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18 juillet 2013

Le Grand Atelier de la sieste

Aix et Marseille se partagent un même thème et un même titre, L'Atelier du midi, pour deux expositions qui mériteraient d'être réunies : placer la billetterie à 800 mètres du musée en prévision d'une file d'attente inexistante et aligner les tarifs sur ceux du Grand Palais (soit 9 € pour les jeunes) est un chouilla prétentieux pour une moitié d'exposition. Même si des grands noms y figurent, à côté d'artistes secondaires – certains mineurs, d'autres réservant de belles surprises, plus intéressantes que moult toiles de Cézanne, avec lequel je n'accroche pas plus que cela.

 

affiche de l'exposition

Afficher deux noms connus comme bornes, entre lesquels on place ensuite tout ce que l'on veut : la technique marketing de la Pinacothèque est encore à l'heure du jour. À la mode également : la typographie déstructurée, déjà vue pour un festival de jazz - les coups de pinceaux prennent la place des sons étirés à l'ennui l'infini.

 

Des panneaux aux phrases alambiquées écrites blanc sur bleu, on retiendra en gros que la problématique retenue tourne autour de la ligne vs la couleur, donnant ainsi à Matisse le fin mot de l'histoire. Découper dans la couleur : la seule note de surprise pour moi, avec un tableau de Maillol et les toiles d'André Lhote, que je ne connaissais pas. Je commence à m'interroger. Peut-être a-t-on trop vu les impressionnistes pour pouvoir à nouveau les regarder. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les autres mouvements et les peintres secondaires attirent davantage l'oeil : ils introduisent un léger décalage, un pas de côté, un souffle d'air à distance de la montagne Sainte-Victoire et des oliviers figés dans la brume de chaleur. Pour le reste, on a si bien assimilé la manière de voir des impressionnistes que leurs tableaux virent au cliché : on s'attarde davantage devant la carte de la Provence dessinée à l'étage du musée, qui géolocalise les tableaux, que devant n'importe lequel d'entre eux. Le savon cher à Ponge ne décrasse plus l'oeil du visiteur, il est devenu une marque du folklore provençal. Tandis que La Vague de Maillol, elle...

 

Maillol, La Vague

 

Sur notre faim, nous faisons un tour dans les expositions permanentes : quelques Cézanne, encore ; un tableau du XVe siècle si vif qu'on le dirait surréaliste (des seins tout ronds, comme détachés du corps, d'albâtre) ; un jeune marquis en robe rose, le corset remplacé par une armure – car le rose, proche du rouge, était alors une couleur pour les vaillants ; un portrait étonnant d'une vieille femme, dont on ne sait pas qui y est peint, ni qui l'a peint, ni même à quelle école il appartient. Dans l'ensemble, on a l'impression d'un bric-à-brac qu'un conservateur a aussi vaillamment que vainement tenté de mettre en perspective.

À Marseille, le MuCEM donne la même impression : ce musée, très réussi d'un point de vue architectural, est malheureusement rempli de vide de ce qu'on a pu trouver à droite à gauche, qui pourrait servir de support aux scolaires pour les cours d'histoire sur la démocratie, les religions et les cultures autour de la Méditerranée. Les expositions temporaires ne semblent pas valoir mieux : Au bazar du genre, que Palpatine a parcourue et que, n'ayant pas le statut de chômeuse et pressentant l'arnaque, j'ai découverte à la librairie via le catalogue d'exposition, ne réussit guère à faire passer le bric-à-brac pour un concept muséologique. 

Si l'on ajoute à cela que pas mal de tableaux du musée d'Aix provenaient des réserves du musée d'Orsay, on en arrive au constat qu'il reste encore pas mal d'efforts à faire pour que le Midi propose une offre muséale qui ne soit pas une démonstration de la culture locale à l'attention du Parisien en goguette (plus tolérant face au vide du musée parce qu'en vacances) – de fait, le Parisien est plus au courant que le Marseillais pour le MuCEM. Comme si Marseille ne pouvait voir que les rives de la Méditerranées et qu'on ne devait montrer des impressionnistes* que leur production sur la Provence lorsqu'on s'y trouve. Allez, on se réveille, l'heure de la sieste est passée.

 

* Ou plutôt, comme on me le faisait remarquer sur Twitter : impressionnistes, post-impressionnistes, fauves, cubistes... L'expo brassait les mouvements (pourvu qu'on reste dans le Midi) ; c'est moi qui fais une fixette sur les impressionnistes dont j'ai soudain fait une overdose. 

09 février 2013

Rouge, Valentino ?

L'aile sud de la Somerset House a le chic pour accueillir des expositions où l'élégance est le maître-mot. Après celle consacrée à Gruau, sur laquelle nous étions tombés par un heureux hasard il y a deux ans, voici une rétrospective Valentino, qui a fourni un prétexte parfait pour retourner à Londres.  

Cent trente sept robes sont disposées de part et d'autre d'un immense couloir-podium sur lequel on a du mal à défiler, tant le travail minutieux de couture et de broderie retient l'attention. J'aime particulièrement les jeux de transparence qui introduisent un érotisme subtil et donnent une image de la femme qu'on se plairait fort à incarner, jambes magnifiées et dos sublimes : être le corps enserré par les cordelettes de satin de cette robe étroite ou le cadeau qu'enveloppe cette autre robe au gros nœud.

Et parce que l'intelligence rend plus belle encore, le livret de l'exposition inclut un glossaire explicitant les termes non-cousus de fil blanc et la dernière salle les illustre échantillons et vidéos à l'appui. Ces innombrables manipulations pour un résultat qui n'en laisse rien soupçonner, simplement beau, m'ont rappelé les broderies de ma mère revenue d'un stage chez Lesage – à ceci près que les mains expertes vont à toute vitesse, semblant couper et coudre au pifomètre quand celui-ci n'est rien d'autre que des années de savoir-faire condensées en réflexes.

Les roses, parmi les rares touches de rouge de l'exposition, séduiront sûrement les fans du couturier mais mon âme d'enfant jouant à la pâte à modeler garde un faible pour les boudins, pardon, les budellini, des brins de laine recouverts de soie qui, cousus côte-à-côte, donnent l'impression de savamment ligoter le corps. Bref, l'élégance faite robe, l'élégance fait main.  

22 février 2012

Danser sa vie ou viv(r)e la danse

Première fois que je mettais les pieds à Beaubourg (c'est le moment de vous indigner). Et dernière fois que j'irai en talons. Soucieuse d'éviter les pavés, hostiles, je me suis rabattue sur les dalles sans voir qu'il n'y avait pas de joints entre elles. Résultat : un talon enfoncé dans un intervalle, un bout de nubuck arraché. Sur des chaussures neuves, tout va bien. Je vous raconte ça pour vous faire partager mon désarroi, mais également pour ne pas oblitérer une circonstance de moindre bienvaillance envers Beaubourg et ses entrailles artistiques. Car, autant vous le dire tout de suite, l'exposition m'a intellectuellement intéressée, mais elle ne m'a pas donné cette sensation si particulière aux musées de liberté et de malléabilité de l'esprit, cette sensation de rafraîchissement qui fait tout l'intérêt du Savon de Ponge. Quel dommage que là où il est question de l'art du mouvement et des corps, le déclic propre à nous dérouiller soit absent et nous prive de cette sorte de délassement si agréable.

L'exposition manque clairement d'un fil conducteur, au-delà de la structuration temporelle et stylistique. Ni vision de la danse à travers les arts plastiques ni influence de celle-là sur ceux-ci ou de ceux-ci sur celle-là, Danser sa vie annonce une persepctive qui ne correspond en réalité qu'à la première partie, axée sur la danse comme expression de soi. Pour ce qui est de l'abstraction (2e partie) et de la performance (3e partie), il faudra m'expliquer. A moins de se vouloir la métaphore simpliste de la répétition mécanique du quotidien moderne, je vois mal à quelle vie pourrait bien faire référence la géométrie en carton-pâte du Bauhaus, et je doute que la danseuse de Fabre qui se roule dans l'huile, entièrement nue et les jambes si bien écartées que l'érotisme l'est aussi, ait quoi que ce soit à nous faire découvrir en dehors de son anatomie. 

Je râle, je râle, mais j'y suis tout de même restée trois heures, à cette exposition. Ma déception vient peut-être de ce que j'ai découvert derrière les grands noms des débuts de la danse moderne/contemporaine. Les masques grimaçants de Marie Wigman, les rondes de Rudolf Laban, les sautillements d'Isadora Duncan dans la nature, rien de tout cela ne m'émeut. Je les vois comme des passages nécessaires pour ouvrir la voie à d'autres chorégraphes, des curiosités historiques plus qu'artistiques. En revanche, la danse de Loïe Fuller est hypnotisante. Enfin, les danses qu'elle a inspirées, puisqu'elle a refusé de se faire filmer -- ce qui n'est pas toujours une mauvaise chose, il suffit de voir Anna Pavlova et ses battements d'ailes affolés que ne renieraient pas les ballets de Trockadéro pour se convaincre que le talent de l'interprète peut être occulté par l'évolution technique de la discipline. Rien de tel pourtant dans le cas des danses fulleriennes ; même la colorisation du film sur pellicule n'ôte rien à la poésie du mouvement, au contraire. Je comprends mieux les exaltations de Mallarmé devant ces voiles plus fascinants que les flammes d'un feu de cheminée : tantôt fleur, la danseuse s'ouvre, tantôt la plante carnivore la dévore, la faisant brusquement disparaître -- métamorphose continuelle.

 

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Photo chipée ici
 

De la première partie de l'exposition également, des sculptures miniatures de Rodin. Son Nijinsky colle bien au Projet Rodin de Maliphant (chronique à venir), mais c'est une autre pièce, sans titre précis, qui m'a tapée dans l'oeil : avec le bras qui enserre le genou ramené vers soi et la tête inclinée sur l'épaule, cette statur donne davantage le sens du mouvement que bien des vidéos diffusées dans les salles. Amusant à ce propos, d'ailleurs, de noter que l'encastrement dans le mur des écrans donne à ces télévisions, et à ce qu'elles difusent, la légitimité d'une oeuvre picturale encadrée et accrochée.

Je passe vite sur le Sacre du printemps de Pina Bausch, dont la captation n'égalera jamais le spectacle (même la répétition) ainsi que sur L'Après-midi d'un faune, que j'ai eu l'occasion de voir à l'opéra, et m'arrête devant une chorégraphie d'Anna Teresa de Kersmaeker en pleine nature : proximité de l'étang ou parenté d'un mouvement sec du poignet avec les cygnes de M. Bourne, le canard s'impose en idée peu volatile (mais une danse des canards par Anna Teresa de Kersmaeker, quoi). On ne peut pas dire non plus que cela m'en bouche un coin coin.

Vient s'ajouter à mes enthousiasmes une peinture à moitié abstraite d'un bal dont je m'étais promis de retenir le nom et que j'ai évidemment oublié : les formes font émerger des couples qui se fondent dans le mouvement des couleurs. Allers et retours de la forme à l'informe, la danse est là.

La leçon de William Forsythe est un régal, qui explique, traits virtuels à l'appui, façon La Linea, comment se construit le mouvement à partir de lignes dessinées par ou dans le corps. Ligne de l'avant-bras, ligne établie dans l'espacement des deux coudes, ligne que l'on dessine en creux, en l'évitant tout en l'approchant au plus près (du limbo artistique, si vous voulez)... (dessins obligent ?) on voit parfaitement ce qu'il veut dire, et quand on le voit, on n'a aucune difficulté à le ressentir ; les lignes deviennent des ondes de choc. Voilà le genre de démonstration qu'il faudrait diffuser pour rendre la danse lisible et accessible par tous. Pas de discours métaphysique, c'est simple, efficace, on comprend le principe, on apprécie.

Un extrait de The show must go on de Jérôme Bel nous permet de retrouver Cédrix Andrieux (dans le coin, côté cour). Les danseurs immobiles en arc de cercle qui se mettent à gesticuler quand se fit entendre le refrain Let's dance !, je n'y peux rien, ça me fait marrer. Tout comme d'observer que, malgré la palette de mouvements dont est capable un danseur professionnel, lorsqu'ils se mettent à bouger comme en boîte de nuit, c'est toujours selon un petit nombre de mouvements définis, qui se combinent en séquences répétitives. Quelques mouvements trouvés par le corps selon ses facilités (petits sauts, flexions très ancrées dans le sol, déhanchés... il y a toujours une dominante) et adoptés selon les personnalités (plus ou moins timide, expansive, extravertie...). Très amusant.
 


A la fin de l'expo, crevés, Palpatine et moi nous sommes affalés à proximité d'un grand écran où était projeté une chorégraphie de Lucinda Childs sur un morceau de Philip Glass (Amoveeeeeeo), à peine audible, diffus dans la salle comme s'il venait d'un autre écran. Une danse aussi minimaliste que la musique, à base de pas chassés et de temps levés, épicée de temps en temps par un contretemps/changement de direction en quatrième avec des bras classiques. Cela pourrait être lassant mais c'est hypnotisant, et mieux : lassant. Cette danse vive qui tourbillone lentement dans l'espace m'évoque par son obstination les derviches tourneurs. Palpatine, lui, y retrouve les sautillements des disciples d'Isadora Duncan. Pas faux ; je me rends compte que, transposés de la nature à la scène, j'en goûte mieux l'art(ifice). Et que ce genre de parrallèle, précisément ce que l'on peut attendre d'une exposition, fait défaut à celle-ci. Que cela ne vous empêche pas d'y aller (et bien accompagné, pour le coup).

12 octobre 2011

Le goût du jour pour le XVIIIe : la mode corsée

 

Louis I
Louis II
Louis III
Louis IV
Louis V
Louis VI
Louis VII
Louis VIII
Louis IX
Louis X (dit le Hutin)
Louis XI
Louis XII
Louis XIII
Louis XIV
Louis XV
Louis XVI
Louis XVII
Louis XVIII

et plus personne plus rien...
qu'est-ce que c'est que ces gens-là
qui ne sont pas foutus
de compter jusqu'à vingt ?

 

Ce poème de Prévert m'a trotté dans la tête pendant toute l'exposition du XVIIIe au goût du jour. 1, 7, 4, les habits sont présentés dans le plus grand désordre par rapport à leur légende. Le scénographe n'est pas matheux, pour sûr, et ne peut se targuer d'un grand sens artistique pour compenser : franchement, la robe rose dans la seule pièce à dominante rouge du Trianon, il faut le vouloir.

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Quant au sens pratique, n'en parlons pas. Disposer une demi-douzaine de robes dans une pièce inaccessible, visibles seulement par l'espace d'une porte à double battant, est d'une crétinerie sans nom lorsque le seul défilé qui tienne est celui des touristes.

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 [photos cliquables]

Récriminations mises à part (auxquelles Palpatine, + de 26 ans, rajoutera le prix du billet), je suis ravie de cette exposition à domicile. Mon oeil a tendance à passer rapidement sur les modèles d'époque pour se fixer sur la haute-couture - ne serait-ce que par la taille des mannequins, qui ne vise plus vraiment le mètre cinquante de la comtesse de douze ans. Ce sont surtout les corsets et leurs lacets, ce me semble, que les créateurs ont mis dans leur (robe à) panier. Mais on ne va pas s'en plaindre, surtout lorsque les robes à la française (à gauche) laissent la place aux robes à l'anglaise (à droite), qui devaient permettre de filer plus vite le grand amour.

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 [autres photos ici]

Première accroche : chemise froufroutante cintrée par une veste en cuir jaune pâle, au-dessus d'un jupon bleu, pour une Chanel des Lumières. Robe richement brodée façon rinceau d'où s'échappent des roses : Balmain m'évoque sans miévrerie la danse de cour et le baisemain.

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[Balmain à gauche, Yamomoto à droite]

Je reconnais presque Yamamoto à sa robe de Cendrillon princière : qui peut aussi bien parler chiffons sur la structure d'une robe noble ? Réminiscence plus forte cependant devant les formes déstructurées et boursouflées d'une robe-manteau noir, je me croirais à Londres - Palpatine et la légende en choeur : Comme des garçons. Robe violette satinée de Viviane Westwood, je comprends l'émoi d'A. Deux coups de coeur enfin, confirmés ensuite aux galeries Lafayette (Palpatine a raison, les boutiques sont encore le meilleur endroit où voir des expos de mode gratuitement et au plus près des modèles) : piano, si je puis dire, la robe à panier gothique de Thierry Mugler, avec son collier de chien à collerette ; forte, Azzedine Alaïa, pour ses petites robes blanches et champêtres qui donnent envie de folâtrer dans le parc du châeau. D'ailleurs, si les couturiers d'aujourd'hui aiment à prendre des libertés avec cette mode d'hier, n'est-ce pas justement pour sa connotation libertine ? En tous cas, j'y prends goût... 

 

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