28 novembre 2009
Moveor ab Amoveo 1/3
… de la soirée Millepied/Paul/McGregor.
Enfin, la… les :
Le mercredi 11 novembre, en dernière minute avec Palpatine, 7ème rang de parterre, quasiment de face.
Le samedi 21 novembre, en cadeau d’anniversaire, 1er rang de parterre, côté jardin.
C’aurait été avec plaisir que je me serais soumise au proverbe, tant il est certain que je ne m’en lasserai pas.
Amoveo, de Millepied. Deux lignes, filles et garçons, se croisent d’un bon pas et laissent dans leur sillage les deux solistes, accroc par lequel démarre la danse, et l’une des nombreuses recompositions (des forces en présence, j’allais dire) des énergies en attente (pourrait-on corriger) d’une chorégraphie qui fait jouer soli, duos (doit-on dire dui ?) simultanés convertissables en trio ou groupes plus nombreux. Cela ne cesse jamais, le refus d’un danseur d’être le partenaire pour une figure attendue donne à un autre l’impulsion d’un nouveau mouvement. Amoveo, j’écarte, j’éloigne, (Millepied m'a mis le doute avec sa mise en mouvement et son émotion, mais le Gaffiot est formel) mais c’est en même temps pour rapprocher – et enchaîner : après avoir déposé leurs solistes comme la mer quelques débris de coquillages, le ressac des filles et garçons les remet volontairement en présence, les pousse l’un en face de l’autre, dans des costumes bleus, à présent harmonisés. Car si les groupes se recomposent, les costumes aussi. Paul Cox a choisi de décliner des formes simples (jupes, pantalons, T-shirt, chemise) dans une palette très Lego : rouge, vert, jaune, bleu s’imbriquent plus qu’ils ne s’harmonisent. Les tenues s’échangent, si bien que les danseurs bicolores, après avoir dansé avec un partenaire ayant au moins une couleur en commun, selon le principe des dominos, finissent par devenir des individus monochromes.
Ces couleurs élémentaires associées à l’enjouement des danseurs (le sourire d’Alice Renavand) pourraient faire croire à quelque récréation primaire, les cheveux au vent, courses sur la plage. Il n’en est rien, non seulement parce que, n’en déplaise à ma voisine de la seconde fois (je ne peux pas la voir en couleur, elle a reniflé pendant toute la pièce), le vert n’est pas une couleur primaire, mais parce que la chorégraphie est re-créée par une projection en fond de scène de lignes colorées qui correspondent approximativement aux couleurs des danseurs sur la plateau et comme eux, se cherchent, se croisent, se composent et se mélangent, toujours cependant identifiables, entités géométriques qui ne se diluent pas dans le mouvement. Même si le dispositif s’efface vite au profit de la danse, il demeure présent, donne une trame à la chorégraphie, plus ou moins dense, parfois épurée, lorsque la tableau saturé de couleurs est effacé et que de nouvelles lignes se tracent comme un électrocardiogramme (sauf que dans ce cas, la ligne droite n’annonce aucun décès, bien au contraire). C’est peut-être l’association de la ligne à une note étirée qui m’a donné cette impression d’une force persistante, tout comme la musique était lancinante. Rien de douloureux pour autant ; triste et joyeux sont deux adjectifs qui ne conviennent pas à cette pièce –à moins de les faire cohabiter à la manière des duos de couleur dans les costumes. Sans être assorties, les couleurs ne s’opposent pas ; sans se concilier, les deux adjectifs ne se contredisent pas. Autre binaire dépareillé : l’actuel et le vieilli (mais neuf – même principe que les jeans pré-usés). Les costumes donnent « à l’ensemble une touche sans doute plus ludique et plus urbaine », tandis que le lignes so 70’ font un peu vieillot. A ne voir que le film projeté, on pourrait s’attendre à ce que les danseurs apparaissent en académique en lycra (c’est comme la mauvaise science-fiction, ça vieillit très vite et très mal). Le tiraillement entre actualité et modernité vieillotte converge et s’oublie dans l’intemporalité de la chorégraphie, dont on ne sait si elle est mélancolique ou enlevée, primesautière ou profonde. Après tout, les extraits de Philip Glass sont tirés d’Einstein on the Beach :
(Benjamin Millepied) « D’un côté l’orgue puissant, terrien, emplit l’espace tout entier et évoque avec son rythme répétitif quelque chose de rituel et de primitif. De l’autre, les voix accompagnées des flûtes et du violon créent une atmosphère aérienne, comme un envol. » . Il est étonnant que ce dernier ne soit pas provoqué par l’orgue, mais c’est peut-être ce qui rend l’ensemble si curieux. Et je ne me lasse pas de la récitation de ce do, ré, mi, fa – l’aspect de comptine qui pourrait résulter de l’énoncé des notes de la gamme est complètement reconfiguré par la puissance de l’orgue et les grands pas de bourrés coupés jeté en tournant des garçons en demi manège (c’était lequel, le très mignon en rouge ? –encore un mot avant de refermer la cette parenthèse : Audric Bezard). Rhaaaaaaa. Là, je suis à la limite du délire extatique qui pourrait me faire jeter des gros mot comme « transcendée », « transfigurée ».
Redescendons sur terre, je n’ai pas encore parlé du céleste sublime pas de deux pris dans la gangue de l’ensemble de la pièce, lorsque Nicolas Leriche et Aurélie Dupont/Claire-Marie Osta sont rassemblés par le groupe. Veste et justaucorps bleu à col Mao pour elles, pantalon et débardeur assortis pour lui. Comme je n’arriverai pas à une évocation qui me plise, je vous enjoins à regarder le pas de deux sur youtube, filmé dans la première version d’Amoveo. Pour l’apercevoir avec les nouveaux costumes, c’est ici – bon, c’est visiblement filmée par une maniaque des ombres et/ou une fétichiste des jambes d’Aurélie Dupont, qui ne sait pas manier une caméra et encore moins son zoom. Aurélie Dupont est à tomber raide, là-dedans, le mouvement coulé, ramené vers elle et pourtant tout en intensité. Elle forme peut-être davantage un couple avec Nicolas Leriche que ce dernier avec Claire-Marie Osta, cette dernière distribution reprenant pourtant un couple à la ville. Même si ces derniers sont bien accordés, l’osmose des premiers est fusionnelle. Peut-être à cause de sa taille, Osta semble davantage « manipulée » par Leriche, quant Dupont lui coule entre les doigts ; respect et tendresse, l’une soulevée, l’autre retenue, les deux magnifiques (même si je garde une préférence pour la seconde).
La jonction des mains, lorsque Leriche vient relever sa partenaire le bras tendu derrière elle… l’envol qui bannit toute virtuosité de la figure empruntée au patinage… Aurélie Dupont qui flotte et ondoie, portée à bout de bras... et Claire-Marie Osta fascinante lorsqu’elle se trouve en apesanteur sur l’épaule et à côté de Nicolas Leriche à qui elle met sa main en œillère, et qui continue à avancer, confiant en celle qu’il porte et qui le guide. Elle est incroyable, perchée à cet éphémère poste d’observation –une présence tranchante. Dans l’espace, le regard portant loin, jamais dans le vague. Elle se détache de son partenaire sans être détachée ou indifférente ; juste à part.
C’est en ce sens que la distribution avec Aurélie Dupont donne davantage l’impression d’un couple : ils ne sont pas plus unis, mais plus à l’unisson, présents l’un à l’autre et complices jusqu’aux saluts, où Nicolas Leriche, visiblement heureux, court en avant et la tire par le bras, lui imprimant une secousse pour qu’ils saluent et entendent à nouveau crépiter la joie des spectateurs. Il a l’air d’un gamin ; elle est splendide dans sa large veste aux manches retroussées, ouverte comme l’expression de son visage.
[Elle, sait l'évoquer : "Le pas de deux central est une prouesse de subtilité, de force et de sensualité, je m'en souvenais comme d'un enchantement, je n'ai pas été déçue : envoûtement, bis. Quand "Amoveo" se termine, on est essoufflé comme quand on a couru avec ses copains d'enfance avec le vent dans les cheveux, ou quand on a fait l'amour toute la nuit." "Interprèts hors catégories, hors tout : AUrélie Dupont & Nicolas Le Riche." - les deux premières photos sont wow]
21:03 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, ballet, garnier
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