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25 octobre 2011

My Blueberry Nights

Dans ce film de Wong Kar-Wai, les nuits sont pleines de néons oscillant entre le bleu et le rose, entre blues et bluette. Nuits d'un bleu de myrtille écrasée où les sentiments tremblottent comme de la gelée. Blueberry : je pensais muffin, c'est en réalité de tarte dont il s'agit. Mais pomme, fraise ou chocolat, la myrtille vient toujours en second choix, celui qu'on ne fait pas. C'est ce sur quoi on se rabat, en se disant pourquoi pas. C'est ce qu'Elizabeth engouffre sans manières, mastiquant sous le regard de Jeremy, jeune patron d'un bar paumé qui a voulu lui remonter le moral ou peut-être le coeur, à grand renfort de chantilly. C'est ce que Jeremy continuera à préparer, et à jeter, chaque jour qu'Elizabeth (mais Norah Jones lui va beaucoup mieux) passera à errer dans sa propre vie. Jusqu'à ce que toutes les ruptures soient consommées, que le client alcoolique dont elle est la serveuse favorite soit quitté par sa femme et quitte la vie, que la joueuse de poker qu'elle a rencontré n'ait pas pris le temps de voir son père la quitter. Alors, alors seulement, elle peut renouer avec sa propre rupture ; alors, Jeremy a jeté le bocal de clés que des clients, qu'Elizabeth, lui avaient laissées. Des portes se sont fermées et l'on peut enfin en ouvrir d'autres sans être pris dans des courants de faux airs. La tarte aux myrtilles, dont personne ne voulait, trouve finalement une bouche de premier choix. Jeremy la préparait par habitude : il s'est habitué à Elizabeth. Pourquoi pas : pour toi.

22 octobre 2011

Longue et courte vue

Le sursis de dix mois a pris fin, j'ai fait exécuté mon ordonnance. Trouver des lunettes papillons qui ne me donnent pas l'air d'une grosse mouche n'a pas été sans mal. A vue de nez, les Max & Co étaient parfaites, tout à la fois classiques et délurées, ce qui ce traduit dans le langage palpatinien par « bizarre » (d'une efficacité redoutable quand le modèle en balance se trouve affublé du même adjectif – et là, c'est comment ? - Encore plus bizarre.). Lorsque je les ai chaussées chez l'opticien, pourtant, les lunettes des présentoirs sont venues m'assaillir comme une nuée de moustiques. Je me suis pris une demi-dioptrie dans la vue. Dehors, dans les rues ivres, un ver de terre venu du Japon, géant et souterrain, s'amusait à secouer l'asphalte comme une couette à aérer. Dans les jours qui ont suivi, le monde trempait dans un aquarium, noyé dans une goutte d'eau prise entre deux lamelles, tremblotant entre des contours incisifs de microscope. Bien que l'automne laisse déjà sentir l'hiver, les platanes avaient à nouveau des feuilles : plus de boule verte conceptualisée sous le nom d' « arbre ». Joie. Bon, j'avais l'impression d'être dirigée par Aronofsky à chaque fois que j'allais aux toilettes et j'appréhende encore un peu le matin de me faire agresser par le monde mais les silhouettes ont retrouvé des visages – mon horizon s'élargit.  

17 octobre 2011

Souvenirs de la maison close

L'Apollonide voile d'esthétisme un film à l'intrigue entièrement résumée dans son sous-titre : Souvenirs de la maison close. Seulement, voilà, il ne suffit pas de mettre des souvenirs bout à bout pour faire une histoire. Ce que je retiendrai surtout de ce film, ce sera donc une évocation qui louvoie intelligemment entre une esthétisation de fantasme et l'apitoiement du misérabilisme, sans jamais céder ni à l'un ni à l'autre.

Bertrand Bonello met en scène le plus vieux métier du monde : pas de dégoût pour les clients, pas de folles parties de jambes en l'air non plus, mais des soucis d'hygiène, de la tenue (ou comment convertir l'épuisement en alanguissement), des égards pour les petites habitudes des clients, des espoirs et de vaines toquades, des dettes et surtout, surtout, de la fatigue. Car la déchéance de ces femmes, qu'on s'obstine à appeler des filles, n'est pas morale, comme voudraient le faire croire les relents d'anthropométrie et d'antijudaïsme qui suintent jusque dans cette maison close, mais physique, la cigarette, l'alcool et finalement la maladie ne faisant que porter à son comble l'épuisement qui les travaille au corps. L'une en vient même à souhaiter d'attraper la chtouille, qui lui ferait des vacances, sans retour. Une autre l'attrape vraiment et en meurt. Et la même vie les démène, jusqu'à ce que la fin d'une époque vienne annoncer celle du film : les maisons closes ferment, la patronne organise une dernière fête, triste bacchanale qui ne masque que le visage des filles - leur désemparement à vif, de se retrouver dehors, libres et abandonnées.

Toute l'ambivalence de L'Apollonide est contenue dans le rêve cauchemardé par la Juive, rebaptisée la Femme qui rit et exhibée comme une monstrueuse curiosité après qu'un client (qui ne demandait plus un service mais une esclave) lui ait balafré la bouche d'une oreille à l'autre (scène d'autant plus traumatisante qu'elle revient à plusieurs reprises, comme autant de points de suture) : des larmes de sperme coulent de ses yeux. Peine et plaisir, le spectateur ne jouira pas de leur distinction. C'est ce qui fait la force mais aussi la grande faiblesse de L'Apollonide. Que dire aussi d'un film qui se refuse à prendre parti et se contente d'enregistrer que "cela a été", sinon : "je l'ai vu" ?

Le prix de la danse

Le prix de l'AROP était cette année décerné à Fabien Révillon et Héloïse Bourdon - qui me l'a refilé : on ne voit qu'elle en scène, mais pour combien de temps encore ? Sa maigreur, plus encore que son discours emphatique et monocorde, m'a presque fait regretter d'être venue à la remise des prix. Ses chevilles aux tendons crispés sur des talons aiguilles m'angoissent comme si c'étaient une gorge agonisante. Comment peut-on laisser diminuer une danseuse aussi sublime ? Je lui aurais bien volontiers laissé tous mes petits-fours si elle avait consenti à relâcher son sourire tenu comme un équilibre périlleux. Entre l'effacement de la jeune femme et la bousculade des vieux aropiens autour du buffet, j'ai été prise de lassitude.  Heureusement, il y avait la touchante entrée en matière de Fabien Révillon qui a justifié son anxiété par ce que "la danse est un art muet" ; Karl Paquette en sweat à capuche, souriant sincèrement ; le petit rat sortie de son labyrinthe de lignes de bus ; JoPrincess, en compagnie de qui j'expérimente la sensation d'être petite - ce qui ne m'arrive pas souvent - sans être pour autant gamine - ce qui arrive un peu trop souvent ces temps-ci ; le mélange du caramel et du chocolat fondant au milieu d'un carré de sablé au beurre salé, l'alliance du chocolat et du cassis dans un macaron violet, et autres délicieuses bouchées que j'ai grignotées et fait durer en m'éloignant autant que faire se peut des conversations bruyantes et inaudibles, de toute cette fureur de juger. La danse est un art muet, cela n'a pas de prix.

12:28 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : danse, arop