02 août 2014
Caillebotte en gris souris
Yerres et Bruxelles se disputent dans le métro le titre de "l'autre capitale de l'impressionnisme". Tout en gardant à l'esprit ce bon prétexte pour retourner manger des gaufres, c'est à Yerres que Palpatine et moi nous sommes rendus. L'exposition sur Gustave Caillebotte se tient dans la propriété familiale du peintre et, vu le parc, je peux vous dire quil n'a pas mené une vie de bohème : c'est calme et bourgeois, un peu comme le public qui y vient.
De la quarantaine de tableaux exposés, présentés sur mur gris, émane une douce tristesse que je n'aurais pas imaginée chez le peintre des Raboteurs de parquets - le seul de ses tableaux que je connaissais jusque là - mais qui était raccord avec le temps de ce jour-là.
Quelques tableaux parmi mes préférés...
Canotier au chapeau haut de forme
Je me demande si la beauté de ce tableau ne tient pas à la disparition du haut de forme. Impossible de l'identifier ici au signe de distinction de l'élégant en tenue de gala ou à la silhouette historiquement datée que l'on voit très bien debout, avec canne et redingote. Le haut de forme est inattendu, aussi soudain que l'aspiration de l'homme de la ville à prendre l'air et sentir son corps en action. Rien à voir avec le canotier. L'homme ne joue pas à être désinvolte, il n'est pas du cru ; son haut de forme est formel : il est de passage.
Le parc de la propriété Caillebotte à Yerres
Comme à la croisée des chemins - des chemins en boucle qui montreront la vie, le parc, sous différents aspects mais qui conduiront au même point. Et la boucle sera bouclée dans le jardin déjà assombri. Curieux ronds-points de l'existence que ces massifs de fleurs, qui trouvent leur écho sur la portion des chapeaux ceinte d'un ruban.
Le Billard
Peut-être que, fini, ce tableau n'aurait pas été aussi réussi, malgré la silhouette à contrejour du joueur. Il manquerait l'explosion blanche de l'adversaire absent, grâce à laquelle la partie n'est jamais finie, et l'absence des boules, grâce à laquelle la partie n'a jamais commencé (que comme métaphore).
Boulevard vu d'en haut
Vous vous rendez compte ? C'étaient déjà les mêmes grilles à l'époque. Et ça tourne, tourne, comme aujourd'hui les roues de voitures sur les pavés. Caillebotte s'y était déjà penché.
Effet de pluie
En l'absence d'eau qui tombe, c'est le désoeuvrement de l'artiste qui fait des ronds dans l'eau. Un peu triste, un peu amusant. Et l'on se remet en marche, dans le parc, cette fois, où l'on promène nos petites vies du moment, leur récit entrecoupé de temps en temps par un détail observé, et repris avec la même continuité, seulement aéré par ces diversions bienvenues.
21:59 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : exposition, caillebotte, peinture
19 janvier 2014
Vallotton
Des scènes intimes qu'aurait pu choisir Degas, des scènes de théâtre à la Hopper, des chignons façon Toulouse-Lautrec, un portrait d'Émile Zola à la Mucha, des ombres et des nuages comme des boyaux de Dali, un tableau de Verdun futuriste... on a du mal à croire que tout cela a été peint par le même homme. Félix Vallotton, tout à la fois romancier, dramaturge, graveur et peintre, est passé d'un sujet à l'autre sans se soucier de continuité stylistique – ni même de rupture : je n'ai pas fait assez attention aux dates pour en être certaine mais il ne semble pas y avoir de périodes distinctes dans sa peinture, que le commissaire a donc choisi d'exposer par thématiques transversales. À chaque salle, c'est un peu la surprise – quand ce n'est pas d'un tableau à l'autre.
Valse
Quand le pointillisme se fait paillettes... Juste wow !
Je ne m'étonne plus de ne pas connaître le peintre : pour se faire (re)connaître du grand public, mieux vaut avoir un style identifiable. Or celui de Vallotton est particulièrement difficile à cerner. On ne peut même pas dire, comme pour Gerard Richter, artiste contemporain qui passe sans transition de la peinture hyper-réaliste d'après photographie à des séries abstraites qui n'ont encore rien à voir les une avec les autres, que son style se définit par une absence de style, visant l'objectivité. Il y a au contraire chez Félix Vallotton une multiplicité de styles, qui ne sont pas pour autant des explorations techniques comme c'est le cas chez Signac, par exemple, qui cherche ce qui, du point, du trait ou de la ligne, restituera le mieux la couleur et la vibration de la vision. On dirait que Félix Vallotton ne cherche rien, ne se dirige nulle part, essayant seulement à se débarrasser de ses tracasseries. Apparemment, il n'a pas eu un rapport aux femmes aisé et cela s'en ressent dans ses tableaux de couples, où la femme n'a pas le beau rôle, et dans certains de ses nus féminins, où la chair a quelque chose de massif, comme lourde de menaces. (En même temps, si je puis me permettre, à en croire ses autoportraits, ce n'est pas le charisme qui l'étouffe.)
Portraits
Les Cinq Peintres (Vallotton se trouve debout, à gauche)
J'ai un peu l'impression qu'ils jouent à qui a la plus grosse (barbe).
Félix Jasinski tenant son chapeau
(Cet homme me fait penser à un camarade de lycée de manière assez frappante...)
J'aime beaucoup la signature de Vallotton, en haut à droite, dans une police qui évoque la gravure, avec juste la hampe du F et du V qui partent en arabesque.
Portrait de Zola
Ne trouvez-vous pas que les contours marqués donnent un côté Mucha au portrait ?
Nus
La Femme au perroquet
Olympiaa, Olympiiiiiia, Maaaanet, Maneeeet, Olympiaaa... J'ai ri devant ce perroquet qui radote sûrement moins que les spectateurs devant ces hoquets de l'histoire de l'art.
La Blanche et la Noire
Le Sommeil
Les hanches font un drôle d'angle (et la couette a la même forme curieuse que l'épaule d'un autre nu féminin).
L'Automne
(Pas certaine d'avoir envie que toutes les feuilles tombent.)
Le Bain turc façon American college
Le Bain au soir d'été
Entre nous, je trouve ce tableau assez affreux mais il paraît qu'on a beaucoup de chance de le voir (certains ont dû être touchés par les rayons de la grâce divine, en haut du tableau).
Étude de fesses
Autant dire que, placé à côté d'une nature morte de jambon, cela fait rire tout le monde.
Scènes de la vie théâtrale et intime
La Loge de théâtre
Hopper style
Le Provincial
Il faut au moins la plume de cette élégante et le rideau de droite pour mettre en scène en scène cet homme plutôt banal.
Le Dîner
Vallotton, de dos, face à sa belle-fille. Ambiance.
Femme fouillant dans un placard
Fouillant, pas rangeant.
Misia à sa coiffeuse
Le seul tableau que je connaissais déjà (sûrement vu au musée d'Orsay).
Le Mensonge
On détourne les yeux de tout ce rouge et l'on voit... ce titre rabat-joie. De belle illusion, l'amour est devenu un mensonge, qui emprisonne entre deux pans de papier peint. Je t'aime ne se dit pas.
Intérieur avec couple et paravent
À la dissimulation du paravent, je préfère la tendresse des mains dans le dos.
Xylographies
Ses xylographies (il est fun, ce mot !) accentuent ce qui est peut-être la seule caractéristique commune de ses peintures : la prégnance du trait et des aplats de couleur pour ce que le panneau de la première salle définit comme une « peinture du contour ». Les vignettes produites sont à mi-chemin entre Tintin, Persepolis et les illustrations des pièces d'Oscar Wilde ! Parce qu'elles semblent préfigurer la bande dessinée et sont présentées dans la dernière salle du rez-de-chaussée (comment ça, y'a encore un étage ?), on a l'impression que ces gravures constituent l'aboutissement de son travail alors qu'elles sont en réalité antérieures à la plupart des peintures.
La Paresse
Je n'aurais pas été surprise de trouver cette gravure illustrant une anthologie d'Oscar Wilde.
Le Feu d'artifice
Toutes ces petites têtes avec chapeaux et fichus ne vous rappellent-elles pas celles de Persepolis ?
Le Trottoir roulant
L'enfer de la modernité
Le Grand Moyen
Cinq heures
Chez Vallotton, on fait toujours l'amour à cinq heures.
FV ou le cheveu Van Gogh
Portrait d'Edgar A. Poe
La Mer et le noir soleil de la mélancolie
Et puis aussi, en vrac...
Lavandières à Étretat
Le Ballon
À Édimbourg, je suis passée sur un pont surplombant un immense jardin où un père et son enfant jouaient au ballon. L'ombre des arbres, la lumière... c'était exactement ça.
Verdun futuriste
12:41 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : exposition, expo, peinture, vallotton, grand palais
12 décembre 2013
Allegro Barbaro
Béla Bartók et la modernité hongroise 1905-1920
Première bonne idée : appâter le visiteur avec un nom connu pour lui faire monter cinq étages et découvrir des peintres dont il n'a jamais entendu parler, alors que leurs toiles, entre fauves et folklore, lui parlent d'emblée. Je n'ai jamais vu la peinture de Sándor Ziffer, Dezsö Czigány ou Róbert Berény et pourtant, leurs tableaux me sont familiers. Les panneaux se chargent de m'expliquer pourquoi : moult analogies cultivées lors de voyages Paris-Hongrie et mûries par une culture propre, où le folklore occupe une place à part entière, beaucoup moins marginale que nos sabots et coiffes bretonnes (encore qu'en ce moment...). Cette prégnance du folklore dans les culture de l'Europe de l'Est, qui m'avaient intriguée dans certains romans de Kundera (lequel s'étranglerait en entendant parler d'Europe de l'Est et non d'Europe centrale), la voilà enfin visible – mais je ne dois toujours pas vraiment saisir, parce que ce n'est pas ce qui m'interpelle : je n'en retiens que les couleurs. Des couleurs, enfin, qui font ressortir la richesse de l'expérience humaine (et pas seulement sa vision) avec une puissance toute expressionniste : je ne me suis pas encore tout à fait remise de ce visage vert – vert ni de jalousie ni de maladie !
Autoportraits de Dezsö Czigány et Sándor Ziffer.
“
Dans ses Deux Portraitspour orchestre (1907-1908), Béla Bartók fait se succéder l' « idéal » et le « grotesque ». Dans le même esprit, les peintres hongrois de la nouvelle génération, partis pour la plupart compléter leur formation à Munich puis à Paris, semblent animés de la conviction que l'excès de gravité confine au grotesque : certains autoportraits basculent ainsi de l'introspection dans l'autodérision.
”
Extrait de la présentation du musée d'Orsay.
Sándor Ziffer, Landscape with fence
Seconde bonne idée : contempler la peinture en musique. Les deux arts rentrent autrement mieux en résonance par ce biais qu'en étant juxtaposés sur une chronologie (procédé tellement peu efficace que je suis toujours surprise d'apprendre que tel peintre n'était pas encore mort que tel musicien composait déjà). Et puis, c'est agréable : la scénographie est faite de telle sorte qu'il n'y a jamais collision sonore ; on circule librement dans les espaces aménagés au sein d'une grande pièce, sans personne sur les talons pour vous intimer d'avancer plus vite – seulement l'annonce de la fermeture du musée, à 17h30, un samedi après-midi ! La boutique est déjà fermée quand on sort de l'exposition : pas moyen de savoir si le DVD du Château de Barbe-bleue présenté est disponible à la vente. Cet opéra exerce sur moi une fascination que je ne m'explique pas totalement. Les quelques extraits donnés ont suffi à me donner envie de voir le reste de la mise en scène – peut-être m'aiderait-elle à comprendre pourquoi cela m'avait déjà fait un tel effet en version de concert. C'est en tous cas un prétexte parfait pour retourner voir cette exposition – avec Klari sous le bras, pour ajouter à la musique diffusée celle de la langue hongroise, pleine d'accents mystérieux.
Je n'ai pas réussi à retrouver ce tableau (parmi mes préférés) mais une blogueuse en a fait une jolie esquisse à l'aquarelle, qui vous le fera retrouver sans souci lors de votre visite. D'après Róbert Berény, donc.
Mit Palpatine
11:16 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : exposition, peinture, musée, orsay, bartók, hongrois
18 juillet 2013
Le Grand Atelier de la sieste
Aix et Marseille se partagent un même thème et un même titre, L'Atelier du midi, pour deux expositions qui mériteraient d'être réunies : placer la billetterie à 800 mètres du musée en prévision d'une file d'attente inexistante et aligner les tarifs sur ceux du Grand Palais (soit 9 € pour les jeunes) est un chouilla prétentieux pour une moitié d'exposition. Même si des grands noms y figurent, à côté d'artistes secondaires – certains mineurs, d'autres réservant de belles surprises, plus intéressantes que moult toiles de Cézanne, avec lequel je n'accroche pas plus que cela.
Afficher deux noms connus comme bornes, entre lesquels on place ensuite tout ce que l'on veut : la technique marketing de la Pinacothèque est encore à l'heure du jour. À la mode également : la typographie déstructurée, déjà vue pour un festival de jazz - les coups de pinceaux prennent la place des sons étirés à l'ennui l'infini.
Des panneaux aux phrases alambiquées écrites blanc sur bleu, on retiendra en gros que la problématique retenue tourne autour de la ligne vs la couleur, donnant ainsi à Matisse le fin mot de l'histoire. Découper dans la couleur : la seule note de surprise pour moi, avec un tableau de Maillol et les toiles d'André Lhote, que je ne connaissais pas. Je commence à m'interroger. Peut-être a-t-on trop vu les impressionnistes pour pouvoir à nouveau les regarder. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les autres mouvements et les peintres secondaires attirent davantage l'oeil : ils introduisent un léger décalage, un pas de côté, un souffle d'air à distance de la montagne Sainte-Victoire et des oliviers figés dans la brume de chaleur. Pour le reste, on a si bien assimilé la manière de voir des impressionnistes que leurs tableaux virent au cliché : on s'attarde davantage devant la carte de la Provence dessinée à l'étage du musée, qui géolocalise les tableaux, que devant n'importe lequel d'entre eux. Le savon cher à Ponge ne décrasse plus l'oeil du visiteur, il est devenu une marque du folklore provençal. Tandis que La Vague de Maillol, elle...
Sur notre faim, nous faisons un tour dans les expositions permanentes : quelques Cézanne, encore ; un tableau du XVe siècle si vif qu'on le dirait surréaliste (des seins tout ronds, comme détachés du corps, d'albâtre) ; un jeune marquis en robe rose, le corset remplacé par une armure – car le rose, proche du rouge, était alors une couleur pour les vaillants ; un portrait étonnant d'une vieille femme, dont on ne sait pas qui y est peint, ni qui l'a peint, ni même à quelle école il appartient. Dans l'ensemble, on a l'impression d'un bric-à-brac qu'un conservateur a aussi vaillamment que vainement tenté de mettre en perspective.
À Marseille, le MuCEM donne la même impression : ce musée, très réussi d'un point de vue architectural, est malheureusement rempli de vide de ce qu'on a pu trouver à droite à gauche, qui pourrait servir de support aux scolaires pour les cours d'histoire sur la démocratie, les religions et les cultures autour de la Méditerranée. Les expositions temporaires ne semblent pas valoir mieux : Au bazar du genre, que Palpatine a parcourue et que, n'ayant pas le statut de chômeuse et pressentant l'arnaque, j'ai découverte à la librairie via le catalogue d'exposition, ne réussit guère à faire passer le bric-à-brac pour un concept muséologique.
Si l'on ajoute à cela que pas mal de tableaux du musée d'Aix provenaient des réserves du musée d'Orsay, on en arrive au constat qu'il reste encore pas mal d'efforts à faire pour que le Midi propose une offre muséale qui ne soit pas une démonstration de la culture locale à l'attention du Parisien en goguette (plus tolérant face au vide du musée parce qu'en vacances) – de fait, le Parisien est plus au courant que le Marseillais pour le MuCEM. Comme si Marseille ne pouvait voir que les rives de la Méditerranées et qu'on ne devait montrer des impressionnistes* que leur production sur la Provence lorsqu'on s'y trouve. Allez, on se réveille, l'heure de la sieste est passée.
* Ou plutôt, comme on me le faisait remarquer sur Twitter : impressionnistes, post-impressionnistes, fauves, cubistes... L'expo brassait les mouvements (pourvu qu'on reste dans le Midi) ; c'est moi qui fais une fixette sur les impressionnistes dont j'ai soudain fait une overdose.
17:32 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : exposition, peinture, impressionnistes, le grand atelier du midi