06 juillet 2014
Kaguyahime sans Kylián
Kaguya, Kaguya... mais c'est Kaguyahime ! Devant la bande-annonce de l'animé d'Isao Takahata, la suffixation japonaise reprend son sens : hime, c'est la princesse, et Kaguyahime, celle qu'un vieux coupeur de bambou découvre, miniature, au cœur d'une pousse de bambou. Devenue un nouveau-né, la princesse grandit à vue d'œil et se voit ainsi nommée Takenoko (pousse de bambou) par les autres enfants. Elle ne prendra le nom de Kaguya que bien plus tard, qui sera en quelque sorte son nom de baptême. Car princesse, Takenoko l'est surtout dans le cœur de ses parents adoptifs et cela serait resté un nom affectueux si le père, persuadé de la destinée de la princesse, n'avait tout fait pour lui en donner le statut : le destin est une prophétie auto-réalisatrice qui n'advient que si l'on y croit. Le père adoptif utilise l'argent trouvé dans la bambouseraie pour satisfaire ce qu'il pense une volonté divine : emmener Takenoko en ville, et lui donner l'éducation de la parfaite princesse. Manières, kimono, koto, maquillage traditionnel, Takenoko n'échappe à rien, si ce n'est à l'ennui d'une vie qu'elle ne souhaite pas – une vie à laquelle elle ne se résigne qu'après un mouvement de révolte qui, se retirant, laisse place à une mélancolie sans remède. Si la jeune fille mène la vie dure à des prétendants qui ne l'ont jamais vue mais convoitent sa beauté (si renommée que l'Empereur lui-même fait le déplacement, pour se faire à son tour éconduire), ce n'est pas seulement parce qu'elle refuse de devenir une femme, la femme d'un homme ; elle pressent ce dont elle a tardivement la révélation : elle vient de la Lune et devra bientôt y retourner. Le moment venu, le peuple de la Lune a beau arriver tout chant dehors sur son petit nuage, le rapatriement de la princesse (enlèvement d'un point de vue terrestre) ressemble à s'y méprendre à une mort symbolique (une méprise, selon Palpatine). Le paradis qu'on lui propose sous la forme d'un manteau de plume, qui efface tous les souvenirs sitôt porté, ne fait que transformer sa mélancolie en nostalgie – nostalgie de la vie qu'elle a passée à la campagne et nostalgie de celle qu'elle n'a pas vécue, avec son ami d'enfance.
Le Conte de la princesse Kaguya ressemble moins à un dessin qu'à une aquarelle animée. Les couleurs délicates et le trait d'esquisse animent (d'une âme) les êtres et les choses ; jamais fermés, les contours se reforment sans cesse, épousant la métamorphose incessante des fragiles créatures auxquelles ils donnent vie. L'animé invite ainsi à la contemplation de la nature, aussi bien humaine que végétale ; il est à l'image de son héroïne : une beauté lunaire.
15:55 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : film, cinéma, animé, kaguya
28 juin 2014
Andrew Bujalski roque
Viens, c'est sur des geeks qui programment des jeux d'échecs. Sur cette description sommaire, j'ai rejoins Palpatine pour voir Computer chess. La caméra (d'époque) traîne entre des geeks soixante-huitard à grosses lunettes et des dinosaures numériques pourvus de gros moniteurs, réunis dans un motel pour un tournoi d'échecs un peu particulier, où les programmes s'affrontent les uns contre les autres (et les pièces sont déplacées manuellement sur un échiquier parce qu'il n'y a pas encore d'interface graphique). Je crois d'abord à un documentaire explorant la faune et la flore de cet étrange concours qui, avec son président à cheval sur le règlement et ses participants qui se connaissent tous, ressemble un colloque universitaire de seconde zone. Mais l'illusion documentaire cède au délire fictionnel lorsque ce petit monde en vase clos entre en collision avec un groupe de thérapie de couple, qui vit lui aussi sur une autre planète.
Peu à peu, le film perd pied et le spectateur prend le sien. On est pris de nostalgie pour l'époque du rétroprojecteur (on déplace des pièces sur film transparent pour reproduire et commenter les parties) et de tendresse pour les personnages dont on se moque fraternellement : le président du concours, qui prend son rôle très au sérieux ; l'original qui erre dans le motel plein de chats, à la recherche d'une chambre à squatter parce sa réservation n'a pas été prise en compte ; le parano-mégalo persuadé, joint au bec, que le Pentagone surveille ses algorithmes ; le jeunot qui ne comprend pas plus le programme sur lequel il travaille que les filles (c'est-à-dire l'unique fille du concours – trimballer un ordi d'une chambre à l'autre constitue leur seule activité nocturne) ou encore le mystique qui considère que les voies de l'informatique sont, comme celles du seigneur, impénétrables et prône la vie de famille comme remède à la folie lorsque le jeunot lui explique que leur programme est mauvais parce qu'il ne veut pas jouer contre d'autres programmes. Face à la complexité qu'on ne s'explique pas, l'ordinateur se voit attribuer une volonté propre, et l'autre, avec lequel on interagit à l'aveuglette, est bientôt vu, lui aussi, comme une machine – l'homme, cette curieuse boîte noire.
Mi-fou mi-roi, Andrew Bujalski est apparu à la suite de la projection, via webcam, pour répondre aux questions qu'on n'osait pas poser. Ce n'est pas un vieux barbu, comme j'aurais cru, mais un jeune gars hyper sympa, qui répond au comment et élude le pourquoi. Ouais, pas besoin d'explication. Allez, viens, on va boire une bière, je prendrai un Coca.
Mit Palpatine, qui essayait de deviner avec quel langage les nerds programmaient.
20:46 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, film, computer chess, andrew bujalski
Adieu au langage
On a pu remplacer l'œuvre par sa genèse ou par sa destruction méticuleuse. Mais là où le nouveau roman a pris soin de conserver un matériau minimal (un sujet à défaut de personnages, des apparitions intrigantes à défaut d'intrigue) et de l'articuler (il n'y a pas plus construit qu'un roman d'Alain Robbe-Grillet ou de Claude Simon), Jean-Luc Godard y va la caméra au fusil, shootant tout ce qui bouge et n'avance pas. Adieu au langage ressemble à un pot-pourri de rushs random, mêlant bouts de conversations sans enjeu, arbres au vent, relation adultère sans drame ni perspective et surtout, le chien du réalisateur, qu'il aime manifestement plus que ses spectateurs.
Pour sa patience face à des bribes qui n'entrent jamais en résonance, le spectateur en prend plein les yeux plein la tête : 3D, couleurs (dé)saturées, flous qui n'ont rien d'artistique, ruptures sans style, bande son désynchronisée... Qu'il expérimente, fort bien (le procédé selon lequel on voit deux actions différentes selon que l'on ferme l'œil droit ou gauche est une chouette trouvaille), mais qu'il ne nous présente pas ses brouillons barbouillés de deux ou trois jeux de mots comme une œuvre ! Ah, dieux ! Oh, langage ! Encore faut-il pouvoir articuler pour faire ses adieux au langage. Malgré tout ce que peut en dire Jean Douchet, venu présenter le film de son ami, il n'y a pas de pensée possible sans grammaire. Mais cela plaît grandement aux onanistes intellectuels, qui peuvent élaborer à propos du film les théories les plus délirantes, sans que rien ne vienne jamais les contredire.
Je suis pour ma part incapable de prendre du plaisir sur un objet aussi vide de sens, ni logique ni poétique, où même la nature est laide et la chair ne donne pas envie. Je ne suis pourtant pas contre un peu de masturbation intellectuelle, lorsqu'elle donne l'occasion de jouir. Mais, à l'image de ce bateau, filmé encore et encore, qui n'en finit pas d'arriver, Adieu au langage est un film de peine à jouir, qui transforme toute excitation en irritation. Non. Juste non.
Mit Palpatine
17:50 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : film, cinéma, godard, adieu au langage
07 juin 2014
Maleficent, quite efficient
Disney met Maléfique plutôt qu'Aurore à l'affiche et tout le monde attend une Belle au bois dormant dark. Malgré les batailles et la coiffe noire d'Angelina Jolie, la relecture reste néanmoins souriante. Avec une méchante fée qu'Aurore n'a aucun mal à prendre pour sa marraine, on a tôt fait de se dire que, chez Disney, même les méchants sont gentils. Cette pointe de bonté au sein de la malfaisance (ou l'inverse) est pourtant la goutte d'eau qui transforme le tout-blanc tout-noir en yin et yang.
Plus de personnages de bonne ou de mauvaise nature mais la nature humaine, pour le meilleur et pour le pire : c'est la vengeance qui transforme Maléfique, ex-petite fée cornue choupie, en sorcière aussi puissante que malfaisante, après que Stéphane, ex-chenapan ensorcelé par les beaux yeux de Maléfique, lui a coupé ses ailes, mu par l'envie de devenir roi. Et si l'axe du mal dévie peu à peu de Maléfique au roi Stéphane, c'est que ce dernier, corrompu et mégalomane, s'enferme dans une paranoïa qui le prive définitivement de toute chance de rédemption, tandis que la mauvaise fée se laisse toujours davantage attendrir par Aurore. Bonté et niaiserie se confondent chez la ravissante jeune princesse (Elle Fanning, toujours parfaite), tout comme chez son prince, sorte de Siegfried-Disney qui ne peut du coup pas dé-niaiser / réveiller la princesse en l'embrassant. Seul un baiser d'amour sincère peut annuler le sort jeté par une Maléfique bafouée et l'on ne transige pas, quitte à admettre que le prince charmant ® n'existe pas. La mort du prince charmant, si ce n'est pas une révolution, ça... Le jeune prince n'aura droit de cité qu'une fois Aurore réveillée (je l'avais vu venir gros comme une maison)... par un baiser d'amour maternel posé sur son front .
Les contes de fées ne sont plus ce qu'ils étaient ? C'est sûr qu'entre les effets spéciaux qui piquent les yeux, les scènes pas toujours très bien ficelées et les emprunts qui sentent la consanguinité entre studios d'animation (genre on a fait des boutures d'Avatar1), on peut avoir la nostalgie des bons vieux Disney de son enfance. Mais ce sont ces bons vieux Disney qui nous ont fait oublier que dans les classiques qu'on n'a pas rouvert depuis une éternité, à peu près tous les personnages en prennent pour leur grade. Si, à défaut de sortir des sentiers battus, Maléfique sort du manichéisme, c'est déjà ça, non ?
Mit Palpatine
1 Un article de Rue 89 déplorait récemment la disparition de la nature dans les dessins animés de Disney. Contre toute attente, elle est assez présente dans Maléfique... tant que l'on ne s'aperçoit pas que les plantes et créatures lumineuses ont, comme dans Avatar, tout d'une nature arrosée par la fée électricité.
18:24 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : film, cinéma, maléfique, disney