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24 février 2012

La Dame de fer

Tout se passe comme si l'on avait voulu faire de La Dame de fer un de ces films de facture classiques à succès, un de ces films fermes comme des rôtis bien ficelés, qui semblent tenir tout seuls tant les ficelles sont à leur place, invisibles. La recette a visiblement été bien copiée, jusqu'à la touche d'assaisonnement : on retrouve une scène de travail de l'élocution, comme dans Le Discours d'un roi.
 

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[Au détour d'un plan ressurgit parfois Cruella.]
[Et il y a ce mouvement des lèvres qui me rappelle mon ancienne prof de danse... anglaise. Coïncidence ou logique mécanico-linguistique ?]
 

La performance de Meryl Streep n'a rien à envier à celle de Marion Cotillard, et ce nouveau biopic emprunte même à La Môme un ressort narratif qu'il utilise comme trame : tout comme l'amant de Piaf, le mari de Margaret Thatcher est filmé comme si de rien n'était, comme s'il n'était pas sorti de sa vie, de la vie. Le coup de folie ponctuel face au deuil impossible devient le signe chronique de la sénilité. C'est à partir des confusions de la mémoire que le film se permet des allers et retours dans le temps, retrouvant tout de même par les associations de situations le sens de la chronologie. Cela se découpe bien et c'est aussi tendre sous la dent que les temps sont durs.

A une bonne recette et de bons ingrédients, il faut pourtant le tour de main. Il y a bien le fer et le gant de velours, mais la main ? On voudrait être dirigé avec plus de poigne dans un parcours politique qui n'en a pas manqué. Là où J. Edgar montrait un personnage complexe, La Dame de fer ne fait pas dans la dentelle et l'on a parfois l'impression que cette fille d'épicier doit davantage son ascension politique à son entêtement qu'à sa volonté. La certitude d'être dans son bon droit, qui lui confère, comme à J. Edgar, un aplomb étonnant, se teinte de naïveté, et ses convictions n'ont alors pas grand mal à devenir dans la vieillesse des dogmes dont elle ne démord pas. Ceux-si sont tout de même l'occasion de quelques vérités bien frappées, comme lorsqu'elle déplore : people nowadays want to be someone, whereas we wanted to do something & they do not think, they feel.

Pour le reste... on se régalera du jeu de Meryl Streep, d'œufs à la coque et du délicieux Harry Lloyd dont je suis serais moi aussi tombée amoureuse.
 

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16 février 2012

J. Edgar

Le FBI, du groupe parallèle parasite à l'institution tentaculaire.

Un homme assez peu sympathique, qui fait confiance instantanément, à l'instinct, et vire de même, à la gueule du client. 

Son second beaucoup plus amène, pour amadouer le spectateur.

Une amourette de jeunesse esquissée, un enlèvement d'enfant, la vieillesse homosexuelle - faibles tentatives du film pour faire pièce aux intrigues politiques.

Une obstination qui force l'admiration et la détruit : soif de pouvoir. Réécriture de l'histoire : le procédé de falsification du vainqueur falsifié en humaine faiblesse.

Le second vieilli en lézard. Vérité nue du maquillage : trop de taches.

15 février 2012

Elles

Elles n'est pas un film sur la prostitution estudiantine. C'est un film sur une rédactrice d'Elle (ou tout autre magazine féminin) qui fait un papier sur la prostitution estudiantine, nuance. Il ne s'agit donc pas tant de décrire une réalité que de montrer la difficulté qu'on peut avoir à l'admettre. Je dis on parce que même sans être une bourgeoise du XVIe arrondissement, je suis par les préjugés de mon éducation plus proche d'Anne, la journaliste, que de Charlotte et Alicjia, dont j'ai pourtant l'âge et le profil d'étude. Préjugés : pas nécessairement un jugement préconcu et moralisateur, plutôt une absence pure et simple de jugement. Ni pour ni contre la prostitution (contre le proxénétisme en revanche) a priori, je l'associe pourtant spontanément à une activité déplaisante. Une spontanéité à base de media et du jus de corps dans lequel on baigne dans le métro, probablement. Dans une rame, combien d'hommes supporterait-on comme clients ? Vu sous cet angle, le jeu de "qui est baisable ?" n'en reste pas un très longtemps...

Pourtant, les deux étudiantes, si elles ne prennent pas nécessairement leur pied à chaque fois, ne prennent pas pour autant leurs jambes à leur cou. Leur aplomb désarçonne Anne, qui s'était préparée à recueillir le témoignage (i.e. la complainte) de jeunes victimes et se retrouve face à deux business women bien dans leurs baskets. Le propos de Malgorzata Szumowska, la réalisatrice, n'est pas de dire que la prostitution est une activité idyllique (une scène complètement traumatisante où Charlotte se fait sodomiser avec le goulot d'une bouteille se charge de nous le rappeler tout en subtilité) mais de la réinscrire dans un contexte social dont on l'exclue un peu vite. D'ailleurs la scène traumatisante l'est presque moins pour Charlotte, que cela n'empêche ni de dormir ni de sourire (et de s'asseoir ?), que pour le spectateur, qui ne voit rien mais serre les fesses (entre ce film et la place mal placée d'Orphée et Eurydice, c'est dingue ce que la culture veut du bien à mes fessiers). 

Ce qui la dégoûte, laisse sur elle une odeur qui ne part pas et lui donnerait presque envie de vomir, ce ne sont pas les pipes qu'elle taille à des hommes qui ont l'âge d'être son père, comme la juxtaposition des plans nous le laisse croire ; c'est la médiocrité qui colle, la saleté du HLM banlieusard dans lequel elle a été élevée, duquel elle s'est "élevée" jusqu'à une prépa, et dans lequel elle revient les week-ends, l'absence de l'argent, qui, elle, a une odeur... et les pulls en acryliques, ajoute-t-elle à l'intention d'Anne, très propre sur soie (spéciale dédicace à Palpatine, qui a la fibre compréhensive niveau textiles).


Un second plan sans transition se charge d'enfoncer le clou : Charlotte couche avec un jeune homme frêle qu'on suppose immédiatement être Thomas, son petit copain, tant la scène irradie de blancheur, depuis les draps et la peau du jeune homme jusqu'au sourire de Charlotte, lumineux comme l'immense fenêtre qui déverse sur eux une lumière béate. Ils finissent, elle lui tripote les cheveux, lui sort et compte les billets. Raté : Thomas, c'est le plan suivant et finalement, on se dit qu'on préférait le plan cul. Pour faire bonne mesure, Charlotte est soupçonnée d'être jalousement amoureuse du client ; elle lui pique son téléphone pour fouiner dans les numéros, mais ça ne va pas bien loin (jusqu'aux toilettes où elle s'enferme un instant - comme un caprice d'adolescente à la tristesse vite passée).

L'aplomb de ces filles dérange. Il dérange Anne. Il dérange l'ordre des choses. Ce serait si simple de les plaindre, pas besoin de se remettre en question. Avec son regard provocateur (plus racaille que femme fatale), Alicjia accuse sans sourciller celui de la journaliste. Elle prend un malin plaisir à défendre ses clients, ces clients qui sont "tes types normaux", insiste Charlotte, "pas des pôv' types", et à sourire de cette femme qui est du bon côté, du côté qui stigmatise. Quitte à se faire baiser par la société, Alicjia préfère encore s'asseoir sur son hypocrisie et se servir de son cul pour prendre de l'argent à ceux qui l'ont bordé de nouilles. Elle ne se laisse pas faire à son arrivée à Paris par le propriétaire qui consent à lui louer un studio à un prix modique pour peu qu'elle complète en nature ; elle ne passe pas non plus à la casserolle lorsqu'un étudiant sensible à ses charmes lui propose de l'héberger pour l'aider, mais on sent que c'est à partir de ce moment qu'elle décide de tirer profit de la situation ("tu dois avoir l'habitude, non ? Tous les mecs doivent avoir envie de coucher avec toi") avant qu'on ne profite d'elle.

Forcément, tout ça, quand tu habites un appartement assez grand pour que le traverser te suffise à prendre soin de ta ligne, que tu prends ta journée pour servir au dîner des coquilles Saint-Jacques* au patron de ton mari, et que tu balises grave parce que ton aîné aux cheveux en pétard vient d'en fumer un, c'est un brin culpabilisant. Encore plus que de ne pas avoir acheté des céréales bio et de laisser le cadet massacrer des pixels animés, c'est dire. S'il lui a été difficile d'entendre que les clients étaient des types normaux, c'est parce que ça pourrait être son mari, certes, mais aussi parce que si elle ne peut plus dire "ils", elle ne peut plus non plus dire "elles" ("qu'est-ce qui tu dis que ce sont des putes ?", finit-elle par lancer à son mari). "Elles", ce sont ces filles qu'on tient à l'écart -- de sa pensée mais aussi de la société. Société dont elle est une privilégiée.

[Elles... qu'on voudrait reléguer dans le coin de l'affiche]

Tout au long du film, Anne essaye en vain de démasquer la peine chez ses deux interviewées, et ce n'est pas faute de les avoir questionné sur toutes les craintes que la prostitution lui inspire. Seulement, quand on leur tend une perche, Alicjia et Charlotte s'en foutent. Anne s'en rend presque malade et finit par capituler ; ce serait tout de même un comble que la privilégiée soit la plus nevrosée de toutes. La moindre des choses est de savoir apprécier ce qu'elle a quand celles qui n'en ont pas le quart ne se font pas de noeud au cerveau. Tout ça finit par un petit-déjeuner qui n'échappe au Ricoré que par les traits fatigués mais sereins d'Anne et le portable consulté distraitement par son mari. Après la débâcle de la veille (et que je te plante en plein milieu du dîner, et que je revienne hagarde au milieu de la nuit, en me jetant sur toi), c'est joli mais un peu pompeux ; je m'attendais à chaque instant à l'entendre dire : « Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s'appelle l'aurore. » Mais plus que de renaissance, c'est un sentiment d'inachevé qu'Elles laissent, elles si parfaitement antithétiques, si parfaitement para-doxales. A prendre systématiquement le contrepoint du cliché, on finit par le détourer et le faire apparaître en creux.

Il n'y a donc qu'une seule chose qui m'a choquée, c'est que le film soit interdit aux moins de douze ans. On parle quand même d'un film où une fille entièrement nue assise sur un piano se masturbe les cuisses écartées avant de se faire prendre en levrette, et où on comprend sans le voir qu'une autre se fait sodomiser avec une bouteille en verre. Douze ans. Alors oui, on ne voit pas de sexe d'homme. Mais alors, quoi, une toison pubienne, comme il n'y a rien qui dépasse, ce n'est pas un sexe, pas besoin d'interdire aux moins de seize ans ? Y'a quelque chose qui me dépasse.

* Saint-Jacques gluantes, cuisinées à mains nues. Tout comme d'autres ingrédients peu râgoutants ou le massage des pieds qu'Anne fait à son père sénile. Ce constant pétrissage relativise celui de la chair auquel se livrent les deux étudiantes...

12 février 2012

Le muet éloquent

The End. La mention apparaît plusieurs fois avant la fin de The Artist, comme pour faire sentir que la carrière de George Valentin prend fin bien avant que sonne la retraite. Cet acteur du cinéma muet refuse en effet de prendre le tournant du parlant et se laisse ravir (sa place) par Peppy Miller, une jeune première en pleine ascension.

Forcément, un film muet en noir et blanc aujourd'hui ne peut que parler des films muets en noir et blanc d'autrefois, pour trouver sa justification dans le fait d'être à l'image de son objet. Pourtant, The Artist est bien de notre époque ; son monde en noir et blanc est bien le nôtre, distinct de celui où l'on tournait dans les années vingt. Et si l'on a un peu peur les premières minutes en se disant que les mimes outranciers et les didascalies en flash infos1 vont demander un sacré temps d'adaptation, on découvre rapidement qu'il s'agit d'une mise en abyme où les traits du film muet ont été forcés à dessein. Certes, backstage George fait des grimaces et Peppy s'agite comme une folle, mais à la manière de celui qui fait le pitre la matin devant le miroir de la salle de bain (étendu à la journée entière puisque Valentin, un brin mégalomaniaque avec son portrait en pied à la Dorian Gray, se croit en permanence sous le feu des projecteurs) et de celle, girly, à qui l'on vient d'annoncer une excellente nouvelle.
 


Je craignais de la part de Jean Dujardin une légèreté de garçon de café. Il m'a surprise ; c'est un peu comme de découvrir que Jim Carey n'est pas que le bouffon de The Mask et peut très bien jouer dans The Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Quant à Bérénice Bejo, son sourire et son peps suffiraient seuls à faire basculer le muet depuis le handicap vers le non-dit, avec la finesse d'implicite que cela suppose. L'absence de parole, loin d'être encombrante (on a finalement peu d'écrans brandis comme une ardoise de sourd-muet), redonne toute sa place aux corps ; on redécouvre que l'expression passe par mille et une nuances de la physionomie.


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Outre la qualité de ses interprètes, The Artist regorge de trouvailles : rien que le chien de George, mi-Milou mi-chien de cirque, dressé à tomber raide mort au moindre bang en forme de pistolet, est tordant. Alors que toutes les bobines de ses films sont par terre et que le projecteur tourne à vide, la déprime alcoolisée de George fait apparaître sur un écran blanc une ombre qui prend son autonomie et vient invectiver son propriétaire.

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Cela m'a fait penser à la fin du Procès d'Orson Welles. C'est un des seuls films un peu anciens que je connaisse mais je suis sûre qu'un cinéphile s'amuserait à trouver moult références. Pour autant, ces clins d'œil n'excluent personne et l'on peut très bien s'amuser du premier niveau sans rien connaître au cinéma américain de l'entre-deux-guerres. Il en est ainsi des différentes prises d'une scène où l'acteur perd le fil de son texte à valser quelques instants avec la nouvelle figurante, Peppy, revisitant sur le mode méta le comique de répétition.
 

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Mais la méta-tranche de rigolade que je me suis payée, c'est lorsque George rêve que le cinéma parlant, en l'excluant, lui a pris la parole : aucun son de sort de sa bouche, comme depuis le début du film, normal, mais le verre qu'il repose sur la table, lui, émet un tintement. Le personnage est éberlué, la salle morte de rire. S'ensuit une scène où ses hurlements silencieux face au miroir sont couverts par les bruitages amplifiés des objets qu'il jette par terre de colère. C'est ainsi que lentement, nous passons au parlant... sans paroles superflues, néanmoins, puisque c'est le bruit des claquettes qui anticipe le crépitement des applaudissements retrouvés pour notre star du muet.
 


1 N'empêche que c'est beaucoup moins fatigant à suivre que des sous-titres simultanés...