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31 mai 2009

Une image peut en cacher une autre 3/4

Les différentes formules du 2 en 1

(Typologie approximative car personnelle. )

- Plusieurs perspectives imbriquées qui démultiplient l’espace de la représentation, type d’image relevant le plus directement de l’illusion d’optique.

The Other World, de Mauris Cornelis Escher, imbrique trois perspectives pour nous placer au sein d’un cube qui donne le vertige. La partie du bas, tout particulièrement, donne l’impression de perdre pied, de basculer dans l’espace, comme lors d’une séance d’observation des étoiles (filantes) avec la bande des HK, allongée dans l’herbe, où le sol a fini par perdre sa qualité de point de référence central pour nous (enfin nous… je suppose qu’il n’y a que moi pour penser des trucs pareillement tordus) suspendre dans l’espace, sanglés par la seule attraction terrestre et faire dériver notre petit point de planète dans le vide. Autre association d’idée également tirée par les cheveux mais dans un tout autre registre : le passage d’une perspective à une autre, du regard qui monte non pas pour descendre mais pour se retrouver à plat avec toute la surprise d’une dernière marche loupée me paraît une transcription visuelle de la poursuite abandonnée du crescendo dans une suite pour violon (violoncelle ?) de Bach. J’avais prévenu que c’était tordu.

 

-Un élément caché dans la toile, comme la chouette d’Henri Met de Bles.

 

-Une forme susceptible d’être interprétée comme deux (ou plus) éléments, et dont l’exemple le plus simple se trouve dans les profils rocheux.

 

-Une image qui est en réalité deux images emboîtées, et dont l’une paraît moins évidemment de ce que claire autour de la première figure foncée, elle n’apparaît que comme son fonds. C’est le processus que met en évidence le vase-visages, et que l’on retrouve de manière plus élaborée dans le Rébus de Man Ray par exemple.

Je n’avais absolument pas détaché le fonds de la silhouette noire, et lecture faite, il s’avère que l’on peut distinguer à droite une paire de fesses, en bas de l’image, entre les jambes du bonhomme noir, une tête qui se trouve des yeux et un nez avec les faces noires des cubes, et, on n’échappe guère à cette dimension dans les images équivoques, un phallus sous l’aisselle droite du personnage (enfin, à gauche pour nous).


De même, la technique de la silhouette napoléonienne en exil à Sainte-Hélène est explorée par Paul Tchelitchew dans un jeu cauchemardesque de Hide-and-Seek : Charlie s’est fait la malle et la petite fille qui dirige son un deux trois soleil au centre de la toile n’a plus guère comme compagnons de jeu que des figures glauques – à tel point que qualifier cela de « peurs enfantines » (comme j’ai pu le lire dans une des revues) suppose d’avoir gardé son âme d’enfant…


Mais dans cette catégorie, ma préférence va à la Marine avec vache au-dessus du gouffre de Gauguin, qui exploite le procédé de manière plus sensée (me semble-t-il). Impossible de trouver une reproduction à un format décent, vous devrez faire marcher votre imagination pour voir un profil humain non dans le rocher mais dans le gouffre lui-même, cette différence suggérant la présence indéfectible de l’homme dans la représentation de tout paysage, serait-il le plus sauvage. Sa présence invisible est là, mise en abime en fonds du gouffre, elle clôt et donne sa cohérence à la toile, c’est-à-dire à l’interprétation du monde. A propos de cette toile, Stéphane Guégan cite Gauguin : « Comme l’infini nous paraît plus tangible devant une chose non définie. Les musiciens jouissent de l’oreille, mais nous avec notre œil insatiable et en rut, goûtons des plaisirs sans fin. » puis ajoute (le critique, pas Gauguin, hein) « Une façon de rappeler qu’il n’est point de paysage autre qu’intérieur ou incarné. » Non plus une figure humaine dans le paysage, mais le paysage tout entier comme expression de l’humain.

 

-Un tableau sans dessus-dessous, qui se lit la tête en haut comme en bas. A un premier niveau, cela donne deux visages qui se fusionnent par le bas, comme un double portrait du Pape et du diable. Il faut ici souligner l’intelligence de la scénographie : les images de ce type de petite dimension sont placées sous verre dans des tables autour desquelles on peut tourner, et les peintures de plus grande dimension sont accrochées au mur, et un miroir est placé en dessous. Cela met en évidence que le reflet est la nature de l’image, reflet déformant (ou reconfigurant) qui ne saurait être assimilé à une pâle copie. La mimésis est forcément trahison afin d’être mise en sens et le diable qui fait le pendant au Pape devient la personnification de ce caractère trompeur (voire diabolique^^) de l’image. On est loin des icônes. 
Plus élaboré, cela mène à un tableau dont tous les éléments sont réinterprétés dans un sens comme dans l’autre sans qu’il y ait de résidu d’une interprétation dans l’autre.

C’est le cas de l’Ortolano d’Arcimboldo (un h après le c ?), homme dans un sens, coupe de légumes dans l’autre – même si la coupe a ceci de bizarre que les feuilles des légumes ont une orientation pour le moins fourbe courbe… la lecture est toujours biaisée. Il n’en demeure pas moins que cette catégorie d’images doubles, auxquelles il faut donner un sens, montre à quel point voir relève de l’interprétation, et se distingue du sens que l’on donne ordinairement au mot lorsqu’on n’y regarde pas de plus près et qui n’est que remarque préalable.


-Un élément composé d’autres, comme les lettrines formées avec des corps, type d’image qui m’a semblé moins heureux de ce que sa technique vire rapidement au remplissage si elle n’est pas motivée. Ainsi les miniatures mogholes présentant des « dromadaires composites » (la formulation me fait vraiment rire) : ils sont composés d’autres animaux sauvages qui représentent les passions, les pulsions répréhensibles du corps, que le souverain doit maîtriser en chevauchant l’animal ; si tel n’est pas le cas, celui-ci est tenu en bride par le diable. (JH Martin, dans Art press2). Le mode d’emploi était donné dans l’exposition même. En revanche, les portraits d’Arcimboldo, sûrement parce qu’ils ne proviennent pas d’une autre culture, ne sont accompagnés d’aucune indication. Du trop bien connu dont les variantes ne me semblaient que la déclinaison d’un « truc ». Et là encore, merci à Beaux-arts magazine d’avoir publié un article de Barthes qui met au jour un ressort supplémentaire de la contemplation de ces tableaux. Et, travers humain, la complexité est plus fascinante.
Un petit extrait, pour le plaisir : « Tout signifie et cependant tout est surprenant. Arcimboldo fait du fantastique avec du très connu : la somme est d’un autre effet que l’addition des parties : on dirait qu’elle en est le reste. Il faut comprendre ces mathématiques bizarres : ce sont des mathématiques de l’analogie, si l’on veut bien se rappeler qu’étymologiquement analogia veut dire proportion : le sens dépend du niveau auquel vous vous placez. » De près, des fruits, de loin, un homme, ça on l’aurait tous vu, mais pour en tirer que l’on passe d’une peinture newtonienne fondée sur la fixité des objets, à une peinture einsteinienne prenant en compte le déplacement effectué par le spectateur, là il faut s’appeler Barthes ^^. « Reculer la perception, c’est engendrer un nouveau sens : pas d’autre principe peut-être, au défilé historique des formes (agrandir 5 cm² de Cézanne, c’est en quelque sorte « déboucher » sur une toile de Nicolas de Staël) ». Et de décomposer les images doubles d’Arcimboldo en trois (jamais deux sans trois, c’est bien connu) : outre les « unités » des fruits et la tête qu’ils composent, éléments nommables, leur combinaison fait que le second sens se dédouble pour faire advenir l’allégorie (les quatre saisons, par exemple). Alors que les fruits et les têtes sont « dénotés » et n’impliquent pas autre chose qu’une perception «  en tant qu’elle s’articule immédiatement sur un lexique », l’allégorie se forme par recours à une culture métonymique qui n’est pas assimilable au seul dictionnaire ; c’est elle qui nous fait associer certains fruits avec l’été et fait du personnage une personnification. Et cette ouverture à divers sens est rendue possible de ce que les différentes unités de base, contrairement aux phonèmes du langage articulé, ont déjà un sens, nommable. Voilà un principe de lecture exemplifié – même si Barthes souligne que la connotation est simple chez Arcimboldo (encore que maintenant où l’on a de la pastèque en plein hiver au lycée…). Là, comme ça, ce n’est peut-être pas limpide, vous pouvez toujours aller lire le texte itself : « Archimboldo ou Rhétorique et magicien », in Essais critiques III.

 

-La fusion de deux images, qui créent ou non un nouvel élément. C’est plus proprement le terrain de jeu de la modernité, et tout particulièrement des surréalistes, même si l’on rencontre quelques anachronismes venant infirmer partiellement cette généralisation, comme ce tableau figurant la trinité en une monstrueuse triple face du Christ.

On est au-delà du troisième œil, au quatrième, pour être précis, et les arcades sourcilières n’ont jamais si bien porté leur nom. Je me demande si un tel tableau avait enchanté l’Eglise… cette technique semble plus à sa place dans l’amusante caricature de Daumier qui illustre le passé, le présent et l’avenir de Louis-Philippe.

L’image double par fusion me semble particulièrement bien représentée par le Modèle rouge de Magritte, chaussures qui se décomposent en pieds (les lacets ressemblant d’ailleurs à des vers de terre). (ci-dessus). Violence de son Viol, également, qui nie l’identité d’un visage en lui substituant un corps sans tête ou plutôt qui constitue toute sa tête.

Le corps n’est plus uni à mais remplace l’âme – et Kundera fait pop-corn dans ma tête, ce sera un croisement à explorer.


Les dernières salles dans lesquelles on trouve entre autre les tableaux de Magritte sont plus éclectiques, comme s’il s‘agissait d’essayer le mode de lecture élaboré au cours de l’exposition sur toute image (dans la mesure où l’évolution dans l’art est moins une progression qu’une conscience de plus en plus explicite ou complexe de ce que sont les ressorts de la perception) : pourquoi sinon tel Picasso plutôt que tel autre (hormis le fait qu’il provient peut-être de la dernière exposition, que je n’ai pas eu le loisir de faire), ou tel Magritte ? Les premières moutures de l’image double fonctionnent presque comme une mise en abyme du processus de perception, qu’exploitent pleinement les surréalistes.


Dali occupe une place important dans l’exposition, et j’ai trouvé l’Enigme sans fin particulièrement saisissante : il est presque inquiétant de voir surgir un visage qui vous regarde (Dali nous fait aimer la paranoïa), et fascinant de trouver une autre figure que l’on n’avait pas vu de prime abord, et que les esquisses préparatoires permettent de discerner.
L’œil erre comme le ballon bizarre [qui] se dirige vers l’infini, d’Odile Redon.


Compotier, visage féminin (appelé peut-être par la tête flottante à droite, sorte d’Ophélie décapitée), globe terrestre, mandoline, homme couché ou lévrier (particulièrement dur à saisir – voyez la patte en bas et la tête tournée vers la gauche, cachée dans les collines) … impossible de le saisir dans son entier. Voir une figure conduit à en abandonner une autre, si bien que le tableau n’est composé que des méandres de l’œil, qui le recomposent sans fin. La « bistabilité » est tellement multipliée qu’elle devient totalement instable.
Cette mise en évidence du caractère inépuisable de l’œuvre devrait me conduire à cesser de faire des fixettes sur ce qui, de surcroît, n’est pas immuable (et dont la compréhension est toute versatile) ; mais, que voulez-vous, si je ne peux pas tout comprendre, j’aime à en faire le tour, histoire de cerner les problèmes et difficultés. Ou pourquoi ce post à n’en plus finir – parce qu’il est encore sur sa faim.

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Les galets du petit poucet


Première formule du jeu de cache-cache imagé : l’image cachée par une interprétation immédiate. Pour la repérer, il suffit de demander au tableau de présenter son meilleur profil, et là, la tête dans les nuages, vous pouvez commencez, comme Roger Caillois, à remplir vos poches oculaires (gaffe aux cernes) de galets humanoïdes que vous n’aurez même pas à peindre dans un atelier estival post-plage, parce que cela a déjà été fait pour vous. Pour vous, oui, puisque les organisateurs de l’exposition affirment qu’ils ont sélectionné les œuvres où l’ambiguïté était avérée. Mais comme on s’en doute, et comme j’en ai eu la confirmation en lisant leur interview dans des revues d’art, il n’y avait pas de sources explicites pour toutes les œuvres, et ils ont du fonctionner sur un principe de convergence des visions. Sauf que l’organisateur un peu ivre de son sujet voit double : au bout d’une salle le spectateur cherche des nez et des bouches partout, je ne vous raconte pas au bout de plusieurs mois le nombre d’hallucinations de profil. Ou comment prendre conscience de l’importance de l’accrochage des tableaux et de la force qu’a une idée directrice sur ce que vous cherchez à voir plus que vous ne voyez. Qui a vu verra, vu ? ou cru ? (si je vous saoule déjà, c’est cuit).

Pour s’y retrouver, on sème des rochers et on récolte des hallucinations collectives encouragées par des ronds blancs (typique de cette expo claire comme du blanc sur noir) entourant les endroits litigieux sur des repro placées sous les tableaux. Il est précisé au début de l’exposition que ces cercles sont des indices et n’épuisent pas l’œuvre. Juste rappel, mais un peu vain avec un tel accrochage de toiles, où, ce que l’on voit surtout, au final, c’est la tendance humaine à l’anthropomorphisation, qu’elle soit initiée par le peintre ou par le spectateur.

 

Paysage anthropomorphique, de Matthaüs Mevan

 

 

Une image peut en découvrir une autre


L’intérêt de ces figures cachées, et de savoir qu’elles y sont, c’est qu’elles forcent le spectateur à prendre le temps d’observer et de scruter la toile : les éléments clairement nommables redeviennent ce qu’ils ont toujours été, à savoir des formes qui ne se comprennent que les unes par rapport aux autres. A chercher sans trouver, on peut ainsi entrer dans la composition du tableau et prendre le temps de dégager sa structure afin de saisir son fonctionnement. Et le nombre des peintures d’inspiration religieuse au rez-de-chaussée (qui ne sont pas vraiment ma tasse de thé, même si j’ai du leur concéder quelque intérêt après avoir lu les Histoires de Peinture de Daniel Arasse) s’est expliqué à la lecture des revues d’art : ces formes cachées donnent le modèle de lecture des Ecritures, dont il faut être familier pour les pouvoir interpréter. Autant dire qu’en bonne laïque, je n’y étais pas, mais le procédé est ingénieux et l’on peut supputer l’efficacité qu’il devait avoir lors, dans la mesure où la force de l’exposition altère notre vision et la déforme presque sous le coup de ce que l’on cherche à nous faire voir. Jusqu’à la déformation.

 

Une image peut en occulter une autre


Le revers de la médaille (et quelque artiste-artisan a d’ailleurs exploité l’expression en y dédoublant l’endroit d’une double figure), c’est que la chasse du détail se fasse au détriment de la cohérence du tableau. Henri Met de Bles nous offre un remake de où est Charlie ? avant l’heure, à ceci près qu’à l’image de sa chouette signature, il faut avoir la vue perçante. Dans la série, il y a un tableau d’origine incertaine attribué au peintre – et Palpatine de souligner qu’il suffit de coller une chouette pour se faire passer pour l’artiste. Lorsque l’image cachée n’est pas une forme offrant une double lecture mais un élément non équivoque simplement dissimulé, le risque est que le tableau cache moins l’élément en question qu’il n’est occulté par lui. Une image peut en cacher une autre, mais il n’est pas certain que la première occurrence désigne forcément le tableau lui-même. A ce jeu-là, la dimension ludique du plaisir esthétique s’émancipe de l’art pour n’être plus que jeu. Même si l’on peut espérer que celui-ci séduise quelques réfractaires à celui-là et l’y convertisse. Ainsi d’un gamin au milieu de la troupe familiale qui demande qu’on l’attende, il n’a pas vu ce qu’il y avait « à voir ». Encore un petit effort pour éviter cette vision restrictive. Bon signe néanmoins quand on entend le commentaire de la mère « lui qui d’habitude traîne les pieds pour aller au musée… ». Ce sera cette fois pour en sortir.

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Ce post étant monstrueusement long, j’ai décidé de le scinder en quatre parties, qui ne sont pas, je tiens à le préciser pour Melendili, les parties d’un plan archi-structuré, mais une simple quoique lente progression dans le dévidement de ma bobine d’idées. En guise d’excuse, quelques raisons à cette longueur : la richesse désordonnée de l’expo, l’enthousiasme hystérique qu’elle m’a déclenchée, symptôme de l’envie maladive de tout recenser pour tout mémoriser – et également l’envie de ne pas faire d’un « cet exposition met en évidence comment nous voyons » (type de formule qu’on trouve dans à peu près tous les articles sur cette expo) une expression expéditive visant à se débarrasser de la complexité (difficile mais fascinante). Je ne prétends pas y être parvenue, mais du moins j’aurai essayé.


 

Comme un train en cache rarement un autre le dimanche après-midi, je suis arrivée plus tôt que prévu à Paris (cf le post précédent – je fais tout à rebours, en ce moment, ensuite vous aurez le post sur le spectacle à Montansier de samedi dernier), et donc direction le Grand Palais.

 

Poussière dans l’œil

La première salle est aussi certaine et ordonnée qu’une introduction de khôlle, mais la problématique est posée : voir est moins une évidence qu’une activité de mise en forme, qui passe par le fait de regarder attentivement avant de parvenir à voir.

Petit training oculaire avec des illusions d’optique connues, comme le vase qui, évidé, laisse place à deux visages de profil, et des images d’Epinal entrevues pour cause de paquet agglutiné devant et en grande discussion sur leurs points de vue (au sens propre). Moins facile à tenir est le 2 en 1 lapin- canard.

 

 

C’est un peu comme l’union et la division de l’âme et du corps chez notre ami Descartes, cela ne peut pas se penser en même temps et sous le même rapport – ah non, ça c’est Aristote. On ne court pas deux lièvres à la fois ; pour ma part, j’ai plutôt chassé le canard. Si ayant vu (l’un puis l’autre) on a du mal à voir (les deux à la fois), apercevoir deux figures est encore moins donné. Pour toutes les images de ce type, il y a une des deux figures qui saute aux yeux tandis qu’elle masque l’autre, si bien que dans les salles, on entend les gens qui mettent en commun leurs points de vue pour compléter une image « mais si, là, tu vois, il y a un œil, là ça fait un nez et… » (suivi ou non d’une onomatopée de révélation). Dario Gamboni a définit ce processus de « bistabilité » : «  Lorsqu’une image est double ; qu’on peut la voir (c’est-à-dire aussi l’interpréter) de deux façons, et que ces deux aspects possèdent la même prégnance, il s’établit une oscillation entre les deux perceptions. » Il y a dans les images des points de bascule auxquels l’œil s’accroche et qui permet un retournement de l’image. Les prises de cette escalade ont intérêt à être assurées parce que l’image résiste si l’imagination n’est pas tout appliquée à son objet (et dans mon cas, j’ai beau commander un lapin, je me retrouve avec un canard laqué).

Cela m’a rappelé la reproduction de Vasarely qu’il y avait chez mon père et sur laquelle je me concentrais pour voir les cubes et les sphères dans un sens ou un autre – le moindre relâchement au cours de cet exercice mental et tout repartait en sens inverse – à croire que nos yeux ont l’esprit de contradiction. Tout est question de points de repères qui aident à la structuration. Si l’on accroche les mauvais, on est foutu : réveillé la nuit dans une chambre qui ne vous est pas familière, si vous croyez un instant que le lit est dégagé sur la gauche alors qu’il l’est sur la droite, vous risquez fort de vous heurter à un mur mental (voire réel) et d’être obligé d’en faire le tour à tâtons avant que la disposition de la pièce retourne à sa place dans votre esprit (si vous n’avez pas réveillé la chambrée en heurtant l’échelle du lit superposé, vous avez gagné le droit d’aller boire un verre dans la cuisine). Je vous égare dans mes souvenirs de ski d’enfance, retombons-y carrément en ouvrant un livre d’images, la peinture commençant véritablement dans la salle suivante.