Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22 janvier 2010

Une exposition en clair-obscur


L'âge d'or de la peinture hollandaise, à la Pinacothèque de Paris



J'étais dans d'excellentes conditions pour voir l'exposition de la Pinacothèque : délicatement repue après avoir trempé une brioche riche en beurre dans le meilleur chocolat chaud du monde, rêveuse à souhait d'avoir échafaudé avec ma grand-mère l'hypothèse de partir toutes les deux cet été à Rome - hypothèse qui a pris la forme de pastas parfumées et tardives dans l'oubli d'une journée en clair-obscur éblouissant, près des pierres qui auraient retenu la chaleur du soleil bien davantage que la splendeur de l'antique passé- et allégée au vestiaire de quelques kilos que leur contenu ne rendait pourtant pas bien lourds. Qui oserait dire de Nicolas Leriche qu'il est pesant ? Prenez plutôt de sa photographe l'adjectif de « dense ».



A l'entrée, j'ai retrouvé l'ex-vierge (urgent de trouver un pseudo - Erato ?), dont j'ai vite découvert que nous nous entendions à merveille pour voir une exposition ensemble. Ce qui va rarement de soi, contrairement à ce que l'on pourrait penser. Entre les maniaques de l'ordre qui refusent de jouer de l'affluence en arpentant une salle en fonction de ses espaces libres, et les zappeurs qui vous pressent justement parce que vous ne les sentez plus autour de vous, trouver un compagnon de musée qui n'alanguit ni ne brusque votre rythme relève déjà de la gageure. Quand de surcroît votre accompagnatrice vous sert de Bible portable pour parer aux lacunes les plus honteuses de votre manque de culture religieuse, vous commencer à la trouver sainte. L'ex-vierge et moi visitons l'exposition de manière élastique, sans être collées, mais en nous retrouvant souvent, pour accélérer devant les gravures de chevaux noueux et partager des rires autour de remarques idiotes. Mais aussi, je vous assure qu'il y avait un Jésus bien pire que les Christ-crevettes vus avec Palpatine au musée Jacquemart- André, qui ressemblait à Golum ; que Aelbert Jansz van der Schoor avait fait rouler son crâne sous toutes les coutures pour faire ressortir la vanité de son modèle mort ; que l'un des peintres devait être un mage noir pour avoir doté une famille entière de nanisme ; et que les paysages enneigés ne vous enflamment pas le neurone à moins d'y trouver un personnage qui fait le zouave.

 

 

Aelbert Jansz van der Schoor Vanité


Nous avons pu râler de concert sur l'éclairage des salles qui tendaient invisiblement à se mettre au diapason des œuvres exposées ; mais comme souvent, l'imitation n'est pas à la hauteur de l'original et les longs panneaux de commentaires déstructurés en blanc sur violet/vert/ marron produisaient un piètre clair-obscur.

 

Malgré les yeux flingués au bout de deux salles, j'ai continué à lire le méli-mélo d'informations socio-économiques (ah, les Pays-Bas, ses tulipes et ses prospères flottes qui font des marchands de petits mécènes et permettent le développement des arts, c'est beau, c'est philanthropique, que c'est civilisé !), biographiques (sûr que ça change la face du monde de savoir que tel peintre a épousé telle illustre inconnue qui lui a pondu x marmaille) et artistiques (je n'avais jamais pensé que le clair-obscur dont la lumière irradiante émane d'une source invisible car tenue cachée derrière une main était particulièrement propre à évoquer le rayonnement qui émane de la divinité) . L'évolution des genres picturaux doit être passionnante à étudier ; au musée Jacquemart-André (les peintres hollandais ont la côte), on apprenait que le paysage est devenu un genre de premier-plan après avoir quitté les arrières du portrait, ici, on tracera la filiation des vanités aux natures mortes, nouvelle occurrence d'un glissement du sacré au profane.


On oubliera les désynchronisations qui font mauvais effet (comme de souligner que Vermeer est l'un des rares à ne pas s'être essayé aux scènes de genre... juste à côté d'un Vermeer, qui en toute logique aurait du être absent de cette salle consacré à ce type de tableaux), et empêchent de trouver cette exposition aboutie, au titre par ailleurs un peu abusif : de Rembrandt à Vermeer, lorsqu'il n'y a qu'un seul tableau de ce dernier...


 

La Lettre d'amour fait néanmoins l'objet d'une interprétation qui m'a bien plu, celle d'une intimité qui se laisse surprendre, le peintre ayant pris soin de disposer des objets qui préservent moins l'intimité en faisant obstacle aux regards qu'ils ne la créent, par leur quotidienneté (le seau et le balais renversé par terre comme signes du désordre amoureux, il ne faut pas pousser), il est vrai, mais surtout par le délai qu'ils imposent à l'entrée dans la scène.

La thématique de l'intimité est également mise en scène dans la Femme à sa toilette, de Jan Steen : elle y est théâtralisée par les rideaux du lit dont on perçoit à peine les baldaquins.

 

(je ne me rappelle pas du cadrage arrondi...)



La qualité d'une expo ne se juge pas à la quantité, mais il ne faudrait pas penser toujours attirer le chaland en lui faisant miroiter quelques chefs-d'œuvres et en remplissant les salles de tableaux à l'intérêt variable.

 


Wallerant Vaillant, Maria van Oosterwijck, peintre de fleurs
Seul élément vivant, la page cornée



Ici, au contraire, (qui me retrouvera la Nature morte avec des livres de Jan Davidsz de Heem ?) les pages ne sont plus tournées, les livres ne sont plus des supports au savoir, au divertissement, à la découverte, etc. En les prenant pour objet (sujet), la peinture les transforme en objets (matérialité limitée à elle-même, jamais animée par l'esprit qui la parcourt) : ils sont réduits à n'être que des choses, usées, entassées, vaines. Cela m'a frappé de voir ce tableau à la suite des vanités, et cela me choquerait presque à présent que Folio ait pris une nature morte de livres pour les Essais de Montaigne, pour qui la lecture est tout sauf engrangement mécanique de petits caractères.



Le contraste de qualité redonne un sens au « chef-d'œuvre » qui prend effectivement le pas sur les autres. Il faut profiter de cette conscience plus aiguë qu'à l'accoutumée pour ne pas sauter d'un tableau à l'étiquette que lui confère la légende (en minuscule et illisible, histoire qu'on oublie que la légende est ce qui est - mais on n'aime pas les lettres antiques, j'en veux pour preuve l'Odyssée dénichée dans un enclos perdu de la BU, pas loin de Kundera *bouhou* , au-dessus de l'étiquette « littérature russe »), et prendre le temps de se demander s'il n'y aurait pas des œuvres de premier chef auxquelles on aurait omis pour une raison ou pour une autre d'apposer l'appellation d'origine (in)contrôlée.

 

(reproduction toute sombre, toute pourrie... si vous trouvez mieux...)


Ma découverte préférée de l'exposition se trouve ainsi en la personne d'Emanuel de Witte, qui a peint un tableau curieux malgré son thème on ne peut plus bateau. Ce qui attire d'abord le regard dans Le Nieuwe Vismarkt à Amsterdam, c'est, en dépit de l'usage, l'arrière-plan, beaucoup plus lumineux que l'étal de poissons. Une réflexion derrière moi, « c'est presque moderne », le rend évident malgré l'anachronisme improbable : c'est à Hopper que les façades me font penser. Comme chez le peintre américain, le cadrage est ingénieux, quoique beaucoup moins ostensible : il empêche le regard de se fixer uniquement sur les chaires sombres de la marchandise, tire le tableau de l'ornière potentielle de la nature morte et lui fait prendre le large en reliant les différents acteurs et lieux de la ville : on devine le port à quelques mats, qui se dressent avec panache derrière le chapeau d'un des clients. On aperçoit ici d'un regard ce que les panneaux explicatifs tentaient de nous brosser de terme d'activité économique et de société, et qui prennent seulement alors tout leur sens.



Le sens du cadrage d'Emanuel de Witte se confirme avec l'Intérieur de la synagogue portugaise d'Amsterdam. Quoique celui-ci m'emballe moins que le précédant, j'ai fini par comprendre que ce qui m'arrêtait et m'empêchait de glisser au tableau suivant comme ce genre de grande scène me pousse pourtant souvent à le faire, c'était le point de vue choisi, qui subvertit la symétrie : la scène étant prise de biais, le regard peut se faufiler ; on ne s'enfile pas les colonnes comme un verre d'eau lorsqu'on est assoiffé.



A défaut d'être vraiment organisée (comme ce post), l'exposition utilise le principe du crescendo et fait languir un peu le visiteur avant de lui donner du Rembrandt. Ce nom ne me déclenche pas des spasmes comme ont dirait qu'il le fait à certains, mais j'ai (été) retenu(e) par sa Salomé blonde et chaudement vêtue (cela plairait à Ariane en lui donnant raison : non, Salomé n'est pas une histoire sexuelle), à la main étrange. Suspendue, elle est pourtant prise dans un mouvement qui n'a rien d'évident (interrogation, désir, autorité ?), et ce poing qui n'en est pas vraiment un (il n'a pas donné le coup) dérange une image bien sage pour celle qui a réclamé la vie de Saint Jean-Baptiste. C'est d'ailleurs ce dernier qui fournit son titre au tableau, et c'est d'autant plus pertinent que celui-ci semble réaliser la décapitation de celui-là par son cadrage cou(pé).

 

Du beau, du moins bon, quelques découvertes sans grande révélation, cette exposition titille tout de même suffisamment le neurone pour que l'on ait envie de prendre son temps à contempler certains tableaux malgré l'éclairage « crépusculaire ».

02 novembre 2009

Titien, Tintoret et Véronèse

 

Vendredi soir, j’ai décidé d’aggraver mon retard de comptes-rendus blog en accompagnant Palpatine, armé de sa mauvaise langue et d’une carte Louvre qui nous a fait transplaner (oui, j’ai regardé Harry Potter hier soir) dans la Venise du XVIème siècle en moins de deux.

Les trois noms du titre de l’exposition annoncent la couleur: on aura droit à de la peinture religieuse Titien est le first, puis vient (chronologiquement – et artistiquement ?) Tintoret, développement du premier avec une belle assonance, et Véronèse achève le massacre de l’effilochage verbal – il fallait bien parfaire la trinité ; et Bassano ? basta !

On veut nous montrer que la rivalité se transformait à Venise en émulation, la cité des Doges ne se choisissant pas un unique artiste officiel qui se reposerait sous ses lauriers. Après Picasso et les maîtres, l’approche comparative semble être à la mode. A quelques doublons près (rarement des triplettes, sauf pour la pauvre Lucrèce qui devient la victime d’un viol collectif), l’exposition des maîtres italiens évite la juxtaposition de tableaux d’un même titre décliné en trois signatures différentes, et organise l’aperçu de la production artistique de l’époque par thèmes, certains évidents, comme « Portraits de représentation » ou « Entre sacré et profane », d’autres moins, comme les « Nocturnes sacrés » qui cherchent à écouler le stock de la section précédente, ou le « Prologue », qui ressemble à une troisième partie placé en guise d’introduction.

 

« Le reflet et l’éclat »

 

Je laisse de côté les « portraits de représentation », devant lesquels me revient une bribe de cours sur l’esthétique, à savoir que le portrait est un genre casse-gueule (mais on vous ouvrira une petite fenêtre sur le côté pour que vous puissiez sauter comprendre au vu de la bataille navale que vous avez affaire à un amiral) pour attaquer sur « Le reflet et l’éclat » qui, promesse de mise en abyme qu’ils sont, m’enthousiasment bien plus.

Coquets et vaniteux, les peintres manient le miroir dans l’intention de prouver la supériorité de leur art sur la sculpture, avec comme argument principal que contrairement à celle-ci, leur art peut montrer simultanément divers aspects d’une même chose. Pas besoin de tourner autour du pot de la statue. A voir la Vénus au miroir de Véronèse, on se dit que cela aurait peut-être été préférable.

 

La pauvre déesse se retrouve avec une petite tête mal vissée sur une stature d’hommasse : pas étonnant qu’elle ne se mire qu’en plan rapproché dans le miroir, Cupidon est un fin psychologue, il veut éviter la prise de bec (cf les colombes en dessous – tout n’est que paix et amour, on vous dit).

 

Titien lui est sans conteste supérieur, qui par le reflet flouté (au cas où nous n’aurions pas compris que c’est un miroir que lui tendent les mômes zélés - un peu comme dans les BD les bulles aux bords dentelés de petit Lu pour indiquer qu’il s’agit d’un rêve du miroir) anticipe l’engouement pour les jeunes filles à une perle (*asymétrie power* - quand j’aurai fini de me les plier en quatre, je vous dirai tout sur ma nouvelle coupe de cheveux). Cela n’empêche pas Palpatine d’être effaré du non-respect des lois de l’optique (et pourtant, il ne porte pas Descartes dans son cœur) et d’invoquer les primitifs flamands et leurs miroirs qui tournent rond.

 

Tintoret n’a apparemment pas peint de déesse coquette, mais pour ne pas le léser, on aura accroché sa Suzanne au bain. Ne reflétant qu’un bout d’écharpe de façon fantomatique, le miroir devient l’indice du reflet volé par les vieillards voyeurs.

Toujours dans les reflets, on oubliera le jeune homme cerné de glaces curieusement orienté (mieux vaut ne pas confier au peintre l’exécution d’un numéro de magie où le corps du modèle est tronqué par les reflets, à moins de la souhaiter au sens propre) pour préférer des anamorphoses sur armure (vérification optique de ce que l’uniforme peut mettre certaines dans tous leurs états – même si le débat n’est pas tranché de savoir s’il s’agit d’une allégorie de la conjugalité ou du deuil, c’est dire combien le mariage est chose joyeuse).

 

« Entre sacré et profane » et « Nocturnes sacrées »

 

La formule « Entre sacré et profane » convient parfaitement à Bassano qui traite des sujets mythologiques ou bibliques comme des scènes de genre : c’est assez fun de trouver les pèlerins d’Emmaüs dans la cuisine (et ce devait aussi être l’avis des commanditaires, puisque le tableau est en nombre d’exemplaire assez nombreux pour jouer au jeu des sept différences), dont la forge de Vulcain n’est pas si éloignée (j’adore la façon dont il peint le feu – un second tableau en donne la confirmation : il ne sait pas y faire, les flammes restent une petite explosion de traits droits, on peu comme un épi de cheveux).

(détail)

En revanche, si la trinité titrée oscille entre sacré et profane, c’est plutôt que tout est prétexte à grande (large et haute) peinture, surtout les pèlerins d’Emmaüs (pas ceux de Rembrandt, malheureusement), parmi lesquels on trouve des femmes (c’est pour les drapés), des enfants (la biodiversité de Ses créatures) et des chiens (on essayera de vous faire gober au détour d’un commentaire que c’est un symbole du bien versus le chat démoniaque ; en réalité, c’est maladif, ils en collent partout – Bassano est allé jusqu’à réaliser des portraits de chiens). Il ne sera pas non plus dit qu’ils aient mégoté sur la couleur : rose et bleu, c’est un minimum ; avec du jaune et du vert, c’est bien mieux. Ils ont aussi mauvais goût que moi, c’est dingue.

Cette désinvolture babillarde a tout de même valu un procès à Véronèse, qui ne s’est pas démonté : « S'il reste de l'espace dans le tableau, je l'orne d'autant de figures qu'on me le demande et selon mon imagination [...] Nous les peintres, nous nous accordons la licence que s'accordent les poètes et les fous ». Quand j’ai commencé à lire la première phrase de la citation sur le mur, cela m’a fait sourire, et marrer quand je suis arrivée à l’assimilation volontaire avec les dingues. Plaider la folie : tactique ou revendication d’identité ?

Je m’autoriserai le droit de ne pas mettre en lumière les « nocturnes sacrées ». Il faut se contenter d’indications très éclairantes comme « chiasme de la mort » (tête – pieds du Christ / pieds- tête de la Vierge). Ecrit en blanc sur gris, cela aurait du me dissuader de trop lire les légendes accompagnant le titre (mais aussi, avec mon inculture religieuse…). Un jour peut-être, les scénographes comprendront que les étiquettes minuscules obligent à des va-et-vient qui induisent gêne (zoom in) et bousculade (zoom out), et bousillent les yeux (puisque la préservation des œuvres exige un éclairage assez faible). A moins qu’ils l’aient déjà compris et qu’ils souhaitent en leur for intérieur que les notices ne soient pas lues.

 

« L’art en personnes »

 

M’est avis que c’est un appendice de la section portraits qui n’en a été éloigné que dans un souci de variété. On ne sait toujours pas de la peinture ou de la sculpture laquelle domine l’autre, ni si la querelle est toujours d’actualité, mais presque tous les artistes représentés sont pourvus de leur petite statuette (inclusion ou référence obligée ?). Le seul portrait à m’arrêter (il faut dire qu’une fermeture anticipée de dix minutes a été annoncée de façon pressante) est celui-ci, de Palma :

C’est moins le regard absent et le geste théâtral du collectionneur qui me perturbe (après tout, il montre qqch) que la pierre grise qu’il exhibe. Et encore… je ne dis pierre qu’à cause des statues qui se trouvent derrière lui. Je devrais plutôt parler d’aplat gris, comme si l’on voulait nous montrer un peu de matière pure, et suggérer que la couleur du peintre veut bien la pierre du sculpteur, puisqu’elle parvient à la suggérer.

 

« La femme désirée »


Cruel manque de temps pour cette partie qui aurait bien pu être ma préférée avec les reflets (bien que n’offrant pas le même degré de médisance potentielle) ; la toute fin a été vue un peu à la manière des touristes en bus à deux étages, qui essayent tant bien que mal de grappiller quelques vues avant quelque tournant fatidique. J’ai quand même pu voir les trois viols de Lucrèce (mais deux de Titien), qui jurent quelque peu avec le titre de la section…

 

Le personnage qui soulève la tenture m’intrigue. Palpatine a suggéré que le viol était collectif. Inci pourrait-elle confirmer avec sa fréquentation des textes antiques ?

 

 

Toujours Titien et toujours le genou de Tarquin entre les jambes de Lucrèce. La symbolique du couteau saute encore plus aux yeux, de part sa forme courbée de mini-sabre qui laisse sans mal prolonger le geste jusqu’à l’endroit où va porter le coup. Si vous doutiez encore du potentiel phallique de l’épée, il vous suffirait de tomber dans le Gaffiot sur « vagina » qui signifie « fourreau ».

 

Le poignard se fait plus discret chez Tintoret, remisé aux pieds de la belle et supplanté par le collier de perle qui irrigue le tableau de cotillons commémorant la chasteté perdue de la belle. L’ondulation des muscles noueux de l’assaillant nous empêchera le bon mot d’Oriane de Guermantes : Tarquin n’est ni taquin ni superbe, malgré l’air tranquille de Lucrèce dont tout l’effroi et la violence subie doivent être transférés dans les contours zigzaguant (électriques ?) des plis des tissus. Si, comme la statue, je plonge la tête a première dans l’interprétation grossière, il ne faut pas en conclure que j’aime le tableau. Je préfère Titien, une fois encore.

Sera aperçu seulement un dernier Titien, qui est la reprise d’une Danaé peinte dix ans plus tôt (et par conséquent située dans le « prologue » de l’exposition).

 

Danaé restera toujours pour moi accolée à Klimt, mais (ou peut-être justement grâce à cela, à l’attention suscitée par l’écho à une œuvre appréciée) celle de Titien m’a quand même bien pluie plue, avec son nuage barbouillé. Dans la partie inférieure gauche du tableau, toutes les courbes sont orientées de même (lit, drap, dos, ventre) et les doigts de la main gauche « ratissant » le drap en pénètrent les plis comme la pluie d’or ne va pas tarder à le faire de la jeune femme, aux joues déjà roses-rouges.


 

On sent que Titien s’est amusé en peignant sa seconde Danaé : l’or n’est plus seulement la matière précieuse en laquelle Jupiter choisit de se transformer pour parvenir à ses fins.

(Clin d’œil que Tintoret reprend sans grande subtilité.)

L’ajout tout domestique du chien (encore !) et la substitution de Cupidon par une vieille (entremetteuse) ne laisse pas grand doute sur la cupidité de cette dernière, ni sur les mœurs dont le peintre pourvoit Danaé. Cela seul pourrait suffire à justifier l’exposition séparée des deux Danaés. Après la religion, voilà que la mythologie sert de prétexte : « Au XVIe siècle, Venise est célèbre pour la liberté de ses mœurs mais les images érotiques ne sont pas admises en public et les prestigieux nus de Titien sont réservés au milieu fermé des commanditaires, souvent étrangers. Les nus profanes de Titien sont empreints d’une grande sensualité, même s’ils s’appuient sur une thématique mythologique et suivent des codes de représentations » peut-on lire sur le site de l’exposition.

 

La prochaine fois, je saurai qu’il faut chercher les vestiaires dans le grand hall, histoire de n’être pas encombrée de mon eastpack orange et mon sac de danse (je me demande même comment les gardiens ont pu me laisser entrer avec ça) et je me renseignerai sur ce qui suit avant de m’éteindre sur un banc au milieu de l’expo et de m’attarder en pèlerinage à Emmaüs.

 

12 octobre 2009

Les primitifs flamands et Cie au musée Jacquemart-André

On arrive les joues bien roses pour voir les Flamands, après avoir fait le pied de grue pendant plus d’une heure devant le musée Jacquemart-André qui expose (une partie de) la collection Brukenthal. Quelque chose dont j’étais curieuse sans pour autant y rien connaître. Je ne suis pas certaine d’avoir saisi le véritable principe d’organisation de l’exposition, alors plutôt qu’un compte-rendu pudding comme j’en fait depuis quelques temps, voici plutôt un assortiment hasardeux de quelques sablés à grignoter dans le parc Monceau, qu’on a rejoint en sortant, par la rue Rembrandt, coïncidence poétique. Voici ce qui peut passer par la tête d’une souris devant des tableaux et ne doit pas nécessairement être attribué aux tableaux (quand tu cognes ta tête contre une cruche et que ça sonne vide…)


Les paysages n’ont jamais été ma tasse de thé, je les trouvais très bien au rang d’ornements de portrait dont on nous apprend qu’ils se sont progressivement démarqués, jusqu’à devenir un genre autonome (j’ai comme un énorme doute sur la grammaticalité de ma phrase, mais une flemme plus énorme encore de trouver une tournure élégante et correcte).

 

 

[Paysage montagneux avec un moulin Jodocus De Momper]

 

La profondeur par la couleur… souvenez-vous en : terre à terre n’est pas gris mais marron, et pour idéaliser tout ce qui est dans le lointain (montagne eu loin, horizon de la mer, ciel, yeux d’un inconnu), c’est le bleu. Glacier, pour statufier tout mouvement et faire entrer votre sujet dans l’éternité.


* * *


Fort heureusement, Bruegel a eu la bonne idée de peupler ses paysages de multiples scènes de genre miniature, et c’est beaucoup plus divertissant à regarder. Le massacre des innocents propose ainsi quelques variations sur les moyens de s’étriper. Le ciel est bien bleu, la neige blanche malgré le sang, c’est coloré, c’est si vif et joyeux que c’en est terrifiant. De loin, verriez-vous grande différence avec le Paysage à la trappe aux oiseaux de Pieter Brueghel le Jeune (ci-dessous)? (si quelqu’un pouvait m’expliquer pourquoi une trappe dans le titre… ça m’intrigue fort) Cette indifférence du paysage au massacre me rappelle Malraux et ses détails anodins (un vol de pigeons sur le square ensoleillé, un verre de vin…) qui paraissent presque obscènes au milieu des combats.

 

 

* * *

 

Pas vraiment un sablé mais plutôt une galette de beurre : L'homme au chaperon bleu de Jan Van Eyck, aussi célèbre que petit. Palpat’ a eu une suprise semblable à celle que j’avais eu devant la Laitière de Rembrandt (qui fait à peine un format A4 if memory serves).

* * *


[La visite chez le médecin du village de David II Teniers]


On retrouve vite ses vieux réflexes enchanteurs qui font voir un alchimiste à la place d’un médecin. Tant qu’on ne sait pas que ce dernier se livre à une analyse d’urine, on peut être fasciné par le reflet du verre de la fiole.

 

* * *


La Sainte Famille de Jacob JORDAENS, ou la naissance du film d’horreur. Franchement, regardez-moi l’ombre démesurée de la main de la femme éclairée en contre-plongée par le cierge !

* * *

[Trois femmes et un enfant : esquisse pour l'été et pour le bac de Jacob Jordeans]

[désol:ée pour l'affreux cadrage vert]

La juxtaposition des trois études me plaît bien. Les femmes ne sont évidemment pas proportionnées les unes aux autres, mais on s’élance volontiers dans cette espèce de rêverie. La main à gauche, qui plonge hors du cadre. Le chapeau retenu. Le téton qui semble posé sur le tissu. Puis je ne cesse d’être surprise de ce que le front jaune, la joue rose et le duvet de barbe blanche réussissent à faire le portrait d’une femme sans la transformer en père Noël alcoolique avec la jaunisse.

* * *

[Nature morte d’apparat à la colonne de Joris Van Son]

Au milieu de natures mortes glauques de couronnes de fleurs au-dessus d’une sorte de stèle sculptée (mais c’est la dénonciation des vanités, voyons ! Ne cueillez donc pas le jour, il est si vite fané…), j’en ai trouvé une qui se plaisait un peu plus, avec son coquillage vide mais brillant (all that glitters… vide, vain), ses grains de raisins transparents et ses cerises déjà confites. J’ai été un peu déçue de voir que le coup du reflet n’était pas particulier à la chouette nature morte que j’avais remarquée en Italie (mais celui de la galerie des offices était mieux, quand même). C’est curieux tout de même : la nature morte fait tout son possible pour ne pas mériter son nom. Si l’on s’y arrête un peu, chaque élément semble s’efforcer de prendre vie depuis son bout d’éternité entoilée. On y trouve même des éléments vivants non périssables – bien que le papillon soit éphémère, je vous l’accorde. Le pauvre est d’ailleurs comme arrêté dans sa course, épinglé avant d’avoir fait son temps (l’excès de vitesse n’est pas toléré dans une still life). Au final, cette animation immobile, engluée, a quelque chose de glauque. On ira lire les explications symboliques sur le site de l’expo.

* * *

Dans la salle des peintures italiennes de la collection permanente, on a pas mal médit des Christ-crevettes (le poisson, encore, c’est réglementaire, mais la crevette…) - petites sirènes pour l’adaptation Walt Disney. Le pauvre nouveau-né devait être très mal emmailloté dans ses bandelettes : le martyr commence tôt. Les représentations de Jésus encore dans les bras de la vierge Marie lui font souvent une tête austère, adulte, tout à fait angoissante sur un corps de bébé – d’où qu’un tableau de l’expo, dont je n’ai pas retrouvé pas le titre mais seulement un détail, était surprenant : Jésus y avait une tête de bébé, et le couple mère-enfant avait l’air si serein qu’on ne se serait pas douté qu’il s’agissait d’une peinture religieuse si elle n’avait été classé dans la salle du même nom.

* * *


Des collections permanentes, je grappillerai le Portrait de la comtesse Skavronsky par Vigée Le Brun. Je ne sais pas si c’est d’avoir vu le Genou de Claire ou si l’analyse du Verrou de Fragonard par Daniel Arasse a laissé quelque trace dans ma cervelle de poisson rouge, mais les genoux de la comtesse me semblent bien plus indécents que sa poitrine qui semble n’en être que la réduction.

* * *


 

Surtout, je suis restée en suspends devant ce tableau de Rembrandt. La silhouette noire du premier plan est tout à fait fascinante : le personnage qu’elle occulte provoque visiblement une vive impression sur le personnage du milieu, le seul éclairé ; impression d’autant plus frappante pour le spectateur que nous ne savons rien de la silhouette noire qui se dérobe, et semble disparaître dans l’obscurité ambiante du tableau, une fissure dans le premier plan éclairé. Comme mon inculture religieuse n’a d’égale que mon inculture musicale et cinématographique, je ne me doutais bien évidemment pas qu’il s’agissait d’une scène religieuse, à Emmaüs, où des pèlerins reconnaissent le Christ après qu’il ait ressuscité (ça, c’est du rebondissement à faire pâlir les scénaristes de Hollywood). Parce qu’il vaut parfois mieux se taire et laisser parler ceux qui ont quelque chose de pertinent à dire, je vous conseille d’aller chausser quelques instants les lunettes rouges d’un amateur d’art.

* **

Parce que des âneries ne traversent pas forcément l’esprit de tout le monde durant une expo et que les miennes sont fort peu pertinentes d’un point de vue esthétique, voici le site de l’exposition, fort bien fait, avec ses petites notices sur les œuvres et la souris qui devient loupe lorsqu’on la passe sur les reproductions (faut croire que c’est le propre de la souris de grossir les détails). J’ai découvert qu’on pouvait télécharger la visite de l’expo sur mp3 : c’est pas délire ça ?

 

 

 

 

08 septembre 2009

Martin éPAR(R)s

 

J'ai découvert que je connaissais Parr depuis plus longtemps que je ne croyais - cette image a été le "document inconnu" sur lequel j'ai été interrogée lors de mon oral de spé anglais au bac ^^

 

Le titre de « Planète Parr », outre l’allitération, a le mérite de prévenir qu’on ne verra pas au Jeu de Paume seulement les travaux du photographe, mais tout ce qui permet d’en esquisser l’univers : collections de cartes postales, d’objets kitsch et de livres de photos occupent une bonne partie (l’essentiel ?) de l’exposition et précédent l’accrochage des clichés de Parr proprement dits. De même qu'il y a Nicolas et Leriche dans le livre d'Anne Deniau, on voudrait nous faire croire qu'il y a Martin d'un côté et Parr de l'autre (à l'étage, l'artiste est dans les hauteurs). Un PARRti pris.

 

Planète ? Astéroïdes en folie, oui !

Sur le coup, j’avance et regarde sans me poser trop de questions, regardant les photographies sélectionnées par l’artiste pour elles-mêmes. On en goûte parfois une seule, comme celle de Tony Ray-Jones :

 

 

parfois une série, comme celle de Seawright, dont en voici une pièce.

 

Il est amusant de constater que ces photos, loin de « parler d’elles-mêmes » prennent tout leur sens grâce à la légende, qui ne dit pas ce qu’on doit y voir, mais souligne ce qu’on ne peut y voir : que dans chacun de ces lieux ont été enfouis des cadavres.

Mélangées avec des photos « documentaires » dont l’intérêt m’échappe parfois, s’en trouvent d’autres où prévaut le souci esthétique et qui me plaisent souvent davantage. J’aime particulièrement celle de Narahashi, où l’avion semble sur le point de plonger dans l’eau – transformé en poisson-chat.

 

 

Je grappille de droite et de gauche, tout cela me semble assez inégal, et surtout dans le désordre le plus complet. Que veut-on nous faire voir au juste ? Les influences de Martin Parr ? Si le rapprochement avec telle prise de Mark Neville peut être pertinent,

d’autres paraissent à des années lumières de sa planète, justement. Qu’il apprécie ces photographies ne signifie pas nécessairement qu’elles ont forgé son style. On touche peut-être là à l’une des limites de laisser l’organisation à l’artiste même, qui ne dispose peut-être pas d’un recul suffisant sur son œuvre pour en tracer les filiations.

 

Photo.doc : quelque(s) Parr dans l’espace

On pourra néanmoins s’appuyer sur ce joyeux bric-à-brac pour ce demander ce qui fait la valeur de la « photographie documentaire » dont se réclame Martin Parr. Si on la définit comme « témoignage », elle ne vaut pas pour elle-même, mais comme trace du passé – d’où que les plans d’usines disparues puissent vous paraître assez rébarbatifs si vous ne faites pas de thèse sur l’architecture capitaliste des villes minières de l’Angleterre de la fin du XIXème siècle, de même que des clichés de bouts de trucs non identifiés, si vous ne faites pas d’étude sur le pourrissement des carottes sur le bord des rivières. Ce qui en déciderait la prise serait alors l’intuition que l’on est face à un monde en train de disparaître (on pourrait penser aux photos d’Atget du vieux Paris), mais elle ne prendrait de valeur que dans l’après-coup, lorsque le document photographique pourrait être inscrit dans un cadre rendu visible par le recul, et sujet à interprétation.

On pourrait voir son projet de portrait de dix villes de GB (commandé par le Guardian) un peu comme le relevé auquel s’était livré Atget à Paris, et que la photographie devienne (ou prennent pour objet le) cliché n’est pas outre mesure surprenant : ce que l’on identifie comme étant amené à disparaître et dont on doit conserver le souvenir ne peut être que le bien connu (le mérite du photographe reporter consistant à le repérer sous l’habitude du trop bien connu). Alors évidemment, il nous faut un petit échantillon d’excentricité britannique, non bricolée cependant, et les étudiantes de Cambridge effeuillent du Pingouin Book allongées dans l’herbe. Cette série a beau arriver à la fin de l’expo quand on commence à en avoir plein les pattes, et les formats être plus réduits, il n’y a pas que ça, vraiment, on n’y voit pas grand-chose. Documents en attente d’être classés.

Que peut-on alors voir dans une photographie documentaire contemporaine ? Dans le cas du reportage à l’étranger, on comprend assez facilement la volonté de se faire une idée sur l’ « ailleurs » ; il s’agit toujours, comme dans le document d’une époque révolue, de combler une absence, à la différence près qu’elle est spatiale et non plus temporelle, inaccessible et non plus inexistante. Martin Parr, cependant, ses clichés britanniques en sont la preuve, travaille pour ainsi dire at home, ici et maintenant. Ce qu’il nous donne à regarder, c’est peut-être l’aperception, ce que l’on pourrait percevoir mais envers quoi l’on n’est pas assez attentif.

Sa série « Small world » n’est pas seulement une mise en abyme qui consisterait à photographier celui qui mitraille : par ce redoublement, il place devant l’objectif celui qui se cachait derrière, inverse subjectif et objectif. Le retournement met en lumière le rôle essentiel de la photographie dans le tourisme, au détriment même de ce qui est à voir.


Quand l'image prend les devants.

 

Le sujet est bien l’appareil ; le propos, de l’ordre du « j’étais là », comme le bourdon dans une vieille pub pour du sucre, rendu audible par sa répétition. Ce genre de comportement est en effet une tendance à laquelle on résiste plus ou moins, mais dont on n’a pleinement conscience que par le biais extérieur des séries du photographe non amateur ou par son surgissement devant un objet qu’on n’a pas pur habitude de considérer comme un site ou une curiosité « à voir » (un adjectif verbaaaaaaal) – je ne me suis toujours pas remise des touristes asiatiques qui se prenaient en photo devant les tableaux au musée d’Orsay, et pourtant, à y bien penser, ce n’est pas beaucoup plus ridicule que devant le château de Versailles.

 

 

Un monde qui marche sur la tête ? - n'empêche que je devrais essayer cette position, pour avoir de l'ombre sur le blanc de la page et pas de fourmis dans les bras, ce doit être formidable.

 

A gauche, une pub Herbal Essence, à doite, euh, d'autres rondeurs.

 

Celle-ci n'y était pas, mais comme elle illustre parfaitement ce que je vous disais sur Pise, je n'ai pas pu résister.

 

 

On peut parler de critique envers le tourisme de masse, et pourtant, on n’en sort pas, comme se sont amusés à le montrer certains visiteurs en prenant en photo les touristes face (ou dos) aux tirages de Parr exposés dans le jardin des Tuileries – quand l’exposition devient un lieu où être vu sans voir, et l’art un prétexte à une aveugle dévotion.

 

On n’en sort pas, chantons tous en chœur : it’s a small world after all, le cliché est rassurant, on a l’impression de s’emparer du monde d’un simple mouvement mécanique. Qu’on le fasse disparaître en le shootant

Le regard est lucide et d’autant plus amusé qu’il est lucide, puisqu’il se sait pris au piège de la mise en abyme. Pour que la critique laisse place à la satire, il faudrait se sentir à l’abri, et ce n’est que dans la série « luxury » qu’on atteint au mordant (encore que j’aurais bien aimé voir le vernissage de l’expo – s’il y avait du beau monde avec des coupes de champagne à la main, on devait atteindre à peu près le même effet que les touristes devant leur masse révélée). On nous fait remarquer que, contrairement à la pauvreté pitoyable, la richesse, enviable ou méprisable, est bien peu abordée par la photographie documentaire. On a là un indice de ce qui empêche de faire basculer le reportage dans la critique-de-la-société-de-consommation qui est d’un bien-pensant épuisant (car épuisé peut-être). Critique, Martin Parr ne l’est ici pas tant par le choix de son sujet (la panoplie du nouveau riche est finalement assez uniforme, ne différant pas tant que ça de la caricature du capitaliste vu par les soviétiques : cocktail dans la main gauche, cigare dans la main droite, on a troqué le haut de forme contre des lunettes énormes à cigles gigantesques abondamment pailletés et un Motorola dernier cri) que par son traitement.

Si la série « luxury » est peut-être la plus artistique de celles présentées, ce n’est pas parce qu’elle prend pour sujet un monde qui se pose comme esthétique, mais bien en dépit de cet esthétisme affiché : les couleurs criardes qu’affectionne le photographe trouvent ici leur pleine efficacité en subvertissant l’aspect glossy des photos de mode. Ou comment l’élégance du luxe a été détournée par la classe du luxe (tout sauf classieuse). Contrairement au mauvais goût d’une ancienne campagne publicitaire pour Dior, qui restait désespérément lisse malgré les mannequins-manga roulées dans le cambouis, « luxury » a quelque chose de violent, sans être le moins du monde trash ou vulgaire - la photo, pas le modèle : vous conviendrez qu’on ne boudine pas un ventre rembourré dans une petite robe moulante en satin rose – tachée, qui plus est.

Vraiment, le cadrage est terrible. Celui de cette photo également, où l’individu disparaît derrière les signes ostentatoire de richesse, qu’il se choisit. Et qu’on retrouve derrière, la même en décoloré.

Un verre devant la bouche du monsieur, ils chercheraient vraiment à vous faire avaler n’importe quoi. Eux-mêmes avalent n’importe quoi pourvu qu’ils se gavent.

Belle image d’une fête de charité, mais après tout, bien ordonnée, elle commence par soi-même. Bon appétit bien sûr. Je ne l’ai pas retrouvée sur internet (word souligne internet, et souligne word aussi, my gosh), mais elle valait le détour, une photo en gros plan d’un verre où flottait des cerises, tenu par une main aux ongles qui tombaient en friche : très littéralement, le vernis s’écaille.

Retrouvée, en fait, il y a toujours une petite prise illégale qui traîne ^^

Et les aplats de peau écrasée au flash donnent parfois la sensation que les images ont été prises à la fin d’une soirée, vers les 5h du matin, quand il n’y a plus guère que la rosée qui soit fraîche (exeunt le champagne et ces dames). D’autres prises sont moins réussies en ce qu’elles donnent un sentiment de facilité, simple enregistrement d’une société qui prend la pose. Rien à débusquer, les poireaux sont cuits.

 

 

Contrairement à la photo artistique qui s’apprécie à l’unité, la photo documentaire s’envisagerait plutôt sous la forme de série, d’un « reportage » (de repères sur une carte) : après tout, un document a d’autant plus de valeur qu’il peut être recoupé avec un grand nombre d’autres. Cela n’empêche pas que certaines photos documentaires soient artistiques, mais expliquerait quelque Parr une certaine disparité dans les clichés (et le flou – artistique ?- le plus total dans le sélection du rez-de-chaussée).

 

Collections saturniennes

Ce qui produit un effet, c’est peut-être alors le nombre des photos, leur accumulation et regroupement en une « série », sur quoi insiste très justement la scénographie. Les diverses collections présentées dans l’exposition prennent alors leur sens, elles aussi témoins d’un œil qui série – classe, rassemble, compare. L’indice de cette accumulation monomaniaque se trouvait déjà dans un tableau exposé au rez-de-chaussée où se trouvent juxtaposées d’innombrables femmes en manteau rouge, prise le même jour au même endroit (le même en version masculine d’homme d’affaire est également disponible). Le geste du collectionneur se trouve expliqué. Reste à se demander pourquoi tels objets plutôt que tels autres (ou avec tels autres).

Les livres de photographies, quoiqu’il en soit dit dans les blabla explicatifs, ne me semblent pas relever de la collection, cela ne part pas tous azimuts dans une ligne donnée : des bouquins de photos d’un lieu ou sur un thème précis en une période donnée, oui, mais ceux qu’on voit relèvent davantage de la comparaison de différentes manières à partir desquelles forger la sienne propre.

Les collections d’objets sont tout autres et l’amas des objets dérivés à l’effigie d’Obama, par exemple, ne s’arrête pas au mauvais goût de tongs ornées de figurines de sa tête. Très diverses, elles comprennent des choses aussi fantaisistes que des montres à trotter après Ben Laden et Sadam Hussein, une théière Margaret Thatcher au nez de Pinocchio reconverti en bec verseur, des plateaux so kitsch, des barres de chocolat Cadbury imprimées Spice Girl (touché coulé, ça j’aurais pu à l’époque), des boîtes d’allumettes avec le portrait des cosmonautes soviétiques (coïncidence, j’ai enfin vu Good bye Lenin il y a peu) ou des tapis avec les deux tours du 11 septembre (là c’est tel qu’on pourrait se demander si c’est pour faire sa prière en remerciement de l’ébranlement de la puissance américaine, ou pour garder les pieds sur terre et se grandir depuis les ruines de la tragédie). On s’en amuse bien ; les gens regardent ça avec l’intérêt méthodique habituellement plus déguisé lorsque ces horreurs se trouvent en situation, sur l’étal d’un marchant : derrière les vitrines, ils deviennent les poissons d’un formidable aquarium.

Ces collections successives et éphémères se sont finalement que le prolongement d’un même geste ambigu, éternellement recommencé, celui de se souvenir. Le verbe devient substantif, le mug imprimé peut disparaître au fonds du placard, c’est plus commode pour oublier, d’autant que l’exemplaire stéréotypé ne risque pas de faire l’effet d’une madeleine de Proust au prochain déménagement. On retombe dans la thématique du cliché, entre photo et stéréotype, d’où que les objets collectionnés auraient gagnés à être présentés avec la série « Small world » (qui a également sa place à l’extérieur, je sais, on ne peut pas tout faire, il faut faire des choix, une des choses les plus difficile au monde – cheesecake ou pudding ?) plutôt qu’avec les photographes qui ont marqué Martin Parr ou son travail (là encore, le bric-à-brac du rez-de-chaussée ne permet pas de tirer ça au clair). Sans parler des cartes postales curieusement isolées au début de l’exposition, où l’œil ne sait pas encore bien à quoi il doit être attentif, même si l’on peut déjà s’amuser d’une même carte portant le nom de deux villes différentes.

(Et après la surprise au MoMa, je me rends compte peu à peu qu’on n’expose pas toujours de l’art dans un musée – autre que musée explicitement historique ou scientifique, cela va sans dire – mais qu’appréhender l’élaboration d’une vision peut également être passionnant).

 

Au final, on s’est un peu éPARRpillé à jouer au pique-assiette dans les plats nets de notre ami Martin. Il faut être pêcheur, en somme, et savoir remettre à l’eau les prises qui n’en valent pas la peine – tout en s’éclaboussant joyeusement, c’est Parrfait !

 

Je ne sais pas ce que ça fichait là, mais histoire de se quitter sur de bonnes paroles...  ^^