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19 mai 2014

Dah dah sko dah dah didou

Prenez un souffle d'air, une petite bande de Japonais sous ecstasy, un prêtre-chat, des cravates cousues à même la chemise, des mains qui deviennent griffes avec la vitesse et la persistance rétinienne, de longs cheveux agités à 360°, une souris qui joue du cor, des frappes de claquettes quasi-militaires, secouez bien et vous obtenez... heu, un truc bien secoué. Made in Japan, by Saburo Teshigawara. Dah-dah-sko-dah-dah, titre onomatopéique censé rappelé le battement de tambours japonais traditionnels, hésite continuellement entre l'allure effrénée de la vie moderne (moderne comme une machine à laver en plein essorage) et la lenteur de la respiration (façon flux et reflux maritime et sanguin, à l'écoute du corps et de la nature) sans parvenir à trouver son rythme. Cela pourrait être beau, cela pourrait être époustouflant, mais c'est surtout what the fuck. Mais avec une souris. Et des poissons rouges en bocal qui, heureusement pour eux, oublient toutes les secondes qu'ils deviennent aveugles pour la beauté des feux de la rampe diffractés à travers l'eau des bocaux, sourds au prétexte que « tout son non travaillé peut être musique » et muets devant leur avenir proche de grillade. Poissons rouges super stars. Super endurants. Comme les danseurs. Et le public, il faut bien avouer. Depuis quand va-t-on voir des trucs WTF ? ai-je demandé à Palpatine. Celui-ci m'a obligeamment rappelé que j'étais à l'origine la sélection danse. Non mais depuis quand le théâtre de Chaillot fait du théâtre de la Ville ?

 

(Moralité : l'époque des réabonnements approchant, on va essayer d'y aller mollo sur les petites croix – sans pour autant en faire une sur les merveilleuses découvertes que l'on fait parfois.)

11 novembre 2013

In darkness, silence and frustrated elation

Darkness is hiding black horses, Saburo Teshigawara

On m'avait annoncé l'ennui. Je ne sais pas si c'est l'entreprise palpatinienne d'initiation à la culture nippone qui commence à faire effet ou le résultat de mon esprit de contradiction, mais le fait est : je ne me suis pas barbée. C'est pour moi une petite victoire personnelle que de ne plus associe la lenteur à l'ennui. Certes, le style du chorégraphe n'est pas très expansif et les costumes ressemblent à du Comme des garçons tailladé au canif (ou à des lambeaux de costumes d'Halloween, dans une vision plus anglo-saxonne). Il n'empêche, la scénographie cultive le mystère avec ses mini-geysers de fumée et le mouvement fascine par son déploiement continu : on suit du regard Aurélie Dupont qui lève la paume de la main comme si elle venait de la découvrir, Nicolas Leriche qui part en vrille au petit trot, et l'on s'en laisse distraire furtivement par Jérémie Bélingard qui passe plié en deux, en coup de vent, avant que le couple ne surgisse au sein du duo. Les trajectoires restent distinctes dans le trio : un passage quasi-robotique fait garder à chacun ses distances et, lorsque les danseurs sont ensuite aspirés par une même spirale, leurs gestes s'esquivent plus qu'ils ne s'embrassent.

 

Glacial Decoy, Trisha Brown

Toi qui connais Trisha Brown, tu as aimé celui-ci ? me demande-t-on à l'entracte. Toi qui connais : je connais si bien Trisha Brown que j'ai confondu Glacial Decoy avec Opal Loop/Cloud Installation #72503, également sans musique – je n'avais donc jamais vu cette pièce (et ne l'ai pas vue entièrement, grâce à l'architecture de Garnier). Tu as aimé ? Oui, les va-et-vient des coulisses à la scène me bercent. Au duo central de Sévérine Westermann et Caroline Bance (que j'aime décidément beaucoup) s'agrègent de temps à autres Christelle Granier, Claire Gandolfi et Gwenaëlle Vauthier. Leurs apparitions et disparitions rythment la pièce, qui ne le serait autrement que par le ronronnement du vidéoprojecteur et le bruit caractéristique du changement des diapositives. La respiration des danseuses et le souffle qui fait gonfler leurs robes transparentes et plissées font surgir de ce ressac régulier un mouvement curieusement libre et spontané, comme désintéressé. On peut selon son inclination dormir ou rêver, bercé, apaisé (ennuyé ?).

 

Doux mensonges, Jiří Kylián

Alors que les vidéos de ses chorégraphies me font rêver, j'ai peu vu de Kylián. Donner Doux mensonges à Garnier n'a pas franchement amélioré cet état de fait. Tout repose sur un jeu de trappes, qui tantôt propulsent sur scène tantôt avalent en sous-sol danseurs et chanteurs, une caméra étant censée suivre et retransmettre leurs évolutions sous la scène (voilà le dispositif narratif d'où le mensonge peut naître). Répartition des trappes oblige, les chanteurs se trouvent utiliser celle qui se trouve côté jardin, tandis que les danseurs empruntent celle qui se trouve côté cour – de notre côté, à Palpatine et moi, qui devons donc nous contenter d'apprécier à l'écran la beauté d'Ève Grinsztajn et le T-shirt noir délicieusement transparent d'Alessio Carbone. Ironie que de ne jamais mieux voir un danseur que lorsqu'il ne se trouve pas sur scène.

On rit carrément jaune lorsqu'on a un billet à 47 euros, certes payé moitié moins grâce à l'abonnement jeune Arop mais qui n'offre même pas un spectacle à la hauteur de cette moitié. Soyons cohérent : soit on programme des pièces qui n'utilisent le fond et les bords de la scène que de manière marginale de manière à offrir à la majorité de la salle un spectacle complet, soit on adapte la grille tarifaire ! Sur les trois pièces de la soirée, deux sont respectivement au tiers et à moitié visible par la moitié de la salle (un tiers de Glacial Decoy, que l'on reconstitue par défaut par symétrie asynchrone ; la moitié de Doux mensonge et en l'occurrence, pour le côté cour, la quasi-totalité de la danse). Dans ces conditions, ma place ne vaut guère plus de 10 euros. Heureusement que le choeur des Arts florissants était là pour apaiser les âmes : chants grégoriens et madrigaux a capella m'ont empêchée de savoir si les larmes naissantes étaient de frustration ou de joie.

Mit Palpatine.

17 octobre 2013

Nicolas et Teshigawara

Nicolas s'effaçant devant Teshigawara

 

Apprendre au dernier moment qu'il y a une séance de travail publique avec Nicolas Leriche et que Le Petit Rat a encore quelques places sous le coude, c'est se transformer en mini-tornade pour, en dix minutes chrono, être douchée, habillée, le sac prêt. Sur place, toutes les balletomanes anonymes sont là. Mais c'est encore sur scène que cela parle le plus : pendant une heure, Saburo Teshigawara explique sa philosophie du mouvement, en expliquant le processus de création, tandis que Nicolas Leriche met son corps en mouvement. Au début, c'est trois fois rien : un balancement des bras, des hanches, des chevilles – on dirait un rêveur au bord de la mer. Peu à peu, le mouvement prend de l'ampleur, non pas en termes d'amplitude (à aucun moment le jogging ne risque d'entraver le geste) mais d'espace et de temporalité : on ne sait bientôt plus où il commence et où il finit, quoiqu'il s'agisse de pas extrêmement simples en apparence, essentiellement des marches et des balancements, parfois relevés par un saut à fleur de sol, toujours entraînés dans un déséquilibre perpétuel.

Le flux de mouvement fait penser à une espèce de Trisha Brown minimaliste, qui s'origine dans le souffle et se développe à partir des suites possibles pour un geste donné. La recherche se veut « scientifique » : le mot est répété plusieurs fois mais je crois que, dans le travail de Teshigawara, il signifie plutôt anatomique. Le chorégraphe explore les possibles d'une articulation, en dehors de pas identifiés, et doit pour ce faire lutter contre la mémoire des danseurs, dont le corps a assimilé certaines combinaisons de pas ou de rythmes toujours prêtes à ressurgir. Cette mémoire du corps, indispensable pour apprendre des chorégraphies, devient un obstacle dans la recherche d'un mouvement fluide, « fresh », qui ne soit pas guidé par une écriture mais un souffle : on comprend alors que si Teshigawara ne cesse pratiquement de parler, ce n'est pas tant – pas seulement – dans un but didactique. C'est par la voix qu'il guide le danseur, comme un guide spirituel (ou un dresseur de chevaux sur le bord du manège), qu'il le déroute s'il revient dans le chemin tout tracé de pas identifiés et le pousse à explorer et jouer des possibles de son corps.

Difficile d'imaginer une chorégraphie à partir de là : un tel flux de mouvement, imprévisible et pourtant évident, ne peut pas être écrit sans perdre de sa spontanéité (la fameuse « fraîcheur » dont il est sans cesse question). Pourtant, Teshigawara se refuse à parler d'improvisation. Cela en dit long sur ce qui a cessé d'être une pratique pour devenir une technique, rodée par Merce Cunningham : l'inspiration (à la Isadora Duncan, par exemple) a laissé la place à une théorisation du hasard, l'improvisation devenant une suite de pas ou de phrases chorégraphiques bien définis combinés de manière aléatoire. On ne se laisse plus guider par le souffle, on le retient pour tenir des positions improbables (cf. Cédric Andrieux). La spontanéité n'a plus aucune part dans ce processus combinatoire : pas étonnant que Teshigawara se défende d'improviser. Mais laisser le mouvement naître et se développer selon les possibles entrevus et ressentis à ce moment-là, qu'est-ce sinon la définition même d'une improvisation véritable ? Aucune facilité là-dedans, cela suppose au contraire un travail préalable immense, une pratique quotidienne pour se déprendre des mécanismes attachés à la danse classique et s'interroger sur l'origine du mouvement de manière à ce qu'il paraisse jaillir naturellement ensuite, une fois sur scène.

Ce n'est plus Teshigawara mais Nicolas qui nous fait comprendre tout cela : quittant peu à peu le rôle de traducteur pour celui d'interprète, qui est le sien, il reprend les idées du chorégraphe et les explique à sa manière, partageant quelques anecdotes de ce qui l'a lui-même surpris et enthousiasmé. À chaque fois, il peine un peu plus à rendre le micro, le garde même pour danser. On dirait un enfant qui interrompt ses parents dans la lecture du manuel d'utilisation pour montrer à son ami comment ça marche : non mais regarde, c'est vraiment génial, tu n'avais jamais vu ça, hein, ça change vraiment la manière de ressentir et d'envisager la manière que l'on a de se mouvoir, hein, c'est géant, non ? — Ce sourire... à ses adieux, il ne faudra pas crier bravo mais merci.  
 

Saluts conjoints


Merci à @IkAubert pour les photos.
Et aussi: Amélie, le Petit Rat, Palpatine, @marianne_soph... rajoutez vos chroniquettes en commentaire !