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21 avril 2010

Tourner court

 

Vœu pieux : tourner mes billets avec plus de concision sans pour autant que la pensée y tourne court. Peux toujours courir, je crois.

 

Des brèves de cinéma qui ne deviennent pas desséchées comme des dépêches AFP à la longue : Vu au cinéma, un blog de critiques totalement subjectives au format post-it. Ce Manuel Vaïda ne semble pas payer de mine avec ses grimaces qui rappellent les vignettes de Télérama, mais il pourrait bien avoir un ticket de votre part. « Ne mâche pas. Ne déflore pas. N'en rajoute pas. » Tout ce que je ne fais pas.

 

 

17 mars 2010

Le détour du plaisir

« Aujourd'hui, je l'ai fait », sous des mines extatiques et rien d'autre, pas une marque (sauf peut-être à l'état de trace, l'empreinte de la couleur orange) : la technique marketing m'a rappelé la stratégie d'une campagne anti-tabac il y a quelques années, lorsqu'un message aveugle, « un ingrédient toxique a été découvert dans un produit de consommation courante », avait semé la panique – dans le monde de la communication, à tout le moins. « Je l'ai fait » : associé à un verbe d'action si vague, le pronom anaphorique sans référent est bien défini – le sexe est brandi comme la Revanche de l'individu sur la société, pensons-y toujours, n'en parlons jamais (encore qu'on pourrait se demander si, au contraire, on n'en parlerait pas tout le temps pour n'y penser jamais).

On a un moment de doute quand est ajouté (indice ? fausse piste ?) « avec un ami »en bas d'un visage masculin, mais après tout, l'homosexualité est tendance. Quelques jours plus tard, les affiches ont été remplacées dans le métro et, les nouvelles dûment complétées, on a pu découvrir le commanditaire, ING. De pas terrible, la campagne publicitaire est devenue ridicule : à qui l'ouverture d'un livret-épargne provoquerait-il un orgasme ? (peut-être à Picsou s'il n'est pas déjà impuissant, et encore, je doute qu'un compte vide le comble ; il faudrait au moins attendre le versement des intérêts).

 

Alors que l'allusion sexuelle est purement gratuite et ne s'avère donc pas vraiment payante, elle prend en revanche tout son sens dans la campagne Suchard : sexe et gourmandise ont en commun le plaisir. Comme ces choses-là se font de préférence à deux, les affiches vont la plupart du temps en couple (même si quelques solitaires ne boudent pas leur plaisir), ce qui assure du régime de la métaphore (et ruine par la même occasion celui que vous aviez peut-être commencé, à base de légumes).

 

 

Montrer un rocher nu ? What's the point ? me suis-je demandé, pas très réveillée, la première fois que j'ai vu la publicité. La lecture de celle qui la jouxtait m'a rappelé qu'il ne fallait pas déconner, « pas avant le mariage !», la chose est entendue.

 

 

La troisième affiche, je l'ai entraperçue alors que le train passait dans une gare où il ne marquait pas l'arrêt et n'ai eu le temps de saisir que les derniers mots « ou plutôt chocolat ? ». Parfait pour attiser l'envie la curiosité, parce qu'une alternative au sujet d'un rocher Suchard ne me semblait pouvoir être qu'entre chocolat noir et chocolat au lait (dilemme auquel 'ai été confrontée il y a peu et que je n'ai résolu que par le recours au hasard – le choix d'indifférence est le pire et ne peut se résoudre que par une apparente indifférence).

 

 

Passer et repasser devant ces affiches donne envie de mettre un gros truc dans sa bouche : ce bloc de chocolat, c'est vraiment énorme. Pas du tout nu, puisqu'enrobé de chocolat par-dessus les noisettes, mais brut, ce rocher écrase l'érotisme de pacotille de la publicité et se déguste avec humour. Le dégradé lumineux ne voile aucune peau, faussement pudique ; il permet juste de rendre le relief des noisettes sans l'écraser au flash (nouvel écueil trash évité). Sauf lorsque les vitres du métro projettent sur le rocher le visage lascif du mannequin de la pub pour le Bon marché... pas de regards langoureux, de lèvres entrouvertes, ou de cuisses écartées, rien que le chocolat. C'est précisément grâce à cette simplicité que les commentaires, a priori pas spécialement indiqués pour vanter une friandise, sont à sa (dé)mesure : énormes. Le registre sexuel est explicite sans rien avoir à montrer, si bien que le sous-entendu se déplace vers le décalage entre le produit et sa mise en bouche, c'est-à-dire du côté des codes publicitaires. L'auto-dérision a déjà donné de bons résultats, comme le spot télévisé Herbal essence, ou il y a un peu plus longtemps cette affiche :

 

 

venue à point nommé après la controverse sur Babette :

 

 

(d'autant plus drôle que c'est une femme qui porte le tablier et que c'est elle qui tient le fouet)

 

A force de taper sur leurs propres créations, on se dit que les publicitaires seraient plus cuir que chocolat, mais que leur importe s'ils jouissent des faveurs des consommateurs ? Le « retour du plaisir », c'est avant tout une stratégie marketing qui jette un rocher dans la mare des 0%. Puisqu'il est ringard de dire qu'une chose est bonne (à moins d'ajouter « pour la santé »), que ce détail ne peut être qu'un avantage optionnel, et que le Suchard est trop calorique pour avancer ces arguments de poids (plume), il ne reste plus qu'à se coucher, le plaisir semblant aller davantage de soi au lit qu'à table (pas pour tout le monde non plus. Je ne sais pas ce qui m'étonne le plus, de la pseudo-analyse catho ou du commentaire sur le carême). Un peu d'humour, voilà pourtant ce qu'on réclame en grandes lettres. Le slogan, lui, peu humoristique de nature, est relégué en bas de l'affiche, écrit minuscule. Le plaisir se fait tout petit, face à l'humour et au sexe : on va le manger. Retour ? Le détour du plaisir, plutôt... Le retour n'est autre que celui qu'on peut escompter sur l'évolution des chiffres de vente. Au plaisir de vous revoir. On l'a toujours SUchard et on ne va pas en faire un rocher.

 

03 mars 2010

La vie comme un compte

 

Tout conte fait

 

Alors que la mode est aux airs langoureux et aux cuisses écartées, Hermès table sur un tout autre registre, celui des contes. J'ai d'abord – rendue sensible par l'engouement de Miss Red, à qui le conte est ce que le mise en abyme est à moi ?- été arrêtée par cette image-ci :

 

 

On reconnaît sans peine la princesse au petit pois, même si on met un certain temps à distinguer ce dernier (si, si, il y est, entre la main et la fin de la tresse qui nous y guide). Je trouve cette affiche particulièrement bien pensée : l'exigence de la cliente se métamorphose en sensibilité de princesse, et la finesse de la perception se confond avec celle de la soie.

 

Je suis alors partie en campagne (publicitaire - "La vie comme un conte") et n'ai pas tardé à croiser moults êtres féminins de l'univers des contes.

Êtres féminins, parce qu'il va de soi qu'on ne peut être charmée que par le luxe et que les princes sont tout justes bons à être vendeurs.

L'univers, parce que les origines sont très diverses : contes traditionnels (Anderson avec la petite sirène et la princesse au petit pois, Perrault avec Cendrillon) se perdant dans le folklore indéfini  (la jeune fille à couronne de fleur pourrait être une nymphe ou une dryade de n'importe quelle tradition),

 

 

contes orientaux (la lampe d'Aladin, pour éclairer quelques mille et une nuits) et littérature qui, pour merveilleuse qu'elle soit (Alice), n'a pas grand-chose à voir avec une tradition orale. L'ensemble est très hétérogène, mais on s'en soucie assez peu, dans la mesure où il est davantage fait appel à l'imaginaire collectif (assez Walt Disney sur le fonds) que référence à des œuvres particulières.

 

 

[La jupe n'a pas suivie lorsque Alice s'est mise à grandir soudainement...]

 

 

Invitation au voyage

 

L'évocation est si allusive que ces personnages de conte sont arrachés à leur contexte d'origine et rempotés dans un ailleurs indéfini, celui du voyage et de l'évasion. Nous ne sommes pas en terra incognita, mais bien sur une île déserte, coupée de notre monde mercantile (on vous vend une image -de marque-, pas des produits), où tout n'est que ciel et mer à perte de vue. Où tout est possible, y compris mettre ses carrés Hermès à 200 euros dans le sable. Où tout n'est que luxe, calme et volupté : vous pouvez avoir un petit pois dans le cerveau, du moment que vous n'êtes pas chiche, allongez-vous donc, chère princesse, faites comme au spa – le massage cardiaque n'est pas compris après réception de l'addition.

 

 

Pour rejoindre ce paradis fiscal, c'est simple : vous n'avez qu'à voler ! On m'annonce dans l'oreillette qu'en l'absence de Wendy, cela pourrait être mal interprété. Il vous reste donc le choix entre le bateau, dont vous entendez peut-être déjà la petite sirène, ou l'avion – pourvu que vous vous y preniez avant minuit, vous devriez trouver chaussure à votre pied avec Air France qui fait la paire.

 

 

 

 

 

Marques de mythologie et mythologie de marque

 

C'est qu'on s'y connaît en voyage, chez Hermès, placé sous la tutelle du dieu éponyme. Quoiqu'invisible, apercevez sa présence ailée, qui talonne de près les fées. J'admets qu'un tel lien est un peu cavalier ; c'est pour ne pas oublier que la maison est à cheval sur ses origines. Réincarnation de l'écuyère, la princesse au petit pois se confond avec sa monture dont ce n'est plus la queue qui est enrubannée mais la tresse de sa cavalière.

 

 

Le petite sirène, quant à elle, n'a nulle envie de marcher, seulement de mettre le pied à l'étrier. Si le motif ne du foulard ne suffisait pas à faire passer le message, elle vous l'aurait délivré par courrier ; il attend dans sa sacoche qu'Ulysse passe par là. Si le dieu messager pouvait accélérer le passage et la perte du malheureux... parce que contrairement à son destin dans l'épopée mythique, le mari de Pénelope ne s'en sortira pas - avant d'avoir vidé son compte de fée. Elle vous en prie. N'est-ce pas merveilleux ?

 

 

17 février 2010

Berkson

 

Comme je suis consciencieuse ne voyais pas du tout ce qu'il y avait à commenter dans le texte que mon élève de terminale avait à étudier (Bergson, pourtant...), j'ai emprunté le bouquin à la BU et lu une dizaine de pages en amont. Et dans les remarques finales des Deux Sources de la morale et de la religion, je suis tombée sur ça :

 

« Toute notre civilisation est aphrodisiaque. Ici encore la science a son mot à dire, et elle le dira un jour si nettement qu'il faudra bien l'écouter : il n'y aura plus de plaisir à tant aimer le plaisir. La femme hâtera la venue de ce moment dans la mesure où elle voudra réellement, sincèrement, devenir l'égale de l'homme, au lieu de rester l'instrument qu'elle est encore, attendant de vibrer sous l'archet du musicien. Que la transformation s'opère : notre vie sera plus sérieuse en même temps que plus simple. »

 

Le coup du plaisir qui ne sera plus plaisant, pourquoi pas, cela entre dans le cadre de son raisonnement sur l'avancée de l'histoire, qui se fait par oscillation entre deux tendances, l'une étant reprise après avoir été délaissée le temps que sa concurrente (soudain plus attractive dans la mesure où l'on ne voit plus que les défauts de la première) ait été poussée à ce que l'on identifie comme ses limites tant qu'on n'a pas regardé ce qu'on pouvait glaner d'utile dans l'autre tendance. Oui, oui, je sais, il arrive à nous embrouiller sur une idée toute simple, au point de se sentir autorisé à créer des gros mots comme « loi de dichotomie » et « loi de double frénésie ». En, l'occurrence, cette dernière se partagerait schématiquement entre ascétisme, mépris pour les conditions de vie & désir de luxe, de consommation - dichotomie que l'on retrouverait dans l'histoire des idées avec le stoïcisme et l'épicurisme, et qui participent d'un même mouvement, s'il est vrai que le plaisir suprême serait de n'avoir besoin d'aucun plaisir.

 

Mais ce n'est absolument pas ce qui me perturbe. C'est une hypothèse qui vaut ce qu'elle vaut, voilà tout. Non, ce qui me hérisse le poil, c'est la petite digression1 qui suit et qui a complétement oublié l'objectivité dont se réclamait la génération du positivisme. Cela pue le préjugé, même. La femme ne voudrait pas vraiment être l'égale de l'homme, ne prend même pas la peine d'insinuer Bergson. La source d'une si pertinente affirmation ? Le plaisir charnel, comme c'est étonnant ! Comme si le seXe était l'inconnue de toute équation, l'origine de tout problème... Sous prétexte qu'elle gigote moins au lit et qu'elle se retrouve souvent avec le corps de l'homme au-dessus d'elle (par conséquent en dessous), la femme serait donc tout bonnement inférieure.

D'une part, absence de mouvement ne signifie pas infériorité. Mon cher philosophe, songez donc au primum mobile d'Aristote, qui meut toutes choses sans les toucher, pour ainsi dire en les attirant à lui, par la seule force de son être immuable. Vous trouvez ce recours saugrenu ? Fort bien, moi aussi, passons-nous des références vaseuses. Admettons s'il vous fait plaisir que la femme est inférieure à l'homme au lit (après tout, vous n'avez peut-être pas eu de chance) : il vous faudra néanmoins (c'est le « d'autre part ») reconnaître, sous peine d'être tyrannique envers Pascal et ses sphères, qu'une infériorité dans un domaine n'entraîne pas une infériorité dans tous les domaines. Mais je doute que vous entendiez cet argument, puisque vous avez déjà déduit de la position spatialement inférieure du corps de la femme dans le plaisir charnel, une infériorité de force ou d'aptitude au plaisir, je ne sais (vous vous couchiez avec les poules plutôt que vous ne couchiez avec elles, il semblerait, mais passons). Alors le pas est vite franchi pour faire passer l'infériorité sexuelle de l'acte à la personne (de sexe faible, dit-on). Une petite substantification réification en passant. Machisme de base.

Ce qui est grand (mais non noble), c'est le passage au machisme de l'intellectuel, forcément plus retors et névrotique, parce que vous pensez (penser)2 que la femme a le droit de devenir l'égale de l'homme. Vous êtes un gentleman. Le droit, le droit... c'est même son devoir. Attendez un peu... si elle n'est pas l'égale de l'homme, c'est qu'elle manque à tous ses devoirs (sauf conjugaux, les maris ne sauraient le tolérer), alors ? C'est admirable de mauvaise foi, vraiment. Comme il est confortable de penser que l'autre se constitue volontairement (ah oui, absence de refus du contraire = volonté) inférieur, et ainsi de pouvoir continuer à se sentir supérieur tout en pensant ne pas l'être ! (ou en n'ayant pas à penser qu'on ne l'est pas - ça refoule!) C'est avoir le préjugé progressiste, dites-moi !

Tant de condescendance me hérisse le poil. Mon cher salaud, allez du moins jusqu'au bout de votre absence de pensée et ôtez ses voiles à la muse, qui n'attend pas de « vibrer sous l'archet du musicien » (qu'est-ce que vous me chantez là ?), vous manquez un chaînon entre la muse muette et la poule pondeuse. Dites carrément que ce sont toutes des salopes. Elles aiment ça, oui, et auront tout intérêt à le revendiquer, plutôt que de mettre les hommes à l'abstinence comme on met un enfant malade à la diète. Les femmes ont autant d'envies sexuelles que les hommes, qui peuvent tout aussi bien qu'elles contrôler leurs pulsions – la bête sauvage et virile n'est que la justification a posteriori d'une permissivité beaucoup plus grande envers les hommes que les femmes. A en juger par les peines longtemps encourues pour une relation adultère, on jurerait que la femme s'envoyait en l'air toute seule. Eve, premier bouc émissaire de l'histoire, bien avant Malaussène.

 

Je sais, je sais, c'est facile d'attaquer de pauvres morts sans défense, qui devaient bien avoir quelques défauts de leur époque. Mais ça fait un tel bien. Ce genre de remarque me file des bouffées féministes haineuses.

 

1 Je sais bien que la pensée est souvent à l'image de son objet, mais l'élan vital qui explose en gerbe ne rend guère les choses commodes : le fil directeur de Bergson, de fil à broder devient fil à coudre (des éléments disparates), blanc.

2 La redondance ne fait-elle pas basculer la première occurrence du côté de la croyance ?