26 décembre 2015
Extrait des Highlands
Parce que je ne voulais pas reproduire l'épisode de Yosemite, Palpatine et moi avons réservé une journée d'excursion dans les Highlands. À huit heures du matin, nous sommes montés dans un mini-car aux vitres fumés (quelle drôle d'idée dans un pays peu ensoleillé !), qui nous a re-déposés à Glasgow onze heures et près de cinq cents kilomètres plus tard. Entre temps, on s'est gavé de paysages, à travers la fenêtre, le pare-brise, l'écran de l'appareil photo et nos pupilles avides.
Sur le Loch Lomond, un bateau s'enfonce dans un monochrome blanc de brume ; on dirait une estampe japonaise.
Devant les three sisters (comme en Australie, les sœurs vont toujours par trois – et par la montage), j’écarquille en vain mes yeux de moldue : la cabane d'Hagrid est toute entière recouverte d'une cape d'invisibilité.
Plus loin, Ben Nevis ne se départit pas de son bonnet de nuages gris.
L'Écosse, c'est ce pays où tu t'exclames « Ça s'éclaircit ! » lorsque le ciel devient gris clair – gris souris. La chance aussi : la pluie s'arrête et on croit même apercevoir un rayon de soleil lors de notre heure de croisière sur le Loch Ness – une apparition encore plus miraculeuse que le monstre qui, d'après le guide, pourrait être un renne traversant le Loch pour rejoindre une femelle ou bien un combo phoque + dauphin pratiquant la natation synchronisée.
Notre guide est haut en couleurs ; un vrai tartan écossais. Il travaille comme guide depuis peu ; je l'imagine tour à tour comme professeur d'histoire, lorsqu'il nous raconte le massacre des McDonalds, et professeur de géologie, lorsqu'il nous raconte le pourquoi de l'eau noire du Loch Ness, noire même lorsqu'il fait beau, et la formation rocheuse du pays, bout de continent détaché de ce qui est aujourd'hui l'Amérique, sculpté à la fin de l'ère glaciaire par l'ace. Perdue dans le flot plein de pierres roulantes de l'accent écossais, je me demande quel est cet ace, avant de comprendre qu'en Écosse, on mange des ace-creams. Et puis on aime aussi beaucoup le poyet Walter Scot, moins pour ses poyems ou pour la poyetry en général que pour l'image pittoresque qu'il a contribué à forger de son pays. Je me rappelle à cette occasion que je dois toujours lire The Invention of tradition et me souviens de cette question d'une jeune prof d'anglais à la fac : aurais-je des origines écossaises ? Je ne sais toujours pas si cette remarque devait être prise comme un compliment (les Écossais sont tout de même plus anglophones que les Français) ou non (ils disputent aux Australiens le pire accent qui soit – même si les Australiens gagnent haut la main). Peut-être y avait-il une part de vérité phonétique : j'ai l'impression d'avoir eu moins de mal à me faire comprendre qu'à Londres – sauf pour ce qui est du thé, qui semble être une culture plus anglaise que britannique. D'ailleurs, pour être certains de ne pas céder à la culture dominante de l'envahisseur en vous servant un five o'clock tea, les salons de thé écossais ferment à cinq heures. Four o'clock tea, à prendre ou à laisser (vu le Tetley que notre hôte nous a servi sur l'île de Skye, c'est sans regret).
14:30 Publié dans Souris des villes, souris des champs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Écosse, highlands
Glasgow, de brique et de bof
Tout en pesant un morceau de pecorino au poivre, mon fromager me racontait connaître les meilleurs backpackers de l'île de Skye. L'Écosse, il y a vécu, et en me rendant la monnaie, il m'a prévenue : Glasgow, c'est plus roots qu'Édimbourg. J'ai toussé ; mon fromager a l'euphémisme grain de poivre : malgré sa belle gare centrale, malgré son université Harry Potter-like et ses restaurants-pubs accueillants, Glasgow est faite de brique et de bof. Sans se l'avouer, la mairie doit le savoir et vente sur de grandes banderoles roses à travers la ville : People make Glasgow.
People. Peut-être parce que l'automne a tardé à colorier les feuillages, pas mal de filles ont décoloré leurs cheveux : blancs, roses, verts, bleus. Elles n'ont pas froid au yeux, ni au reste du corps : emmitouflée dans ma veste en polaire, je me demande comment on peut se balader le nombril ou même les jambes à l'air. Le samedi soir, les jupes raccourcissent et les centimètres se retrouvent sous forme de talons aiguilles à plateforme ; j'ai l'impression d'être une nonne – et croyez-moi que cela ne m'arrive pas souvent.
J'essaye de retrouver mon engouement pour Édimbourg : dans le parc qui réveille un vague souvenir automnal, dans le cimetière sans arbre qui surplombe, plombant, un panorama mi-cathédrale mi-ville industrielle, et même dans le plot de sécurité placé sur la tête d'une statue équestre, qui métamorphose le cheval en licorne urbaine – en vain. Je capitule et le jugement tombe : c'est moche.
À la limite, je préfère la zone portuaire, en marge de la ville, qui, de nuit, offre le mirage d'une ville moderne, faisant miroiter dans le fleuve ses bâtiments illuminés, et, de jour, prend des airs de Pays-Bas, avec sa piste cyclable qui file tout droit vers le Loch Lomond, 19 miles, à l'horizon. Qui sera la première étape de notre journée d'excursion.
13:16 Publié dans Souris des villes, souris des champs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : glasgow, Écosse
19 décembre 2015
Rome
Colonnes doriques de l'Antiquité ? Croix chrétiennes en nombre ? Frontons de fontaines ? Je ne sais trop pourquoi, j'associais à Rome à une certaine raideur et, de l'Italie, j'ai visité Venise, Florence et Bari avant de même penser à la capitale. Palpatine en est revenu, avec sa sœur, la bouche pleine d'églises, et il a fallu que Mum, partant du même a priori, me raconte sa surprise d'y trouver pasta, pizza et dolce vita pour que Rome fasse son chemin et que je m'y rende avec JoPrincesse, moi en seconde, elle en première semaine de vacances.
[L'image clichée que j'avais de Rome, illustrée grandeur nature dans une boutique à chaussures du quartier touristique.]
Et j'ai compris.
J'ai compris qu'en réalité, j'aime la carbonara, la vraie, pas celle, crémeuse, que l'on mange chez nous ; et j'ai compris pourquoi on pouvait la défendre avec véhémence. La sauce au vin blanc. La pancetta. Les copeaux de poivre, divins. Et les pâtes all dente, pour soutenir tout ça. Si j'avais su, je n'aurais pas laissé Toni faire mi-carbonara mi-arrabiatta et, à l'alternative blanco o vino, je me serais écriée : blanco, blanco ! (Banco.) Du coup, forcément, on s'est fait rabrouer, comme tout le monde dans le petit restaurant - en chantant, qu'il y avait écrit dans le guide. En râlant, en s'exclamant, oui ! En italien, quoi.
(Je ne comprends pas, en revanche, pourquoi je n'avais jamais entendu parler des suppli, croquettes de risotto à la tomate, roulées dans la panure, avec un cœur de mozzarella, fondant, fondant à rejouer la scène de La Belle et Le Clochard.)
J'ai compris pourquoi La Petite messe solennelle de Rossini. Le côté théâtral de la religion se retrouve dans l'architecture des églises, qui ne vous écrasent pas comme le font les nôtres. Pas de statue qui vous toise. Pas de pierre froide pour vous rappeler votre nudité de ver de terre. Pas d'arches écrasantes pour vous rappeler que vous n'êtes que poussière. Mais : des œuvres d'art, du marbre, partout, des couleurs, des ornements ; rien ne va avec rien, mais les proportions sont harmonieuses, généreuses ; on dirait une gigantesque brocante sur tréteaux, un théâtre où, tout de suite, il devient plus facile de jouer sa vie.
(Je ne comprends pas, en revanche, les couronnes de la Vierge en plastique, illuminées par la fée électricité et, si j'entends l'argument anti-incendie, je trouve les cierges assortis fort tristounets. Offerte. Glissez une pièce et le cierge s'illuminera... ou, dans la basilique Santa Maria, les mosaïques, qui prennent ainsi un air forain, plus encore que byzantin.)
J'ai compris, tandis que nos paroles nocturnes s'envolaient sous trois mètres de hauteur de plafond, que JoPrincesse était définitivement passée du statut de très bonne copine à celui d'amie, forcément intime. Que l'on pouvait partager nos fragilités et nos doutes, fusse ce qu'il y a de plus commun ; estomper les limites de notre personnalité sans craindre de se dissoudre dans la généralité. Évidemment, cela a tiré sur les yeux, au réveil le lendemain, et sur le moment, aussi, pour ajuster la vision que l'on avait l'une de l'autre, faire cohabiter des réalités différentes : une princesse à l'aise parmi ses sujets, ex-vilain petit canard ? On dirait ces illusions d'optique où, selon l'endroit où l'on fixe le regard, les arêtes apparaissent tantôt saillantes, tantôt en creux.
(Je ne comprends pas, en revanche, pourquoi pas avant.)
J'ai compris que la peinture de la Renaissance ne me parlerait jamais, car elle ne parle pas, elle n'impressionne pas : elle fait signe. Comment ai-je pu si longtemps ignorer, moi qui aime tant tout décortiquer, qu'il n'y aurait rien à sentir tant qu'il n'y aurait pas de sens, patiemment élaboré, érudit, déchiffré ? C'est une peinture intellectuelle, et la seule sensation qu'on peut y associer vient de là, de l'ivresse de la pensée. C'est le vertige qui prend lorsque tout Leibniz vient se nicher dans l'espace entre le doigt d'Adam et le doigt de Dieu, l'espace qui donne le libre arbitre de l'homme… et des détournements fabuleux (sur une carte postale : ET telefono casa).
[Souris-fantôme dansant dans le palais Barberini]
[Photo de JoPrincesse, donc]
Je n'ai pas vu passer les quatre heures de visite au Vatican, guidée par une femme qui semblait tout connaître : les marbres importés d’Égypte, les pierres piquées dans le Colisée reconverti en carrière, le pourquoi architectural du gaufrage dans les dômes (pour en alléger le poids), les petites histoires, ragots et blagues papales (radio Khâgnine, bonjour), les bisbilles entre Pie iV (?) et Michel-Ange, entre Michel-Age et Bramante (?), running joke à lui tout seul, tant ses bâtiments ont la fâcheuse manie de s’écrouler. Lorsque la guide explique que les bras de Marie, croisés sur la poitrine, ne constituent pas un geste de défense mais de soumission à l'autorité spirituelle, je fais soudain le lien avec la pose des Willis dans Giselle et, ça y est, je suis piquée. En revenant à Paris, j'ai acheté Le Geste et l'Expression de Barbara Pasquinelli (traduit de l'italien, comme par hasard) pour explorer les liens qu'il pourrait y avoir entre tradition picturale de la Renaissance et ballet. Deux pas en avant, un de côté : je suis décidément un cavalier ; il me faut ruser pour m'incliner à l'érudition, que j'admire sinon de loin. Il me faut avant tout du lien.
Et puis, sans la guide, dans tous les musées et églises de la ville, il y a… Il y a les lieux communs (toujours Marie-Madelaine, Marie, Judith, les mêmes saints) qui font apparaître, peu à peu, les maîtres, l'art et la manière, la douceur, souvent, diffuse, et la force de l'expression, parfois. Il y a la mine dégoûtée de Judith chez Caravage. Un saisissant Narcisse, qui donne envie de redoubler la contemplation (My cell phone, crie celui de Waterhouse sur une carte postale). Une Marie-Madeleine en pénitence toute relative, manifestement plus intime avec la petite mort qu'avec la grande (Marie-Madeleine, quand même, ce prétexte biblique à peintures érotiques…). Des angelots, aussi, qui semblent ré-introduire dans les compositions le kitsch que l'on a créé en les en séparant.
(Je ne comprends toujours pas, en revanche, les corps boudinés de muscles de Michel-Ange. On dirait qu'il peint hommes et femmes indistinctement, se contentant de rajouter à ces dernières deux seins replets qu'on dirait refaits - peut-être manquait-il d'expérience dans ce domaine… J'imagine que ce n'est pas son conseiller en théologie qui l'aurait aidé là-dessus.)
Parfois, aussi, je n'ai pas cherché à comprendre. Dans le kaléidoscope de la ville. En promenade dans les ruelles méridionales du Travestere (là, c'est le Sud, celui que je connais). Au café du château Saint-Ange, avec vue de carte postale sur la basilique Saint-Pierre. Dans les ruines du foro romano et les souvenirs de mes cours de latin, de Chypre et de Grèce (je mélange allégrement ces deux voyages scolaires). L'appareil photo a enregistré pour moi, me laissant libre d'apprécier des rayons de soleil inespérés vu la météo annoncée, la ville bruyante, bruissante, et JoPrincesse à mes côtés, son eau chaude citronnée au petit-déjeuner, mes Panettone à usage unique, nos jambes repliées sur les housses de canapé blanche, les gâteaux légers vanille et cacao spiralés, les cadres penchés réajustés, les glaces en frissonnant un peu, y compris à l'aéroport, parce que les éclats de meringue avec la nocciola, la nocciola sans meringue, la figue blanche, les pizzas à la part, aux aubergines, au basilic frais, les pizzaïolo à fondre, eux aussi, en français dans le texte, et l'officier sur le quai du métro, la chambre jaune, la chambre bleue, les nouvelles chaussures gris souris achetées à un chausseur qui sait travailler le cuir, ça se sent, les heures à arpenter la ville aussi, la fatigue et la détente, les vacances.
Et dans une église un peu à l'écart, pas du tout dans le style des autres, l'expérience du vide. Pas de statues, pas de bancs, pas d'allées, un autel dépouillé qu'on aurait pu prendre pour une table commune dans une salle des fêtes, et des fenêtres, pas des vitraux, des fenêtres très hautes qui donnent l'impression d'être dans la cale d'un navire, très bas, là où l'on ne manquera pas de se faire submerger quand les fenêtres là-haut se briseront, c'est sûr, sous la pression et que des trombes d'eau feront irruption, mi-jugement dernier mi-science-fiction. Dans l'imminence de la catastrophe qui ne vient pas, se profile, pour le croyant, l'angoisse de Son absence, et pour l'athée, la jubilation du néant libérateur, antithèse jouissive du nihilisme. Tandis que JoPrincesse, un peu oppressée, s'éclipse, je joue à me faire peur et savoure cette sensation de puissance démesurée ; s'il n'y a pas de sens, nous voilà libre de créer celui qui nous plaît, sans que cela prête à conséquence car, heureusement, tout a une fin. Jouissance de la finitude. Frisson. Terreur et jubilation.
(Mon Dieu, ça décoiffe.)
Quelques bonnes adresses
- Il Gelato di San Crispino, Via della Panetteria 42, pour la glace avec des morceaux de meringue et la figue blanche.
- Pizzarium, Via della Meloria pour ses pizzas à la part qui sortent du four et ses choupis pizzaïolos.
- Hostaria Dino e Tony, Via Leone IV 60, pour ses pasta alla grigia (pecorino, pancetta et poivre - blanco, donc).
- Franchi, Via Cola di Rienzo 200, pour les suppli siouplaît.
11:29 Publié dans Souris des villes, souris des champs | Lien permanent | Commentaires (0)
08 septembre 2015
San Francisco à la carte
Pour vous promener à votre aise : le plein écran
À votre tour de vous promener dans San Francisco : cliquez, cliquez, gentes dames et damoiseaux !
En violet : les adresses miamesques
En orange : les photos
En rose : le blabla
(Ce qui n'empêche pas qu'il peut y avoir une photo pour illustrer le miamesque, des photos avec le blabla et du blabla avec les photos.)
20:38 Publié dans Souris des villes, souris des champs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sf, san francisco, voyage