poèmes.

 

Et spécialement pour le Vates : *misanthrope power* « S’il fallait connaître tous les gens avec lesquels on a été en classe, ou toux ceux avec lesquels on a été au régiment ! Pourquoi pas tous ceux avec lesquels on a été en omnibus ? » (Léautaud) ; *le sens de la pédagogie* « J’ai l’intention d’enseigner et, si ce n’est pas possible, je giflerai. »

 

** Je ne savais pas que Proust avait ainsi renommé Sainte-Beuve, mais ça rend sa langue vipérine plus savoureuse encore. Visiblement, la métaphore a du succès : pour Barbey d’Aurevilly, Sainte-Beuve est « ce crapaud qui voudrait tant être une vipère ». D’une manière générale, cracher sur les gens se révèle inspirant, comme pour Ionesco : (à une femme, lui parlant de sa fille) « Elle vous ressemble comme un crachat. » Le portrait est tiré, juré craché, il est ressemblant.

 

*** idem p.50

 

21 août 2009

Idem (3)

C/ Ce qui fourmille sous mon crâne (non, pas des poux)

Où le livre est rangé

 

On a vu avec le mouvement du raisonnement et les longs détours par le pouvoir que le sujet initial finissait par devenir un exemple de ce qui était d’abord proposé comme devant en fournir l’explication, d’où que l’on pourrait se demander comment lui est venu l’idée de prendre le sexe pour sujet. A-t-il vu cela comme un domaine de réflexion quant à l’exercice du pouvoir ? Ou s’y serait-il dirigé à l’aveuglette, par curiosité, et y étant allé avec ses recherches passés, y aurait retrouvé les mécanismes du pouvoir ?

 

Je me demande parfois comment certains peuvent avoir l’idée de se pencher sur des domaines qui sembleraient extérieurs à leur matière. Je ne nie pas l’intérêt de ces travaux, au contraire, ils sont passionnants – le problème étant justement qu’ils se sont révélés passionnants et n’avaient rien d’attirant au départ. Même si l’on pourrait dans le cas de Foucault suspecter la découverte de petites pépites croustillantes et récréatives au cours de son travail de recherche, qu’il n’y ait rien de tel dans l’ouvrage qu’il publie devrait nous faire soupçonner une curiosité d’un tout autre ordre. Une curiosité qui pourrait également pousser un historien à se pencher sur la mort, par exemple. Je m’étais en effet fait de semblables réflexions en lisant un bout de l’essai d’Ariès sur la mort en Occident : comment peut-on avoir envie de constituer comme sujet de recherche un fait aussi pesant et potentiellement déprimant que la mort ? surtout lorsque l’on vit à une époque où la mort, comme le sexe, d’ailleurs, est esquivée autant que faire se peut ? – question qui suscite à elle seule l’intérêt, mais qui ne peut être formulée qu’une fois les recherches entreprises, puisque c’est ce qu’elles font finalement apparaître : que notre réticence à l’égard de ces sujets est historiquement déterminée. Il y a quelque chose de remarquable à parvenir à s’arracher à l’époque dans laquelle on est pris comme dans de la gelée, aux représentations dans lesquelles on baigne sans en avoir le moins du monde conscience.

 

On pourrait objecter que l’étude de ces deux exemples de la mort et du sexe pourrait être motivée par un come-back d’Eros et Thanatos, de l’envie du plaisir et de la fascination morbide – l’ennui étant qu’il n’y a rien de tel dans les essais que nous pouvons lire. Si cela a peut-être pu amuser Ariès et Foucault lors de leurs recherches, il n’en demeure pas moins que l’essentiel doit être ailleurs. A supposer même qu’il y ait eu une part de fascination au départ, elle ne peut manquer d’être minorée à l’extrême par les découvertes faites. Et l’on peut supposer ici qu’il s’agit moins de la nature de ces découvertes (il faudrait d’ailleurs se demander en quelle mesure ce ne sont pas des inventions – au sens de mise en forme– puisque l’histoire ne se « découvre » pas) que de leur forme. Tout se passe comme si le sujet disparaissait derrière le plaisir de comprendre les mécanismes historiques, d’articuler les périodes et d’entendre le sens des silences. Le complément de « la volonté de savoir » pourrait bien n’être ni le sexe ni le pouvoir…

L’architecture même du premier tome de l’Histoire de la sexualité met en relief la méthode employée (quatre règles de méthode pour se faire plaisir – et qui n’éclairent pas plus la résolution du sujet – la façon dont le sujet se résout, en revanche…), et Foucault insiste particulièrement sur les mécanismes quasi-tropismes des relations du sexe avec le pouvoir. Le motif de cette insistance pourrait être entièrement résorbé dans la difficulté inhérente à un raisonnement complexe qui demande à être explicité dans ses moindres détails, si elle ne gommait pas la matière du sujet, presque tout entier rejeté dans des énumérations, auxquelles il faut se concentrer pour redonner substance. Aussi la volonté de savoir est-il un titre particulièrement bien choisi. Usage intransitif du verbe « savoir » ; le « sexe » n’est qu’un complément d’objet possible parmi d’autres. Son sujet ne serait pas le pouvoir au détriment du sexe, mais le savoir au détriment des deux autres.

 

Le plaisir qui domine est bien celui de comprendre, et le domaine dans lequel s’inscrit l’ouvrage est bien celui de la philosophie, quand bien même son analyse ne peut se départir d’une forte dimension historique. Une petite phrase qui m’avait marquée en hypokhâgne (outre les bons mots au crayon à papier qui emplissent les marges et sont dans ma mémoire bien plus indélébile que tout ce que j’ai pu souligner à l’encre noire) prend là tout son sens : au fonds, il n’y aurait de philosophie qu’à l’extérieur du cours de philo, celle-ci étant moins un domaine qu’un mode de réflexion. La constituer comme matière, c’est risquer de la faire tourner en rond et de ne plus s’intéresser qu’abstraitement à son propre mode de réflexion (abyme, forcément). Les exemples et les énumérations de Foucault sont un dernier rempart pour empêcher de tourner à vide et se détourner de la fascination narcissique de la pensée pour elle-même, quoique d’une certaine façon, le choix du sujet soit déjà réflexif : étude des plaisirs pour jouir du plaisir à étudier (les plaisirs).

Et mon besoin de reprendre le raisonnement, de le décortiquer pour en comprendre le fonctionnement, s’il peut être une manifestation un brin névrosée d’un formatage khâgneux, ne fait que rajouter une couche (invisible et non indispensable, comme une troisième couche de peinture) à l’édifice : plaisir à comprendre le plaisir qu’il y a à l’étude de leur pluriel. Infiniment épuisant. Je deviendrais presque hystérique à essayer de tenir ensemble toutes ces longues chaînes de raison (seuls ceux qui auront lu le fichage en B/ pourront se foutre de moi)…toujours une qui échappe, comme les mèches quand on se fait un chignon pour un examen de danse.

[Un bouquin de philo, c'est un très bon rapport temps d'occupation/prix...]

[Il va être temps que je reprenne les cours, histoire que ce blog n'en devienne pas le substitut et puisse laisser place à d'autres âneries plus entraînantes.]