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15 mars 2014

I like to be in America

L'Ouverture cubaine de George Gershwin superpose la fente d'une queue-de-pie à l'échancrure d'une chemise hawaïenne. Les maracas se fondent si bien aux avant-bras du percussionniste que chaque coup me fait penser au salut d'un de ces chats en plastique dans la vitrine des restaurants asiatiques (malgré l'anachronisme géographique).

 

Dans la biographie fantaisiste que j'étais prête à lui faire, Marguerite Duras s'est inspirée de la Symphonie n° 4 de Charles Ives pour écrire l'Amante anglaise, un nouveau roman policier où l'on connaît la coupable mais pas le mobile. Car c'est un mobile de sons que j'entends, composé d'éclats de miroirs noircis qui s'entrechoquent doucement et dont on découvre que certains, magnifiquement rouges, ont trempé dans le sang – un mobile de meurtre là où le compositeur entendait « la question que l'esprit humain se pose sur le sens de la vie » (rien que ça).

Et puis, plus prosaïque, j'entends les voisins d'à-côté quand les cuivres se barrent en coulisses et ceux de l'immeuble d'en face lorsque la harpe et les deux trois autres instruments installés en bergerie jouent les quelques mesures qui leur sont dédiées dans ce que le programme qualifie de « forêt de sons » mais que je verrais davantage comme une jungle urbaine. Un bassoniste y joue du coupe-coupe pour se frayer une place jusqu'à l'arrière du piano, d'où il se met à diriger une partie de ses collègues. Puis, autre sécession, un altiste excentré se lance dans un solo, faisant la fierté de son pupitre qui tape vigoureusement des pieds lors des applaudissements. Belle cohésion entre les musiciens ; il n'y a manifestement pas qu'au public que cette soirée atypique fait du bien.

 

A Jazz Symphony de George Antheil, « un cocktail hyper-vitaminé à consommer sans modération », tient plus du jus ACE (carotte, orange, citron) que le serveur, en tenue blanche et noire mais pas pressé, vous sert sous la forme d'une petite bouteille Pago. C'est bon, c'est rafraîchissant mais on se serait attendu à quelque chose d'un peu plus explosif pour la sortie de cette symphonie compactée de huit minutes. Quelque chose comme le bis qui suit, sur une espèce de xylophone-grattoir qui exige des mains d'argent (j'ai cru voir un gros Félix le chat).

 

Premières mesures des Danses symphoniques de Leonard Bernstein : les trois percussionnistes claquent des doigts, au fond et autour de l'orchestre, comme la bande des Jets qui encerclerait les Sharks. Reprise : ils sont rejoints par tous les musiciens qui ont les mains libres, le tubiste en tête, poing en l'air. On est pris d'une irrésistible envie de danser et on s'attendrait presque à voir débarquer The Mask pour un duo endiablé, lorsque l'orchestre se met à crier Mambo ! sous la direction plus qu'enthousiaste d'Ingo Metzmacher, véritable petit pois sauteur.

 

OK by me in America.

Mit Palpatine

09 mars 2014

Tentative d'épuisement d'une hyperactive

Dans les équivalences caloriques des magazines féminins, 10 minutes de Louise Lecavalier équivaudraient à 4h de natation ou une fondue savoyarde : à côté d'elle, un gamin hyperactif paraîtrait neurasthénique. C'est donc avant tout pour la performance que Palpatine et moi sommes allés nous perdre du côté du 104. So Blue, c'est une heure de mouvements effrénés dont une dizaine de minutes, peut-être, d'épilepsie chorégraphique où la stroboscopie musculaire leur donne, à elle et son Popeye d'acolyte, des airs de raveurs. Et puis, à l'opposé du spectre de la vitesse, se trouve un interminable poirier, qui finit par transformer les pieds en algues et les abdominaux en étranges branchies. Le tout manque de-ci de-là de liant chorégraphique, qu'on trouve surtout dans les passages en duo, mais la performance force l'admiration et, d'ahanements en T-shirt trempé, on redécouvre avec stupeur la résistance d'un corps qui trouve dans la fatigue son deuxième, troisième, énième souffle.

Fantasia à Pleyel

Dimanche matin (de la semaine dernière), la moyenne d'âge a chuté de 50 ans à Pleyel. Pour un peu, je me serais sentie vieille au milieu des gamins, venus pour le ciné- quand leurs parents venaient pour le -concert. Symptôme sans appel lorsque je découvre des dessins animés qui ne figurent pas dans MON Fantasia : « C'était mieux avant », quand la texture des peaux de cétacés n'étaient pas repoussante de réalisme numérique et que les baleines ne volaient pas dans les airs. Des baleines dans les airs... on aura tout vu – sauf les hippopotames en tutu et les flamands roses au yoyo, qui manquaient cruellement à l'appel. Heureusement, Dukas se décarcasse et l'apprenti sorcier a fait tourbillonner tous ses balais-bassons. Rhapsody in Blue fait également partie des meilleurs moments : son swing new-yorkais et sa narration polyphonique très structurée changent des évocations animistes de la nature, où tout est libre jeu de formes et de rythmes. L'abstraction ne doit pas être facile à appréhender par les gamins (les questions qu'on entend de-ci de-là me rappellent que je n'ai à peu près jamais regardé la cassette d'un bout à l'autre d'un coup) ; elle correspond davantage à la rêverie esthétique d'un adulte. Les images prennent le relai de ces métaphores que j'aime provoquer lorsque j'assiste à un concert. Plus besoin de les filer, elles défilent devant mes yeux. L'imagination est au repos, il n'y a plus qu'à se laisser emporter par l'onde dans les miroitements lunaires de Debussy (impressionniste, donc), par les roulé-boulés de Donald et Bacchus (je me souvenais des centaures – ce sont eux, je crois, qui ont donné envie à ma cousine de faire de la flûte traversière) ou par les grands cheveux de demoiselle nature qui manque de se faire réduire en cendres par l'oiseau de feu volcanique. D'une manière générale, les forces du mal, auxquelles est associée une certaine puissance tellurique, sont plus inspirantes. Les grands élans de l'orchestre donnent lieu, à l'écran, à de formidables jaillissements : c'est de là que je tiens mon image d'arbre qui pousse à n'en plus finir et je suis persuadée que les nuées de chauve-souris qu'éructe la musique de Beethoven sont à l'origine du projecteur de Batman. Une fois rattrapé le petit décalage entre l'orchestre et la projection, cela fait vraiment de l'effet. Mais le plus fantasiaque reste, avec l'Apprenti sorcier, Casse-Noisette : la danse des champignons est – découverte – un régal de pizzicato. Vraiment, rien de tel que le muet pour donner envie de fredonner.

24 février 2014

Ça fera quat'sous et mille mercis

Allez savoir pourquoi, malgré son titre, j'ai toujours pensé que l'Opéra de Quat'Sous était une pièce de théâtre. Il faut dire que je ne me suis jamais penchée sur le cas Brecht et que je n'avais jamais même entendu le nom de Kurt Weill. La suite pour orchestre de vents jouée par l'Orchestre de Paris a été une heureuse découverte : ces pages musicales se feuillettent comme un album photo numérique, où les clichés, entourés d'un cadre blanc crénelé comme un timbre géant, s'animent quand on les regarde, toujours en noir et blanc. Et pourtant, les extraits sont colorés (hop, un petit verre de vin rouge) et pleins de gouaille avec leurs fausses fanfares. De quat'sous. Drei Groschen. Threepenny. (C'est l'inflation en France ou on est juste Marseillais ?) Dès qu'on commence à être un peu trop à son aise, à confondre cuivres et zinc, la musique s'arrête et nous renvoie à la page du dernier cliché revisité, figé dans cet un-deux-trois soleil musical. Ce sera toute l'idée que je me fais de la distanciation brechtienne.

Ville morte oblige, le Concerto pour violon en ré majeur de Korngold dessine des toits devant moi (des toits d'illustration, à l'aquarelle et au pastel, avec quelques paillettes discrètes à l'occasion). Le survol de mouette majestueuse mène l'essentiel du concerto, qui finit cependant en courses et glissades ludiques de tuile en aiguille. Gil Shaham, antithèse du poète maudit avec son éternel sourire d'imbécile de génie heureux, chevauche encore mieux la mouette que Harry l'hypogriffe. Son aptitude au bonheur semble inégalable et la chaconne qu'il donne en bis donne envie de jouer à la marelle.

La Cendrillon de Prokofiev, je l'ai dans les pattes et, ce que je connais par cœur, mes oreilles l'entendent mieux. Surtout lorsqu'on voit les deux sœurs incarnées par deux violonistes, dont le second tente de prendre la place du premier (violon). Cucendron est un régal – à dandiner du cul sur son fauteuil. Et je ne suis pas la seule : sans même être emportés par une houle d'archers, les têtes et les bustes swinguent dans l'orchestre. Les bassons prennent des airs de saxophone alors qu'ils se font manches à air, tombant, tournant et se regonflant en même temps que le vent. Le chef, bien en train depuis l'Opéra de Quat'sous, danse carrément : le mouvement part des genoux, entraîne le bassin et finit dans la baguette. Bientôt, deux pépins de sueurs apparaissent entre ses omoplates : il a beau être haut comme trois pommes, sa direction est survitaminée. L'attention qu'il montre en traversant les rangées pour aller serrer la main de quasiment chaque pupitre achève de me le faire apprécier. James Gaffigan, on se reverra.