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08 décembre 2010

Petrouchka ébachi

[Pleyel, jeudi 2 décembre avec Palpatine]

Comme des patins à glace, la baguette de Dima Slobodeniouk trace des arabesques sur le Lac enchanté d'Anatole Liadov, qui porte bien son nom (le lac tout droit sorti d'une « scène de conte de fée », pas Anatole, voyons). On peut glisser.

Gil Shaham porte son regard béat sur le Concerto n°2 pour violon, histoire de nous ébahir avec les surprenantes figures de Prokofiev. Il joue de son instrument et avec le public : l'archet suspendu, il vous regarde par en-dessous comme s'il préparait un bon coup- de fait, la comparaison est inutile, le coup est toujours juste lorsqu'il entreprend d'agacer son Stradivarius. Et c'est comme s'il portait en notre compagnie un toast à la musique qu'il prend la peine d'annoncer son bis, qui devient rapidement un ter puis un quater ; pour une fois on sait ce qu'on entend— même si j'ai déjà oublié de quels morceaux de Bach il s'agissait au juste. Ce que je n'ai pas oublié, en revanche, c'est la beauté de ces morceaux, où l'on entendait simultanément la musique et le silence— un silence plus hypnotique encore qu'attentif, qui ne disparaissait pas recouvert par la musique. Pour un peu, on aurait aimé que le concert se transforme en récital...

...quoiqu'en musique de ballet, ce n'était pas mal non plus. Pour moi qui ai peu d'oreille, écouter un ballet en concert me donne l'occasion de voir autrement la musique ; par exemple, ce moment où, à la musique de foire tenue par les vents, Stravinski superpose les cordes : elles déforment ce qui n'a donc été qu'une citation et devient tout autre chose. Puis, pour le coup, l'orchestre est vraiment en scène : « En composant cette musique, raconte Stravinski, j'avais nettement la vision d'un pantin subitement déchaîné qui, par ses cascades d'arpèges diaboliques, exaspère la patience de l'orchestre, lequel, à son tour, lui réplique par des fanfares menaçantes. Il s'ensuit une terrible bagarre qui, arrivée à son paroxysme, se termine par l'affaissement douloureux et plaintif du pauvre pantin. » J'ai quant à moi suivi la marionnette qui dansait dans mon souvenir, jusqu'au moment où j'ai perdu de vue Petrouchka, égaré quelque part entre le Maure et la ballerine. Du coup, je me suis fait surprendre par la fin, non sans m'être auparavant ravigotée à cette musique aussi brillante que bigarrée.

05 décembre 2010

Cadmu[S] e[t] He[R]mione

Cadmu[S] e[t] He[R]mione, le titre m'a bouffé ma petite capitale !

Je suis sortie six jours sur sept cette semaine : nombre de découvertes stimulantes mais peu d'heures de sommeil et encore moins de compte-rendus. Le feu d'artifice a été ouvert lundi à l'Opéra comique. Comique déjà dans sa décoration : mosaïques carrelées au sol, morceaux de marbres déparés, mosaïques dorées au plafond, peintures à l'exubérance italienne, moulures et dorures à foison, rien ne va avec rien, comme si chaque artisan avait suivi mécaniquement son idée sans se mettre sous la houlette d'aucun maître d’œuvre. Il n'y a vraiment que l'étiquette de « baroque » pour imaginer unifier tout cela. Sur scène, c'est un peu la même chose, à ceci près que l'anarchie des costumes bigarrés est atténuées par la faible intensité lumineuse. En effet, on redécouvre ici au sens propre ce que signifie passer les feux de la rampe et, bien que je ne sois pas une fille à bougie (essayez de m'en offrir une, vous verrez la tête que je ferai, voire la grimace, si elle est parfumée), cette belle ligne de lumières à l'ancienne suffit à me ravir – un peu le même émerveillement en prélude au spectacle que devant les petits trains de Fabre (qui déraillait ensuite).

 


La faible luminosité est un peu fatigante pour les yeux mais la façon dont elle recréé des physiques semblables aux gravures de l'époque est fascinante : éclairés en contre-plongée, les visages plombés de perruque s'alourdissent, tandis que les costumes resserrés aux chevilles font des petits pieds et de menues foulées aux danseuses baroques. Cela sautille avec des rameaux dans la main lors des festivités agrestes et se suspend en poses précieuses, aux lignes brisées qui ne seraient que disgracieuses sur des gravures (où les mouvements figés ont souvent l'air maladroits) mais que l'on dirait pourtant alanguies grâce aux tuniques grecques (qui ne vont pas si mal aux hommes – l'un a un maquillage qui me fait un instant penser aux cygnes de Matthew Bourne) et au décor de colonnes et de miroirs au milieu duquel ils évoluent.

 

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Je m'attarde sur la danse et les costumes mais, aussi, l'opéra de Lully n'est que pur divertissement et l'argument est tout au plus un prétexte à louer l'amour et les dieux – la morale de l'histoire est à ce titre sans équivoque : « Vivez heureux ». Tout y est art, tout y est pacotille, jusqu'aux épreuves de Cadmus pour délivrer Hermione des liens auxquels sont père Mars l'a promise et qui doivent l'enchaîner à un géant de la région (qui se ballade sur échasses avec des écailles sur le dos, façon dinosaure de SF) : le dragon qui apparaît avec force fumée et qu'il abat d'un coup d'epée me fait rire comme une gamine à un spectacle de marionnettes, les soldats qui veulent le tuer sont neutralisés par une grenade qu'Amour a obligeamment fourni à notre héros (parce que si vous aimez votre prochain, c'est pour mieux trucider votre lointain) et les Géants sont changés en pierre par Pallas avant que Cadmus ait même songé à les affronter. Si amour et gloire y sont si facilement interchangeables, c'est qu'il n'est question, dans un cas comme dans l'autre, que d'élection : vous avez choisi de vous illustrer auprès de telle dame et telle déesse a choisi de vous aimer, pardon, de vous aider. Caprice hasardeux de l'amour et bravoure de pacotille – qui ne rend pas moins risible (quoique plus sympathique) Arbas, le pleutre de service, sûrement aïeul du Matamore, qui singe son compagnon héroïque, tant dans ses exploits guerriers qu'amoureux (moment particulièrement croustillant lorsqu'il conte fleurette à Charite qui, n'étant pas encore chrétienne, le pousse dans les bras de la nourrice amoureuse – et travesti, en l'occurrence).

 

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Les rebondissements sont assurés par des dei ex machina, machines grinçantes qui les propulsent dans les airs où les chanteurs se balancent, plus ou moins à l'aise dans leurs nacelles (plutôt moins que plus, et certainement moins que les démons- acrobates en trapèze ou harnais). Ces apparitions sont d'autant plus réjouissante que de notre place, nous les voyons préparées, la mise à feu s'avérant périlleuse. Au final, la brochette de dieux est savoureuse (Luanda Siqueira est une Junon resplendissante) et les noces de Cadmus et Hermione peuvent être célébrées en grande pompe. Ete de rrreparrrtirrr dans le froide, en roulant les /r/ et en prononçant tous les /t/ et les /s/ muets (Palpatine se gèle les couillesses) - un peu comme on ne peut s'empêcher de « fort » utiliser l'adverbe « moult » (depuis intégré à mon lexique personnel) après avoir vu Perceval le Gallois de Rohmer- c'est le syndrome baroque.

 

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Je ne me suis peut-être pas enflammée mais j'ai passé une bonne soirée.

28 novembre 2010

Breakfast at Tiffany's, by Truman Capote

Il faut toujours sortir couvert et pour ne pas me retrouver à court de lecture, j'ai emprunté un Capote à la bibliothèque. Les quelques images qu'il me restait d'Audrey Hepburn dans le film ont vite été balayées par la petite brindille blonde qu'est Holly Golightly, aussi virevoltante que son nom. En guise d'allure, une vie trépidante et des manières de garçon manqué ; c'est qu'elle a du style plutôt que de l'élégance, et pas vraiment sa place chez Tiffany's. Le petit-déjeuner chez le joaillier n'aura d'ailleurs jamais lieu : comment voulez-vous qu'elle s'attarde dans ce havre de sérénité lorsque le narrateur la quitte sans savoir si elle a pu se trouver quelque part chez elle, elle qui n'avait pas même l'impression d'être assez maîtresse de son chat pour lui donner un nom, et dont la carte de visite mentionne « voyageuse » pour toute adresse ? Beaucoup plus essentiel au personnage que le rêve de richesses et de diamants est celui d'un chez-soi où elle ne serait pas toujours à fuir - des hommes, la police, son mari illégitime et ses enfants d'adoption. Elle-même, aussi, s'il est vrai que l'on fait la connaissance du personnage à travers une photo, et une photo de masque qui plus est. Sculpture africaine, il ne permet pas au narrateur de retrouver sa trace, seulement quelques traces, des souvenirs laissés au narrateur ; le masque ne tombera pas, il s'avérera au cours du roman être le seul véritable visage de Holly qui ne se départit pas de grandes lunettes noires. Pourtant miss Golightly est bien moins mystérieuse qu'insaisissable, petit animal sauvage dont tout le monde s'éprend sans réussir à se l'attacher. On ne peut qu'aimer Holly Golightly. On ne peut même que cela et rien d'autre : bien que femme séduisante, la belle est une gamine qui aime comme un enfant ses parents, sans le sentiment de rien leur devoir, sinon la reconnaissance de lui avoir fait assez confiance pour lui permettre d'avancer – et incidemment, de s'éloigner. Le narrateur l'aime pour ce qu'elle est, mais surtout pour qu'elle puisse être telle qu'elle le veut devenir, lui faisant don de cette amitié amoureuse où la complicité le dispute à la compassion. Légère, miss Golightly l'est davantage par le style de Truman Capote, qui ne s'appesantit pas sur le parcours pénible de la gamine ni sur ses caprices de femme, que dans son cœur de papier (de banque ? Mais non, elle veut aimer ou du moins croire aimer ceux que d'autres plumeraient). En somme, il n'y a dans ce roman rien de superficiel que de croire à la superficialité du personnage.

« Truman Capote, comme tous ceux qui ont des nuits difficiles, est très fort en petit-déjeuners. Ses livres en contiennent presque autant que de sapins de Noël – ceux-ci sont réellement innombrables- et de traits d'humour grinçant. […] Le petit déjeuner incarne l'espoir, la fin des cauchemars, et une bonne journée devant soi.
Mais dans ce livre-ci, le petit déjeuner idéal n'a jamais lieu, ni aucun autre d'ailleurs, ce n'est pas le genre d'histoire à petits déjeuners.
Ainsi ce titre si limpide, Breakfast at Tiffany's est-il un pur trompe-l’œil, et c'est pourquoi il résume si bien l'art de Truman Capote, l'art du vrai-faux. »
Blake Edwards s'y serait laissé prendre... Truman Capote a dénié à Audrey Hepburn toute ressemblance avec son héroïne, et considéré l'adaptation cinématographique comme une trahison. Mais ce ne sont que des mots et l'image est là, persistante, en couverture, en dépit de la préface de Geneviève Brisac.

 

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25 novembre 2010

Rhume inné

Ce matin, vers trois heures, alors que j'essayais de me rendormir avec un mouchoir à la main en guise de doudou, j'ai eu l'intuition de saisir la signification métaphysique du rhume : cette banale crève d'hiver que l'on ne parvient qu'à endiguer ou à accélérer alors qu'on guérit des trucs autrement plus virulents est là pour nous rappeler que respirer est un privilège dont on ne bénéficiera pas ad vitam aeternam, qu'un jour l'air ne nous parviendra même plus en se faufilant entre les bouchons de morve dans un sifflement désagréable, que l'impression que l'on va s'étouffer si l'on repose la tête sur l'oreiller n'est sera plus une et qu'on mourra. Curieusement, cela ne m'a pas aidée à me rendormir. Plutôt eu la sensation de me noyer dans l'obligation d'attendre le matin et sa vie bruyante qui tardait à revenir. Lorsque la cage d'ascenseur a résonné, le trafic a repris, des bribes de voix sont entrées par la bouche d'aération, l'eau s'est écoulée dans les canalisations, et les volets des voisins ont claqué avec toute la discrétion de leur sans-gêne, j'ai pu me reposer – Dieu merci, pas en paix.