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14 novembre 2013

Concours du corps de ballet de l'Opéra, acte I

Les places sont chères

Une fois n'est pas coutume, ce n'est pas au sens propre. Si les places sont chères, pour les spectateurs comme pour les danseurs, qui entrent en compétition alors que peu de postes sont à pourvoir, c'est qu'on n'y entre que sur invitation. La chasse à l'invitation se prépare bien en amont ou, comme cela a été mon cas, totalement à l'arrache : @corpsetgraphies m'a proposé sa place la veille au soir pour la journée des garçons. Pour celle des filles, cela s'est fait encore davantage à la dernière minute : le matin même, dans la ligne 14, j'ai griffonné cherche une place sur mon carnet, en épaississant les lettres pour qu'on ne puisse pas louper la supplique de la balletomane anonyme, et je l'ai brandi sur les marches du Palais Garnier (du côté ensoleillé, faut quand même pas déconner) jusqu'à ce qu'une dame se fasse Père Noël, en distribuant quatre ou cinq places d'un coup.


En prendre bonne note

- Tu ne crois pas que c'est une quadrille ? demandé-je en indiquant une fille du menton dans la loge d'à côté. Elle a une tête de danseuse... Réflexion idiote : 90 % de la salle fait de la danse (les 10 % restants étant les papas des danseurs). La seule manière de reconnaître une balletomane anonyme dans le lot, c'est de voir si elle annote son programme ou gribouille frénétiquement dans un petit carnet à chaque variation.

C'est très drôle de jouer au jury, ma fibre de correctrice jubile. Mais au bout de quelques temps, on commence à ne pas trouver ça très sympa de noter que untel ne tend pas ses pointes ou que tel autre a achoppé à la fin de sa variation, très bien dansée par ailleurs. Du coup, le petit carnet se trouve bientôt couvert d'annotations du genre « Oui mon général ! » (Germain Louvet), « Chemise flottante, du panache ! » (Hugo Marchand), « Roméo fatigue vite mais je veux bien faire Juliette » (Antonio Conforti), « Si la Linea était un beau gosse » (Grégory Dominiak) ou « Prestance et sexytude » (Axel Ibot). Cela dégénère avec une multitude de oui, avec capitales et/ou points d'exclamations : « OUI ! », « Oui ! Encore ! » ; et ça finit avec des petits cœurs partout.

Du coup, il y a quelques occasions qui peuvent vous empêcher de prendre des notes (outre le stylo bic qui n'a pas écrit pour une coryphée, ce dont je ne me suis pas aperçue dans le noir). Malgré une notation enthousiaste à base de ++, +++, Fabienne n'a pas eu le cœur de rouvrir son carnet alors que Letizia Galloni s'est installée dans la loge pour voir la suite du concours, toute triste d'avoir fini sa variation en coulisses. Et quand, à peine assise pour les sujets hommes, la femme magnifique qui s'avère être la maman d'Axel Ibot vous prend à partie devant son fils : « Elle était bien sa variation, hein ? », vous bredouillez un truc en pensant à ce que vous avez noté et décidez de faire travailler votre mémoire pour le reste de la journée. 

11 novembre 2013

In darkness, silence and frustrated elation

Darkness is hiding black horses, Saburo Teshigawara

On m'avait annoncé l'ennui. Je ne sais pas si c'est l'entreprise palpatinienne d'initiation à la culture nippone qui commence à faire effet ou le résultat de mon esprit de contradiction, mais le fait est : je ne me suis pas barbée. C'est pour moi une petite victoire personnelle que de ne plus associe la lenteur à l'ennui. Certes, le style du chorégraphe n'est pas très expansif et les costumes ressemblent à du Comme des garçons tailladé au canif (ou à des lambeaux de costumes d'Halloween, dans une vision plus anglo-saxonne). Il n'empêche, la scénographie cultive le mystère avec ses mini-geysers de fumée et le mouvement fascine par son déploiement continu : on suit du regard Aurélie Dupont qui lève la paume de la main comme si elle venait de la découvrir, Nicolas Leriche qui part en vrille au petit trot, et l'on s'en laisse distraire furtivement par Jérémie Bélingard qui passe plié en deux, en coup de vent, avant que le couple ne surgisse au sein du duo. Les trajectoires restent distinctes dans le trio : un passage quasi-robotique fait garder à chacun ses distances et, lorsque les danseurs sont ensuite aspirés par une même spirale, leurs gestes s'esquivent plus qu'ils ne s'embrassent.

 

Glacial Decoy, Trisha Brown

Toi qui connais Trisha Brown, tu as aimé celui-ci ? me demande-t-on à l'entracte. Toi qui connais : je connais si bien Trisha Brown que j'ai confondu Glacial Decoy avec Opal Loop/Cloud Installation #72503, également sans musique – je n'avais donc jamais vu cette pièce (et ne l'ai pas vue entièrement, grâce à l'architecture de Garnier). Tu as aimé ? Oui, les va-et-vient des coulisses à la scène me bercent. Au duo central de Sévérine Westermann et Caroline Bance (que j'aime décidément beaucoup) s'agrègent de temps à autres Christelle Granier, Claire Gandolfi et Gwenaëlle Vauthier. Leurs apparitions et disparitions rythment la pièce, qui ne le serait autrement que par le ronronnement du vidéoprojecteur et le bruit caractéristique du changement des diapositives. La respiration des danseuses et le souffle qui fait gonfler leurs robes transparentes et plissées font surgir de ce ressac régulier un mouvement curieusement libre et spontané, comme désintéressé. On peut selon son inclination dormir ou rêver, bercé, apaisé (ennuyé ?).

 

Doux mensonges, Jiří Kylián

Alors que les vidéos de ses chorégraphies me font rêver, j'ai peu vu de Kylián. Donner Doux mensonges à Garnier n'a pas franchement amélioré cet état de fait. Tout repose sur un jeu de trappes, qui tantôt propulsent sur scène tantôt avalent en sous-sol danseurs et chanteurs, une caméra étant censée suivre et retransmettre leurs évolutions sous la scène (voilà le dispositif narratif d'où le mensonge peut naître). Répartition des trappes oblige, les chanteurs se trouvent utiliser celle qui se trouve côté jardin, tandis que les danseurs empruntent celle qui se trouve côté cour – de notre côté, à Palpatine et moi, qui devons donc nous contenter d'apprécier à l'écran la beauté d'Ève Grinsztajn et le T-shirt noir délicieusement transparent d'Alessio Carbone. Ironie que de ne jamais mieux voir un danseur que lorsqu'il ne se trouve pas sur scène.

On rit carrément jaune lorsqu'on a un billet à 47 euros, certes payé moitié moins grâce à l'abonnement jeune Arop mais qui n'offre même pas un spectacle à la hauteur de cette moitié. Soyons cohérent : soit on programme des pièces qui n'utilisent le fond et les bords de la scène que de manière marginale de manière à offrir à la majorité de la salle un spectacle complet, soit on adapte la grille tarifaire ! Sur les trois pièces de la soirée, deux sont respectivement au tiers et à moitié visible par la moitié de la salle (un tiers de Glacial Decoy, que l'on reconstitue par défaut par symétrie asynchrone ; la moitié de Doux mensonge et en l'occurrence, pour le côté cour, la quasi-totalité de la danse). Dans ces conditions, ma place ne vaut guère plus de 10 euros. Heureusement que le choeur des Arts florissants était là pour apaiser les âmes : chants grégoriens et madrigaux a capella m'ont empêchée de savoir si les larmes naissantes étaient de frustration ou de joie.

Mit Palpatine.

Calamity Jones ou la vengeance violette

affiche-sherif-jackson avec le trio infernal

Shérif Jackson. Un personnage dans un trio. J'imagine qu'on a donné au film ce titre pour qu'on identifie immédiatement le genre qu'il parodie (et éluder la difficulté de traduction du titre original - Sweetwater). 


Autant le western m'ennuie profondément avec ses plans plus interminables que des spaghetti, autant c'est savoureux lorsque le crétinisme des personnages est remplacé par la folie sous toutes ses formes : fanatisme pour le prophète local, auquel on dit « Oui, prophète », même lorsqu'il reproche à ses hommes leurs élans libidineux juste après s'être tapé ses trois femmes d'affilée ; fantaisie pour le shérif, un original (I prefer unusual to queer – unusual) aux longs cheveux blancs toujours prêt à esquisser trois pas de danse grotesques pour mieux sauter sur l'importun du moment ou à donner un cours de géographie policière en dessinant au couteau sur la table ; folie vengeresse pour une splendide rousse1, ancienne prostituée devenue l'épouse d'un pauvre Espagnol, qui se fait offrir une non moins splendide robe violette par le marchand auquel elle a fourré son parapluie dans l'œil pour l'avoir reluquée dans la cabine d'essayage. Ce trio d'enfer a évidemment la gâchette facile, même si le shérif préfère y aller à coup de grands battements : le prophète prêche la mort sur le champ comme châtiment à toute offense divine et la miss rousse, qui donne quelques leçons à son mari, tire au pistolet comme personne. Alors quand les intrus tués par le prophète s'avèrent être au cœur de l'enquête du shérif, que la rousse connaît bien depuis qu'il a pendu son père et que le mari de celle-ci disparaît le lendemain d'une altercation avec le prophète, forcément ça ne peut pas bien finir, pour notre plus grand plaisir de spectateurs trimballés de cadavre en scène loufoque. 


1  J'ai mis un certain temps à retrouver la blonde sous la rousse mais cette manière de placer le regard et de pincer les lèvres en une moue boudeuse, ce ne pouvait être que la desperate housewife de Mad Men. Magnifique travail des maquilleurs pour donner à January Jones le teint adéquat et transformer la blonde Betty en rousse sulfureuse.

04 novembre 2013

Un château italien en Espagne : gâté, pourri

Une famille, dont les enfants sont depuis un certain temps déjà en âge d'en avoir, tourne autour de son château italien, coûteux en entretien, qui ressemble à un musée sans visiteur : faut-il l'ouvrir au public, curieux de visiter la propriété de feu le patron de la grosse usine du coin – le parc est propice aux pique-nique ? Faut-il vendre certaines de ses pièces aux enchères – mais pas le Brueghel, proteste le fils, qui ne le regarde pas ? Avachie sur un divan, Louise, la fille, glousse tandis que la mère essaye d'en sortir quelque chose. Le spectateur n'y parviendra pas plus : le film est à l'image de ce château, attirant sur le principe, vite décevant à la visite. Certes, il y a bien comme le Brueghel quelques pièces qui valent le coup d'œil (la relation ambiguë frère-sœur, les délires de la piété ritale, l'humour et la dignité du frère puis celle de sa veuve, qui survit comme elle peut au milieu de cette famille ni à fait ni à faire) mais l'impression qui domine est que l'on a jeté ça au public sans trop y réfléchir, en se disant que, curieux des gens riches et célèbres, il y trouverait bien quelque à se mettre sous la dent – et l'on s'étonne après qu'il l'ait dure.

Ce n'est pas le malheur des nantis qui agace (la réalisatrice a l'intelligence de ne pas l'utiliser comme excuse à sa situation sociale : c'est comme ça, la maladie et la solitude n'arrivent pas qu'aux pauvres) mais le gâchis total des talents, que l'on a essayé de concentrer dans la figure du vieil ami ingénieux devenu un emmerdeur alcoolique, mais qui rejaillit sur les autres, sans que l'on sache trop bien si c'est sur les acteurs ou les personnages qui sont de toutes manières acteurs (les joies de l'autofiction). Ah non, pardon, Louise a arrêté de tourner pour « laisser plus de place à la vie dans [sa] vie » (en italien dans le texte) et Nathan, son jeune amant (Louis Garrel) ne veut plus faire l'acteur, trop las pour aller jusqu'au bout d'un film ou d'une pièce – dans laquelle il joue un travesti parce que, vous comprenez, quand il joue une pièce, ce n'est pas lui, ce ne sont pas ses mots. En revanche, ses maux et sa mélancolie-marque-de-fabrique sont fidèles au rendez-vous, tandis que son babillage, habituellement délicieusement agaçant à force d'auto-dérision, est en berne1. Pas folichon, folichon.

D'une manière générale, les personnages sont incapables de prendre une décision quelle qu'est soit ni de s'y tenir. Tout le film est ainsi à l'image de la relation entre Louise et Nathan, qui n'arrêtent pas de chercher une occasion pour se séparer, pour de toutes façons finir par revenir ensemble – et Louis Garrel de revenir dans les films de Valeria Bruni Tedeschi même s'il n'est plus avec elle. Quelques moments pathétiques que l'on voudrait faire passer pour de la fantaisie viennent agiter ce bazar, pas assez loufoque pour être joyeux. On finit par se dire que personne, dans cette famille, ne sait vivre – comme si, en l'absence de contraintes extérieures, ils n'avaient pas pu se construire, seulement se répandre indifféremment en plaintes ou en joie. De même, Un château italien aurait pu être un bon film s'il n'avait été construit en Espagne, sur les fondations d'une intrigue imaginaires.

 

1 Une exception, lorsqu'il demande au frère ce qu'il a à l'œil  :
« – Le sida. 
– Ah. 
– Une maladie comme une autre. 
– J'ai aussi un truc à l'œil mais c'est un peu moins grave. » 
Le tout en peignoir rose.