22 novembre 2010
Tyler tyler drowning bright
… in the waters of the night
What immemorial hand or eye
Could fan thy seamless dichotomy ?
Les costumes sont sombres, les corps eux-mêmes sombrent, mais Tyler Tyler n'est pas un naufrage, n'en déplaise à ceux qui se sont enfouis comme des rats (je déplore néanmoins que soit restée le tuberculeux de service). Pourtant, petite souris, j'ai eu peur moi aussi, lorsque j'ai vu s'étirer la scène où un homme entame lentement une danse traditionnelle japonaise, accompagné sur un mini-piano de poche par une jeune femme occidentale. Puis la scène s'est inversée, avec un danseur contemporain debout et le danseur de kabuki su-odori à l'accompagnement, et le contre-emploi humoristique de l'un et de l'autre (chanson américaine avec un accent à couper au couteau ; danse traditionnelle exécutée en jean, boucle de cow-boy à la ceinture) a détendu l'atmosphère. Danse contemporaine américaine, danse traditionnelle japonaise, le dialogue des cultures était annoncé et leur questionnement mutuel peut commencer.
Yasuko Yokoshi a l'intelligence de ne pas décliner toutes les déclinaisons possibles, en donnant lieu à des associations prévisibles et un peu mécanique. Elle fait danser les contemporains ensemble, puis les traditionalistes à part, bientôt rejoints par les premiers qui se fondent dans l'héritage du passé. Là où ça se gâte, c'est lorsqu'un guitariste arrive et que tout se mélange dans une espèce de porridge country. Dans la surprise d'un même geste répété, en lieu et place de l'éventail, un micro est produit et la danseuse contemporaine de dire des bribes d'une narration lointaine, un enfant enlevé par un mari qui veut le tuer. Le mélange danse-théâtre fonctionne un peu mieux lorsqu'est repris ce qui, à en suivre le programme, doit être une épopée japonaise du XIIe siècle : l'embarcation fait naufrage et l'Empereur est sommé de faire ses adieux à ses ancêtres, à l'Est, pour mourir convenablement, et de tourner ses espoirs de survie vers l'Ouest. Le danseur contemporain est maintenu en déséquilibre par les traditionalistes, il tire vers l'arrière de la scène et ondule comme à la proue du bateau ; le contemporain comme renouveau. Et pourtant, autre déséquilibre, vers l'avant cette fois-ci, arrêté un instant dans sa chute par le poing d'un ancien, héritage indispensable à l'équilibre – un étai(t) solide.
Le principal reproche qu'on peut adresser à ce spectacle, ce n'est pas une quelconque lenteur ( la chorégraphie de Sankai Juku hypnotisait de lenteur), mais un rythme décousu par l'irruption du théâtre et de la voix parlée parmi le chant et les corps en mouvement. Pour le dire autrement : cela ne danse pas assez. Quand cela danse, en revanche, il se passe quelque chose, c'est tout autre chose. Le kabuki su-odori fascine par ses mouvements d'éventails argentés comme de la tôle ondulée, comme des conques de coquillages, promptes aux envolées ou aux disparitions devant le visage, lorsque les danseurs sont de dos, et que la nuque apparaît comme sur une auréole plissée. J'aime la simplicité et la beauté du geste avec lequel la vieille dame relève la bande de tissu qu'elle traîne et fait signe de s'essuyer les yeux. Il n'y a pas de signification à chercher, rien à attendre, juste une tranquillité qui berce et jamais ne nous endort – musique-bruitage de clapotis avec canards intermittents, comme celle que diffuse le réveil de Palpatine, et que j'apprécie ce soir-là pour la même raison que je la déteste le matin (ça me donne envie de les shooter à la carabine). C'est reposant, c'est tranquille, c'est beau.
Plus beau encore, peut-être parce que plus mouvant (et il n'y a pas loin du mouvant à l'émouvant), la danse contemporaine – la danseuse contemporaine, pour être plus exacte car, si son partenaire, Kayvon Pourazar, se glisse bien à l'intérieur de la chorégraphie, elle, Julie Alexander, semble l'inventer spontanément. C'est tout son corps à qui il prend l'envie de se détourner, d'entrer en déséquilibre, de se maintenir ou de se relâcher. Même lorsqu'elle se jette à plat ventre comme un pingouin, c'est beau. C'est dire. Surtout que le passage de serpillère est habituellement ce que j'abhorre dans un certain type de contemporain. Julie Alexander peut se jeter à terre, ce n'est même pas éprouvant, le geste répété a une beauté désespérée, tranquille, il n'y a « plus d'espoir, le sale espoir ».
Large jupe en jean tout d'abord, qui l'installe dans une Amérique désertique, j'imagine en Arizona, sans savoir pourquoi (je soupçonne l'association d'idée Tyler tyler – Liv Tyler- Arizona Dream, que j'ai détesté tout en admirant la beauté de l'actrice qui rejaillit ici sur la danseuse par le simple force du nom) ; elle la troque ensuite contre une robe qui a encore l'ampleur de la tenue des danseurs de kabuki su-odori mais se marie davantage à la retenue dont sont empreints leurs gestes ; robe que l'on imagine bien sur une gouvernante anglaise du XIXe victorien dans une famille puritaine, et qui est défaite, en même temps que les cheveux, remplacée par une pauvre jupe de tulle rose passé et des manches ballon bleues, imitation dégradée de la gouvernante comme de la princesse de bal. Le danser persiste à relever son corps de noyée, à le faire tenir debout en dépit du passé disparu. A la fin, la danseuse traditionnelle revient sur scène, en tenue de ville très sportswear, rejointe par le contemporain au piano miniature : pas besoin de recommencer, «you will see what you just saw », la danse d'hier n'en sera pas plus actuelle ni plus démodée, toujours autre par rapport à une danse contemporaine qui s'en détourne pour ne pas s'immobiliser dans la fascination.
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12 novembre 2010
Les corps cunéiformes de Cunningham
[Théâtre de la Ville, vendredi 5 novembre, avec Palpatine]
[Pond Way, photo de Carol Prati]
Tous les danseurs sont sur scène, en vêtements amples, de voilages blancs, et font des dégagés ou des ronds de jambes. Mais là où un Forsythe impose un même épaulement qui fait de suite naître la puissance du groupe dans Artifact suite, Cunningham dispose ses danseurs en tous sens et brouille leur agencement par d'incessants changements de direction : cela grouille, comme les remous provoqués par des bestioles à la surface d'un étang. Par la suite, la danse ne cesse de se ré-agencer en groupes dont la disposition semble plus ou moins aléatoire (l'éparpillement est un effet difficile à atteindre si l'on veut éviter le fouillis sans pour autant faire apparaître une structure ; il y a tout une science du bordel organisé).
Pond way, grâce à son titre évocateur, fait apparaître des gerris (sauts bras et jambes écartés, comme l'espèce de cousin d'eau) et surtout des grenouilles plus vraies que nature, qu'on a l'impression d'entendre coasser tant elles bondissent bien en tous sens (quelques pas d'élans avec les bras sur le côté, comme sur les accoudoirs d'un fauteuil, qui se rétractent progressivement, jusqu'au saut proprement dit, à la réception duquel ils sont ramenés vers l'avant par-dessus tête). Ce doit être l'éclate, d'autant que, contrairement au classique, le temps n'est pas en l'air, on peut s'écraser joyeusement à l'atterrissage. Car l'espèce de saut de chat avec retirés simultanés des deux jambes existe bien en classique, cela s'appelait même un saut de grenouille pour moi mais le dictionnaire de la danse ne valide pas le terme (alors qu'il définit un « saut de bison » - ce serait l'image du milieu, si j'ai bien compris la description).
Tout ce petit monde grouille sur une bande son plutôt vague et clapotis (j'allais ajouter sifflements aussi, mais ça, c'était le nez de mon voisin, à qui j'ai demandé de se moucher avant la deuxième pièce ; manque de chance, le sifflement était indépendant de l'obstruction supposée de la narine ; heureusement, cela s'est moins entendu avec le piano). L'amusement se termine abruptement, après des diagonales de saut de biche ou assimilés, scène vide, juste le temps d'apercevoir sur la toile de fond un petit bonhomme en barque, que je n'avais pas remarqué – rideau.
A voir l'homme en académique jaune, plus tout jeune, évoluer au ralenti dans une douche sur une musique aussi minimale que l'éclairage, je me demande si Second hand ne désignerait pas la danse d'un interprète un peu usé. Mais le programme, chopé à la fin du spectacle en haut d'une armoire, m'apprend que c'est tout simplement à cause d'une « cheap imitation » de Satie, que John Cage a composée pour cause de droits d'auteur trop importants ; pour la peine, le piano et le saxophone sont flanqués d'un synthétiseur.
[Second Hand, photo de Linda Spillers ; des corps tous en coudes et genoux]
Le titre ne donne donc aucune clé d'entrée dans l’œuvre et à voir tous les petits bâtons de couleur qui ont rejoint l'homme-canari (dans cette compagnie, on porte l'académique sans peur et sans reproche), j'ai vite l'impression de voir bouger des idéogrammes. Autant il est amusant d'imaginer retrouver des pingouins dans Beach birds ou des grenouilles dans Pond Way, autant sans pierre de rosette pour stimuler l'imagination, on ne déchiffre pas grand-chose. Les corps deviennent alors des symboles cunéiformes indéchiffrables et les traits en eux-mêmes, pour variées que soient leurs combinaisons, présentent un aspect un peu monotone. Attitude sous toutes ses formes (quatrième devant, derrière, seconde), arches sur demi-pointes, triplettes et pliés... certes, les variations sont infinies mais elles provoquent la lassitude de l'indéfini. Les poses successives créent du mouvement mais pas toujours de la danse ; les danseurs ont beau évoluer en groupes, je me rends compte, lorsque cela arrive enfin, que c'est le contact entre eux qui fait défaut. Ce sont les liens qui se nouent qui nous interrogent, les relations protéiformes qui peuvent naître et se transformer sous nos yeux.
[Second Hand, photo d'Anna Finke]
Il y a quelques beaux moments lorsque des couples de forment où l'homme rattrape la femme dans toutes sortes de cambrés répétés. Mais la plupart du temps, je suis d'accord avec un commentaire entendu à l'entracte : c'est désincarné. Ce qui pose tout de même un léger problème lorsqu'il s'agit de danse, c'est-à-dire d'expression des corps. Visages fermés, mouvements arrêtés, détournés de l'autre : non seulement il n'y a pas d' « âme » mais son absence est telle que le corps n'en est plus qu'à peine un, pris dans la mécanique du mouvement, à la limite de la machine. La neutralité des interprète était voulue par Cunningham ; j'avais lu avec intérêt le numéro de Danser qui lui a été consacré à sa mort, et trouvé stimulant l'utilisation du hasard comme le refus du sentimentalisme. Mais c'est une chose de débarrasser le mouvement de tout lyrisme pour le faire valoir en lui-même, c'en est une autre de le le séparer du geste et des interprétations qu'il peut susciter. La technique classique revue par Balanchine qui l'a coupée des arguments au service de laquelle on la mettait, ne contraint pas ma propension à l'interprétation. Au contraire, elle est stimulante et l'abstraction des ballets n'a rien d'aride. Tout se passe comme si le génie de Cunningham tenait à la légende, non pas tant à la sienne qu'à celle qu'il donne à ses pièces. En son absence, l’œuvre est moins abstraite que conceptuelle, et il vaut mieux qu'elle soit justifiée par un discours qui lui était extérieur pour être appréciée. Je crois que c'est fondamentalement ce qui me gêne chez Cunningham et explique pourquoi j'apprécie davantage des pièces entourées d'indices interprétatifs.
Dans Antic meet (belles photos à aller voir là), ils sont incorporés à la pièce elle-même. Sans qu'on puisse trouver un sens à l'ensemble, des saynètes se suivent, chacune avec un trait d'humour lié à une bizarrerie qui lui est spécifique et réside souvent dans le costume. On trouve ainsi un homme-chaise, qui offre en pas de deux une assise confortable à la jeune fille apparue par une porte (sans mur, comme dans un tableau de Magritte) ; des danseurs avec haut à cerceau (un peu comme les tutus de The vertiginous Thrill of exactitude mais en miniature) ; des jeunes filles en tablier ou en boule-robe à fanfreluches, qui semblent habillées avec les rideaux de leur tante (j'avais lu « Auntie meet » et avait décidé que tout se passait dans une maison familiale du sud des États-Unis) ; ou encore un cambrioleur-lutin coincé dans un pull multi-manches (ce qui est angoissant dans la nouvelle « N'accusez personne » de Cortázar est ici du plus haut comique). Les costumes sont revêtus par-dessus des académiques noirs et les danseurs-note animent ainsi la partition avec des dissonances humoristiques – un amoureux éploré de repartir la tête dans son pot de fleur.
C'est grinçant mais comme j'entends derrière moi, « au moins, ça a du sens » : le partitif est preuve que le spectateur n'attend pas une pièce à thèse ou à argument avec un sens bien déterminé, simplement une danse qui puisse mettre leur esprit en mouvement et s'amuser avec des sens possibles, à défaut que les leurs aient été émus.
[Second Hand, third time, Anna Finke]
Contente d'avoir découvert ce chorégraphe, je me contenterai justement de ce que j'ai vu, sans éviter ses œuvres mais sans chercher non plus à assister à des soirées qui lui soient entièrement consacrées.
11:58 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, tdv
20 octobre 2010
Tanztraüme
Hier. La BU est fermé. J'ai trois chèques ciné à écluser. Je décide d'aller au MK2 de Beaubourg.
La plupart des documentaires de danse ont dans leur titre soit des « étoiles », soit des « rêves » (lorsque ce ne sont pas les deux, comme Rêves d'étoiles) ; Tanztraüme n'y fait pas exception. Peut-être parce que la traduction française de Rêves dansants ne fait pas écho au Tanztheater, on a rajouté « sur les pas de Pina Bausch ». De prime abord, on pourrait se demander pourquoi pas « dans les pas de Pina Bausch », puisqu'il s'agit de la transmission d'une pièce de son répertoire à un groupe d'adolescents novices en la matière. Mais peu à peu, à mesure que les répétitions avancent, que s'affinent les gestes des apprentis danseurs et les exigences des répétitrices, le spectateur est introduit dans l'univers de la chorégraphe, et c'est bien à la recherche d'intentions que l'on est, et non pas de mouvements qu'il faudrait reproduire sans forcément les avoir assimilés.
Le volet « adolescent » de l'affaire ne m'intéresse strictement pas : je ne trouve pas la maladresse touchante et la mayonnaise œcuménique de la danse qui apprend le respect par-delà la différence ne prend pas avec moi ; je n'en ai rien à faire que machin soit musulman, que truc découvre qu'il a un nom et peut trouver sa place dans une groupe, ou bien que bidule qui joue les gros dur se révèle avoir la tendresse d'un agneau. Heureusement, aucune voix off pour venir en rajouter, les répétitrices sont suffisamment bonnes commentatrices ; en fait, ce sont souvent les adolescents eux-mêmes qui anticipent le discours qu'on attend habituellement d'eux. Les interviews passent de la confession au témoignage lorsque la caméra s'attarde sur les jeunes au passé douloureux sinon cauchemardesque (exil, guerre, mort) plutôt que sur celle qui câline son chat ; mais ces témoignages sont eux aussi superflus dans la mesure où ils explicitent ce qui est déjà contenu dans leur danse. Hasard ou logique de la pièce, ce sont eux qui tiennent les rôles principaux.
En effet, si Kontakthof désigne un lieu où s'établit le contact, la tendresse s'y inverse très rapidement en violence. La confusion est dérangeante, et s'observe particulièrement bien dans une scène où des garçons entrent l'un après l'autre pour entourer et consoler une jeune fille qui se retrouve bientôt encerclée par un groupe qui semble la violenter et au milieu duquel elle n'est bientôt plus qu'un pantin.
Autre passage dérangeant : une jeune fille court en cercle en riant à gorge déployé. Sauf que ce rire sur commande n'est pas pour rire, « c'est un rire sérieux » lui explique la répétitrice et j'ai l'impression d'entendre le cri d'une hystérique, le désespoir plus que la réjouissance lointainement supposée par le geste.
Certains critiques trouvent que la pièce gagne en douceur à être dansée par des adolescents : idéalisation aveugle de la jeunesse, dont l'innocence n'a jamais été à louer. J'ai regardé sur youtube des extraits de la version pour Damen und Herren de plus de 65 ans, et je peux vous assurer que c'est autrement violent chez des jeunes dont la force n'a pas eu le temps de s'émousser. Même la fragilité n'est pas gage de délicatesse, on s'en persuadera en suivant la jeune fille blonde à la robe verte : bien que maigre, c'est elle qui a le plus d'épaisseur et la sensualité qu'elle doit danser transparaît dans toute sa brutalité. Ses gestes ont beau être beaucoup moins liés que sa partenaire, ce n'est pas du visage de celle-ci qu'on ne parvient pas à détacher les yeux.
[la brindille blonde à la robe verte, ici rose, à droite]
Il n'y a décidément rien là d'innocent. La naïveté est tout aussi jouée (quoique plus intuitivement) que les caresses amoureuses, que la grande majorité d'entre eux n'a sinon pas explorées, du moins pas menées à leur terme. Cette situation sur le parcours amoureux souligne et cache à la fois un certain rapport au corps : devant leurs inhibitions, il devient rapidement évident qu'ils ne sont pas habitués à être touchés (la brindille blonde à la robe verte le dira d'ailleurs, c'est même ce qui reste pour elle le plus difficile après de nombreuses répétitions) ni à toucher l'autre (regards qui s'évitent lorsque les peaux entrent en contact, demande orale d'autorisation à faire le geste démontré...), mais la pudeur qu'ils manifestent va bien au-delà de la timidité du puceau et relève davantage de la difficulté à entrer en contact, qui perdure à tout âge de la vie. Pour vous remettre en contexte, placez-vous dans une rame de métro bondée (ce n'est pas ce qui manque en ce moment avec les grèves) et observez que jamais vous ne croiserez, sinon par erreur et furtivement, les regards de ceux contre qui vous êtes pressés. Il demeure une répugnance naturelle à se trouver dans une zone de proximité immédiate, même lorsque toute intimité est bannie par le contexte. Le constat vaut également hors de cette détestable promiscuité suante ; même entre amis (hors les groupes de copines bisounours) on ne s'effleure qu'en s'excusant. Cela rend le contact d'autant plus difficile que tout geste, s'il n'est pas significatif du comportement amoureux, devient déplacé.
Bref, Kontakthof est une pièce sur les rencontres humaines, mais également celle dans laquelle des jeunes gens sont amenés à se souvenir du sens concret, tout à fait physique, d' « entrer en contact ». Il ne s'agit pas de s'offrir aux mains du tout-venant, mais de laisser une chance à l'autre de parvenir jusqu'à nous, et d'en être touché, dans toutes les acceptions du terme. Il n'y a dès lors pas besoin de virtuosité pour interpréter les mouvements de la chorégraphie, seulement (mais c'est énorme) de rigueur pour en chercher la justesse, même si le véritable mouvement dansé (c'est-à-dire chorégraphié) est toujours un geste qui amène avec lui sa signification – d'où que les apprentis puissent sans peine, une fois la gêne surmontée, danser ce qu'ils n'ont pas vécu. L'authenticité de leur danse ne procède pas tant de leur jeunesse que de la recherche lente et appliquée avec laquelle ces novices ont compris avec leur tête et leur corps des pas dans lesquels des danseurs expérimentés se seraient glissés de façon mimétique (leur sens aigu du ridicule a empêché les adolescents de singer les danseurs adultes).
Et sans s'en rendre compte, le spectateur s'est lui aussi familiarisé avec un univers qui aurait pu le rebuter. Je ne connaissais Pina Bausch que de nom, et me serais peut-être arrêtée à son aspect déroutant si j'avais été confrontée directement à la pièce en tant que telle. Je serais désormais encline à rechercher le contact avec cette écriture chorégraphique profondément dérangeante – qui secoue nos catégories trop bien rangées et en déplace l'horizon.
21:16 Publié dans Souris de médiathèque, Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : film, cinéma, danse
17 octobre 2010
Pas l'ombre d'un(e)...
Bien qu'en boule au début de la journée, où un oubli de costume m'a coûté une heure de détour, la journée menant au premier spectacle de la saison (et première programmation officielle - où ce n'est plus nous qui payons la location du théâtre mais nous qui sommes payés) de notre compagnie s'est bien passée, pauvre en chauffage mais riche en danse et en chocolat (noisette vs amande). On a eu une petite frayeur le matin en apprenant que seules trente places étaient réservées, mais la centaine de spectateurs qui se sont trouvés là a semblé sincèrement ravie, et nous avec.
Il y aurait beaucoup à raconter, le placement avec quinze épaisseurs de vêtements, le pique-nique franchouillard à l'intérieur et en manteau, l'odeur de galettes de riz sur notre dernière recrue et ses improvisations contempo-jazz avant le lever du rideau, les "chignons cnsm" et la tricherie de mon postiche, le corps jamais vraiment échauffé mais toujours refroidi et réchauffé, la manette d'ouverture du rideau que j'ai actionnée dans le mauvais sens, les changements plus ou moins rapides dans les coulisses qui restaient visibles d'une bonne partie de la salle, les chorégraphies bien rôdées en studio mais dont on perd l'automatisme sur scène pour retrouver l'impulsion première... Et le trajet retour, ensuite, seule et de nuit, où la route se dessine peu à peu comme dans un jeu vidéo (ça me fait peur, j'ai toujours été mauvaise) ; j'ai chanté a capella et à tue-tête toutes les chansons dont je connaissais à peu près les paroles pour me tenir éveillée (les voies de la mémoire sont impénétrables : je me souvenais d'une chanson de Céline Dion que je n'ai pas dû entendre depuis bien dix ans, c'est assez terrifiant - surtout lorsque les dates du cours d'histoire de prépa sont déjà en train de s'évaporer). Le coton à démaquiller maculé de noir et de rouge signe la fermeture du rideau. Reste à répéter - même si pas tout de suite pour moi, l'élongation que je me suis faite m'oblige à me mettre en pause.
21:57 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : danse