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20 novembre 2014

Asphyxie

Soyons francs, Mélanie Laurent est meilleure actrice que réalisatrice. Si la fin de Respire confère au film une tension dramatique indéniable, elle lui fait défaut à peu près tout le long. Le début, surtout, m'a fait pousser des soupirs : la lycéenne un peu effacée avec son Eastpack sur le dos, les amies à qui elle claque la bise, la nouvelle qui arrive... non seulement tout cela a été vu et revu, mais cela sonne faux, archi-faux – surtout le cours de philo, dans la droite ligne de La Vie d'Adèle. Par pitié, chers réalisateurs, cessez de mettre en scène des cours de philosophie à mi-chemin entre le théâtre et la discussion de groupe, où le prof ressemble à un coach de développement personnel. D'avance merci.

Une fois sorti du lycée, on se met à respirer et le film prend peu à peu autour de Charlène-auto-surnommée-Charlie et Sara, la première tombant sous le charme de la seconde. Charlie, c'est la fille qui s'habille passe-partout, s'attache les cheveux vite fait pour ne pas être gênée, fait la bise à son petit groupe de copines en arrivant au lycée et se trimballe avec un Eastpack orange. C'est moi, c'est ma cousine, c'est un tas de filles. Sara, c'est la fille en mini-short que tout le monde regarde et écoute, qui a toujours une longueur d'avance, un truc cool à raconter et une crinière de cheveux lâchés. C'est la fille qui fascine par son aplomb et dérange par le sans-gêne auquel il confine.

Flattée que Sara l'ait choisie comme amie, Charlie ne se rend pas compte qu'elle devient peu à peu son faire-valoir. Ou plutôt, lorsqu'elle s'en rend compte, c'est trop tard : elle est déjà devenue dépendante de l'attention que Sara lui prête et lui retire sans cesse, aussi accro à sa soi-disant amie que sa mère l'est à son père. Celui-ci va et vient à sa guise, certain d'être à son retour pardonné – pour quels écarts, on ne le saura pas, cela n'a guère d'importance. Ce qui importe, c'est cette relation où celui qui souffre continue d'aimer celui qui le fait souffrir, malgré ou à cause du fait qu'il le fasse souffrir. Mélanie Laurent nous en offre une métaphore aussi magistrale qu'indésirable sous la forme d'un documentaire de SVT, qui n'a pu exister qu'à l'époque des VHS, où l'on observe un parasite enlacer un géranium jusqu'à l'étouffer. Inutile de dire que Sara et Charlie sont plutôt de belles plantes.

Il n'y a pas besoin de violence physique (ni même verbale, à la limite) pour que la mère adopte les mécanismes psychologiques de la femme battue. Il n'y a pas plus besoin de manipulation sordide pour que Charlie tombe sous l'emprise de Sara, reproduisant le schéma familial dans son cercle amical. C'est simple comme une adolescente avec un complexe d'infériorité (une ado, quoi) qui se lie avec une adolescente chez qui ce complexe d'infériorité s'est inversé en complexe de supériorité. Ma cousine avait une copine comme ça, je me souviens, toujours plus importante, toujours plus belle, toujours plus au centre de l'attention – toujours plus pimbêche, rappelait-on régulièrement à ma cousine, quand elle commençait à trop se dévaloriser.

La Sara, elle, réussit à se faire aimer de l'entourage de Charlie et, ce faisant, à l'en couper. Sa méchanceté, jamais plus visible qu'une indifférence manifeste, passe sous les radars ; on ne voit que les marques d'affectation qu'elle donne, au bon moment, au moment où l'on est sur le point de décrocher, et par lesquelles elle renverse les rôles, au point de faire douter Charlie de sa propre culpabilité. L'équivalent amical du pervers narcissique, quoi – qui, selon votre personnalité et votre résistance, peut vous faire de l'ombre et vous empêcher de vous épanouir ou carrément vous pourrir la vie. Vous empêcher de respirer. Et quand, comme Charlie, on est asthmatique, cela peut prendre des proportions dramatiques.

 

De Respire, je retiendrai surtout un visage. Non pas tant celui de Lou de Lâage (qui a par moments un petit côté Arielle Domsbale) que celui de Joséphine Japy, diaphane, même fermé.

 photo Respire-Charlie_zpsee2098d4.jpg

16 novembre 2014

What if

Et si on oubliait le titre français Et (beaucoup) plus si affinités ?

Whaf if...

 

Et si Daniel Radcliffe jouait dans une comédie romantique ?

Les épaules tombantes et le souvenirs des lunettes rondes font barrage à l'idée de beau gosse, mais avec une barbe d'une semaine et un sac en bandoulière, le jeune sorcier emprunté face aux filles se mue comme par magie en sympathique loser sentimental. C'est d'autant plus troublant que l'on est de la génération Harry Potter : ça y est, les personnages des comédies romantiques ont notre âge ; j'ai l'âge de ces personnages. (Suis-je adulte ?)

 

Et si on tournait une comédie romantique à Toronto ?

Perché sur le toit de chez lui, Wallace contemple une skyline à la fois familière et différente de celle que l'on est habitué à voir dans les films. What if est à la comédie romantique ce que Toronto est à New York : moins éblouissant mais plus humain, tranquillement décalé. Le lieu commun en redevient un topos qu'il est bon d'explorer. Tant pis pour ceux qui, obnubilés par l'originalité (impératif catégorique de la course à l'innovation), n'en voient pas le charme.

 

Et si les archétypes s'incarnaient ?

Wallace tombe amoureux de Chantry, qui file le parfait amour avec Ben. Nous avons donc d'un côté un boyfriend à la carrure de rubgyman, amoureux et avocat ; de l'autre, une crevette qui a laissé tomber médecine pour finir rédacteur technique (je vais essayer de ne pas mal le prendre) ; et au milieu, une fausse moche qui a un métier de rêve (au point qu'elle a refusé de passer chef de projet pour pouvoir continuer à dessiner), un copain de rêve, un appartement de rêve et un chat. Pour donner un peu d'épaisseur aux personnages sans faire d'ombre au tableau, on insère quelques moments sombres dans leur biographie (Wallace, le cœur brisé par son ex ; Chantry, orpheline de mère) et on leur colle pour acolytes un couple d'amis déjantés très get-a-room-for-God-sake (Spike, le retour).

 

Et si on nous offrait une comédie romantique dans les règles de l'art ?

Notre héroïque loser, qui accepte l'amitié de la belle à défaut d'autre chose, noue avec elle une complicité à base d'aimants sur le frigo, de délires anti-gastronomiques et de discussions plus WTF les unes que les autres. Imaginez alors quand Ben prend un poste de l'autre côté de l'Atlantique : à la question de savoir si l'amitié entre fille et garçon peut exister, s'ajoute celle de savoir si l'amour peut survivre à la distance. La délibération inclura évidemment un vol express Toronto-Dublin, parce que Chantry le vaut bien (et parce qu'un héros de comédie romantique le peut bien – même avec un job et un salaire pas terrible).

 

Et si on faisait fausse route ?

Dessins de Chantry qui s'animent sur les murs des buildings alors qu'elle traverse la ville en taxi ou parenthèse illustrée d'une recette qui ne dépareillerait pas dans The Grand Budapest Hotel, What if présente tous les signes extérieurs de la comédie romantique indé. Si bien que l'on se met à douter : et si What if était l'histoire d'une désillusion, à la 500 jours ensemble ?

 

Et si What if était l'histoire d'une désillusion, à la 500 jours ensemble ?

Soyons honnêtes, cela ne nous arrangerait pas. Parce que, même si l'on veut croire à l'amitié fille-garçon, on ressemble tous plus à Wallace qu'à Ben. Et l'amour comme prolongement d'une amitié riante et quotidienne, c'est tout de même plus sain que le grand amour, l'amour-passion qui admet la souffrance sous prétexte qu'elle grandit.

 

Et si, au final, il était plus sage que puéril de s'attendrir devant un happy ending régressif comme un carré de chocolat ou un sandwich peanut butter and jelly ?

Sourire indélébile plusieurs jours après.

13 novembre 2014

Bande de filles

Tête baissé pour ne pas être vue en train de voir, tête baissée vers la petite sœur avec des perles dans les cheveux, tête baissée au-dessus de l'évier pour faire la vaisselle, tête baissée devant le grand frère pendant le savon plus ou moins (in)justifié qu'il lui passe, tête baissée qui ne suffit pas à cacher le sourire qu'un garçon a fait naître, tête baissée dans des situations à gros potentiels de dérapage – c'est cette tête baissée que Marieme va relever en entrant dans une bande de filles, de celles que l'on croise à Châtelet ou dans le RER, bruyantes et fascinantes d'aplomb. Si l'on remarque tant la posture de la protagoniste, ce n'est pas uniquement parce qu'elle change de coiffure tout au long du film : le cadrage est resserré, proche des visages et des corps adolescents, reléguant la banlieue dans un hors-champ omniprésent/omni-absent. Exit le sujet de société, ce qui intéresse Céline Sciamma, c'est l'humain.

La caméra braquée au plus près des êtres vaut suspension du jugement : on voit Marieme se faire éjecter de la filière générale à la fin du collège, être soupçonnée de vol par une vendeuse aussitôt accusée de racisme, s'admirer chez elle dans une robe défigurée par un antivol, prendre soin de ses petites sœurs, racketer une gamine, s'offrir une chambre d'hôtel avec la bande, qui festoie aux bonbecs (seule évasion possible avec une sortie aux Halles), jouer au mini-golf, se battre pour s'affirmer sous couvert d'honneur à venger, se faire taper par son grand frère, gifler sa petite sœur sur la mauvaise pente, se demander comment elle-même la remonter. Les dilemmes moraux sont le privilège de la bourgeoisie et Céline Sciamma, c'est déjà un exploit artistique en soi, y coupe court. Suspension du jugement : on ne voit plus que des choix, bons ou mauvais, pour essayer de s'en sortir. Parce qu'au final, femme de ménage, dealeur de bons plans foireux, pute du caïd local ou épouse de l'amoureux qui ne tardera pas à lui coller des marmots, Marieme a surtout le choix de l'embarras. 

Pleurant un instant face à Paris, qui se devine, à la fois proche et lointain, comme un avenir dont elle serait exclue, Marieme finit par relever la tête – pour partir, peut-être, ou simplement pour avancer vers l'âge adulte, où l'on continue à dire non, en sachant désormais que dire non à une chose, c'est dire oui à une autre. Une fois que l'on a appris qui l'on n'est pas, il est temps de découvrir qui l'on est – ou de l'inventer (ce qui risque de prendre tout une vie).

Mit Palpatine

01 novembre 2014

How I met Gone girl

Attention spoiler... à propos de How I met your mother. Les spoilers concernant Gone girl ont été relégués en notes de bas de page.

 

J'ai récemment vu la fin de How I met your mother, tardivement pris en cours de route, et il y a eu cette phrase, « She's been gone for six years now », que j'ai comprise de travers, pensant « partie » quand il s'agissait de « morte ». C'est sur cette ambiguïté que joue Gone Girl : la parfaite Amy, portée disparue, est-elle partie (sens littéral), morte (euphémisme) ou simplement folle (gone mad) ? Et corrélativement, son mari Nick est-il juste un mec paumé, un assassin ou une victime ? Le film reconstitue des bribes de leur passé à partir du journal d'Amy, écaillant le vernis du couple parfait, tandis que la police enquête et cherche qui aurait pu en vouloir à une fille si adorable que ses parents en ont fait une héroïne d'histoires pour enfants.

De ce remue-ménage ressurgit un ex, que l'on a envie d'interpeller comme un vieil ami : Hey ! Barney ! Neil Patrick Harris arrive dans Gone Girl avec son passé de How I met your mother : non seulement son personnage est technophile au point d'habiter dans un endroit où tout est télécommandé, mais il conserve cet aspect de comique (volontairement) involontaire, qui fait déraper le film de manière tout à fait jouissive – ou plutôt confirme ce dérapage contrôlé. Le spectateur se demande si c'est du lard ou du cochon : du bacon, évidemment, répondra le réalisateur.

« Je ne pense pas que Gone Girl soir un thriller. Il est divisé en trois parties distinctes, trois capsules de tonalités différentes : d'abord, jusqu'au retournement qui intervient à la moitié du film, on est dans le registre du mystère ; puis le film devient un thriller, qui tire vers l'absurde ; avant de se transformer finalement en satire. » Le ressort du film n'est pas le retournement final : placé à mi-parcours, l'effet spectaculaire qu'il provoquerait lors de la chute est amoindri, mais il participe de cet art ô combien excitant de ne jamais donner au spectateur ce qu'il attend sans pour autant le frustrer – ou de le frustrer pour mieux le combler.

Ce que l'on attendait arrive bien mais pas de la manière dont on l'attendait et surtout : ce n'était finalement pas ce qui importait1. L'exemple le plus récent que j'ai rencontré de ce déplacement d'accent narratif2, c'est justement la fin de How I met your mother : on découvre finalement qui est la mère et comment le narrateur l'a rencontrée mais ce n'est pas le fin mot de l'histoire, de l'histoire qui a été contée, celle d'un club des cinq amical dont la mère a été quasi-totalement absente, la seule histoire dont on se soucie en réalité et que le twist final replace au premier plan. La série a tenu ses promesses au-delà de ce que le titre nous faisait attendre ; c'est pour cela qu'on la reverra avec plaisir. C'est aussi pour cela que l'on pourra revoir Gone girl, contrairement à The Village et autres histoires à revirement unique.

« Je ne m'intéresse au thriller que s'il me permet d'atteindre la satire, de toucher au mystérieux. » « Cette histoire, c'est celle d'un mariage et de la façade narcissique que nous construisons pour séduire notre 'âme sœur', à quel point tout cela devient épuisant et quels renoncements, quelles frustrations cela engendre. » En vouloir à l'autre pour ce que l'on est devenu, soi, bien davantage que pour ce que l'autre est devenu (il serait si simple de le quitter si ce n'était que cela) : l'hyperbole et l'absurde dont se pare Gone girl ne font qu'agrandir la vérité. Le miroir qu'on nous tend, si déformant soit-il, nous reflète toujours, mais la déformation rend la vérité supportable, réjouissante même. Comme au jardin d'acclimatation, on se cherche et on s'amuse de ne pas se trouver, pas vraiment, tout en sachant que c'est nous, que cette forme oblongue ou écrasée vient de notre corps, qu'elle est seulement déplacée dans le reflet, comme sont déplacés les extraits que Gone girl nous présente et qu'en l'absence d'autres indices, on présume chronologiques3 et véridiques4. Le film nous manipule, aussi manipulateur que ses personnages5, et on y consent, tout comme y consentent ses personnages6. Fasciné, on est aussi bonne proie que bon public – et la salle de rire lorsque le gore se fait burlesque (j'étais plus ou moins cachée dans la veste de Palpatine).

 

1 Et de nous servir un autre meurtre que celui qu'on attendait.

2 Et l'une des premières fois où je l'ai remarqué, c'était dans Joueuse, aux antipodes du film à suspens : on attend que la femme ait une liaison avec l'homme qui l'a poussée au meilleur d'elle-même et la nuit tant attendue n'arrive pas, elle est déjà arrivée, la voilà ressortie de chez lui les cheveux détachés ; la tension érotique passée, on s'aperçoit que là n'était pas le fond de l'affaire.

3 La scène d'ouverture, qui fait de Nick l'assassin présumé, se place chronologiquement à la fin de l'histoire, lorsqu'il s'est constitué prisonnier de sa femme.

4 Les flash-backs se révèlent n'être que l'illustration du journal d'Amy qui est juste... up to a certain point – la scène de l'escalier où Nick frappe sa femme se révèle ainsi pure invention.

5 Amy manipule à l'évidence tout le monde en faisant accuser son mari de son meurtre, mais Nick la manipule aussi lors de l'interview où, face à la caméra, il dit exactement ce qu'elle voulait entendre, de manière à la faire sortir de sa cachette et à être disculpé. 

6 À côté du mari qui reste auprès de son assassine de femme, le syndrome de Stockholm, c'est de la rigolade.