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22 décembre 2009

Chercher des noises à Casse-Noisette

A l’entracte, alors qu’on tente en vain de se replacer et que Palpatine est parti chercher les flyers de la distribution, B#4 me demande ce que j’en pense, et ce n’est pas uniquement mon incapacité chronique à engager la conversation avec quelqu'un que je viens de rencontrer qui me prive de donner une réponse pertinente. Je n’en pense rien. J’aime cette féerie cristalline qu’est Casse-Noisette, la regarder se dérouler comme le compte à rebours d’une boîte à musique, me laisser hypnotiser jusqu’à ce que les derniers flocons de polystyrène soient retombés immobiles dans leur boule de neige.

Mais je n’en pense pas grand-chose. Joël, rencontré après le spectacle (il était aussi à l’opéra mais à Garnier), a sommairement mais assez justement résumé la chose : le premier acte est destiné à ceux qui aiment les enfants, le second, à ceux qui aiment la danse. Ca tombe plutôt bien, à défaut d’un quelconque élan vaguement maternel pour les shreks braillards, je fais partie de la seconde catégorie, ce qui m’empêchera peut-être de passer pour une sale gamine totalement blasée.

Pas de calendrier de l’Avent cette année, ni de sapin, mes cadeaux ne sont pas encore faits ; Noël me paraît loin, perdu dans des illuminations criardes à la Broadway sans rien conserver de la poésie de l’avenue mythique – non mais, vous avez vu l’horreur des Champs-Elysées ? Certes, ce n’est pas l’artère du bon goût, mais pas de veine, elle contamine les alentours : l’avenue Montaigne, quoique moins aveuglant en rouge, frise le bordel. D’habitude à cette période, j’adore me promener les joues au froid, emmitouflée dans des vêtements bien chauds ; cette année, le froid fait mal et n’est en rien vivifiant. Je ne trouve pas qu’il soit de bon ton de mépriser l’esprit de Noël, simplement, là, je n’y suis pas. C’est un peu la même chose pour Casse-Noisette.

Je ne parviens pas à m’émerveiller devant les enfants, même si je trouve que leurs alignements sont plutôt bien observés pour des élèves de l’école de danse. Les divertissements du deuxième acte sont brillants, mais m’apparaissent plus décousus que jamais – le paradigme de la fête fourre-tout dans laquelle les délégations étrangères (espagnoles, russes, chinoises...) côtoient des bergères de roman précieux. La danse arabe est une petite merveille de sensualité ; aussi ne devais-je pas avoir les sens très en éveil pour m'étonner de l'ampleur des applaudissements lorsque Céline Talon est venue saluer. Quant au prince, j'ai eu du mal à reconnaître Marc Moreau dont il m'avait semblé lire le nom dans la distribution affichée sur le site de l'opéra, et pour cause : c'était Nikolaï Tsiskaridzé. Pas forcément une grande complicité avec sa Clara (on peut imaginer que l'artiste, invité, a eu un nombre de répétitions assez réduit avec sa partenaire), mais bon prince (ah, la variation du deuxième acte, quasiment imprimée dans la mémoire depuis le concours... c'est reposant de ne pas craindre de l'y voir tituber - tours finaux qui claquent), sans qu'il me mette sous son charme.

Trop de mais. Peut-être est-il un peu normal de chercher des noises à Casse-Noisette : après tout, son combat contre le roi des rats donne lieu à l’un de mes moments préférés, en souris bon public que je suis. Et il est clair que Myriam Ould-Braham est parfaite en Clara (je me demande bien en quoi elle ne serait pas parfaite, tiens - la mauvaise foi est à double sens). Tous les gestes sont ciselés, nuancés ;  l'évolution de son personnage, parfaitement conduite : métamorphose de l'enfant à la femme, que je ne peux que constater lorsque, à la clôture du songe initiatique par le réveil de Clara, je suis surprise de la retrouver dans sa petite robe bleue, enfantine sans être puérile. Quelques instants auparavant, elle était en tutu plateau, maîtresse souveraine. La petite Wendy a bien grandi, et Myriam Ould-Braham est plus ravissante que jamais.

 

Ces petites noisettes (entourées de chocolat praliné, on ne voyage pas au royaume des sucreries pour rien) étaient délicieuses, mais, vous l'aurez compris, je n'en ferai pas provision - vision plus que jamais éphémère. Je ne regarde pas ce ballet de haut, certainement pas ; nénamoins, si j'en donne l'impression, c'est peut-être aussi de l'avoir vu de haut. Curieux qu'il ne m'ait pas porté au septième ciel, parce qu'on est était très proche aux 7èmes galleries : la vue imprenable sur les crânes plus ou moins dégarnis du parterre en contrebas (exception faite pour les chignons des gamines - Casse-Noisette fait descendre la moyenne d'âge du public) nécessitait de ne pas avoir le vertige et de faire attention à ses affaires (j'ai tout de même réussi à faire tomber ma place comme un flocon, qui a eu le culot de filer la métaphore jusqu'à fondre et demeurer introuvable).

[moment volé au ballet : me tourner vers ma droite et voir nos trois petites têtes plantées sur nos mains, avants-bras posés sur la rambarde - spectateurs à la tête de choupinets]

La vision est assez bonne en ce qui concerne le champ auquel elle ouvre : l'angle mort sur le côté est très faible, bien plus qu'à Garnier, surtout avec les décors encombrants (il n'y a guère que l'arrière-scène qui soit hors de vue et masque l'arrivée du roi des rat - la scène de Bastille est très profonde, aussi) ; elle l'est beaucoup moins en terme d'angle. Si l'on oberve quelques curiosités, comme les arabesques décroisées ou la neige de polystyrène qui tombe bien en ligne en avant-scène, puis en arrière-scène, laissant au corps de ballet, entre les deux, l'espoir de ne pas trop glisser, la belle cartographie mouvante qu'offre cette vue du ciel ne suffit pas à compenser les visages qui nous sont soustraits (et que j'étrangle Palpatine en lui empruntant ses jumelles, passées autour du cou par précaution, rapport à la hauteur - Héloïse Bourdooooon !), ni surtout à faire oublier à quel point les lignes sont aplaties. Le problème n'est pas tant que la distance fasse des danseurs de petites marionnettes, mais qu'elle en déforme les proportions, les écrasent : les arabesques sont raccourcies, les sauts plaqués à terre... Plus que jamais, je me rends compte que la danse classique repose sur une esthétique des lignes. Il me vient alors à l'esprit que si la gestuelle déstructurée de Genus faisait glousser ma voisine qui soulignait pourtant l'originalié de Nicolas Paul en s'étonnant de ce que l'on pouvait encore inventer après Forsythe (elle semblait donc l'apprécier), c'est peut-être parce que Wayne McGregor brise ces lignes (ou les fait onduler), tandis que Forsythe (du moins celui du répertoire de l'Opéra de Paris, je ne connais de toutes façons que celui-ci) les rend encore plus visibles par les étirements auxquels il les soumet. Une idée comme ça, ce doit être l'effet boule de neige. A ne pas confondre avec l'effet flocon de neige (cf chez Palpatine le "mathiiiilde" final).

09 décembre 2009

Genus : le génome du génie 3/3

 

Les chromosomes sont graphiques ; avec Wayne McGregor, ils deviennent chorégraphiques. Sur les justaucorps-combi shorts bleu-noirs des danseurs s’étalent des traces blanches diffuses qui font d’abord penser à des radios du squelette et qui doivent renvoyer aux gènes, leurs allèles, tout ça. Ces chromosomes dansants m’avaient déjà intriguée dans le documentaire de F. Wiseman et ce que j’avais pressenti s’est confirmé : c’est grandement enthousiasmant. Sur un plateau sombre, presque nu, et sous une bande de film où sont projetées des paysages désertiques (et à laquelle, très vite, je ne prête plus attention – la force du premier rang qui absorbe dans l’essentiel), les danseurs entrent, solo, duo, trios qui se substituent les uns aux autres et se reconfigurent. L’originalité de Genus n’est pas à trouver dans les compositions d’ensemble mais à l’origine de la danse, dans une gestuelle unique, savamment déstructurée ; les ficelles qui commandent les mouvements rodés des danseurs marionnettes ont été lacérées par une griffe très personnelle – pas d’inquiétude, ça tient - et retient l’attention. Ce n’est pas un ersatz de Forsythe : même si le corps est poussé aux extrêmes, c’est moins ceux des extensions que des liaisons entre des positions très diverses pour ne pas dire divergentes. Le corps est pris dans une succession de mouvements contradictoires où alternent relâchement et immédiate reprise nerveuse. C’est incisif, et les à-coups sont si nombreux qu’ils finissent par définir un nouveau type de fluidité. C’est aussi curieux qu’enthousiasmant, n’en déplaise à ma vieille voisine renifleuse qui gloussait comme une dinde adolescente devant ce qu’elle devait trouver de drôles de gigotements. Pour cette blogueuse, cela évoque la manière d’une autruche. Aussi incongrue que puisse sembler cette comparaison, je suis assez d’accord – à condition de préciser que cela n’est jamais ridicule.

 

 

C’est d’autant plus réussi que c’est vif et précis, et le style ne convient pas à toutes les manières de danser. Certaines sont plus heureuses que d’autres. Par exemple, Mathilde Froustey, toute formidable qu’elle puisse être, ne l’est pas vraiment ici (elle danse assez peu, seulement en groupe, mais elle était juste en face de moi) : les arrêts que la chorégraphie exige d’une grande netteté ne sont pas vraiment mis en valeur par la fluidité d’un mouvement très étiré (trame indispensable aux chichis qu’elle brode dessus en experte).Simon Valastro est parfaitement à l’aise, ce qui ne m’étonne guère après l’avoir vu donner la réplique à Monsieur de Charlus dans Proust ou les intermittences du cœur. Il dansait en compagnie d’Audric Bezard dont les longues jambes finement musclées ne juraient pas avec la silhouette plus râblée de Benjamin Pech, troisième larron de la joyeuse bande. L’étoile est parfaitement en phase avec ses partenaires de la soirée, que je n’aurais jamais pensés rassemblés dans une même distribution. Son pas de deux avec Marie-Agnès Gillot est magnifique ; cette dernière ne paraît même pas gigantesque. Je me dis un instant que cela doit venir de l’utilisation ingénieuse du sol incliné l’espèce de cube sans fond dans lequel ils dansent, avant de remarquer que Marie-Agnès Gillot se trouve souvent en amont de son partenaire. Elle est formidable dans ce style auquel sa stature donne encore plus d’ampleur, allonge les vibrations de chaque mouvement. Lorsque, de profil, en quatrième sur pointes, elle ondule du buste et que ses bras ballants s’en trouvent remués, on dirait qu’elle n’a plus de colonne vertébrale. Et lorsque, retenue par le bras par Benjamin Pech, la pointe fichée dans le sol, elle développe, en décalé, la jambe à la seconde, celle-ci paraît ne devoir jamais finir – déploiement d’une grue harmonieux, pattes de mante religieuse, immenses quoiqu’elle puisse être- et le mouvement semble asymptotique. Jamais spectaculaire pour autant. Comme j’ai déjà essayé de le dire, les extensions impressionnantes et les portés acrobatiques importent beaucoup moins en eux-mêmes que par les écarts qu’ils permettent entre les positions successives.

Agnès Letestu et Audric Bezard formaient un autre couple, un peu moins convaincant. L’étoile n’a pas le même dynamisme que Dorothée Gilbert, par exemple, qui excelle dans ce style – l’évidence même. Il convient également à Mathias Heymann, qui parfait ainsi cette distribution étoilée. Je ne pourrai pas non plus ne pas vous ressortir mon petit couplet enthousiaste sur Myriam-Ould Braham. Lorsqu’on a annoncé le 21 qu’elle était remplacée, j’ai accueillie la nouvelle avec un grognement, mais force est de reconnaître que la reprise de son rôle par Charline Giezendanner a été concluante. Pas mal du tout aussi la fille du couple XY, au costume un peu différent des autres.

 

 

Après le pas de deux de Marie-Agnès Gillot et de Benjamin Pech, le plateau se vide et un écran de projection descend. Dommage : je ne peux pas m’empêcher de regretter un peu l’interruption de la danse par ce qui ma paraît d’abord être une conclusion un peu trop démonstrative du propos du chorégraphe, avec forces images documentaires sur l’évolution des espèces, des pages de livre, des schémas des carrefours d’évolution, arbres aux branches très ramifiées, la marche de l’homme, la marche du lion, des boyaux dans des bocaux, d’autres boyaux dans d’autres bocaux, puis des bocaux qui seraient fameux s’ils contenaient la fournée annuelle de confiture faite maison, mais non, encore des boyaux dedans. Puis, dans un élan très je-découvre-powerpoint, des vignettes apparaissent progressivement les unes à côté des autres, et l’insecte de chaque vignette change lorsque la suivante s’affiche, un papillon, un scarabé, un papillon jaune, un papillon bleu, un truc bizarre, un papillon bleu, puis de plus en plus vite, papillon bleu, papill…llon… papapapapillon… jusqu’à ce que ça grouille et que les images papillonnent ; les vignettes de replient, elles-mêmes devenues papillon. On est accablé d’images encore, les bocaux de boyaux défilent à toute vitesse, la rétine ne peut pas tout retenir, ça papillonne à en faire mal aux yeux – des signes et des pages feuilletées encore pour nous achever, mais ça y est, je crois qu’on a compris, qu’on a été étourdi par le fourmillement des espèces, par l’incroyable diversité de la vie, de ses réalisations sous des formes multiples.

C’est alors que, la démonstration s’étant dissoute dans la monstration, le mouvement revient en chair et en os sur scène. La pièce n’était pas finie, ne pouvait pas se conclure sur l’annonce d’une telle explosion de vitalité. Après ce qui s’annonçait maladroitement comme une baisse d’intensité menant decrescendo vers le baisser de rideau mais qui n’était qu’une pause apparente, moment de reprendre son souffle, œil du cyclone, ce dernier se déchaîne et la pièce connaît son acmé. Le corps de ballet explose dans les multiples corps des danseurs qui, envahisseurs du plateau, dansent de toutes parts, dans tous les sens, à une vitesse toujours plus étourdissante, dansent, et eux aussi grouillent, fourmillent, papillonnent. Le rideau se baisse alors sur leurs mouvements éparpillés – inutile de vouloir retrouver une unité après l’explosion qui ne peut retomber : la vitalité se propage et se ramifie sans déperdition d’énergie, se vivifie à chaque nouvelle différence qui l’enrichit.

Un moment de danse « jubilatoire » - on n’aurait pu mieux Danser.

 

 

 

Amusant aussi, après le spectacle du 11, d’avoir poursuivi la soirée en compagnie de Palpatine et de D, nouvelle connaissance balletomane et… biologiste. L’échange auquel j’ai assisté (on ne parle pas la bouche pleine, voyons) donnait quelque chose comme ça:

-Des chromosomes dansants !

-Tu as compté combien…

-… Oui !

-23 !

-Evidemment.

-J’ai cherché le XY…

-Les costumes un peu différents.

-Ah, c’était ça, le bas gris et les lignes. Je me disais bien…

(Voir la profusion, hein, je ne garantis pas que les tirets renvoient à l’alternance des répliques, ce sont plutôt des fragments qui laissent imaginer une connivence enthousiaste. On pourrait tout mettre sur le mode exclamatif, d’ailleurs, si les sourires n’adoucissaient pas le pétillement des yeux.)

29 novembre 2009

Réplique muette, sans secousse 2/3

 

Nicolas Paul, danseur de la maison, a mis ses Répliques au pluriel et le programme nous cite le Petit Larousse pour brouiller démultiplier les pistes :

 

I. 1. Réponse vive à ce qui a été dit ou écrit ; objection.

Je remplacerai « dit ou écrit » par « dansé » et émettrai quelques réserves plutôt qu’une objection, s’il est vrai que cette pièce que je reconnais être de qualité ne m’a pas séduite. Au départ, deux groupes de dos, tête disparue, jouent de la couche de voile uniformisant des costumes aux couleurs ainsi atténuées. La luminosité est très faible, assourdissant encore la spécificité de chaque danseur ; contrairement à la fatigue visuelle du spectateur qui s’efforce d’observer malgré la pénombre, la lumière n’augmentera pas de toute la pièce. Une certaine gestuelle saccadée m'a fait penser très furtivement aux Epousés de Balerbi, mais l’enchaînement tient presque davantage du mime que de la danse, avec la main qui à toute vitesse vient occulter l’audition, la vision, puis entre dans la bouche et vomit un cri muet en entraînant tout le corps, comme subitement courbé par une crampe. J’ai un peu de mal –à moins que ce ne soit avec la musique de Ligeti.

 

2. Partie d’un dialogue théâtral dite par un acteur ; donner la réplique : servir de partenaire à l’acteur qui a le rôle principal.

La colonne vertébrale de la pièce est sûrement la grande diagonale formé par quatre couples répartis du fond de scène côté cour à l’avant-scène côté jardin. Progressivement, chaque couple va être séparé du suivant par une toile de gaze (Belarbi en faisait aussi usage dans Wuthering Heights, ça doit être un truc maison) rendue opaque ou semi transparente selon les éclairages. De part et d’autre de ces toiles, les couples explorent à travers les différentes répliques qui se peuvent concevoir toute la gamme des relations à autrui en terme d’identité et de différence. Après la relation en miroir puis en symétrie inversée, comme les têtes des jeux de cartes, l’exploration se complexifie au fur et à mesure que l’on s’approche de l’avant-scène, des étoiles et de la fin.

 

II. 1. Personne, action, œuvre qui semble être l’image d’une autre.

Chez les deux derniers couples, la stichomythie laisse place à quelques tirades et le dialogue s’étoffe. Les danseurs ne se donnent plus la réplique à l’identique, ils interrogent désormais la question de la semblance et mettent en cause la source d’où part la reproduction, s’il est vrai que bientôt on ne sait plus qui est l’original et qui est la copie (jusque là, celui qui était derrière la toile). Le reflet se désolidarise de son référent, prend son autonomie, et va même jusqu’à inverser la relation de dépendance en impulsant lui-même le mouvement ; c’est ainsi que successivement, la copie puis l’original tombent à terre, comme vaincus par le bras de l’autre, resté en l’air, le coude plié, paume à plat – geste même de raccord, qui permet de reprendre contact, comme deux personnes de part et d’autre d’une vitre.

 

2. Copie plus ou moins fidèle d’une œuvre d’art.

Toutes ces interrogations sont pertinentes, mais les brouillages qui en résultent tendent à donner à tous la baisse d’intensité que l’on associe à l’idée de réplique, qui est aussi un « simulacre » - la réplique est moindre que l’original et si l’original est également la copie… l’ensemble risque d’être bien léché comme une brillante copie d’écolier. C’est très intelligent, trop presque : j’ai l’impression d’épuiser la pièce après ces quelques remarques, dont l’interprétation sensible par les corps ne me semble plus guère faire office que d’illustration. Le programme justifiait le rapprochement des trois chorégraphes de la soirée en soulignant que « leur travail permet de rappeler combien, dans ce monde tenté par la virtualité, la sensorialité et la physicalité du corps restent une source vive de la danse. » La formulation m’a fait sourire, mais je souscris à ce qu’elle exprime (à moins que ce ne soit à ce que j’y mets derrière) sans être d’accord sur son application à Répliques, dont le défaut est justement pour moi le manque de « sensorialité ». Peut-être était-ce dû à sa place dans la soirée, où la réplique à Amoveo ne pouvait qu’être de moindre intensité. Ou peut-être simplement est-ce une affaire de goût et d'absence de couleur.

 

3. Géol. Secousse secondaire succédant à la secousse principale d’un séisme.

Revoir la pièce ne m’a pas permis de l’apprécier davantage, seulement de mieux la distinguer dans ses articulations. La redite a permis une vision plus précise de la diagonale et de son ébranlement depuis le fond de scène jusqu’à la grosse chose posée en avant-scène, sorte de coquillage également donné pour une graine (quelle fertilité d’imagination !), que je verrais davantage comme un galet, dont les ricochets ont déclanchés des ondes (en sens inverse, certes, puisqu’on s’en rapproche au fur et à mesure). Avec les toiles, il composait le décor composé par l’architecte Paul Andreu, et dont on a fait tout un foin sans que je comprenne vraiment pourquoi.

Je ne suis pas certaine que la seconde distribution m’ait plus secouée que la première, bien qu’elle ait peut-être servi le propos du chorégraphe de façon incisive (ce serait logique puisque, d’après ce blogueur -allez voir les photos qui vous donneront une idée de la scénographie- c’est un groupe habitué à travailler avec Nicolas Paul). Isabelle Ciaravola ne m’a pas parue meilleure qu’Emilie Cozette que j’aurais même tendance à préférer – pour le coup, son côté effacé est parfaitement adapté à cette pièce uniformisante ; le contemporain lui va mieux. Palpatine en était tout ébahi, dont le regard passait des saluts sur scène, à ses mains dont le battement lui paraissait étranger, comme mécanique ou autonome, pour ensuite se tourner vers moi : « Tu te rends compte, il me fait applaudir Cozette. Tout arrive. » Mais pas la pleine adhésion enthousiaste – plutôt une sorte de validation intellectuelle.

28 novembre 2009

Moveor ab Amoveo 1/3

 

… de la soirée Millepied/Paul/McGregor.

Enfin, la… les :

Le mercredi 11 novembre, en dernière minute avec Palpatine, 7ème rang de parterre, quasiment de face.
Le samedi 21 novembre, en cadeau d’anniversaire, 1er rang de parterre, côté jardin.
C’aurait été avec plaisir que je me serais soumise au proverbe, tant il est certain que je ne m’en lasserai pas.

 

Amoveo, de Millepied. Deux lignes, filles et garçons, se croisent d’un bon pas et laissent dans leur sillage les deux solistes, accroc par lequel démarre la danse, et l’une des nombreuses recompositions (des forces en présence, j’allais dire) des énergies en attente (pourrait-on corriger) d’une chorégraphie qui fait jouer soli, duos (doit-on dire dui ?) simultanés convertissables en trio ou groupes plus nombreux. Cela ne cesse jamais, le refus d’un danseur d’être le partenaire pour une figure attendue donne à un autre l’impulsion d’un nouveau mouvement. Amoveo, j’écarte, j’éloigne, (Millepied m'a mis le doute avec sa mise en mouvement et son émotion, mais le Gaffiot est formel) mais c’est en même temps pour rapprocher – et enchaîner : après avoir déposé leurs solistes comme la mer quelques débris de coquillages, le ressac des filles et garçons les remet volontairement en présence, les pousse l’un en face de l’autre, dans des costumes bleus, à présent harmonisés. Car si les groupes se recomposent, les costumes aussi. Paul Cox a choisi de décliner des formes simples (jupes, pantalons, T-shirt, chemise) dans une palette très Lego : rouge, vert, jaune, bleu s’imbriquent plus qu’ils ne s’harmonisent. Les tenues s’échangent, si bien que les danseurs bicolores, après avoir dansé avec un partenaire ayant au moins une couleur en commun, selon le principe des dominos, finissent par devenir des individus monochromes.


Ces couleurs élémentaires associées à l’enjouement des danseurs (le sourire d’Alice Renavand) pourraient faire croire à quelque récréation primaire, les cheveux au vent, courses sur la plage. Il n’en est rien, non seulement parce que, n’en déplaise à ma voisine de la seconde fois (je ne peux pas la voir en couleur, elle a reniflé pendant toute la pièce), le vert n’est pas une couleur primaire, mais parce que la chorégraphie est re-créée par une projection en fond de scène de lignes colorées qui correspondent approximativement aux couleurs des danseurs sur la plateau et comme eux, se cherchent, se croisent, se composent et se mélangent, toujours cependant identifiables, entités géométriques qui ne se diluent pas dans le mouvement. Même si le dispositif s’efface vite au profit de la danse, il demeure présent, donne une trame à la chorégraphie, plus ou moins dense, parfois épurée, lorsque la tableau saturé de couleurs est effacé et que de nouvelles lignes se tracent comme un électrocardiogramme (sauf que dans ce cas, la ligne droite n’annonce aucun décès, bien au contraire). C’est peut-être l’association de la ligne à une note étirée qui m’a donné cette impression d’une force persistante, tout comme la musique était lancinante. Rien de douloureux pour autant ; triste et joyeux sont deux adjectifs qui ne conviennent pas à cette pièce –à moins de les faire cohabiter à la manière des duos de couleur dans les costumes. Sans être assorties, les couleurs ne s’opposent pas ; sans se concilier, les deux adjectifs ne se contredisent pas. Autre binaire dépareillé : l’actuel et le vieilli (mais neuf – même principe que les jeans pré-usés). Les costumes donnent « à l’ensemble une touche sans doute plus ludique et plus urbaine », tandis que le lignes so 70’ font un peu vieillot. A ne voir que le film projeté, on pourrait s’attendre à ce que les danseurs apparaissent en académique en lycra (c’est comme la mauvaise science-fiction, ça vieillit très vite et très mal). Le tiraillement entre actualité et modernité vieillotte converge et s’oublie dans l’intemporalité de la chorégraphie, dont on ne sait si elle est mélancolique ou enlevée, primesautière ou profonde. Après tout, les extraits de Philip Glass sont tirés d’Einstein on the Beach :

 

(Benjamin Millepied) « D’un côté l’orgue puissant, terrien, emplit l’espace tout entier et évoque avec son rythme répétitif quelque chose de rituel et de primitif. De l’autre, les voix accompagnées des flûtes et du violon créent une atmosphère aérienne, comme un envol. » . Il est étonnant que ce dernier ne soit pas provoqué par l’orgue, mais c’est peut-être ce qui rend l’ensemble si curieux. Et je ne me lasse pas de la récitation de ce do, ré, mi, fa – l’aspect de comptine qui pourrait résulter de l’énoncé des notes de la gamme est complètement reconfiguré par la puissance de l’orgue et les grands pas de bourrés coupés jeté en tournant des garçons en demi manège (c’était lequel, le très mignon en rouge ? –encore un mot avant de refermer la cette parenthèse : Audric Bezard). Rhaaaaaaa. Là, je suis à la limite du délire extatique qui pourrait me faire jeter des gros mot comme « transcendée », « transfigurée ».

 

 

Redescendons sur terre, je n’ai pas encore parlé du céleste sublime pas de deux pris dans la gangue de l’ensemble de la pièce, lorsque Nicolas Leriche et Aurélie Dupont/Claire-Marie Osta sont rassemblés par le groupe. Veste et justaucorps bleu à col Mao pour elles, pantalon et débardeur assortis pour lui. Comme je n’arriverai pas à une évocation qui me plise, je vous enjoins à regarder le pas de deux sur youtube, filmé dans la première version d’Amoveo. Pour l’apercevoir avec les nouveaux costumes, c’est ici – bon, c’est visiblement filmée par une maniaque des ombres et/ou une fétichiste des jambes d’Aurélie Dupont, qui ne sait pas manier une caméra et encore moins son zoom. Aurélie Dupont est à tomber raide, là-dedans, le mouvement coulé, ramené vers elle et pourtant tout en intensité. Elle forme peut-être davantage un couple avec Nicolas Leriche que ce dernier avec Claire-Marie Osta, cette dernière distribution reprenant pourtant un couple à la ville. Même si ces derniers sont bien accordés, l’osmose des premiers est fusionnelle. Peut-être à cause de sa taille, Osta semble davantage « manipulée » par Leriche, quant Dupont lui coule entre les doigts ; respect et tendresse, l’une soulevée, l’autre retenue, les deux magnifiques (même si je garde une préférence pour la seconde).

 

La jonction des mains, lorsque Leriche vient relever sa partenaire le bras tendu derrière elle… l’envol qui bannit toute virtuosité de la figure empruntée au patinage… Aurélie Dupont qui flotte et ondoie, portée à bout de bras... et Claire-Marie Osta fascinante lorsqu’elle se trouve en apesanteur sur l’épaule et à côté de Nicolas Leriche à qui elle met sa main en œillère, et qui continue à avancer, confiant en celle qu’il porte et qui le guide. Elle est incroyable, perchée à cet éphémère poste d’observation –une présence tranchante. Dans l’espace, le regard portant loin, jamais dans le vague. Elle se détache de son partenaire sans être détachée ou indifférente ; juste à part.

 

C’est en ce sens que la distribution avec Aurélie Dupont donne davantage l’impression d’un couple : ils ne sont pas plus unis, mais plus à l’unisson, présents l’un à l’autre et complices jusqu’aux saluts, où Nicolas Leriche, visiblement heureux, court en avant et la tire par le bras, lui imprimant une secousse pour qu’ils saluent et entendent à nouveau crépiter la joie des spectateurs. Il a l’air d’un gamin ; elle est splendide dans sa large veste aux manches retroussées, ouverte comme l’expression de son visage.

 

[Elle, sait l'évoquer : "Le pas de deux central est une prouesse de subtilité, de force et de sensualité, je m'en souvenais comme d'un enchantement, je n'ai pas été déçue : envoûtement, bis. Quand "Amoveo" se termine, on est essoufflé comme quand on a couru avec ses copains d'enfance avec le vent dans les cheveux, ou quand on a fait l'amour toute la nuit." "Interprèts hors catégories, hors tout : AUrélie Dupont & Nicolas Le Riche." - les deux premières photos sont wow]