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02 juin 2016

Painting with Light

Lent développement

L'art et la photographie des préraphaélites à l'âge moderne : l'exposition Painting with light oscille entre juxtaposition (l'art des préraphaélites à l'âge moderne, la photographie des préraphaélites à l'âge moderne) et coordination (la réaction de l'art à l'émergence d'une nouvelle technique). La seconde option est évidemment la plus stimulante ; c'est ce qui fait de l'exposition un tout supérieur à la somme de ses parties, lesquelles, hormis quelques chefs-d’œuvre (pour l'essentiel issus des collections permanentes du musée), ne sont pas des plus passionnantes prises individuellement.

La curiosité de découvrir les supports des premières photographies (plaque en argent, notamment) le cède assez rapidement à un intérêt poli, sans commune mesure avec l'émotion esthétique que je viens habituellement chercher au musée ; si je n'avais pas déjà été à Édimbourg, j'aurais probablement passé la première salle au pas de course, les photos de panoramas n'étant pas spécialement ma tasse de thé. Les photos posées m'amusent davantage, moins en leur qualité d'étude préparatoire (cela sert notamment pour les positions difficiles à tenir – genre une grosse jarre en équilibre sur la tête) que pour les souvenirs qu'elles font remonter, de quelques après-midis passées avec ma cousine, avant le numérique, à nous déguiser et à installer des décors de bric et de broc pour nous photographier ensuite dans ces mises en scène – une ou deux photos par composition, guère plus1.

Peu à peu, en même temps que la technique abordée se peaufine, les clichés d'intérêt purement historique se raréfient, le propos de l'exposition se construit, et de vagues souvenirs de Walter Benjamin s'animent dans un coin de mon esprit… l'ère de la reproductibilité technique…

 

Déroulé de la pellicule

Dans un premier temps, les peintres voient dans la photographie une formidable aide et s'enthousiasment pour sa précision. Mimésis médiée : l'art copie la photographie qui enregistre la nature. Cette passion ravivée pour la chose en elle-même s'accorde bien avec le scientisme ambiant. Pour John Ruskin, il s'agit de peindre ce que l'on voit « rejecting nothing, selecting nothing » : la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Comme si la vérité était factuelle et non discursive… Le leurre est tenace : Millais se voit ainsi reprocher de peindre à partir de plusieurs photographies combinées. C'est pourtant là que cela devient intéressant, quand les écarts par rapport aux photographies font ressortir les partis pris de composition, quand on se rend compte, via la disparition des arbres photographiés, que la berge nue choisie par le peintre pour son Ophélie renforce l'horizontalité du corps flottant.

La précision photographique a du bon…

Glacier of Rosenlaui, John Brett
[Quand la précision donne le tournis et l'observation scientifique redevient esthétique… On dirait vraiment une mer de glace, houleuse, figée dans l'instant par un sort.]

 

et du moins bon.

[Ce tableau de David Octavius Hill, réalisé à partir de photos individuelles et premier de ce type, est vraiment creepy : l'empilement m'évoque les catacombes…]
 

Un peu comme l'apparition d'un mot infléchit les nuances de sens de ses synonymes, le développement d'une nouvelle techne oblige les autres à s'interroger sur leur spécificité et à se re-positionner. La photographie se révèle imbattable sur le plan de la précision millimétrique : les peintres la lui abandonnent progressivement au cours du XIXe siècle, et l'esthétique picturale évolue vers le flou. Précisément ce qu'il fallait pour que Rossetti nous fasse des tableaux à tomber. Cause ou conséquence, on constate sur les photos que les modèles des peintre pré-raphaëlites (qu'ils se partagent) ont des chevelures mousseuses…

Le mouvement de balancier ne s'arrête pas là : le flou pictural inspire en retour une photographie soft focused (je me demande quand même dans quelle mesure le flou des peintures n'est pas lui-même inspiré des « ratés » de la photographie, lorsque les temps de pose démesurément longs donnaient un caractère fantomatique à tous ceux qui y posaient). La photographie va ainsi pouvoir se développer comme un art à part entière - en témoignent les premiers photomontages. Orphée, comme par hasard…

 

Révélations ?

Extase toujours devant Lily, Lily, Lily Rose (un peu abusé de « privatiser » THE tableau de la Tate, non ?). Et quelques belles découvertes…

 

Two's Company, Three's None, Marcus Stone
[Ces jeux de regard…]

 

Dew Drenched Furze, Millais
[Cela fait un peu near death experience pastel…]

 

A Wet Night at Piccadilly Circus, Arthur Hacker
[Encore plus chatoyant en vrai.]

 

Bon à savoir : l'Eurostar a un partenariat avec les grands musées londoniens. Ce n'est indiqué nulle part dans les musées, mais on obtient deux places pour le prix d'une sur simple présentation de son billet de train (de moins de cinq jours). À 16 £ l'entrée de l'exposition, c'est appréciable !

1 Ce que l'on a pu rire de nos tenues de camouflage derrière le yucca, de nos madames Irma de pacotille (on aperçoit l'élastique de cours de récré auquel sont suspendus quantité de paréos) ou de la mendiante en sweat Kappa, qui demande une petite pièce sur carreaux Séyès… (Tendresse particulière pour celle où avec ma longue tresse, mon physique de planche à pain, un short ras du cul et le pistolet en plastique de mon petit cousin, je joue à Lara Croft.)

20 février 2016

Strapless

Strapless est typiquement le bouquin que j'aurais laissé en plan s'il ne m'avait pas été offert. Il se veut l'histoire d'un tableau de John Singer Sargent intitulé Madame X. Mais Deborah Davis, l'auteur, a la mauvaise idée de commencer par le commencement, qu'elle situe deux générations en amont de ladite madame X, aka Amélie Gautreau. On patauge pendant quelques chapitres dans la Nouvelle-Orléans pour finalement suivre Amélie à Paris et, sitôt arrivé, la laisser tomber pour tout recommencer avec Sargent. Clairement, Deborah Davis et le storytelling font deux. Strapless ne fonctionne ni comme roman ni essai : l'illusion romanesque est régulièrement interrompue par l'auteur qui nous faire part de ses hésitations ou des différentes interprétations qu'elle a pu rencontrer, lesquelles font paraître, par contraste, le récit trop fleuri et trop bavard pour une enquête minutieuse qui aurait pu générer son propre suspens.

L'auteur ne sait manifestement pas trop où elle va, mais elle nous y emmène avec plaisir. Oublions les grands arcs temporels du roman ou de l'essai : Deborah Davis a le goût de l'anecdote et le talent des miniatures. L'absence de dramatisation se voit ainsi compensée par des vignettes colorées. Sa description du début des grands magasins, par exemple, je l'aurais bien vue en citation dans mes poly d'histoire sur la société des années 1870-1910. C'est vivant, c'est bien vu. On se laisser entraîner dans le tout-Paris de la Belle Époque avec le même amusement que l'on aurait à feuilleter des journaux d'époque, reconstituant tout un univers à coup de ragots. J'apprends ainsi que le portrait du Dr Pozzi (amant d'Amélie ?) serait l'inspiration du Portrait de Dorian Gray ; que Sargent a rencontré dans son cercle la fille de Théophile Gauthier ; et qu'il a été courtisé par Henry James, sans que l'on sache dans quel sens, les préférences sexuelles du peintre, extrêmement discret, demeurant un mystère (dont on se fout un peu, mais ça a manifestement l'air d'embêter les biographes). On pénètre également dans les coulisses des Salons de la peinture : on apprend que la taille des toiles était souvent choisie comme un moyen d'attirer l'attention, que les lauréats d'une année étaient systématiquement admis à exposer l'année suivante, et que le tout-Paris s'y pressait, au moins autant par goût du scandale que de la peinture.

Le même tout-Paris qui portait Amélie Gautreau aux nues s'empresse de vouer son portrait aux gémonies, sous prétexte que l'absence de bretelle à cette robe décolletée et comme prête à être ôtée est indécente. Occasion rêvée pour brûler une idole qui devait certainement éveiller les jalousies ou réelle indignation bourgeoise ? Il y avait certes largement plus de chair étalée dans d'autres tableaux du salon, mais le nu avance en funambule sur le fil de la morale : s'il est placé dans un contexte mythologique ou biblique, il ne provoque pas un haussement de sourcil ; s'il est rendu actuel, en revanche, ou si l'on reconnaît la modèle (ce qui trahit le sujet biblioco-mythologique comme prétexte), scândâle ! De fait, la nudité est largement moins problématique que l'érotisme. Et, pour le coup, en ne montrant rien, Sargent suggère beaucoup : une bretelle en moins et voilà la robe prête à être ôtée. Si encore la modèle s'offrait de bonne grâce… mais quoi, ce profil ? Les admirateurs en ont assez d'être dédaignés. Trop, c'est trop - ou pas assez. L'attraction d'Amélie a assez duré, et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, c'en est fini pour elle. On éprouve un peu de compassion par principe, mais guère plus car, sous le mystère que veut nous peindre Deborah Davis, on finit par soupçonner une personnalité un peu creuse, celle d'une belle femme un peu vaine et un peu capricieuse, qui avait comme qualité principale de savoir gérer son image. Si le tableau de Sargent lui a coûté sa réputation, il lui assure désormais sa postérité, après une période où le peintre a été mis de côté, jugé trop traditionnel par l'histoire de la peinture, avide de ruptures. Loin du peintre maudit, Sargent a été un portraitiste qui a (bien) vécu de ses commandes. Il a profité de sa double identité américaine-européenne pour s'éloigner de Paris après le scandale de Madame X, et son (abondant) travail aux États-Unis a finalement redoré son blason auprès de sa clientèle européenne.

Le plus drôle, au final, aura été le réseau de coïncidences dans lequel ce livre s'est trouvé : JoPrincesse est tombée dessus lors d'un voyage à New York peu de temps après que je lui ai parlé de mon goût pour Sargent, et ma lecture a précédé de peu l'annonce d'un ballet de Christopher Wheeldon qui en est directement inspiré - ballet que, vous vous en doutez bien, je brûle à présent de voir !

17 janvier 2016

Des courtisanes

Splendeurs et misères : légende dorée et légende noire, mais toujours légende. Il est difficile d'à la fois montrer des représentations et de les mettre à distance pour dégager la plus ou moins grande part de fantasme qui y est attachée. L'exposition que le musée d'Orsay consacre aux images de la prostitution, n'échappe pas à cette difficulté : fascination esthétique et curiosité historique s'éclipsent alternativement et le spectateur, constamment renvoyé de l'une à l'autre, a du mal à ajuster sa vision, comme passant de la pénombre à la plus vive clarté et inversement. Le contraste n'est pas seulement celui, social, qu'il peut exister entre le « bouge à matelots » et la demi-mondaine qui dicte les tendances mode sur les marches de l'Opéra ; c'est aussi et surtout celui qui se dessine entre le contrôle policier exercé sur les prostituées au prétexte de l'hygiène publique et les représentations d'artistes tous masculins qui les fétichisent, que cela soit sur le mode laudatif (on idolâtre la demi-mondaine, quitte à avoir une danseuse si on n'a pas les moyens d'entretenir une courtisane en vue) ou péjoratif (on est la victime innocente de ces femmes prédatrices – au teint régulièrement verdâtre : absinthe que les « verseuses » peuvent vous servir ou couleur du poison qu'on vous administre sous la forme d'une maladie vénérienne)1.

Même si j'ai aimé découvrir ou apprécier IRL certains tableaux (Rolla de Gervex, notamment), l'aspect de contrôle social est celui qui m'a semblé de loin le plus intéressant : l'ouverture des maisons de tolérance, sous couvert de contrôle hygiénique, était finalement une tentative de se prémunir de toute mixité sociale, de lever l'ambiguïté qui régnait de jour dans l'espace publique (thème des premières salles de l'exposition), où l'on ne pouvait pas distinguer d'une manière absolument certaine la prostituée de la femme respectable – sans compter les femmes exerçant des métiers peu rémunérateurs qui cherchaient là de quoi arrondir leurs fins de mois. Les filles des maisons closes (partie centrale de l'exposition), encartées, sont appelées les « soumises » : quand on sait les dettes qui les liaient à la tenancière des lieux, que l'on voit une photo de leur dortoir2 et les examens réguliers auxquels elles étaient pliées (non, je ne veux pas savoir ce que recouvre exactement le terme de « douche périnéale »), on se dit que soumises est bien le terme. On aurait presque envie d'employer celui d'emprisonnées s'il n'était déjà pris par leurs collègues « insoumises » raflées par la police et menées à Saint-Lazare, qui faisait office à la fois de prison et d'hôpital pour les maladies vénériennes. Tout ce beau monde figure dans les dossiers magnifiquement calligraphiés de la police, aux côtés des « pédérastes » dont les liaisons sexuelles sont minutieusement consignées (Melendili me raconte à la sortie qu'on a retrouvé le nom de Proust dans un de ces fichiers). Pour approfondir tout cela, il faudrait se résoudre à affronter l'écriture pleine de circonvolutions d'Alain Corbin et lire Les Filles de noces

Même si cela n'excuse pas le sort réservé aux femmes, seules tenues pour coupables, on comprend mieux cette frénésie de contrôle quand on voit les photos cauchemardesques de patients atteints de syphilis – autrement plus traumatisantes que les clichés pornographiques disposés dans deux salles interdites aux moins de 18 ans. On pénètre dans ces cabinets de curiosité en écartant les pans d'un rideau rouge : une manière, sûrement, de redonner un caractère sulfureux à des images qui paraissent aujourd'hui relativement soft (même si on met parfois un certain temps à déterminer quelle partie du corps appartient à qui3, surtout quand un pénis sort d'un tas de jupon – « homme en bas et jupons », confirme la légende). Les pratiques photographiées, nous dit-on dans la première salle, n'ont rien à voir avec ce qui se passait au bordel : il s'agit d'images créées en studio et destinées à être consommées indépendamment de la chair qui y est représentée. Même s'il n'y a guère que les prostituées qui acceptent de poser pour ces photos, elles relèvent finalement moins de l'histoire de la prostitution que de la pornographie (dont on oublie de rappeler qu'elle est étymologiquement écriture sur la prostituée, et que c'est à ce titre de représentation qu'elle a sa place dans l'exposition). Pour la photo-souvenir, ancêtre de la sextape, il faudra attendre la seconde salle et les progrès de la chimie pour qu'un non-professionnel puisse prendre des photos (moins acrobatiques, du coup).

Ces photos, qu'on sait pourtant mises en scène, brouillent la frontière entre réalité historique et fantasme collectif plus encore que les tableaux des artistes peints avec leur subjectivité d'homme – à un détail près : celui des corps. On voit la réalité des corps ; leurs formes plus opulentes que celles aujourd'hui représentées, déformées par des années de corset, permettent de faire la part entre le canon d'une époque et les déformations de l'artiste hanté par sa créature, parfois représentée à la limite de la difformité.

L'exposition perd un peu en cohérence sur les dernières salles, vaguement plus fourre-tout. « Prostitution et imagination » rassemble les délires qu'inspire la femme à la fin du XIXe siècle (je découvre une belle estampe de femme-squelette et voit IRL ce tableau complètement barré d'une domina qui balade ses cochons, découvert au collège en TPE autour du roman non moins barré de Huysmans), tandis que « Prostitution et modernité » colle tout ce qui aurait juré dans les salles précédentes par des formes ou des couleurs un peu trop vives. Le contraste, il est vrai, est frappant avec les tableaux pour lesquels les maîtresses des uns et des autres ont posé. On retrouve en filigrane cette question que je trouve assez fascinante : à quel moment un nu n'est-il plus assez mythologique ou biblique au point qu'on le décrète choquant ? Et rétrospectivement : dans quelle mesure Marie-Madeleine et consorts sont-elle un prétexte à se rincer l'oeil dans l'amour du prochain ? La limite est extrêmement ténue4 : il suffit de quelques poils sous les bras pour que la nymphe redevienne courtisane ou d'un regard en coin pour que Vénus devienne une Marie couche-toi là…

Je suis restée un peu frustrée, je crois, que les approches historiques et artistiques s'entrechoquent plus qu'elles ne se complètent. C'est inhabituel pour moi, mais quitte à choisir, j'aurais aimé que la composante historique l'emporte : autant l'imaginaire artistique de la prostitution, a l'a tous plus ou moins intégré, autant la source et la déconstruction de cet imaginaire… Il m'a semblé que les gens se pressaient autant sinon plus autour de cartes de visites et jetons de bordel exposés dans les vitrines (autour d'un canapé certes très désirable dans cette exposition surpeuplée) que devant les images interdites aux moins de 18 ans. « C'est un porno », dit d'une voix déçue celui qui croise un camarade coudoyant en sens inverse. Les cartes de visites et les jetons laissent paradoxalement d'autant plus de place à l'imagination qu'ils sont des vestiges tangibles du passé – on fantasme moins qu'on n'essaye de se projeter et de comprendre, s'amusant des variantes dans le vocabulaire constant de l'amour marchant, et reliant les « massages suédois » d'hier aux massages thaï d'aujourd'hui… Un désir de comprendre, en somme, ce que la prostitution d'hier peut nous apprendre de l'homme d'aujourd'hui.


Bonus balletomane
Relation abonné-danseuse oblige, l'expo comporte :

  • une statue de Cléo de Mérode,

  • des tableaux représentant le carnaval à l'Opéra (je mets un certain temps à me rappeler que Garnier n'existait pas encore à l'époque de certains tableaux et que c'est donc l'opéra rue Peletier qui est représenté),

  • une mosaïque taille carte de visite des gambettes de l'Opéra – en réalité des mollets. C'est néanmoins suffisant pour constater que la chair avait le droit de cité.

  • L'Étoile, de Degas. Je n'avais jamais remarqué l'abonné avec son haut de forme en coulisses, mais quand on y prête attention, il entre étrangement en résonance avec la seule autre touche vraiment noire du tableau, le ruban de velours que l'étoile porte au cou – comme une corde ?

 


1
Toulouse-Lautrec est l'un des seuls à « calmer le jeu », celui qui résiste le mieux peut-être à la légende noire comme à la légende dorée : ses dessins montrent des femmes avant de montrer des prostituées.
2 Les mineures avaient des chambres à part. Curieux traitement de faveur : quelle innocence ou quelle respectabilité peut-on vouloir encore préserver chez une jeune fille que l'on prostitue ?
3 Dans le même ordre d'idée, je cherche toujours dans quels sens devaient s'agencer les corps sur la « chaise de volupté » de je ne sais plus quel homme important, dont la corpulence tout aussi importante l'a conduit à aménager ses plans à trois. Pourtant, il y a des étriers (comme chez la gynéco) et des cale-pieds dorés (starting block pour course de fond, à n'en pas douter).
4 En lisant Strapless, j'ai découvert avec stupeur que Madame X de Sargent avait fait scandale à cause de la bretelle tombée sur l'épaule de la modèle… Mieux valait tout voir bibliquement que de suggérer la moindre audace.

 

12 janvier 2016

L'étoffe d'une artiste

Élisabeth Louise Vigée Le Brun, dans son autoportrait, brille d'une beauté que seule une vive intelligence peut donner. Coincés derrière un groupe dès l'entrée (où il a été accroché), Palpatine et moi recommençons à poireauter. Nous apprenons en vrac que l'artiste est autodidacte (avec un père pastelliste, tout de même), que c'est une reine du marketing (la silhouette que le personnage de son autoportrait est en train de peindre se charge de rappeler qu'elle compte Marie-Antoinette parmi ses modèles), qu'elle est une des première à montrer les dents et que cela est pour beaucoup dans l'impression de naturel que dégagent ses portraits (avec le maquillage réduit), que les portraits coûtent plus chers s'ils figurent un bras, plus chers encore s'ils figurent les deux bras et que ceux en pied en coûtent un (de bras), ou encore que la transparence du turban est obtenue en appliquant plus ou moins de vernis noir sur un fond blanc (cela me donne envie d'essayer la turban comme coiffure). Mais les commentaires importent finalement moins que le temps qu'ils ménagent devant l'œuvre, permettant au tableau de se lever devant nous. Il cesse d'être un objet accroché dans un cadre, que l'on regarde par-dessus des épaules, comme si l'on n'avait pas l'âge d'aller au musée ; il se lève et vient à notre rencontre, nous invitant dans son univers, fascinant comme celui des miroirs, parce qu'autre – et identique à la fois.

Pendant deux heures, dans le moment même où l'on joue des coudes dans la mêlée, on se prélasse dans la douceur des étoffes, gagné par la sensualité qui s'en dégage. Parfois, les tissus sont plus éclatants que le modèle, qu'on imagine alors d'une personnalité assez terne ; mais parfois aussi, tout n'est plus que teint de pêche velouté, lèvres soyeuses, cheveux duveteux, yeux satinés et l'on est irrésistiblement intrigué, attiré par ces portraits lumineux, incroyablement vivants. Ils me laissent apaisée, délassée. Le XVIIIe siècle n'est pas ma période de prédilection en peinture, mais comment ne pas soupirer d'aise lorsque les pinceaux nous caressent dans le sens du poil ?

(On passera sur les cartels, toujours écrits en police 12, qui vantent l'œuvre plutôt que d'en donner des clés, et les commentaires pédants de certains visiteurs – dont un qui ne m'a plus fait voir que les coussins, parce qu'effectivement, la peintre fait souvent poser ses modèles le coude sur un coussin et je commençais à avoir mal au dos.)