11 mars 2010
Racines musicales
Hier soir, j'ai rejoint Palpatine à Pleyel pour la présentation de la saison prochaine. Comme des mauvais élèves qui arrivent en retard le jour de la rentrée, nous avons pris la causerie en route. Elève assidu mais impertinent, Palpatine n'a cessé de me glisser quelques commentaires pendant le discours du directeur : têtes grises au parterre (18h30 : il n'y a que les retraités et les rentiers qui peuvent être présents sans même avoir à se dépêcher), observation des chaussettes trop courtes qui ne m'avaient pas émue outre mesure, avis divers ou divergents sur les artistes mentionnés. Aller au concert avec Palpatine est le meilleur moyen de constater que son préfixe préféré est poly- : polygame lorsqu'il tombe en pâmoison devant les jolies filles ; polythéiste, devant les artistes qu'il adore, les deux catégories n'étant pas exclusives l'une de l'autre (cf. Julia Fischer – le non-cumul n'empêche cependant pas Matthias Goerne d'être « un dieu ! »). Plié en deux sur son programme, on le sent fébrile à la découverte du contenu de ses futures soirées, mais le coup de crayon est expert, la décision tranchante : un petit trait coche l'approbation, un grand trait signe le refus, le trait horizontal souligne, me semble-t-il, l'engagement déjà pris auprès de l'orchestre de Paris, et le point d'interrogation veille à ne pas ralentir le rythme. Je n'en suis pas absolument certaine parce qu'il n'y a pas de lumière, mais en certaines occasions il vous pousse des yeux de lynx. Cela me rappelle mes parents qui disaient que j'allais me flinguer les yeux lorsque je continuais à lire alors que la luminosité n'était plus suffisante (plus de risque à présent, l'écran de l'ordinateur est rétro-éclairé). Et dans les dernières pages, les listes « Du même auteur » ou « dans la même collection » - pure délectation de l'attente, de l'imagination, de l'a-venir.
De mon côté, le name dropping ne me dit pas grand-chose, mais sa prolifération me rappelle que la « musique classique » n'existe pas, que ce qu'elle recouvre est trop divers pour être unifié par un même nom, trop réinterprété pour ne pas être intemporel. Elle plonge ses racines aux quatre coins du monde (à l'orchestre de partie, l'année se divise naturellement en quatre saisons : nordique, russe, européenne et diverse, si je me souviens bien, la dernière partie étant comme toujours un rassemblement d'inclassables), se ramifie en concerto, oratorio, récital, symphonie et autres, s'effeuille dans le bruissement des interprètes, musiciens en chefs. Le plaisir du mélomane est celui de la répétition, au sens où pourrait l'entendre Butor, répétition qui jamais ne se répète et toujours subtilement se modifie, les nuances fleurissant de variations rigoureuses mais néanmoins perceptibles. C'est assez cohérent avec le fait qu'on ne peut vraiment écouter que lorsqu'on a déjà entendu : les constructions musicales des grands compositeurs sont à la fois trop vastes et trop parfaites pour que l'oreille puisse en embrasser la structure à la première écoute. Il faut parfaire cette dernière, achever de découvrir pour recouvrir le sens - de l'ouïe comme du morceau. Chaque interprétation ensuite fera percevoir de nouveaux rapports et c'est un plaisir infini auquel se livre le mélomane (car il est aussi infiniment agaçant, nous rappelle que toujours le temps nous échappe, même si l'on tâche de prendre la beauté à sa boucle – circularité d'une construction par la reprise d'un thème, circulation des œuvres par la reprise de classiques).
[Je n'ai trouvé que cette image-là et me demande si je n'ai pas rêvé l'arbre. Mais comme il est tant d'aller en faire de beaux (des rêves), je ne reprends pas ce qui suit et qui fonctionne quand même avec des fleurs.]
De cela, je m'en suis aperçue peu à peu, en devinant que les programmes des salles de concert étaient un éternel recommencement, en constatant de par son âge la fidélité du public, en faisant le rapprochement avec mon désir toujours neuf d'aller revoir un même ballet avec d'autres distributions (mieux encore, la même, et pas moins une autre représentation), alors même que je regrettais en septembre d'en connaître déjà pas mal, en cette première année de liberté retrouvée. Tout cela a cristallisé avec la couverture du programme papier de la salle Pleyel, et les racines en papier cristal de son illustration. Le principe est décliné pour accompagner les différentes parties, concerts, abonnements, calendrier, détails pratiques..., des bourgeons à l'arbre, en passant par les fleurs, sans que l'éclosion suive toutefois le rythme des saisons (singulier dans la culture). Le vase qui éclate rappelle un peu l'image du verre brisé par la voix de la Castafiore, tout en précisant que la puissance n'est pas du fer des casseroles, on nous propose bien la fine fleur des musiciens. Déclinée avec l'arbre, l'image n'en a que plus de force : non seulement ce qu'on admire et cultive tire son éclat de ses racines, mais celles-ci, loin d'en faire prendre au spectateur, débordent le cadre où l'on voudrait les restreindre, se renforcent en même temps que se déploient les branches, de même que les compositeurs deviennent toujours plus immortels à mesure qu'on les joue. Partie de l'iceberg immergée ? Pas vraiment, plutôt équivalence entre le fruit et le cheminement ; les racines forment un arbre à elles seules, et dans cette double image se trouverait presque la forme du sablier : la musique classique n'est que durée, mais elle échappe au temps.
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08 mars 2010
Chausson et compagnie
Samedi, la mauvaise troupe -mais bonne compagnie- s'est mise en route pour le festival de danse de Verneuil-sur-Avre, dans le cadre duquel nous avons dansé une pièce sur l'Hiver de Vivaldi. Cela a plu, apparemment, et on l'a trouvée « bien construite » (hé, hé, ça, je prends pour moi, j'ai fait la choré – enfin mon double « Aurore », mon prénom ayant été, comme souvent, écorché). C'était agréable de danser sur une scène de cette dimension, où l'on ne risque pas de se gêner, où les mouvements peuvent prendre de l'ampleur et nous, de l'assurance. Il faut dire aussi que le noir ne nous laissait pas même deviner le public, et nous y a rendu d'autant plus présent. Et puis, nous n'avions que cela à danser, il est plus aisé de ne pas passer d'un registre à un autre en quatrième vitesse. C'est heureusement moins gênant pour le public, qui a eu droit à des choses très variées.
Parfois, je me demande si j'aurais encore plaisir à aller voir un spectacle (pas un gala d'école, les attentes ne sont pas les mêmes) de danseurs amateurs tel que notre compagnie en propose – appréhension devant tout ce qui n'est pas la grande culture, reconnue comme telle, gage de qualité. Crainte idiote, j'ai beaucoup apprécié ce que j'ai vu du spectacle ( de la seconde partie, après notre passage). Par-delà quelques maladresses (soit des danseurs, soit des chorégraphies), j'ai toujours trouvé un petit quelque chose à grignoter avec enthousiasme : un saut qui fait particulièrement d'effet en groupe, le brouhaha riant qui succédait au silence dansé, lui-même enclavé dans une séquence musicale, un titre évocateur, Élégie pour une idylle (ça criait * Kundera power * en moi, et j'ai été très heureuse de découvrir une construction cyclique, en boucle), le travail d'un style, celui des ballets russes (le travail de Yannick Stephant avec ses élèves du CNR de Chartres est remarquable ; toutes ne sont pas douées de qualités physiques innées et pourtant, leurs bras n'ont rien à envier aux pré-pro du CNSM, étrangement déliés quand ils sont en général le premier indice de la gaucherie, et leur ensemble l'est vraiment ; c'est simple mais dansant, de cette simplicité que peut avoir le bon goût. Non, vraiment... je m'étais déjà fait la même remarque il y a plusieurs années, lorsqu'elles avaient présenté une pièce en hommage à Isadora Duncan), une intention, un porté particulièrement bien imbriqué, un pas...
Amateurs, nous l'étions tous au vrai sens du terme, si bien que mon esprit critique ne s'est réveillé que lors du passage du CNSM. Des élèves certes jeunes, mais aux prétentions professionnelles et dont on est à ce titre en droit d'attendre - davantage que des chignons impeccables qui les rendent repérables à des kilomètres à la ronde, et dont nous avons en vain tenté de nous coiffer (déjà, avec ma longueur de cheveux, je dois utiliser un faux-chignon et me renverser le port de gel fixation béton sur la tête, alors ce n'est pas fait). Quelques bons éléments, mais pas de quoi s'extasier non plus, pas d'allure folle (même s'il y a une petite Black qui dépote, scénique à souhait), on ne les sent pas très sereins dans les adages de pas de deux (euphémisme inside) et j'ai été surprise de vérifier depuis le profil des coulisses que leurs arabesques sont décroisées jusqu'à la seconde. Jalouse ? Je ne crois pas, ces critiques tatillonnes sont plutôt appelées par leur apparence très sûre d'eux – pas forcément antipathique (on a échangé quelques mots avec l'une des filles – la plupart sont immenses, d'ailleurs, cela me faisait bizarre de ne pas dépasser, pour une fois), mais d'abord un peu hautain.
Je garderai bien cependant de terminer sur ces réserves le compte-rendu d'une bonne soirée qui a le mérite d'offrir une scène, de donner à voir ce qui se fait ailleurs – chaque groupe était d'ailleurs annoncé avec sa ville d'origine (S. n'a pu s'empêcher de faire la comparaison avec Interville) et de favoriser les échanges (et une nouvelle date, une !, en plus de la confirmation de la programmation en octobre prochain).
Dimanche soir, après une bonne répétition, j'ai abandonné mes chaussons pour leur homonyme singulier, Chausson, et à sa suite Vierne, en compagnie de Palpatine, à Garnier. Comme d'habitude (pour la musique avec Palpatine, pour les bouquins avec le Vates), je ne connaissais pas, mais je dois dire que je ne regrette pas ce concert, pardon, « salon musical » au débotté (remplacement de dernière minute de la Pythie). Pour ceux à qui cela dira quelque chose, la soirée a débuté par le quatuor à cordes en ut mineur, ce que j'ai préféré, je crois (j'aime le rendu des cordes, ce chuintement sensible et nerveux – et en orchestre, la contre-basse me fait bien triper – oui, oui, je sais bien qu'il n'y en avait pas, je ne suis pas en train de faire une confusion plus grosse que l'instrument). Pour ne rien gâcher, on était excentrés mais proches de la scène (et de la très belle violoniste blonde vénitienne pour Palpatine – je veux bien récupérer sa robe, d'ailleurs, une fois que tu la lui auras arrachée ^^).
Suivait Chanson perpétuelle, sur le poème éponyme de Charles Cros, dont je ne suis pas certaine, contrairement au blabla introducteur (rien à faire, je suis réfractaire aux contextes, historiques ou biographiques, ça me rentre par une oreille et ressort par l'autre au mieux, par les yeux au pire), qu'il soit d'une grande simplicité, plein d'étoiles, de rossignols et de joncs verts, ces derniers assortis à la robe de la soprano. Mignonnet cependant :
« Mes regards étaient pleins d'aveux.
Il me prit dans ses bras nerveux
Et me baisa près des cheveux.J'en eus un grand frémissement.
Et puis je ne sais plus comment
Il est devenu mon amant. »
(J'adore le « je ne sais plus comment », jolie ellipse d'abandon.)
Après une courte pause et prière de ne pas applaudir entre les mouvements (pour se défouler , faire un tour chez un râleur émérite – en même temps, je me fais l'avocat du diable et de tous les incultes dans mon genre, pour qui le terme de « mouvement » n'a que depuis peu un sens musical concret), on enchaîne sur le quintette pour cordes et piano en ut mineur, de Vierne. J'ai un peu plus de mal, non pas que cela me plaise moins, mais j'ai plus de mal à avoir quelque prise sur ce morceau qui va constamment là où on ne l'attend pas. Souvent, une atmosphère s'impose à l'écoute, j'imagine un décor d'où surgissent quelques images ; impossible, ici, mes glaçons dans un verre à whisky sont entrechoqués par un homme d'allure ancienne, dans un bâtiment très moderne, mais au bord de la mer, que je déménage à l'écoute dans une nature urbaine. Aucune cohérence dans le flux et reflux de mes divagations, la musique se dérobe avant d'avoir pris forme dans mon oreille. Puis au bout d'un moment (mon regard a dérivé des musiciens), je me suis mis à voir (et non pas inventer ou imaginer) une chorégraphie qui s'improvisait dans mon esprit mais devant moi, et j'ai pu écouter la musique qui se refusait à toute entente avec moi. Palpatine a tourné la tête (sûrement un touriste à fusiller du regard), j'ai senti le mouvement et je me suis alors aperçue que je contemplais fixement le rideau de scène (pendant le premier Chausson, je rebondissais avec les reprises sur les broderies d'un des pans du rideau en trompe-l'œil, je ne sais pas si c'est beaucoup mieux), comme si l'on y dansait effectivement ; les musiciens sur la fosse comblée, oubliés. Pas d'inquiétude, je m'en suis souvenue pour les applaudir aussi bien que je pouvais (ils ont bénéficié de la nette amélioration du niveau sonore de mes applaudissements depuis que mes mains ne sont plus gercées à en saigner).
19:34 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, musique, concert
05 mars 2010
In the Air
[spoilers, as usual]
Sans annoncer explicitement la comédie, le titre laissait entendre qu'elle serait légère. Pas inconsistante pour autant, Jason Reitman n'a pas fait de barbe à papa avec les nuages, ni fait boire de café à George Clooney, that was not the time. Il incarne en effet Ryan Bingham, un homme que la critique a un peu vite défini comme cynique d'après son job ingrat pour des boîtes qui l'emploient à licencier leurs employés. Malaussène est-il cynique, je vous le demande ? Vous m'objecterez que Ryan est sûrement moins naïf, mais je vous renverrai à ses conférences de management, où il explique de manière imagée que tout ce qui ne tient pas dans un sac à dos est un fardeau trop lourd à porter. Il n'a pas encore lu Kundera, mais c'est un bouc émissaire qui prend le taureau par les cornes. Plus qu'un self-made man, Ryan est self-sufficient : il sillonne le pays en avion, dort à l'hôtel, roule en voiture de location et n'a besoin de personne – un vrai stoïcien des temps modernes. Son mode de vie lui convient, et ceux qui le disent cynique sont surtout suspects d'être jaloux de son indépendance qu'il a choisie et assume.
Lorsqu'il rencontre une femme, il joue cartes sur table – au sens propre du terme avec Vera Farmiga (splendide Alex Goran, parfait pendant au bel homme qu'est Georges Clooney), femme d'affaire (et affair) dans son genre, qu'il agace et provoque à une bataille de cartes de fidélité en tous genres (la grande ambition de Ryan est d'atteindre les dix millions de miles – objectif qui témoigne d'une grande puérilité en même temps que d'un certain amour du jeu, de la collection belle car inutile). Toute la salle rit d'assister à cette scène de cours atypique, comme, après l'amour, de les voir dans un face à face qui figure la symétrie des têtes dans les cartes à jouer : laptop contre laptop, ils procèdent à la synchronisation de leurs agendas, l'un pourrait bien faire un peu effort et un saut dans la ville d'à-côté, une heure de vol, ce n'est vraiment pas le bout du monde. Toute la salle rit alors et ne trouve rien à redire à ce mode de vie que partagent l'un et l'autre. Willing suspension of disbelief... Natalie Keener (jouée par Anna Kendrick), la jeune femme qui propose une nouvelle méthode de licenciement à distance par ordinateur, et file le parfait amour avec son boyfriend qui remplit toutes les cases du jeune homme bien sous tous rapports n'est alors que la cruche de service, un contrepoint comique au couple libre que forment Ryan et Vera. Presque mariée et larguée par texto : now you feel how it's like being fired by proxy (en substance – j'ai vu le film il doit y avoir maintenant deux semaines...).
[Natalie, la catastrophe de service, avec sa valise aux roulettes qui grincent]
C'est comique mais pas encore romantique – sexy plutôt, donc pas romantique selon les canons de la comédie romantique. Pour cela, il nous faut un renversement, celui qui peut vous faire dire que l'amour, ça vous change un homme (la femme devient simplement plus niaise, c'est déjà dans sa nature ^^). On en sent les prémisses lorsque Vera déclare aimer les enfants, ce que fuit Ryan (un chiard hurleur dans un avion, c'est l'enfer au ciel). Le turning point, c'est le mariage de la soeur de Ryan, qui a émis le souhait particulièrement kitsch qu'on lui ramène des quatre coins du monde le cliché de leur photo montée sur carton (dégradation du plus poétique nain de jardin d'Amélie Poulain, qui du moins se savait kitsch).
La mariage ne rentre pas dans son cadre de vie, le couple encartonné dépasse même de son sac à dos, c'est dire. Il rechigne à y aller, mais avec Vera, ça passe tellement mieux.
Sur place, c'est lui qui rassure le futur marié pris de panique, et à le voir ensuite en famille et tendrement enlacé à Vera, les bons sentiments du spectateurs reviennent au galop : vous voyez, il s'y laisse prendre, il revient à ses racines, il s'attache, il y prend goût. Voilà que Natalie avait raison, elle était peut-être plus ridiculisée que ridicule, la pauvre. Voilà aussi que Ryan, à qui l'on avait tout passé jusque là, se révèle a posteriori avoir été cynique (qu'on se rassure, on l'apprend au moment où il devient « quelqu'un de bien », on peut continuer à l'approuver, parce que bon, c'est Clooney). Ré-évaluation, les apparences sont trompeuses, on s'était trompé, c'est beau l'amour.
Si le film en restait là, il aurait mérité son étiquette de comédie romantique, mais pas forcément qu'on s'y attarde. Les deux fils de l'intrigue qui reprennent vie sentimentale et vie professionnelle s'équilibrent l'une l'autre. Certes, Natalie n'avait peut-être pas entièrement tort concernant l'attachement (qu'il faudrait encore distinguer de l'engagement-enferrement de la bague au doigt, mais n'en demandons pas trop), mais c'est malgré elle, car il est manifeste, par la modernisation qu'elle met en place dans le système de licenciement à distance qu'elle ne comprend pas grand-chose à la psychologie humaine. Laquelle Ryan maîtrise, même s'il n'est pas forcément sous l'emprise de la compassion (réflexe de survie, aussi). Magnifique (trop) exemple d'un parfait licenciement où le gars, en rogne contre Natalie (vous aurez du temps pour vous accuper de vos enfants), se fait retourner comme une crêpe par Ryan : vous voulez mériter l'admiration de vos enfants, réalisez votre rêve, devenez un grand chef (indice d'inférence dérisoire : option cuisine au bac).
Du grand art de sophiste, mais qui aide certainement davantage les malheureux que les bonnes intentions maladroites de la jeunette. Ryan n'est pas un pur salaud, et Natalie aussi peut être inhumaine. Il n'y a guère que Pascal qui ne soit pas remis en cause : c'est bien par la rectification mutuelle des erreurs qu'on approche de la vérité.
Le professionnel contrebalance le privé, donc, mais surtout le renversement qui conduit chacun à reconnaître ses erreurs est lui-même suivi d'un autre renversement, qui ne nous ramène pas pour autant au point de départ (c'est beau comme c'est dialectique, vous ne trouvez pas, tout ce travail du négatif...) - même si tous les aéroports et tous les avions se ressemblent, je suis d'accord. Il n'arrive plus rien à Natalie, qui peut se remettre paisiblement de sa rupture et se décoincer un peu. C'est Vera qui est en cause : Ryan découvre qu'elle mène une double vie, entre terre (mari, gosses, maison) et ciel (amant, ordinateur portable, hôtel). Elle tient cet équilibre, et Ryan, à la franchise : l'atterrissage est brutal. Notre amoureux pas si cynique que ça n'est pas tombé sur quelqu'un qui ait le courage de sa cohérence, ni peut-être qui porte le même degré d'attention au bienaimé, s'il est vrai que son absence de lien ne signifie pas absence d'attachement et de considération). Si peu cynique, en réalité, qu'il est même profondément moral. Et si Ryan en a plein le dos de ses conférences et de la métaphore du sac, il ne peut que repartir (up in the air - décoller des étiquettes), fidèle du moins à son choix de vie.
A nouveau dans les airs, sans point d'appui (ni sur le ciel ni sur la terre – après Hegel, je sentais que vous vouliez aussi du Kant), la seule façon de ne pas basculer dans le vide vertigineux (if you haven't built castles in the air, qui se révèlent souvent n'être que paroles... en l'air) est de continuer sur sa lancée. What else ? Un avion à réaction, pirouettes, cacahuètes...
22:50 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, film, décorticage
'Tell us a story!' said the March Hare.
Here it comes, for « You might just as well say that "I see what I eat" is the same thing as "I eat what I see"! ». Montez la garde avec vos fourchettes, Mimy's in Wonderland, et planquez les couteaux, Alice à l'Assassin.
J'ai beau porter des collants transparents aux rayures violettes, qui me font ressembler au chat d'Alice au pays des merveilles, je ne suis pas certaine de maîtriser la disparition, alors je préfère ne pas apparaître du tout et attendre tranquillement aux tables de dehors. Seuls deux fumeurs s'y sont risqués. Calée entre la table, la vitre et quelque chose de végétal, j'ouvre la Prose du monde, très déséquilibré vers la droite, pour ce que je viens de l'acheter chez Gibert, me souvenant de l'enthousiasme de Lea entre l'étage littérature et critique critique littéraire. Je n'ai pas froid, ni faim, ce qui est assez rare pour recouvrir une explication, celle, aussi simple que gourmande, d'un goûter avec ma grand-mère chez Dalloyau – le chocolat chaud accompagnait cette fois-ci un palmier. Une salade suffira donc pour le chat du Cheshire qui, redevenu souris, piquera tout de même un carré de chocolat en rentrant. J'en oublierais de vous faire rentrer dans la tanière de l'Assassin (je soupçonne le cuistot, dans la cuisine, avec le couteau ses frites huileuses) : je vous en prie, passez devant, après Monsieur Gavroche qui est arrivé entretemps. On prend un bout de table, bientôt promu milieu de tablée par des arrivées successives. On se tasse, les assiettes tiennent de justesse, un jeune geek mange de la souris d'agneau, Palpatine me voit déjà à la casserole, à courir plusieurs lièvres de Mars, des zestes de citron flottent dans l'écume des bières, les gestes se contiennent, les langues prennent leurs aises, on ne rit pas la bouche pleine. Le chapelier fou se fait charrier sur sa mise, et prendre en photo avec Monsieur. Son interlocuteur, qui enfin le comprend, sosie vieilli d'un khârré, aux petites lunettes rondes, me conseille de poser les miennes, que je triture mécaniquement (j'ai déjà cassé le bracelet de ma montre en l'égrenant comme un chapelet – prière de ne pas rire). J'apprends par mon voisin de gauche l'existence d'un langage informatique Shakespeare, où toutes les variables portent des noms de personnages et les actions sont introduites par des sortes de didascalies, si bien qu'une gigantesque mise en scène peut être déployée pour un simple « Hello ». Le geek fait peur, mais le geek fait rire. Et puis, une fois deviendra peut-être coutume, Valerio travaille – Palpatine au corps ; mais le baisemain parodique l'a persuadé de partir sans lui rendre trop amplement ses hommages. En sortant mon téléphone à gousset (pas même élégant - ma montre est réparée, mais il suffit de quelques jours pour prendre un nouveau pli), je m'aperçois qu'il est effectivement bien tard, et on décampe comme des lapins blancs.
00:06 Publié dans La souris-verte orange | Lien permanent | Commentaires (3)