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21 octobre 2012

Dans le dernier Ozon

Une fois n'est pas coutume, je ne vous raconterai pas la fin. Mais c'est bien parce qu'il n'y en a pas.

 

Il y a toujours un moyen d'entrer... mais pas de (s'en) sortir, apparemment.

 

Dans la maison, il y a Raph, le Charbovary que Claude choisit comme camarade-cobaye, Raph, le père de Raph, qui, comme son fils, aime le basket et les pizzas, et Esther, la mère de Raph, qui a « cette odeur particulière des femmes de la classe moyenne » et passe ses journées le nez dans ses magazines de décoration. C'est bien connu, les femmes de la classe moyenne ne travaillent pas et les gamins de tous les collèges publics portent un uniforme à l'anglaise. L'irréalisme fait partie intégrante de la narration : il faut que Claude puisse fantasmer sur une famille pas comme la sienne et que le collégien en reste un en-dehors des heures de classe. Car tout l'intérêt réside dans les rédactions que Claude remet à son professeur de français, à partir de ce qu'il a observé en s'introduisant dans la maison de Raph. D'abord invité par son camarade pour l'aider en maths, Claude passe peu à peu de la chambre de Raph aux autres pièces de la maison, s'immisce dans la vie de la famille puis son intimité.

Heureux d'avoir déniché une plume prometteuse parmi ses élèves, Germain pousse Claude à continuer son récit et à travailler son écriture. La meilleure partie du film réside dans ces savoureux exercices de style où Germain essaye de faire prendre conscience à Claude de la nécessité de se forger un style et où celui-ci adopte tous ceux que son professeur croit deviner dans son feuilleton sur la famille Raph. La superposition de la lecture des rédactions aux images vécues par Claude donne corps à l'écart entre la réalité et sa vision, dont on finit par voir qu'elle est indissociable de cette prétendue réalité première. En effet, le jeu de la famille change selon l'angle de narration adopté : des attitudes et discours stéréotypés choisis pour donner raison au mépris initial de Claude (mépris sublimé en satire par Germain), on passe peu à peu à une expression plus naturelle à mesure que se développe l'empathie de Claude-narrateur (naturalisme pour Germain) pour finir dans le mélodramatique lorsqu'il se met à tout confondre, ses désirs avec ceux de Germain, le sentiment d'être proche de l'autre avec la manipulation d'un personnage, et pour tout dire fiction et réalité (mauvaise série B pour Germain, qui prend peur et refuse de continuer). L'idée est fort bonne, tout comme l'interprétation de Luchini en professeur réac qui déteste les œuvres d'art contemporain qu'expose sa femme presque autant que la médiocrité de ses élèves.

Là où cela se gâte, c'est que Claude n'a aucune idée de ce qu'il veut raconter et le réalisateur, pas davantage. Claude voulait seulement capter l'attention de son professeur ; on a bien volontiers accordé la nôtre au réalisateur qui, après avoir fait monter le soufflé, le tire soudain du feu et le fait retomber d'un coup (un soufflé, ce n'est pas la même chose que des marrons, zut, quoi). La narration du film s'est calée sur celle de Claude : n'ayant pas su s'en détacher au moment critique, elle souffre des mêmes défauts. Le lecteur-spectateur est balloté et finit par se lasser des brouillons de fins qui n'en finissent pas. On avait là la structure idéale pour un « thriller littéraire » – titre que le film aurait mérité s'il avait été jusqu'au bout –, le pouvoir de manipulation est à peine exploité : quelques esquisses de drames familiaux mal préparés dans les brouillons de fins et un sujet de maths volé par Germain, qui entraîne certes son renvoi mais avec une telle précipitation narrative qu'on a du mal à avaler l'hyperbole. Pas de secret de famille dévoilé, pas même un projet de vengeance à l'encontre du professeur : l'édifice narratif, dans lequel on est entré parce qu'il semblait prometteur, n'a en réalité aucun sous-bassement et s'écroule finalement comme un château de cartes – avec comme joker un désir de paternité contrarié. Très contrariant, en effet.  

18 octobre 2012

Like someone in boredom

Parfois, il ne faudrait pas laisser de seconde chance. Après un Copie conforme mi-figue mi-raisin, c'est carrément le pépin avec Like someone in love.

Une étudiante qui se prostitue se rend auprès d'un vieillard un peu spécial par rapport à ses clients habituels (dont on ne saura rien) : avec un pitch comme ça, je m'attendais à trouver une belle endormie. Elle a beau être belle et s'endormir dans le taxi, c'est raté. Il n'y a pas une once de sensualité dans ce film. De l'empathie, en revanche, il y en a à revendre : la jeune fille remuée de rater sa grand-mère venue passer la journée à Tokyo, le fiancé jaloux qui prend le vieillard pour le grand-père de sa moitié, celui-ci qui endosse le rôle sans moufter et elle encore, angoissé par le quiproquo qui ne peut pas bien finir (mais c'est quand même bien que ça finisse).

On passe du temps au restaurant, comme dans Copie conforme, mais encore plus en voiture, et je me prends à regretter le rythme effréné de Cosmopolis, autre huis-clos sur roues. Certes, la lenteur et la pudeur permettent de s'abîmer dans la contemplation de magnifiques reflets (le mac-business man qui se superpose dans la vitre à sa recrue, les lumières de Tokyo sur son visage à travers les vitres de la voiture, son corps dénudé flou sur l'écran de la télévision – vague idée du grain de la peau), mais la technique ne peut pas faire toute l'esthétique d'un film. Ni les gros plans réitérés sur les visages faire durer l'émotion.

On veut nous signifier je ne sais quelle profondeur ; on se heurte à la surface quotidienne des choses, des êtres et du temps. Car d'ellipses narratives, il n'y en a que très peu dans ce film – une nuit et quelques minutes d'un trajet, qui n'existent pour ainsi dire pas à la conscience de la jeune fille dans le sommeil. D'après Umberto Eco, il existe un moyen narratologique de définir le film porno : le temps du récit est exactement le même que celui de l'histoire. « Entrez dans une salle de ciné : si pour aller de A à B, les protagonistes mettent plus de temps que vous ne le souhaiteriez, alors c'est un film porno. » Like someone in love est un film porno. D'où la prostituée malgré l'absence de sexe. Reste à trouver quel est l'intérêt d'un porno sans sexe.

25 septembre 2012

We and the eye of Michel Gondry

« le crack des effets spéciaux cousus main Michel Gondry revient avec un intense huis clos »,
« adroitement trahi par des ouvertures sur le monde extérieur via les réseaux sociaux, liens YouTube et SMS envoyés à la mitraillette »

Étienne Rouillon, Trois couleurs, n° 104. 

 

 

Les films de Michel Gondry que j'ai vus sont un curieux mélange de bric-à-brac (La Science des rêves), de sensibilité (The Eternal Sunshine of the Spotless Mind) et d'humour potache (Soyez sympas, rembobinez !). Presque aucun carton n'a été maltraité pour The We and the I : la sensibilité potache parvient à elle seule à dresser le portrait d'un groupe d'adolescents mouvant et mouvementé.

À bord d'un bus de ramassage scolaire, où se sont aussi perdus quelques civils pour leur plus grand malheur, les groupes sociaux se font et se défont au gré des arrêts et des affinités exclusions successives : caïds/souffre-douleurs, canons/pas sexy, frère et sœurs/bande, ceux qui y étaient/ceux qui n'y étaient pas... La référence récurrente aux invitations qu'une fille canon doit lancer pour son sweet sixteen est révélateur du groupe qui se définit par ce qu'il rejette, avec un système de liste blanche et de liste noire.

Certains tentent bien de se mettre sur liste rouge mais ils n'échappent pas pour autant aux sarcasmes des autres. Car l'exclusion se fait d'abord par le rire, gras comme la crème posée sur le siège juste avant que la victime de l'instant ne s'y assoit ou le beurre étalé sur le sol pour qu'un des collégiens vienne s'y rétamer sous l'œil d'une caméra – vidéo-gag qui est la chose la mieux partagée dans le bus. Cette chute répétée jusqu'à l'écœurement préfigure celle, finale, qui mettra fin au comique de répétition. La tragédie arrive sans qu'on y prenne gare, tout comme la cruauté arrive sans qu'il y ait eu réelle intention de méchanceté. Celle-ci se loge dans l'indifférence, feinte ou réelle, à l'autre et à l'humiliation qu'on lui fait subir pour éviter d'en être soi-même victime.

La violence est diffuse, psychologique plus que physique, jamais sérieuse, toujours ricanante : pas d'agression, de vol ou de racket (on ne taxe que des cigarettes, même pas de joint), seulement de la casse, morale (et que je t'enfonce comme une sous-merde) et matérielle (et que je te défonce ta guitare). Du coup, c'est le Bronx générique et non pas géographique qui est le sujet du film – le groupe et non la classe sociale (même si, évidemment...). On voit comment le We écrase le I, de la même manière que le possesseur de la guitare s'écrase, sans moufter, quand on la détruit devant lui. Pas de rébellion : patient, on attend et on souffre jusqu'à ce que le bus passe devant chez soi – y compris pour donner rendez-vous à un morveux qu'on a mouché comme il se doit devant les autres.

Si la tension s'apaise à mesure que le bus se vide, c'est parce que certaines histoires se sont dénouées à coup de flashbacks texto ou vidéo (mais pas téléphonés pour autant), préparant le spectateur à la fin (apaisée pour le ménager), mais aussi parce que le We s'efface devant le I, au point de ne plus désigner le groupe, défini par l'exclusion, mais le binôme amical ou amoureux potentiel, soudé par affinité. Ce n'est donc pas par manque d'imagination qu'après « The Bullies », « The Chaos », la troisième partie reprend le titre du film. The We and the Aïe.

Je n'en aurais pas mis ma main à couper, mais Palpatine a apprécié. 

24 septembre 2012

Les Saveurs du palais


Les Saveurs du palais est le genre de film où la simplicité et l'authenticité triomphent de l'establishment  – ou du moins y opposent une noble résistance. Au menu : soupe à la grimace du chef de l'Élysée en entrée, fricassée de sourires et de sourcils froncés en (bon petit) plat, selon une recette d'Hortense Laborie, grand-mère de substitution pour le président, et Saint-Honoré à la crème mémé dégusté loin de la rue éponyme – dessert antarctique. Le bon sentiment est l'ingrédient de base, mais, servi par Catherine Frot, il est bien cuisiné, en toute simplicité – même s'il s'agit d'une simplicité de collier de perles. Il faut voir la complexité de préparation du chou farci au saumon ou le raffinement de la tartine de truffe préparée au débotté, pour le président descendu aux cuisines en catmini.

 

Des plats aux noms incompréhensibles, forcément...

 

La « cuisine simple » qu'il réclame à Hortense Laborie, laquelle ressemble davantage à une bourgeoise de province qu'à une mère de famille, est une manière d'en appeler aux terroirs pour exiger « le meilleur de la France ». On n'est pas dupe mais qu'importe, nos papilles prennent plaisir par procuration. La tarte aux fruits rouges et brisures de pistache, en particulier, m'a eu l'air tout à fait miamesque – presque autant que le commis qui l'a préparée.