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04 octobre 2011

Ne pas se Barber en concert

(Pleyel, vendredi 30 septembre, orchestre de Radio France)

Palpatine voulait aller à Pleyel. Moi, je voulais aller au cinéma, un truc avec des images et une intrigue facile à suivre quand on est fatigué. J'ai ronchonné devant l'affiche, pensant Berg en lisant Bartók, mais la constatation que toutes les séances avaient commencé et un pudding plus tard, j'étais disposée à tendre l'oreille. 

Clic-clac Kodály, voici les Danses de Galánta. Cette fois-ci, j'avais substitué "valses" à "danses" (fatiguée, je vous dis, trois heures trente de cours sur la tuberculose du fondateur du Seuil, c'était tuant). Du coup, j'ai rapidement dû prendre une gomme pour effacer les lustres de mon image mentale et j'en ai profité pour astiquer les parqets marquetés d'un même mouvement. Je ne savais pas trop quoi faire avec mes meringues viennoises, alors j'ai coupé le bas de leurs robes froufroutantes. Déjà mieux. Mais voilà que surgit une danseuse pieds nus au milieu des couples qui s'écartent. Je fais se déchausser tout le monde. J'hésite à faire sortir les militaires, la salle de bal a laissé place à une pièce de Pina Bausch. Ils resteront tout de même, je reconnais maintenant la danseuse aux pieds nus pour être une tzigane. Les archets attaquent, les murs tombent. Danses, danses. 

Précipité, on déménage à New York. Dans un immense studio aux baies vitrées qui donnent sur la nuit décolorée. Le concerto pour piano de Barber, ce sont les volumes de Hopper, la mélancholie en moins. Il fait nuit, forcément, parce qu'on est en retrait du monde mais pas recroquevillé, simplement en décalage, comme dans la brèche où l'on s'installe lorsque l'on veille alors que tout le monde dort - cette brèche nocturne où les choses et les sons prennent un relief particulier, plus nets de n'avoir pas été émoussés par la lumière et le bruit des jours. Glaçons qui s'entrechoquent dans un verre, moments planant comme un goéland, violons nerveux d'être tâtillonnés par les archets : c'est exactement comme ça je me me sens.

Bonjour, comment allez-vous ?
Concerto pour piano de Barber.

Le pianiste est géant. Non seulement, Garrick Ohlsson doit baisser la tête pour passer sous la porte et arbore un sourire de gros ours sympathique comme Laurent, mais en plus bis il secoue Chopin comme une bouteille d'Orangina. Ses doigts retardent les notes, sans les étirer, mettent le spectateur en suspens, retiennent les notes puis les précipitent en une danse fringante. Cela me fait penser à Myriam Ould-Braham dans Suite en blanc ou à Mathilde Froustey dans le Grand pas classique d'Auber : des échappés ou des relevés d'acier, tenus jusqu'à la limite extrême de l'amusicalité et enchaînés avec agilité juste à temps, juste sur le temps, avec une maîtrise confinant à l'insolence. Quand la technique a la classe, et qu'elle se joue d'elle-même, voilà : le phrasé, me dit Klari. Rudement bien ponctué, les points sont sur les hiiiiii.

Le concerto pour orchestre de Bartók est juste toqué comme il faut, avec la baguette coton-tige de la percussion qui joue à pigeon-vole. Pour ne pas trop avoir l'impression d'assister à un match de tennis entre alto et violon, je délaisse un peu l'altiste solo au catogan, que je verrais bien en costume d'époque XVIIIe, pour la beauté médiévale de la violoniste que j'avais déjà tant apprécié la dernière fois. À mon regret d'être trop impair pour ne pas la voir de face, succède la satisfaction de pouvoir la regarder sans en commettre. Pas de risque de la dévisager de dos, je ne vois pas même le début de la tresse qui ceint asymétriquement sa tête, ainsi que je le découvrirai au salut où j'essayerai de lui envoyer mon plus beau sourire de remerciement comme si c'était une gerbe de fleurs. Le coude bien relevé comme une danseuse de flamenco, l'archet met en tension toute sa colonne vertebrale jusqu'à la nuque, que la musique agite et renforce tout à la fois. Avec elle, je peux voir la musique incarnée comme si c'était de la danse tandis que son voisin avachi me semble en contradiction totale avec ce que j'entends, comme un coup de klaxon en plein concerto.

Je pourrais dire de ce concert que j'en suis ressortie toute retournée mais cette image aurait été honteusement suggérée par la calzone que je me suis enfilée ensuite (après le pudding, donc) en compagnie de Klari, Serendipity et Palpatine. Fameux.

14:59 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : concert, pleyel

03 octobre 2011

Phèdre, Psyché, Pffff

La Phèdre de Lifar a dû, j’imagine, être un choc esthétique à l’époque de sa création. Samedi, il n’en restait qu’un choc visuel. Les costumes ne peuvent qu’être une incitation à exercer sa langue de vipère. Il ne faut pas me donner une telle occasion, il ne faut pas. J’ai passé quarante minutes à imaginer les comparaisons les plus idiotes et colorées possibles. Oenone est aussi Violet que la camarade de Charlie à la chocolaterie et assortie à un Thésée de péplum. Aricie est un petit poney rose. Elle joue avec Hippolyte, un Action Man radioactif (promis, je n’appellerai plus jamais Paquette Pâquerette si cela doit le transformer en géant vert). La mini toge verte des compagnons me fait d’abord penser à des Supermen au rabais avant que les académiques oranges ne me révèlent leur véritable nature : ce sont les bonshommes qu’on lance sur les vitres et qui les dégringolent en culbutant sur leurs mains et pieds gluants. Le seul costume digne de ce nom est celui de Phèdre, le rouge et le noir rehaussés de gris étincelant. C’est aussi celui qu’il faudrait supprimer en priorité : outre que la servante violette ne ferait plus grincer des dents dès qu’elle s’approche de sa maîtresse rouge, l’homogénéité obtenue parviendrait peut-être à faire reverser le kitsch dans le stylisé.

Car la pièce est bien adaptée de Cocteau et l’on retrouve dans la chorégraphie la marque de ses dessins : à grands traits, un effet de façade, pardon, de fronton. J’ai parfois un peu de mal avec cette esthétique de bas-relief antiquisante (on la retrouve chez les nymphes dans le Faune, par exemple) mais force est de reconnaître que la pose est frappante : elle fige le mouvement mais donne aussi un coup à l’imagination. Vaste frise grecques, ce sont les brusques arabesques plongées suivies de déboulés mains en l’air d’Oenone dans une diagonale à la fée Carabosse ; les battements de main qu’Aricie fait de tout cœur en petits sautés sur pointe ; les sauts en double attitude (ça mériterait un petit tour dans le dico de la danse) de Thésée ; les bras angulaires de Phèdre en vestale cambrée.

La prétention de Marie-Agnès Gillot à se considérer comme une grande tragédienne me fait un peu rire : si elle est brillante dans ce rôle, c’est tout simplement qu’elle est sculpturale. Une sculpture en mouvement. Tragédienne, elle n’en serait que l’archétype, à l’opposé d’une Berma au jeu plus marquant parce que moins marqué (une Aurélie Dupont par exemple). De fait, Alice Renavand a davantage de répondant en Oenone, personnage plus marquant que la délicieuse Myriam Ould-Braham qu'on aimerait bien voir distribuée dans des rôles plus consistants, que Karl Paquette à qui sied pourtant le maquillage à la grecque ou même que Nicolas Leriche en guerrier las.

Au final reste une impression de médiocrité d'autant plus décevante que la narration de la pièce est fort bien menée, avec son théâtre dans le théâtre, qui met en scène les passages censés se dérouler en coulissés et que la bienséance exigeait de faire connaître par des discours rapportés. Un film d'archive en noir et blanc m'aurait suffit.

 

Il y a fort à parier que Psyché vieillira aussi mal, si ce n'est plus, que Phèdre. Elle est elle aussi construite sur un entre-deux qui n'est plus celui du stylisé et de la parodie mais de l'humour et du lyrisme. Autant il y a naturellement ambiguité entre trait essentiel et trait forcé, autant le trait d'humour s'émousse au contact de l'émotion poétique du sujet intime. Le lyrisme veut être pris au sérieux et s'il est ainsi une cible rêvée de moquerie, il ne peut coexister de plein-pied avec l'humour. Alors forcément, le spectateur qui sourit aux animaux en académique chair, aux nuées farfelues et fanfreluches, aux vagues froufroutantes, aux femmes-fleurs (plus fort que la clochette, le rhododendron bleu !), aux hommes-insectes et aux deux soeurs de Cendrillon relookées en punkettes ne peut manquer de réprimer un baîllement devant le pas de deux d'Eros et Psyché aux yeux symboliquement bandés (parce qu'il y a des choses qu'il vaut mieux ne pas voir mais on évolue difficilement à l'aveuglette à deux). Inversement, à celui qui se laisse aller au lyrisme de leur danse simple sans la trouver niaise, les touches d'humour paraîtront incongrues. Je suis passée par l'une et l'autre phase ; après avoir souri avec indulgence aux facéties de Ratmansky, j'ai observé la danse charmante, pleine de petits pas et de changements d'épaulements, de Dorothée Gilbert, seul moyen de se sauver de l'ennui. Car il n'y a finalement pas grand chose à se mettre sous la dent et si la pièce remporte les suffrages de la pièce, c'est qu'elle bénéficie du contraste avec Phèdre où l'on danse peu. 

Le seul point vraiment positif, outre une formidable Amadine Albisson en Vénus furieuse (raccord avec Faust : l'Opéra a eu un rabais sur le tissu doré ou quoi ?), c'est que pour la première fois de ma vie j'ai vraiment apprécié Mathieu Ganio. D'une part, à l'amphi, si sa tête ne me revient pas, c'est seulement parce que je suis trop haut et trop myope pour la voir ; d'autre part, le rôle d'Eros lui va comme un gant, étant trop épris de sa personne  pour risquer de verser dans la parodie par excès d'autodérision et pour ne pas être un brin comique malgré lui tout. Ni Apollon musagète ni Amour de Neumeier (le combishort à une seule bretelle me fait un peu penser à la salopette jaune), il fait preuve d'un humour jamais parodique, parfaitement ironique : on ne sait pas si c'est du lard ou du cochon. Exception faite de cette étoile, l'humour est en danse un registre plus casse-gueule que l'ironie appuée jusqu'à la parodie. La musique de César Frank n'aide en rien, qui n'introduit pas le moindre air de bonhommie là-dedans. Le lyrisme se prend au sérieux, vous disais-je.   

Résultat de la soirée : nul. On ne peut pas franchement dire que "c'était nul" mais il n'empêche : il n'en ressort rien. Sentiment de gâchis et mal au dos. On a beau dire, le prix des places à l'amphi est vraiment bon marché... si on l'imagine inclure une séance de kiné. Business model à développer : des stands de massage aux quatrièmes loges à l'entracte. 

22:07 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : danse, garnier

29 septembre 2011

Les deux font l'affaire

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Cet automne-hiver, les publicistes voient double. Mais ont-ils trop bu pour autant ?

Il n'est pas rare que les marques mettent en scène des groupes : c'est commode pour montrer plus de fringues et donne un petit air de convivialité qui ne mange pas de pain. Mais il s'agit ici d'autre chose. Notre comportement social a beau être mimétique des autres, nos attitudes sont rarement un décalque de notre voisin. On s'amuse à dix ans à faire des pas chassés pour caler son pas sur celui de notre campagnon de promenade, pas à millimétrer notre foulée en forêt - en talons, évidemment (quoi, vous ne courrez pas en forêt en talons ?). Les deux messieurs de chez Lanvin ne sont pas assez nombreux pour swinguer en chorus line et, quelle que soit l'ébauche de mouvement, elle est figée par le redoublement. Arrêt sur image. L'attention est gagnée, reste à voir comment elle s'exerce.

Différences minimes, les tenues sont assez semblables pour qu'on ne puisse s'empêcher de les comparer et Bocage a même poussé le vice jusqu'à prendre la même mannequin afin que l'on ne soit pas tenté de comparer les filles plutôt que les produits et que le jeu des sept erreurs aboutisse nécessairement aux chaussures. Vice ou astuce marketing si vous préférez : entre les deux paires de chaussures, les deux robes ou les deux manteaux, vous élisez spontanément celui que vous préférez et cette simple réaction induit implicitement que vous l'appréciez. L'attention portée à la publicité se transforme ainsi insidieusement en goût pour ce qu'elle vante - ou, si votre dégoût des robes à fleurs est ancré trop profondément, du moins avez-vous lié une connaissance particulière avec la marque. 

Ce comportement économique a déjà été identifié par Dan Ariely. Soulagés de trouver des choses comparables, nous nous hâtons de choisir le terme positif de la comparaison en oubliant les autres alternatives - incomparable(ment meilleure)s ? La non-fiction rejoint la fiction : Kundera avait raison de dire que lorsque nous disons préférer une personne A à une personne B, cela ne signifie pas que l'on aime A (même si tel est par ailleurs le cas) mais que l'on n'aime pas B. Le manteau moumoute de Vuitton est vraiment affreux.

27 septembre 2011

Rentrée à l'OdP

Chemise blanche, veste noire, jupe à carreaux tache intégrée et grandes chaussettes grises, c'est en écolière faussement modèle que je fais ma rentrée... à la fac et à l'Orchestre de Paris. Distribution des manuels : les programmes sont passés d'un grammage épais à un papier glacé, nos cartables n'en seront que plus légers. Il y a des nouveaux et j'ai déjà repéré une potentielle nouvelle copine : la contrebassiste juste derrière le poète de Spitzweg, qui n'y va pas de main morte. Quand elle pince les cordes en alternance des deux mains, coudes relevés, avant-bras qui décollent, elle a le même entrain sérieux que si elle jouait du tambour. Mais laissons-là à son pupitre pour le moment, j'ai une copie à rendre.

Scherzo fantastique. Fantastique, on a dit, pas merveilleux. Il y a bien quelques pas dans la neige, quelques tintements scintillants mais, pour l'essentiel, les spirales de notes ressemblent plus à des tourbillons qu'à des volutes. Cela fait whirl-whirl, jusqu'à bourdonner, histoire d'établir un écho entre Stravinski et Rimski-Korsakov en sautant par-dessus Lalo.

Concerto pour violoncelle enmineur. J'ai le regard qui a un peu erré (Marc Coppey nous a fait une tête de Droopy) mais pas l'oreille. J'adore le premier mouvement : pas de questions-réponses entre l'orchestre et le violoncelliste et pourtant, le premier intervient régulièrement sans pour autant couper la parole au second. Ils ne jouent pas vraiment ensemble (pas en simultané) ni l'un contre l'autre (les grands traits brefs ne raillent pas la partition solo). L'orchestre ne souligne rien, si ce n'est que le violoncelle continue son chemin. Chaque ploum qui se met en travers semble marquer une marche supplémentaire comme les anniversaires sanctionnent une année écoulée. Le deuxième mouvement est celui d'une maturité non décrépie, seulement sereine, comme hors du temps. Comme si la musique avait été un projecteur, c'est à ce moment-là que je remarque en haut tout au fond de l'arrière-scène un vieux couple paisible, la tête rêveuse de la dame blanche sur la chemise blanche de l'homme, bien droit devant le mur blanc. La poursuite de mon imagination s'est immobilisée sur ce couple lumineux. Puis le troisième mouvement s'est enclenché et elle s'est éteinte. L'agitation de la vie a repris ses droits ; le soliste a replongé dans la foule de l'orchestre.

Shéhérazade, suite symphonique luxueuse comme un palais des mille et une nuits. Opulente mais pas langoureuse ; on se souvient soudain que c'est pour échapper à la mort que la fille du grand vizir raconte toutes ses histoires. Aurais-je lu le programme à l'entracte que j'aurais su qu'il était question de mer, de bateau, de fête et de naufrage mais comme je ne connais pas le prince Kalender ni l'histoire de Sindbad, je n'aurais pas été beaucoup plus avancée. Je me suis contentée à écouter le conte, cette voix qui vous tient éveillé la nuit par son ton de confidence, et m'en suis portée comme un charme, évidemment.

Avec Palpatine, as usual.