02 avril 2012
Gathering at my apartment
Mardi, chou blanc. Vendredi, chou blanc. Samedi, enfin, c'est ravioli, j'obtiens in extremis un Pass. Grâce soit rendue à mon guichetier préféré, qui n'a pas trop encouragé les trois touristes en lice pour le plein tarif à espérer un troisième retour, et pendant qu'elles se concertaient pour savoir s'il fallait ou non se désolidariser, nous a lancé : "Les filles, c'est le moment de prier !" Exaucées, donc. Je sautille sur place, tandis que ma voisine de Pass ne se départit pas de sa beauté sereine.
Dances at a gathering, un morceau de poésie en apesanteur. D'humeur béate, j'en ai plus profité encore que lorsque je l'avais vu dansé par le New York City Ballet. Robbins a chorégraphié un paradoxe : des variations d'une rapidité incroyable qui virevoltent jusqu'à la plénitude et métamorphosent la vivacité en douceur.
Josua Hoffalt ouvre le bal, nouvelle étoile qu'on commence à distinguer dans le ciel ensoleillé de la pièce ; premiers éclats d'humour, élégamment émoussés. Le printemps arrive avec le sourire jonquille de Muriel Zusperreguy, accompagnée d'une jeune pousse, Pierre-Arthur Raveau. Petite feinte à gauche, je bourgeonne à droite... ce jeu a la fraîcheur d'une femme qui ne fait pas l'enfant. Et voilà le moment venu de voir la vie en Aurélie Dupont, cueillie par un Karl Paquette violettement sexy. Ah, ces sauts tranquilles... il danse grand, comme d'autres voient grand. Forcément, les équilibres de sa partenaire font merveille et renforcent encore cette impression d'apesanteur - tout comme les portés, peu ou prou renversants, poupe ou proue renversées. Là-dedans, Agnès Letestu intervient comme une grande herbe folle, la tête recourbée par le vent. Eve Grinsztajn, impeccable, implacable, serait une digitale. Un peu sévère, un peu austère, illuminée par ses cheveux rouges, je ne l'ai pas reconnue de suite, Garance. Encore un peu de bleu (Mélanie Hurel et Christophe Duquenne) et de brique (Alessio Carbone), et la garden party peut commencer, avec ses couples sans cesse recomposés. Final tranquille comme une sieste digestive : les bras de toutes les couleurs font éclore les couronnes et retomber cette valse de pétales éparpillés.
Appartement transforme la grande maison en une coloc' de Shadoks. Salle de bain, salon, cuisine... le tour de propriétaire nous montre que, chez Ek, toutes les pièces sont allumées. Vincent Chaillet, dans un costume pyjama à boutons-pustules, affalé sur un fauteuil en pilou pilou et éclaboussé de lumière cathodique, lorgne vers la télé d'une manière qui n'a rien à envier à La Linea ou aux triplettes de Belleville. Encore plus réjouissant que la toilette au bidet de Marie-Agnès Gillot, mais moins barré que le pas de deux enfumé plus qu'enflammé de Clairemarie Osta et Jérémie Bélingard, au terme duquel ce ne sont pas les carottes mais le bébé qui est cuit : manière radicale pour le couple d'accoucher de ses petites guerres intestines. J'ai ri, interloquée de retrouver une de ces petites horreures mitonnées par mon inconscient censuré (car, oui, j'ai déjà rêvé accoucher au-dessus de la porte ouverte d'un four, mais paradoxalement, c'était moins cauchermardesque qu'un autre rêve d'accouchement "normal" - d'où vous pouvez mesurer la force de mon désir de ne pas avoir d'enfant).
D'une pièce à l'autre, le couloir est toujours plein de gens gueulant. Tandis qu'Audric Bezard, en veste turquoise, pommettes effilées, cheveux décoiffés et mâchoire démantibulée par les cris, parle à mes hormones de balletomane primitive, Jérémie Bélingard a une version plus moyenâgeuse de l'homme des cavernes, avec son pantalon marron boudiné de rayures horizontales et des yeux exorbités. Excellent ! Le prince ne me fait ni chaud ni froid, mais le gueux bouffon me plaît infiniment plus. Au milieu de cette mauvaise troupe, meilleure qu'une bonne blague, il y a aussi Nicolas Leriche, toujours viril dans une côte de maille allégée jusqu'au tulle transparent et teinte en rose fuschia. Dans son duo avec Alice Renavand, l'émotion est à fleur d'humour. J'adore le moment où, recroquevillée sur le dos, elle le bloque avec ses pieds et où il lui débarbouille la figure à coup de caresses (cf. la dernière photo). Et celui où il vient nicher sa tête sous ses côtes (juste déposée, là où, dans Le Parc, Aurélie se laissait tomber contre Manuel comme un coup de bélier) et où, à peine touchée, le bonheur ruisselle comme un pommeau de douche sur sa tête renversée.
Appartement, c'est aussi la pièce après laquelle vous ne regarderez plus jamais votre aspirateur comme avant. Parce qu'on peut danser la gigue irlandaise avec un aspirateur-polochon. Et invectiver comme des harengères le groupe de rock en fond de scène parce qu'il déménage*. Définitivement à part.
* Au final, c'est Laure Muret qui part, avec quelques larmes et un énorme bouquet. Elle fait tellement jeunette que j'ai cru qu'il s'agissait de son anniversaire et non de son départ à la retraite.
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14 mars 2012
Des rayures et des étoiles
Bonne surprise de découvrir au dernier moment que j'avais bien une place pour la générale de La Bayadère (c'est la séance de travail qui était complète). Bonne surprise aussi de retrouver mon homonyme et le Petit rat, qui me met à jour niveau ragots. J'apprends donc en avance la nomination de Josua Hoffalt prévue pour le lendemain, et en retard qu'il est en couple avec Muriel Zusperreguy – ce qui a beaucoup chagriné Palpatine, mais je l'ai consolé en lui faisant valoir qu'avec un compagnon étoile, elle serait peut-être un peu plus distribuée. J'apprends également, mais de la feuille de programmation cette fois-ci, que Nikiya est dansée par Aurélie Dupont et Gamzatti par Dorothée Gilbert. La suite confirme la distribution de rêve : Emmanuel Thibault dans l'Idole dorée (il s'est réservé, donc je le suis aussi), Mathilde Froustey dans la variation à la cruche (un message de la direction ? Sérieusement, quand arrêtera-t-on de la cantonner à des rôles de chipie ?), et Héloïse Bourdon dans le troisième, entre autres.
Sans compter que La Bayadère est peut-être mon ballet classique préféré. J'y aime tout : la descente des ombres, les cambrés et le costume orange de Nikiya, bien sûr, mais aussi tout le kitsch, la peau peinte des esclaves qui dégueulasse la scène en moins de deux, le cliquetis des couteaux en plastique sauvagement brandis, les couleurs qui ne vont pas ensemble et qui ne jurent pas parce qu'on y a ajouté des tonnes de paillettes dorées, le tigre en peluche qui fait oui-oui de la tête tandis qu'on le trimballe les pieds liés à une broche, les perroquets qui ont le mal de mer attachés aux poignets du corps de ballet, l'énorme éléphant à roulettes chevauché par un Solor qui tente de rester majestueux, ou encore la tapisserie du décor enroulée autour des pendrillons comme chez un marchand de tapis. Une exception : la nouvelle tenue de l'idole dorée. Après Faust power-ranger et l'Amour de Psyché, l'opéra a trouvé une nouvelle façon d'écouler son stock de tissu doré. On dirait que l'idole est allée s'acheter un legging chez American Apparel, remarque le Petit rat.
Aurélie Dupont est fantastique, comme d'habitude. Il n'y a qu'elle pour danser avec le dos bloqué une variation qui repose sur des cambrés ; les bras achèvent le mouvement tout naturellement et font sentir la souffrance du personnage sans rien laisser soupçonner de la sienne. Il faudra attendre le troisième acte et la confirmation du Petit rat pour s'apercevoir qu'effectivement, les arabesques sont un peu plus basses que d'habitude, et le visage un peu plus fermé (agacement envers son partenaire fringant qui lâche l'affaire au milieu de son dernier manège ? Ou simple logique du rôle, une ombre n'étant pas franchement censée être rayonnante ?). Autre ombre au tableau : à côté de l'aisance de Charline Giezendanner, Héloïse Bourdon tendait à perdre de sa superbe face aux difficultés techniques dont elle se sortait pourtant bien. Je ne suis plus si certaine d'avoir envie d'aller me battre pour la voir en Nikiya ; à la réflexion, le rôle de Gamzatti, moins sensuel et plus hiératique, lui conviendrait sûrement mieux.
Il va en tous cas parfaitement à Dorothée Gilbert. La façon dont elle toise Nikiya et la tient à distance par la seule puissance de son torse bombé... Gamzatti est un rôle d'étoile, pas de sujet. Il faut l'assise que donne le statut pour tenir tête à l'étoile du ballet, pour que l'humilité de Nikiya soit perçue comme une feinte du personnage et non comme celle de la danseuse qui essaye de s'effacer derrière une partenaire qui n'a pas la carrure nécessaire pour l'éclipser. Et ce n'est pas affaire de taille, même si les Gamzatti sont souvent plus grandes que les Nikiya (pour faire face à Agnès Letestu, on était allé chercher Stéphanie Romberg...) : on ne demande pas à une étoile d'arrêter de briller... La piquante Dorothée Gilbert et la sensuelle Aurélie Dupont, voilà qui fait des étincelles. Égale puissance, égale légitimité, passion du pouvoir, passion d'un homme, l'affrontement est réel, on dirait qu'elles vont s'étriper. Le spectateur aussi se roulerait bien par terre de plaisir devant cette confrontation explosive. Là, on comprend parfaitement le poignard de Nikiya et la serpent vengeur de Gamzatti...
Et puis Josua Hoffalt augure bien. Avec sa grande silhouette longiligne, ses arabesques déliées comme celles d'un danseuse, ses attitudes renversées renversantes et la puissance de ses sauts précis, il a une belle gueule, certes, mais surtout, il a de la gueule. Laissons mijoter à feu doux.
Avec tout ça, je n'ai pas eu trop de mal à faire abstraction de la myriade d'obturateurs au parterre, dont j'ai d'abord pris le bruit pour celui d'une grande bâche qu'on froisserait en coulisses...
21:19 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : danse, ballet, bastille
26 février 2012
Le Projet Rodin, projection du désir
Maliphant et Melendili : tous ceux qu'il faut pour passer une bonne soirée. Le premier est un de mes chorégraphes favoris, la seconde une amie qui nous a trouvé des places au troisième rang. Plein centre, tant qu'à faire, pour s'en mettre plein les mirettes. J'ai tardé à faire cette chroniquette parce que je l'aurais voulue assez forte pour contrebalancer tous les avis négatifs ou mitigés que j'ai pu lire à propos de ce spectacle, dont je suis ressortie avec les lèvres un peu plus gercées que de coutume à force d'être restée à demi bouche-bée.
Le premier tableau s'ouvre par deux grands pans de tissu écartés par des danseuses-vestales. Tout est blanc, drapé : l'atelier d'un sculpteur endormi ou le monde antique qui y est remodelé. On y bouge à peine, à peine plus qu'une statue sous le regard du visiteur qui lui tourne autour. Des pas mais surtout des poses qui ne s'arrêtent jamais. On voudrait pouvoir saisir une attitude mais le mouvement est si fluide qu'il nous échappe. Comme la musique d'Alexander Zekke, aux mesures répétées mais jamais identiques. Juste après, voir juste avant... le désir grandit. Les danseuses glissent sur le grand terre-plein et en froissent le tissu de leurs jambes dénudées. Rondeur des genoux et de la naissance des fesses sur des corps frêles, elles se dérobent, à peine. On a envie de passer la main sur ces cuisses d'albâtre pour caresser le mouvement. De l'immobiliser tout en le sentant nous émouvoir. Regret de ce qui est, qui déjà n'est plus, qui déjà est autre – trop plein auquel la lenteur du geste ne nous a pas préparé, et que l'on ne peut retenir. On est submergé par le manque, manque du mouvement qui vient de se perdre dans ce corps en se transformant, en le transformant. Corps qui coule, cuisses, coudes, épaule, nuque et omoplates. On voudrait le tenir, le retenir. Le corps ou le mouvement, on ne sait plus. Pour la première fois, je comprends comment un homme peut désirer une femme.
C'est quelque chose d'extraordinaire, d'impossible, de ressentir cet inversement des perspectives. Les premières fois où j'ai lu des récits à la première personne dont le narrateur est masculin, j'ai eu toutes les peines du monde à me couler dans ce je, dont je ressortais au moindre accord genré, un peu comme une illusion d'optique résiste à être regardée sous deux angles à la fois : angle saillant ou enfoncé, veille sorcière ou jeune femme, homme ou femme, il y en a toujours un qui s'impose à l'exclusion de l'autre. Aujourd'hui encore, en l'absence de tout indice, je est féminin, car je remplis toujours le je de moi, et ce n'est qu'au fur et à mesure que j'ôte de ce bloc de marbre ce qui n'appartient qu'à moi. De tous petits coups de maillets, comme ceux qui dégagent le corps noir et musculeux de l'immobilité où le danseur l'avait tenu. Le recroquevillent pour lui donner naissance. Voilà les muscles apparents comme des poignées de glaise juste ajoutées sur Nijinski miniature.
Au dieu de la danse, on a dérobé le feu : il rougeoie à présent les profils des trois danseuses au sommet du terre-plein, leurs trois bustes éclairés en contre-plongée, et, oxymore du désir, transforme leurs bras tantôt si fluides en flammes. Des coulées de lave. Totalement hypnotisantes. J'aurais pu regarder cela jusqu'à la fin du spectacle. Sans me lasser. Lascif. Entracte incisif. Seul capable de nous déloger de ce sommet où le désir s'anéantit. La sidération doit prendre fin si nous voulons nous dé-sidérer et à nouveau désirer.
Forcément, après avoir été délogé de cette ataraxie chorégraphique, on ne peut être qu'insatisfait. Les vestales se sont rhabillées, les danseuses reviennent en survêtement. Plus de danseurs torse nu. Plus de drapé qui déshabille la scène, le terre-plein est désormais nu, on dirait un skatepark. On regrette ce qui a disparu mais on ne voudrait pas arrêter ce qui vient. C'est un peu comme une relation amoureuse qui évolue : ni mieux, ni pire – autre. Entamée mais pas dégradée. Le changement est indispensable pour que ressurgisse le désir – désir de mouvement, sans équivoque cette fois, mouvement au-delà du geste, car ce n'est plus le poli et la chair de la sculpture que l'on explore mais son armature. La danse puissante des hommes, qui ressemblait à une capoeira au sol dans la première partie, comme si les sauvages de La Bayadère s'étaient lancés dans un combat tourbillonnant, retrouve de la hauteur. La formation hip-hop des danseurs apparaît clairement ; ils s'en donnent à cœur joie dans des sauts et des roulés-boulés acrobatiques. La dimension athlétique n'enlève rien à l'artistique, comme ce moment où un danseur est suspendu à l'horizontale, les pieds contre le mur de la rampe, la tête au creux de l'épaule de son partenaire – apesanteur et gravité inversées. Et toujours, même dans les rotations les plus lentes, même lorsque, dans la première partie, l'une des danseuses déroule sa nudité comme un modèle qu'on ferait pivoter sur un plateau rond, ce mouvement tourbillonnant qui fait tourner le temps en spirale. Au final, cette seconde partie, pourtant plus longue, s'exécute plus vite que la première, laquelle, par la force esthétique de son tableau, reste dans les esprits, enrichie par ce qui l'a suivie et qui en constitue en réalité le fondement. Comme si nous avions effleuré la surface de la sculpture avant de sentir que c'est sa structure qui lui imprime son mouvement.
[Bâtons, armature, structure, sculpture]
[En mémoire, aussi, le sourire surpris et heureux, vraiment chaleureux, du danseur tout à gauche sur la photo de Fab'.]
10:16 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, chaillot, maliphant
22 février 2012
Danser sa vie ou viv(r)e la danse
Première fois que je mettais les pieds à Beaubourg (c'est le moment de vous indigner). Et dernière fois que j'irai en talons. Soucieuse d'éviter les pavés, hostiles, je me suis rabattue sur les dalles sans voir qu'il n'y avait pas de joints entre elles. Résultat : un talon enfoncé dans un intervalle, un bout de nubuck arraché. Sur des chaussures neuves, tout va bien. Je vous raconte ça pour vous faire partager mon désarroi, mais également pour ne pas oblitérer une circonstance de moindre bienvaillance envers Beaubourg et ses entrailles artistiques. Car, autant vous le dire tout de suite, l'exposition m'a intellectuellement intéressée, mais elle ne m'a pas donné cette sensation si particulière aux musées de liberté et de malléabilité de l'esprit, cette sensation de rafraîchissement qui fait tout l'intérêt du Savon de Ponge. Quel dommage que là où il est question de l'art du mouvement et des corps, le déclic propre à nous dérouiller soit absent et nous prive de cette sorte de délassement si agréable.
L'exposition manque clairement d'un fil conducteur, au-delà de la structuration temporelle et stylistique. Ni vision de la danse à travers les arts plastiques ni influence de celle-là sur ceux-ci ou de ceux-ci sur celle-là, Danser sa vie annonce une persepctive qui ne correspond en réalité qu'à la première partie, axée sur la danse comme expression de soi. Pour ce qui est de l'abstraction (2e partie) et de la performance (3e partie), il faudra m'expliquer. A moins de se vouloir la métaphore simpliste de la répétition mécanique du quotidien moderne, je vois mal à quelle vie pourrait bien faire référence la géométrie en carton-pâte du Bauhaus, et je doute que la danseuse de Fabre qui se roule dans l'huile, entièrement nue et les jambes si bien écartées que l'érotisme l'est aussi, ait quoi que ce soit à nous faire découvrir en dehors de son anatomie.
Je râle, je râle, mais j'y suis tout de même restée trois heures, à cette exposition. Ma déception vient peut-être de ce que j'ai découvert derrière les grands noms des débuts de la danse moderne/contemporaine. Les masques grimaçants de Marie Wigman, les rondes de Rudolf Laban, les sautillements d'Isadora Duncan dans la nature, rien de tout cela ne m'émeut. Je les vois comme des passages nécessaires pour ouvrir la voie à d'autres chorégraphes, des curiosités historiques plus qu'artistiques. En revanche, la danse de Loïe Fuller est hypnotisante. Enfin, les danses qu'elle a inspirées, puisqu'elle a refusé de se faire filmer -- ce qui n'est pas toujours une mauvaise chose, il suffit de voir Anna Pavlova et ses battements d'ailes affolés que ne renieraient pas les ballets de Trockadéro pour se convaincre que le talent de l'interprète peut être occulté par l'évolution technique de la discipline. Rien de tel pourtant dans le cas des danses fulleriennes ; même la colorisation du film sur pellicule n'ôte rien à la poésie du mouvement, au contraire. Je comprends mieux les exaltations de Mallarmé devant ces voiles plus fascinants que les flammes d'un feu de cheminée : tantôt fleur, la danseuse s'ouvre, tantôt la plante carnivore la dévore, la faisant brusquement disparaître -- métamorphose continuelle.
Photo chipée ici.
De la première partie de l'exposition également, des sculptures miniatures de Rodin. Son Nijinsky colle bien au Projet Rodin de Maliphant (chronique à venir), mais c'est une autre pièce, sans titre précis, qui m'a tapée dans l'oeil : avec le bras qui enserre le genou ramené vers soi et la tête inclinée sur l'épaule, cette statur donne davantage le sens du mouvement que bien des vidéos diffusées dans les salles. Amusant à ce propos, d'ailleurs, de noter que l'encastrement dans le mur des écrans donne à ces télévisions, et à ce qu'elles difusent, la légitimité d'une oeuvre picturale encadrée et accrochée.
Je passe vite sur le Sacre du printemps de Pina Bausch, dont la captation n'égalera jamais le spectacle (même la répétition) ainsi que sur L'Après-midi d'un faune, que j'ai eu l'occasion de voir à l'opéra, et m'arrête devant une chorégraphie d'Anna Teresa de Kersmaeker en pleine nature : proximité de l'étang ou parenté d'un mouvement sec du poignet avec les cygnes de M. Bourne, le canard s'impose en idée peu volatile (mais une danse des canards par Anna Teresa de Kersmaeker, quoi). On ne peut pas dire non plus que cela m'en bouche un coin coin.
Vient s'ajouter à mes enthousiasmes une peinture à moitié abstraite d'un bal dont je m'étais promis de retenir le nom et que j'ai évidemment oublié : les formes font émerger des couples qui se fondent dans le mouvement des couleurs. Allers et retours de la forme à l'informe, la danse est là.
La leçon de William Forsythe est un régal, qui explique, traits virtuels à l'appui, façon La Linea, comment se construit le mouvement à partir de lignes dessinées par ou dans le corps. Ligne de l'avant-bras, ligne établie dans l'espacement des deux coudes, ligne que l'on dessine en creux, en l'évitant tout en l'approchant au plus près (du limbo artistique, si vous voulez)... (dessins obligent ?) on voit parfaitement ce qu'il veut dire, et quand on le voit, on n'a aucune difficulté à le ressentir ; les lignes deviennent des ondes de choc. Voilà le genre de démonstration qu'il faudrait diffuser pour rendre la danse lisible et accessible par tous. Pas de discours métaphysique, c'est simple, efficace, on comprend le principe, on apprécie.
Un extrait de The show must go on de Jérôme Bel nous permet de retrouver Cédrix Andrieux (dans le coin, côté cour). Les danseurs immobiles en arc de cercle qui se mettent à gesticuler quand se fit entendre le refrain Let's dance !, je n'y peux rien, ça me fait marrer. Tout comme d'observer que, malgré la palette de mouvements dont est capable un danseur professionnel, lorsqu'ils se mettent à bouger comme en boîte de nuit, c'est toujours selon un petit nombre de mouvements définis, qui se combinent en séquences répétitives. Quelques mouvements trouvés par le corps selon ses facilités (petits sauts, flexions très ancrées dans le sol, déhanchés... il y a toujours une dominante) et adoptés selon les personnalités (plus ou moins timide, expansive, extravertie...). Très amusant.
A la fin de l'expo, crevés, Palpatine et moi nous sommes affalés à proximité d'un grand écran où était projeté une chorégraphie de Lucinda Childs sur un morceau de Philip Glass (Amoveeeeeeo), à peine audible, diffus dans la salle comme s'il venait d'un autre écran. Une danse aussi minimaliste que la musique, à base de pas chassés et de temps levés, épicée de temps en temps par un contretemps/changement de direction en quatrième avec des bras classiques. Cela pourrait être lassant mais c'est hypnotisant, et mieux : délassant. Cette danse vive qui tourbillone lentement dans l'espace m'évoque par son obstination les derviches tourneurs. Palpatine, lui, y retrouve les sautillements des disciples d'Isadora Duncan. Pas faux ; je me rends compte que, transposés de la nature à la scène, j'en goûte mieux l'art(ifice). Et que ce genre de parrallèle, précisément ce que l'on peut attendre d'une exposition, fait défaut à celle-ci. Que cela ne vous empêche pas d'y aller (et bien accompagné, pour le coup).
18:43 Publié dans Souris de médiathèque, Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : danse, exposition