21 juillet 2013
Britten and Bostridge
Mille tonnerres d'Aix : des gouttes commencent à tomber si bien que l'on traverse la ville en vingt minutes, au pas de course. À l'entrée, Palpatine retrouve un mélomane habitué des salles parisiennes, qui a une place à revendre. J'appelle mon amie P. qui, ni une ni deux, enfourche son vélo à talons et nous rejoint. Quelques minutes plus tard, c'est le déluge : alors que l'on a chacun rejoint sa galerie respective, on annonce que le début du spectacle est décalé d'un quart d'heure pour laisser une chance aux spectateurs pris par l'orage d'arriver à l'heure – alors qu'on peut toujours courir à Paris en cas de grève des transports. Essayant de faire abstraction de ma voisine qui se ronge les ongles avec de petits bruits de succion, j'en profite pour admirer la salle, que j'aime décidément beaucoup : le bois, quasi orange, lui donne un aspect chaleureux ; les galeries de deux rangs seulement et le dénivelé des places d'orchestre assurent une visibilité très confortable ; et plus rare encore : la climatisation est gérée à la perfection, maintenant une température agréable sans que l'on sente le moindre souffle d'air froid. Une réussite tant sur le plan du confort que de l'esthétique, qui rappelle une conque de bateau – ce qui tombe très bien, entre les inondations annoncées et le titre des morceaux de Britten qui ouvrent le concert.
L'entrée du port de Marseille (histoire de rester dans la région des vacances) par Vernet
Les Quatre interludes marins, qui vont de la clarté de l' « Aube » à l'agitation de la « Tempête », en passant par un « Dimanche matin » et un « Clair de lune », ont la pureté d'une peinture classique mais sont animés d'une force romantique : une marine qui prend vie – et ce n'est pas un mince exploit, si vous voulez mon avis. Théophile Gauthier aurait pu en faire le sujet d'une de ses nouvelles fantastiques. Imaginez un peu : les nuages dérivent dans le ciel, immense, tandis que la lumière du matin grimpe peu à peu le long des édifices et des palais, qui s'éloignent jusqu'à perdre leur caractère monumental, jusqu'à ce que l'on soit sorti du port, pour se retrouver en haute mer, sans autre horizon vertical que le mât ; la navigation suit son cours, sa course, de jour, de nuit, au clair de lune, donc, avant de se faire happer par une splendide tempête où les cuivres mugissent, par-dessus l'écume des archets.
Ian Bostridge, par Simon Fowler
Après googlage, je découvre que mon futur époux a un petit air de Hugh Grant
- c'est-à-dire s'il était lord et ténor.
Si Ian Bostridge n'est pas venu chanter sous ma fenêtre la Sérénade pour ténor, cor et cordes, c'est parce qu'il savait que je serai en première galerie, laquelle ressemble beaucoup à un balcon. Paisiblement assise, je me suis laissée séduire par sa voix de parfait gentleman. Même le bassonniste, qui semble pourtant tout droit sorti d'Eton avec sa coupe et sa tenue impeccables, n'a pas l'air aussi british. L'élégance simple d'un costume qui tombe bien, sur une grande silhouette maigre ; la main posée sur les boutons de la veste lorsqu'il chante et croisée bien haut derrière le dos lorsqu'il sort de scène ; ce flegme britannique, presque colonial, qui transforme l'éructation attendue (le corps est courbé au-dessus du ventre, la tête dirigée vers le bas) en parole bien tournée ; la diction qui suggère l'érudition d'un homme de bibliothèque et surtout, surtout, cette voix... Qu'elle chante des poèmes de Blake, Keats ou d'un illustre anonyme, elle est diablement sexy – étonnament sexy lorsqu'on s'attend à une éructation du chanteur courbé au-dessus du ventre, la tête . Sur « Every nighte and alle » (de l'illustre anonyme, qui a eu la brillante idée d'en faire son refrain), je suis à deux doigts de demander mes sels. À l'entracte, j'informe Palpatine que je vais devoir le quitter, ayant un ténor à épouser. Comme lui-même doit demander la main de Julia Fischer (ou Hilary Hahn, vu que la première est très prise), il ne m'en a évidemment pas tenu rigueur.
Richter
Replacée à l'orchestre avec P. et Palpatine mais pas tout à fait remise, j'assiste à la Sinfonia da Requiem. Que dire : c'est beau ? La soirée a décidé d'être parfaite. Si la métaphore marine avait encore cours, je dirais que je suis comme un poisson dans l'eau. Enrobée de sonorités délicieuses, je déguste ce morceau de Britten avant de passer à la sixième symphonie de Chostakovitch – une symphonie-digestif, rien que ça. Le piccolo-papillon ne cesse de voler au-dessus du gouffre et de la mêlée, ouvrant des brèches de légèreté en pleine tension. J'entends les tableaux de Richter et Sabrina : l'insoutenable et la légèreté renvoyés dos à dos, l'un contre l'autre, les contraires s'adossant pour mieux contraster lorsque, soudain, la fine paroi qui les sépare est déchirée. Il n'y en a pas un qui est le mensonge de l'autre, comme pour le personnage de Kundera : ce sont deux mondes qui s'ignorent – jusqu'à ce que l'un fasse irruption dans l'autre. Pour passer de l'un à l'autre, sûrement, le chef est toujours sur le point de décoller. Pas de bénédiction ternaire avec sa baguette, Gianandrea Noseda bat la mesure comme un forcené (c'est un miracle s'il s'en est sorti sans tendinite au coude). Il compense à lui seul les mines impassibles du London Symphony Orchestra : l'énergie qu'il y met est telle qu'on croirait parfois sa direction chorégraphiée par un Robbins – mode rivalité de rue dans West Side Story. La pose finale par laquelle il s'arrache à la musique aurait mis d'accord les Jets et les Sharks. Non mais, qui c'est le chef, ici ?
20:30 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, concert, britten, chostakovitch, ian bostridge, aix
20 juillet 2013
Elektra
On aime tellement l'Orchestre de Paris qu'on le suit jusqu'à Aix – surtout lorsqu'il joue du Strauss et qu'une amie que je n'ai pas vue depuis plus d'un an propose de nous héberger. Les mélomanes ajouteront : et que c'est Esa-Pekka Salonen qui dirige. Mais je n'en suis pas là : après Salomé, Ariadne auf Naxos, Arabella et Capriccio, je poursuis ma découverte des opéras de Strauss avec toujours le même ébahissement quant à la richesse et la compréhension incroyablement subtile du livret – c'est-à-dire des ressorts de l'humain. Pas un instant on ne s'ennuie, alors même que, « comme dans d'autres opéras du xxe siècle, la dramaturgie d'Elektra est celle d'une attente. Ce qui rend cette attente fascinante, c'est l'habileté du compositeur à susciter une tension de plus en plus grande jusqu'au moment du paroxysme où toute la tension accumulée pourra se résoudre1 […]. »
Alors que Giraudoux, Anouilh et Sartre me trottent dans un coin de la tête, c'est encore d'autres aspects du mythe que découvrent Hofmannsthal et le compositeur. L'ambivalence d'une Antigone, entre courage et entêtement, prend dans la famille des Atrides un tour plus curieux, loin de la figure de l'adolescente rebelle. On quitte le terrain de la justice et de la loi pour celui de la folie et de la vengeance. Cette dernière devient chez Électre une obsession, au point de n'avoir plus pour fondement et but que sa réalisation. Il faut voir les yeux exorbités d'Evelyn Herlitzius, à la fois déterminée et hagarde. Il faut l'entendre se perdre, pendant bien trente secondes, sur la première syllabe de Vater, transformant l'évocation d'une adulte endeuillée en un appel d'enfant abandonné dans la nuit – bien loin de la reprise obstinée, quasi incantatoire, d'Agamemnon.
Orpheline alors que sa mère n'a pas été punie d'un crime qui l'a transformée en meurtrière, Électre sollicite le soutien de sa sœur. Chrysothémis, qui occupe face à sa sœur la même position qu'Ismène face à Antigone, est une force de vie : elle est une mère en puissance, elle veut avoir des enfants, elle veut s'éloigner de ce château où la haine d'Électre la retient prisonnière – plus encore que la crainte de Clytemnestre, qu'elle abandonnerait volontiers à ses remords. Ce n'est pas le cas d'Électre, qui ne vit que pour la mort (celle de son père comme celle de sa mère) : elle veut mettre fin aux rêves terrifiants de sa mère, mettre fin à ses rêves en mettant fin à ses jours, guérir sa mère en la tuant, la guérir de sa folie de meurtrière en tuant la meurtrière. Égisthe est annexe, pas même un rival ; il n'y a rien à récupérer chez lui, il n'est même pas un homme (une femme, veut l'insulter Électre), il ne pourrait pas être un père et transmettre quoi que ce soit, fusse le désir de vengeance.
Celle-ci rapproche la banalité de la folie, qui affleure dans les rêves de chacun et que l'acte de Clytemnestre a mis à vif. Électre a le vertige de cette béance, craignant et désirant tout à la fois s'y jeter ; c'est bien un rêve de vengeance2 qu'elle entretient et qui ne pourra être exécuté que par son frère. Étranger à la ville et à la fascination des songes, bientôt étranger à lui-même, Oreste est venu boucler la boucle ; il s'est fait une raison et s'apprête à tuer celle qui a assassiné par intérêt raisonné. L'annonce de sa mort est à la fois stratagème et prophétie : si Électre tarde à reconnaître son frère, c'est qu'il ne le sera bientôt plus, bien moins en tous cas que le meurtrier d'Égisthe et Clytemnestre. En accomplissant la vengeance, Oreste ne met pas fin à la folie, seulement au drame de sa sœur. Ne reste plus que la tragédie et l'impossibilité de s'en sortir alors qu'il faut continuer à vivre : Électre est contrainte d'avancer sur l'abime de la folie qui n'est pas, comme on le croyait, l'envers de la raison mais la perméabilité entre raison et déraison. Elle est contrainte d'avancer, en constant déséquilibre, contrainte de danser, de soulever un pied, de suspendre un genou pour enjamber un cadavre et puis l'autre, de danser, les bras balancier de chaque côté, de danser, exaltée, exténuée...
Evelyn Herlitzius est époustouflante. Sa puissance vocale est telle qu'on l'entend encore lorsqu'Électre est à terre ; du coup, son personnage semble prendre davantage de puissance à mesure qu'il chute – la grandeur tragique. Le reste de la distribution fonctionne bien, le décor est plutôt élégant, sobre dans son clair-obscur (plus obscur que clair), si bien que, même avec des costumes tristounets (le débardeur pourri en guise de hardes, bof), le spectacle ne peut que déclencher des salves d'applaudissements.
2 C'est le titre de l'article du Monde, dont je ne résiste pas à reprendre un extrait : « La soprano allemande Evelyn Herlitzius est d'une lumière et d'une grâce confondante. Cette bête fauve et rampante, raillée par les uns, crainte par les autres, qui ne se dresse plus que dans la douleur de l'imprécation, est dans une quête désespérée de l'autre. Luttes et enlacements procèdent de ce combat : qu'Électre embrasse les genoux de sa mère qu'elle veut pourtant détruire, qu'elle lutte avec sa sœur Chrysothémis pour la convaincre de tuer avec elle, ou qu'elle enlace amoureusement Oreste reconnu sous les traits du jeune étranger venu annoncer, par ruse, sa propre mort. »
00:26 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : opéra, musique, elektra, strauss, aix
18 juillet 2013
Le Grand Atelier de la sieste
Aix et Marseille se partagent un même thème et un même titre, L'Atelier du midi, pour deux expositions qui mériteraient d'être réunies : placer la billetterie à 800 mètres du musée en prévision d'une file d'attente inexistante et aligner les tarifs sur ceux du Grand Palais (soit 9 € pour les jeunes) est un chouilla prétentieux pour une moitié d'exposition. Même si des grands noms y figurent, à côté d'artistes secondaires – certains mineurs, d'autres réservant de belles surprises, plus intéressantes que moult toiles de Cézanne, avec lequel je n'accroche pas plus que cela.
Afficher deux noms connus comme bornes, entre lesquels on place ensuite tout ce que l'on veut : la technique marketing de la Pinacothèque est encore à l'heure du jour. À la mode également : la typographie déstructurée, déjà vue pour un festival de jazz - les coups de pinceaux prennent la place des sons étirés à l'ennui l'infini.
Des panneaux aux phrases alambiquées écrites blanc sur bleu, on retiendra en gros que la problématique retenue tourne autour de la ligne vs la couleur, donnant ainsi à Matisse le fin mot de l'histoire. Découper dans la couleur : la seule note de surprise pour moi, avec un tableau de Maillol et les toiles d'André Lhote, que je ne connaissais pas. Je commence à m'interroger. Peut-être a-t-on trop vu les impressionnistes pour pouvoir à nouveau les regarder. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les autres mouvements et les peintres secondaires attirent davantage l'oeil : ils introduisent un léger décalage, un pas de côté, un souffle d'air à distance de la montagne Sainte-Victoire et des oliviers figés dans la brume de chaleur. Pour le reste, on a si bien assimilé la manière de voir des impressionnistes que leurs tableaux virent au cliché : on s'attarde davantage devant la carte de la Provence dessinée à l'étage du musée, qui géolocalise les tableaux, que devant n'importe lequel d'entre eux. Le savon cher à Ponge ne décrasse plus l'oeil du visiteur, il est devenu une marque du folklore provençal. Tandis que La Vague de Maillol, elle...
Sur notre faim, nous faisons un tour dans les expositions permanentes : quelques Cézanne, encore ; un tableau du XVe siècle si vif qu'on le dirait surréaliste (des seins tout ronds, comme détachés du corps, d'albâtre) ; un jeune marquis en robe rose, le corset remplacé par une armure – car le rose, proche du rouge, était alors une couleur pour les vaillants ; un portrait étonnant d'une vieille femme, dont on ne sait pas qui y est peint, ni qui l'a peint, ni même à quelle école il appartient. Dans l'ensemble, on a l'impression d'un bric-à-brac qu'un conservateur a aussi vaillamment que vainement tenté de mettre en perspective.
À Marseille, le MuCEM donne la même impression : ce musée, très réussi d'un point de vue architectural, est malheureusement rempli de vide de ce qu'on a pu trouver à droite à gauche, qui pourrait servir de support aux scolaires pour les cours d'histoire sur la démocratie, les religions et les cultures autour de la Méditerranée. Les expositions temporaires ne semblent pas valoir mieux : Au bazar du genre, que Palpatine a parcourue et que, n'ayant pas le statut de chômeuse et pressentant l'arnaque, j'ai découverte à la librairie via le catalogue d'exposition, ne réussit guère à faire passer le bric-à-brac pour un concept muséologique.
Si l'on ajoute à cela que pas mal de tableaux du musée d'Aix provenaient des réserves du musée d'Orsay, on en arrive au constat qu'il reste encore pas mal d'efforts à faire pour que le Midi propose une offre muséale qui ne soit pas une démonstration de la culture locale à l'attention du Parisien en goguette (plus tolérant face au vide du musée parce qu'en vacances) – de fait, le Parisien est plus au courant que le Marseillais pour le MuCEM. Comme si Marseille ne pouvait voir que les rives de la Méditerranées et qu'on ne devait montrer des impressionnistes* que leur production sur la Provence lorsqu'on s'y trouve. Allez, on se réveille, l'heure de la sieste est passée.
* Ou plutôt, comme on me le faisait remarquer sur Twitter : impressionnistes, post-impressionnistes, fauves, cubistes... L'expo brassait les mouvements (pourvu qu'on reste dans le Midi) ; c'est moi qui fais une fixette sur les impressionnistes dont j'ai soudain fait une overdose.
17:32 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : exposition, peinture, impressionnistes, le grand atelier du midi
16 juillet 2013
Le Coq d'or
Je n'avais jamais entendu parler de Coq d'or qu'à propos du parfum de Guerlain, enflaconné dans une coque d'or Baccarat. La saison des ballets russes du théâtre des Champs-Élysées m'apprend qu'il s'agit aussi d'un opéra de Rimski-Korsakov, chorégraphié à l'origine par Michel Fokine (dont on a perdu toute trace). C'est même d'après la musique qu'a été baptisé le parfum, entre jeu de mot en or et effluves orientales. La liste des ingrédients est à peu près aussi bariolée que les décors de Nathalie Gontcharova, reconstitués. Je ne pensais pas qu'il y avait autant de couleurs qui puissent jurer entre elles.
Imaginez toutes les couleurs que vous pouvez et si cela forme un arc-en-ciel, démantelez-le. C'est bon ? Ajoutez tous les motifs volumineux que vous pouvez, des grosses fleurs aux rayures en zig-zag : vous obtenez un visuel assez fidèle du Coq d'or. C'est-à-dire sans les boutons-galet et les bonnets de Noël des choristes, ni les T-shirt à tête de chien de deux danseurs (je soupçonne un passage récent à l'exposition Keith Haring), ni le cheval en 2D. Placés à l'avant-scène, les chanteurs, qui ne dérogent pas à la règle du costume et de la robe de soirée, nœud papillon et rivières inclus, rendent encore plus kitsch le folklore des mégères et des barbons à barbe qui s'agitent derrière eux.
Coincée entre les décors à l'arrière-scène et les choristes de chaque côté, la troupe, manifestement professionnelle, donne pourtant l'impression de danser un gala de fin d'année, aménagé avec les moyens du bord pour faire cohabiter les élèves des cours de danse et de chant. Il faut voir la tête des choristes qui craignent d'être décapités à chaque fois que le coq d'or finit son manège de grands sauts jusqu'en coulisse. Surtout, il faut voir le coq d'or : son costume, déjà, casque à bec, académique noir et lurex, d'où partent deux ailes dorées ; son cri, aussi, à mi-chemin entre notre cocorico et le kirikiki découvert en République tchèque, soit kirikikicoco ; et le danseur, surtout, dont on se demande bien où ils ont pu le dénicher. Un mètre cinquante à tout casser et un ballon incroyable – qui nous ramène donc à la hauteur de saut du danseur moyen. Nouvel oiseau qui ne vole pas, le coq, bien plus que le cygne dont le port de tête garde une certaine noblesse, incarne toute la gloire dérisoire d'un désir d'élévation qui ne va jamais bien loin. Et de donner des coups de tête saccadés, auxquels ne manquent plus que les barbillons – et du second degré. Malheureusement, le second degré n'appartient pas à l'univers du conte où c'est très sérieusement qu'un magicien offre un coq d'or au tsar en l'échange d'un vœu non formulé (c'est dangereux, les chèques en blanc) et que ledit coq sonne l'alarme à chaque danger. Le conte est tellement sérieux que les guerres y font des morts (les deux fils du tsar) et tellement peu réaliste qu'une princesse surgit derechef pour faire passer le chagrin du tsar avec moult voiles mauves et rang de perles pour signaler sa sensualité (même la prof de danse qui avait les goûts les plus kitsch que j'ai jamais vues ne nous avait pas affublées de telles costumes).
En l'absence de surtitrage (les paroles sont-elles pires que ce que le livret laisse présager1 ?), une récitante nous raconte avant chaque acte l'histoire à venir, nous laissant trouver la morale – une habile manière de mettre l'inconsistance du conte à celui du spectateur qui n'aura pas su l'interpréter. Le magicien fait valoir son chèque en blanc pour réclamer la princesse, ce qui n'est évidemment pas au goût du tsar qui s'emporte et tue sans le vouloir son rival légitime, lequel est vengé par le coq d'or qui foudroie le tsar (parce que, voyez-vous, chaque apparition du coq est accompagnée d'un flash). Morale : on ne reprend pas sa parole ; la chance tourne ; il ne faut pas accepter de cadeau des inconnus. Mais surtout : il ne faut jamais sous-estimer le kitsch russe. Je ne m'étonne plus qu'il ait été développé jusqu'à occuper une place centrale dans l'œuvre de quelques auteurs d'Europe centrale, de tradition slave. Et je relativise : l'éléphant en carton et le tigre en peluche de la Bayadère, c'est peanuts. Totalement assimilé, le Noureev.
1 D'après Res Musica, c'est tout le contraire : « On peut cependant déplorer l’absence de sur-titrages, qui prive le public non russophone de la saveur et de la subtilité des vers de Pouchkine. En l’absence de traduction, l’intrigue perd toute portée satirique et se révèle uniquement divertissante. »
13:33 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, opéra, ballets russes, tce