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26 septembre 2011

Faust pas

Gounod m'est quasiment inconnu, je n'ai pas lu Goethe, ni même le synopsis de l'opéra avant de me rendre à la générale de Faust, sur l'invitation du Petit rat. Je ne m'attendais à rien et pourtant j'ai été surprise.

 

Par les décors, d'abord. Car, par Merlin, Johan Engels est diabolique ! Le rideau de scène en impose, avec la mort qui trône au sommet d'une planète plombée et pourtant lunaire. L'éclairage en filigrane l'y laisse, lors même qu'apparaît une immense bibliothèque, qui tient tout à la fois du temple et de la cale, et dont le tour penché et la forme circulaire me fait penser au Colisée. Les lumières de Fabrice Kebbour y font merveille ; l'éclairage blanc, aveuglant, à contre-jour, fait des livres des ombres menaçantes ; l'enfer des bibliothèques est bien plus diabolique que les forges rougeoyantes de Satan. J'adore. J'adore moins la décoration d'intérieur, baroque d'accumulation à défaut de style : babioles sphériques en tout genre, grand Christ sur sa croix dorée et... un rhinocéros qui porte l'obélisque de la Concorde sur son dos. Et là, on touche à la mise en scène un brin...

Show (off). La mise en scène, comment dire, est un peu... too much. On sent que Jean-Louis Martinoty s'est fait plaisir. Il hésitait entre le squelette christique couronné de roses sans épines et décoré de bandelettes dans La Fille mal gardée, la croix-pont levis et l'apparition cristallisée en 3D avec rayons laser dans un morceau de quartz : il a pris les trois. Du coup, la carapace dorée qui transforme Faust en Power Ranger et que Roberto Alagna arrache comme s'il avait un torse de chippendale ne dénote presque pas dans cet opéra son et lumières. Le ténor un peu plus, qui fait manifestement son show. Ce doit être le prénom qui veut ça : Roberto Alagna est à la musique ce que Roberto Bolle est à la danse – une icône sur laquelle je préfère ne pas cliquer. Je lui préfère de loin Méphistophélès, Paul Gay, aux allures de dandy-boxeur et à la voix basse comme sortant des entrailles de la terre ; et Marguerite, Inva Mula, qui me rend toute chose lorsque, assise au lavoir (où il y a vraiment de l'eau), elle chante doucement une histoire de roi nordique, sans grand intérêt mais claire et cristalline.

Dernière surprise, et non des moindres : l'intrigue qui s'éloigne rapidement de l'hybris du savant. Le savoir livresque n'a pas suffi à étancher la soif de connaissance de Faust qui passe un pacte avec le diable pour enfin connaître la vie. Seulement dans la mise en scène, la connaissance des plaisirs a perdu tout lien avec le plaisir de la connaissance. On dirait que, de dépit, Faust a renoncé a rien savoir et se vautre dans l'enfer de la médiocrité : dans une bacchanale de kermesse, les muses sont devenues des miss, écharpes au corps, et Roberto à l'agneau au veau d'or se prélasse au milieu d'elles comme un chanteur dans un clip de R'n'B. La mise en scène tire vers le bas (c'est là qu'est l'enfer, me direz-vous), si bien que l'histoire d'amour de Faust et Marguerite tombe comme un cheveu sur la soupe. La structure de l'opéra suggérerait plutôt que Faust ne renonce pas à la connaissance (et l'autre en est un sujet de choix), seulement aux moyens qu'il avait jusque là employés. De fait, Méphistophélès n'est pas tant diabolique parce qu'il pousse Faust au vice (les filles et les chansons à boire sont bien mignonnes) mais parce qu'il le pousse vers la vertu par le vice. Il est bien plus pervers de perdre la pure Marguerite (merci pour le drap taché de rouge, c'est bon, on a compris) que de folâtrer avec une démone de la luxure. Ce vice l'est si peu d'ailleurs qu'il est besoin que Marguerite tue son enfant pour qu'elle soit vraiment maudite et Faust, damné. La scène de la cathédrale a ainsi quelque grandeur, en grande partie grâce à J. Engels qui clôt la bibliothèque-nef par deux grandes grilles blanches. L'image est saisissante : Marguerite enfermée dehors, méprisée par l'espèce de pape d'autant plus terrible qu'il n'est pas sans rappeler le démon de papier crépon de la kermesse. Que le ridicule ait tant de pouvoir...

La fin est un peu précipitée – cascade désynchronisée d'effets encore à régler, générale oblige – et la vertu triomphe : Christ est ressuscité et Marguerite, plus ou moins sanctifiée – il aura juste fallu mourir pour cela (précisément ce à quoi s'est refusé Faust).

Au final, le parti pris de la mise en scène tient tout entier dans la sculpture en néon de Jean-Michel Alberola, qui reste allumée pendant toute la pièce. On pourrait gloser sur ce « rien » qui fait toute la tête de mort, comme la désinvolture de Méphistophélès fait tout le mal, mais devant l'enseigne de ce néon rose, on se dit surtout que la vanité a supplanté les vanités.

Et les photographes d'entériner par une salve obturateurs lorsque Méphistophélès dépose un écrin pour séduire Marguerite : je ne sais pas si les bijoux attirent les pies mais les photographes, assurément. De toutes façons, ils shootent tout ce qui bouge, dans un cliquetis continu comme en font de trop gros et trop nombreux bijoux, à tel point qu'on se demande s'ils n'appuient pas sur la gâchette seulement parce qu'ils ont entendu celle du voisin et s'empressent de prendre ce qu'ils n'ont pas vu. Vanité, c'est entendu.  

19 septembre 2011

Anna Sinyakina In Paris

Une présence fantomatique en chemise blanche sur la scène noire. C'est lui, murmure-t-on dans le brouhaha de l'attente. C'est lui qu'on croyait attendre mais en fait, c'est Baryshnikov qui nous attend, bras croisés, bras décroisés, pendant qu'on s'installe. Il n'y a pas de rideau pour s'ouvrir sur une vie à venir, seulement un plateau pour constater qu'on en est là, ici, de cette vie d'émigré qui n'est plus à vivre mais à raconter. Il écrit, nous dit-il, sur les deux guerre qu'il a traversées, ancien général de l'Armée blanche. On ne le verra pourtant pas écrire, car Baryshnikov n'écrit qu'avec son corps et c'est ici sa voix qu'il prête à Nikolaï. Il n'écrit pas : il sera donc traversé par les mots qui défilent du bas jusqu'au fond de la scène, éclairé par une hampe, laissé dans l'obscurité entre les lignes. Je déchiffre les lettres informes, je les lis lorsqu'elles sont projetées et, toujours désynchronisée à vouloir absorber le texte anglais, je prends de court ou du retard sur sa traduction parlée. J'ai peur de manquer des mots, escamotés par l'accent russe, et ne commence à comprendre que lorsque je les oublie. Je m'en remets à la voix, une voix qui a de la gueule. Tête d'affiche, Baryshnikov est notre ami : il sera donc notre narrateur.

Il attrape des photos pour donner corps aux petites annonces qu'il comprend trop bien et dont il souligne d'une répétition désabusée les folles attentes (« Russe sensible ») ou l'absence d'espoir (« qualités intellectuelles non requises »). Nikolaï – car c'est ainsi qu'il nous faut désormais l'appeler – est presque un Parisien à ceci près qu'il est émigré, seul et russe. Il ne connaît personne, sauf la solitude qui défile dans le silence et toutes les langues au fond de la scène – profusion de paroles tues. La solitude emplit l'espace mais elle n'a pas de corps ; la femme nue vidéo-projetée de dos sur un carton que tient Nikolaï n'a pas plus de consistance que les photographies précédemment exhibées, pas de peau pour opposer de la résistance à ses caresses et faire exister une main qui disparaît sous l'image rêvée. Pour étoffer son existence, il lui faut revêtir chapeau et manteau, qui lui redonnent de la carrure, quoique militaire en temps de paix. Mais cette armure ne tient pas et accrochée au mur d'un café où il vient d'entrer, tombe dans un tragi-comique de répétition. Le chœur, composé de garçons de café et de serveuses plus enclins à lui parler festin que destin, lui chantent toujours la même chanson, dont il attend d'être accompagné pour aller une fois encore raccrocher ses chaussons son chapeau et son manteau à la patère. Une dernière fois et il tape des pieds flamenco pour que cela cesse ; rien n'est bien fixé sur les souvenirs, il faut laisser les affaires glisser le long de ce mur, photo renversée comme les idoles du passé.

À présent, il est dans un café, seul une fois que le garçon a fini son mime et nettoyé la vitre imaginaire qui sépare la scène de la salle. Et c'est là que j'entre en scène. Vous ne le saviez pas et moi non plus, mais j'ai un petit rôle dans cette pièce, très simple : j'avance en couinant vers Micha-Nikolaï qui chausse ses lunettes en se demandant ce que je fiche ici. Mais voilà que je me fais voler la vedette : Anna Sinyakina plante le décor une table au-dessus de moi, m'attrape par la queue, me montre à ce monsieur et m'envoie valdinguer en cuisine ; je suis verte. N'empêche que grâce à moi, la rencontre peut avoir lieu, inattendue, en lieu et place de l'habituelle juxtaposition entre serveuse et client. Les deux exilés s'apprennent par le menu et la conversation, timide, pleine de potage aux cornichons salés et d'hésitations à retourner en cuisine, tombe dans la soupe au choux. Grâce au micro (qui gêne les puristes mais que j'oublie vite), les voix peuvent chuchoter, douces comme le dessert qui ne vient jamais. Tandis qu'il avale sa soupe et qu'elle se tient à ses côtés, une bulle en carton apparaît, portée par un homme en noir, et on peut y lire tout l'attrait que le vieil homme conçoit pour la jeune femme.

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Elle est belle, belle d'une beauté brisée, diffractée sur tous les débris de sa vie – sa manière à elle d'être rayonnante. Sa voix, cristalline comme une pampille de lustre, éclaire la pièce de sa mélancolie diffuse, servie par le contrepoint du garçon de café. 

De la BD, on tombe dans la peinture cubique lorsque Nikolaï retient la table(eau de Picasso), retenant par la même occasion Olga. Elle ne bouge plus sa main, comme pour préserver l'équilibre rattrapé de la table, mais c'est davantage pour ne pas détruire la proximité qui vient de se créer entre eux deux ; lorsqu'il lâche prise, tout bascule sauf le pichet en papier mâché, qui reste collé à la table tandis qu'elle la prend distraitement sous le bras.

Après quelques jours et gargouillis de conversation, rendez-vous est pris. Chacun se prépare devant le grand miroir du public qu'il s'imagine témoin de quelques mouvements de boxe ou de poses dramatiques. À la lenteur de Nikolaï se joint l'insolence de Baryshnikov qui ne doute pas, lui, d'être observé. Aux gestes maladroits de son personnage pour se refagoter, il préfère la provocation pudique et laisse tomber son pantalon plutôt que d'y rentrer sa chemise : impossible du coup de croire l'épier. Il s'impose jusqu'à l'agacement, interdit au spectateur de se raser car c'est à lui de le faire, lame à la main, comme s'il avait rendez-vous avec Roland Petit. Olga, cependant, se livre à une séance d'habillage et de déshabillage avec l'inventivité sans entrave de qui joue son répertoire de grimace au miroir de la salle de bain. Le tablier de serveuse devient tour à tour haut de robe, sac à main (les liens en anse) et pochette de soirée tandis que défile en fond de scène la partition chantée a capella par son double, qui serait sa confidente si l'on était dans une tragédie classique. Mais la tragédie n'est que celle d'un pauvre quotidien et les coupes qui survienne dans la Havanaise en soulignent tout le dérisoire : arrivée à « Mais si je t'aime, si je t'aime... », elle enchaîne directement sur le refrain « L'amour est enfant de Bohême, il n'a jamais, jamais connu de loi, si tu ne m'aimes pas, je t'aime » ; comment un être si fragile pourrait-il menacer de quelque façon que ce soit l'homme qu'elle s'apprête à aimer, pour qui les deux choses les plus difficiles à reconnaître sont « un bon melon et une femme de bien » ? Tous deux prennent le pari de s'aimer sans réelle crainte de perdre : que peuvent-ils espérer gagner si ce n'est de partager leur solitude comme on partage un gâteau ? Leur tendresse se nourrit de leurs illusions perdues, qu'ils promènent dans un Paris de carte postale. Une grande carte postale en forme d'auto, où les fenêtres créent un texte à trou : c'est le prix de l'affranchissement. Ce taxi de façade fait un petit tour de manège grâce à la scène mobile et manque d'écraser un chien frétillant comme la peluche à pile qu'il est : le drame de fait divers achève de tourner toute tragédie en dérision lorsque le chien urine sur la roue de son agresseur.

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Au cinéma, les traits du général se confondent avec Chaplin, et la scène de vaudeville, avec celle qui hante les mémoires. Les bouches se déforment sur l'écran comme sur des miroirs déformants et de ces béances grotesques se mettent à hurler les sirènes, celle de l'horreur et de la guerre ; Nikolaï pourfend la toile, son parapluie pour toute épée et repars avec sa dame de cœur pour Montparnasse. Il est encore question de melon et, chez vous ou chez moi ?, aucun ne veut accueillir leur union chez soi, chacun désirant investir la solitude de l'autre, qu'il espère moins déserte que la sienne.

Les années passent en quelques minutes et Olga s'envole comme une Willis, échappe à l'étreinte de Nikolaï qui entame sa dernière danse. D'une phrase, il est mort dans le métro et, Olga, toujours en suspension, qui chante la tête en bas, assiste à son exécution. Baryshnikov brave avec Bizet le spectre de sa virtuosité, et tombe de la hauteur, si imposante, avec laquelle il a mis à mort Basil. Le comédien triomphe. La voix se tait avant que les chœurs n'aient exulté. Et, petite souris incongrue, je viens une dernière fois lui serrer la main, désolée de mettre fin à la rencontre. 

 

Dmitry Krymov, le metteur en scène, tire son argument d'une nouvelle d'Ivan Bunin, dont je n'avais jamais entendu parler mais que je lirais bien. En attendant de faire un tour à la librairie, d'autres lectures sur le net : une "comptine russe suspendue dans le temps" (Danse en seine) ; bittersweet... a whimsical note... conjuring images of bravura ballet (Bella Figura) ; "La mise en scène est pleine de petites trouvailles. Le spectacle est plein d'humour et alterne à merveille gravité et légèreté." (Danse opéra) ; "L’émotion et la poésie côtoient l’absurde ou le trivial (...) Dans ces bras qui se tendent en vain pour tenter de saisir une silhouette fuyante, il y a toute la solitude du monde." (Fab') ; Amélie, plus dubitative. Et aussi The New York Times, Le Monde, surtout pour les anecdote sur la langue.

15 septembre 2011

Je suis une taupe

Une souris... une taupe... je ne verrais pas la différence. C'est pourquoi il me faut renouveler mes lunettes. J'ai une ordonnance posée, engloutie, retrouvée... posée sur mon bureau depuis six mois mais à présent que je passe toute la journée sur écran, il devient urgent de faire quelque chose. Malheureusement, mon zèle n'est pas plus fructueux que ma paresse et c'est très dommageable, parce que le chou blanc, ce n'est bon qu'avec des carottes râpées, quand ce n'est plus du chou blanc mais du coleslaw.

Affelou, Acrys, Générale d'optique, Grand Optical... c'est à peu près la même chose à chaque fois. Une fois que vous avez essayé une demi-douzaine de paires de lunettes, un vendeur s'approche de vous pour vérifier que vous n'êtes pas en train de vous livrer à une séance de Photoshop en 3D. Je lui explique donc que je ne me griffe pas avec les antivols pour le plaisir de me voir transformée en mouche/moustique/papillon sous LSD/folle du volant (ne rayez pas les mentions inutiles) et là, il pose la question fatale (sans savoir encore pour qui) :

 « Vous savez ce que vous cherchez ? »

Non, c'est pire : je sais ce que je ne cherche pas.

 

Je ne veux PAS (contrainte esthétique) des verres trop gros qui me donnent l'air des insectes précédemment cités.

Je ne veux PAS (contrainte technique) des verres trop petits qui incluent les montures en plein milieu de mon champ de vision. Vous êtes à l'opéra et, habitués à des verres larges, vous levez les yeux pour voir les surtitres mais ils sont barrés ; vous levez un peu plus les yeux, ils sont flous ; vous levez carrément la tête et ne voyez pas que le béni oui-oui que vous devenez ressortira avec un torticoli. Idem pour les gros verres implantés au ras des cils (j'ai les oreilles trop basses ou quoi).

Je ne veux PAS (contrainte technique) une monture lourde (plastic is fantastic).

Je ne veux PAS (contrainte esthétique) une monture fine voire invisible. Quand je chausse une de ces paires, soit j'ai l'impression de voir Amélie et c'est très perturbant de penser à quelqu'un d'autre en se regardant dans le miroir, soit j'ai l'impression de ressembler à une maîtresse d'école et c'est très décevant parce que ce n'est pas une institutrice dans le genre du petit rat.

Je ne veux PAS (contrainte de principe) de gros logo.

Je ne veux PAS (contrainte fantaisiste) de paillettes mais je tolère des strass discrets s'ils sont oranges (si, si, un strass orange peut être discret, Prada fait ça très bien).

Je ne veux PAS (contrainte psychologique) de petits cœurs ni de lunettes marron Lulu Castagnette qui me font remonter à l'époque où je ne pensais pas qu'à mes 23 ans, les T-shirts nounours seraient en passe d'être qualifiés d'indestructibles.

Je ne veux PAS (contrainte vestimentaire) de couleurs autres que noir, orange et violet. Oubliez les écailles de tortues : la souris n'est pas un chat et il n'y a de marron dans son armoire que lesdits T-shirts Lulu Castagnette.

Je ne veux PAS (contrainte psychologique) des plaquettes sur le nez. Déjà en primaire, j'avais horreur des « hélices » qui tombaient de l'arbre dans la cour de récré et que les gamins incisaient d'un coup d'ongle pour les faire adhérer de chaque côté du nez. Parce que bon, c'est mon nez, c'est pas un jouet.

Je ne veux PAS (contrainte hystérique) que les bords inférieurs encadrent mon appendice nasal de deux arrêtes droites car j'ai alors l'impression d'avoir un faux nez attaché à mes lunettes, un de ces gros nez sous lesquels il n'est pas rare de croiser une moustache de détective du dimanche et jours fériés. Et ça, c'est traumatisant parce que : c'est mon nez...


Ce que je veux ? Les petites lunettes oranges non criardes de chez GrandOptical (que pour la peine je veux bien prendre la peine de prononcer avec une liaison en « d » et non pas en « t ») en seconde paire des Tiffany's noires auxquelles un autre opticien aura fait subir une ablation de petits cœurs.

Quand j'arrive à cette conclusion imparable pour tout poète surréaliste qui respecte l'anaphore, curieusement, le vendeur a déjà trouvé une autre cliente.  

04 septembre 2011

Dark city

[À moins que vous n'habitiez cette dark city, ne lisez pas avant d'avoir vu le film - soit dit en passant, merci à ma DVDthèque privée de m'avoir conseillé ce que je n'aurais pas spontanément choisi de visionner.]

Dark city débute par une sombre histoire d'assassinat, embrouillée au possible. L'obscurité n'est éclaircie que pour apercevoir le demi-visage d'une femme fatale, l'autre moitié retranchée derrière le rideau de tôle ondulée de ses cheveux de jais, ou l'ellipse d'un feutre incliné de manière à laisser le regard dans l'ombre. On avance à tâtons et, n'étant pas dans une salle obscure, j'ai la tentation d'éteindre la télévision. C'est alors que le film noir annonce la couleur comme une conséquence de la science-fiction : un groupe d'extraterrestres cherchant à comprendre l'âme humaine maintient la ville dans une nuit indéfiniment répétée. À chaque minuit, ils ouvrent un abîme entre hier et demain et y précipitent toute continuité spatio-temporelle. Les immeubles poussent comme des champignons et les existences des habitants sont manipulées. Tel couple de classe ouvrière est bombardé aristocrate, tandis que tel individu honnête se voit injecter en une seringue les souvenirs d'un meurtrier (John Murdoch – like the gothic novelist – as an occasional murderer). La permutation des existences permet au film de réaliser une belle expérience de pensée : un passif criminel fait-il de l'homme un meurtrier ? Plus largement : l'individu est-il déterminé par son passé ? Est-il possible de distinguer une vie de celui qui la mène ? Ou l'homme n'est-il que la somme de ses souvenirs ? Le film répond à sa manière lorsque Murdoch indique son front : ce n'est pas (uniquement) là, dans la raison et la mémoire, que loge l'âme humaine. Et de suivre son cœur pour organiser une nouvelle rencontre avec celle qui a perdu la mémoire après l'avoir aimé quand lui-même avait perdu le souvenir de leur histoire – la sensation contre l'illusion.