29 octobre 2013
Mum au théâtre de la Ville
Le tout-Twitter ayant boudé ma place pour le premier programme de Trisha Brown, c'est Mum qui l'a récupérée. Le théâtre de la Ville, c'est un peu comme Leader Price : on y trouve le meilleur comme le pire. Je pensais sincèrement qu'on serait plus au niveau de la tarte aux poires que des saucisses en plastique mais Mum a eu le droit à the théâtre de la Ville full experience1. En lisant les réactions à chaud depuis Édimbourg, j'ai crains un instant de me faire déshériter mais c'était sans compter sur le second degré maternel, qui m'a bien fait rire à mon retour. Vous n'étiez malheureusement pas dans mon salon lorsque j'ai eu le droit à une démonstration des ellipses à petite foulée en marche arrière et de l'expression un brin constipée du mec qui fait tellement bien le piquet qu'il pourrait devenir garde de la reine d'Angleterre sans entraînement supplémentaire, aussi ai-je demandé à la principale intéressée (Mum, pas la reine d'Angleterre) de nous en faire un petit compte-rendu...
Théâtre de la Ville... Trisha Brown... Je ne connaissais ni l'un ni l'autre, alors pourquoi pas !!
Le théâtre est somme toute moche, style théâtre de banlieue, très peuple et au fur et à mesure qu'il se remplit très branchouille intello. Mais – et ça c'est chouette –, confortable : pour une fois, j' étais bien assise, la clim ne pas amenée à maudire la terre entière et la sono ne m'a pas détruit les oreilles que j'ai très fragiles (quoique ce qu'elle diffusait aurait pu mais on y reviendra !!).
Le rideau s'est levé sur la première séquence. Deux danseurs faisaient le planton de dos à droite de la scène. Ils sont restés comme cela tout le temps : ils devaient s'emmerder grave !! Une jeune femme un peu ronde s'est mise à courir à reculons en formant des ellipses parfaites avec par moments quelques petits pas accélérés... J'ai essayé de trouver un lien avec la musique (n'y avait-il pas par moments des bruits de train à vapeur ? Peut-être mimait-elle une envie de s'évader, freinée par je ne sais quelle angoisse ?). Enfin, quand je parle de musique c'était plutôt une espèce de bouillie mélangeant mélodies et bruits divers. Très joli.
J'ai donc cessé d'essayer de comprendre quoi que ce soit et ai regardé les corps que j'avais devant moi ou plutôt leurs académiques décolorés aux endroits où l'on transpire naturellement : le long de la colonne vertébrale, sous les seins, sous les bras... Bref, je me suis dit qu'au moins ils auraient pu investir dans des académiques décents d'autant que la couleur carotte-potiron trop cuite n'était pas spécialement seyante.
Quand la deuxième séquence a commencé, j'ai freiné derechef un fou rire, enviant presque les quelques personnes qui étaient parties à la fin de la première séquence après des applaudissements très mous. Une femme d'un certain âge, pour ne pas dire d'un âge certain, quoique très bien faite, se tenait seule au milieu de la scène, une caméra en guise de sac à dos, caméra qui diffusait le film de la même femme faisant à peu près les mêmes gestes. Je dis à peu près car il était de toute façon impossible de suivre correctement puisque la gente dame sautillait et se tortillait puis se retournait aveuglant sur le passage du faisceau les spectateurs qui avaient le malheur d'être dans son rayon (dont moi)...
Heureusement que j'ai entendu une ouvreuse dire que cela durait 6 minutes avant un entracte de 15 minutes sinon je crois que j'aurais abdiqué.
La dernière séquence m'a réconcilié avec la danse contemporaine, les académiques qui moulent l'intimité des danseurs et Trisha Brown : des enchaînements magnifiques, acrobatiques, un emmêlement des corps harmonieux et étonnant !! Seul bémol (c'est le cas de le dire) : pas de musique, juste une espèce de sirène qui se déclenchait par intermittence et qui faisait fortement apprécier le silence qui suivait même si avec ça, je me disais que les danseurs devaient passer leur temps à compter !! Enfin, dernière petite bizarrerie : faisait partie du ballet (où deux jeunes femmes magnifiques dépassaient d'une tête tous les danseurs) un danseur un peu décharné mais avec des grosses cuisses et un fessier trop musclé, un peu raide même si techniquement il n'y avait rien à dire, bref un type que j'aurais plus vu dans une brasserie avec un grand tablier que sur une scène... Au moins, pensais-je, chacun peut avoir sa chance avec Trisha !!
14:11 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, tdv, théâtre de la ville, trisha brown
20 octobre 2013
Initiation au Bunraku
Quand l'animation japonaise est une affaire de marionnettes
Un spectacle de marionnettes japonaises. J'ai coché la case du formulaire d'abonnement dans un moment d'égarement amoureux. Puis Philippe Noisette a prévenu sur Twitter que, passé le 10e rang, on ne voyait rien sans jumelles. Cela ne m'a pas franchement rassurée, même si j'ai ensuite découvert que Palpatine et moi avions fort heureusement hérité d'un rang C. Le rideau qui s'ouvre sur un musicien assis en tailleur sur un piédestal ne me dit rien qui vaille non plus : l'espèce de cithare dont il joue avec une spatule à raclette m'a toujours semblé dans les films un élément de folklore dont il ne fallait pas abuser. Quand je comprends que cela accompagnera toute la pièce, je me prends à regretter Mozart et les marionnettes de Salzbourg – ma seule autre expérience de marionnettes, je crois, en dehors des Guignol de mon enfance. Manipulées à vue par une armée de marionnettistes habillés de noir des pieds à la tête façon Ku Klux Klan ninja, les marionnettes japonaises n'exercent pas d'emblée la fascination de leurs consoeurs occidentales à fils. Il faut du temps pour oublier le trio qui s'active autour de chaque personnage – ainsi que le quatrième larron qui arrive à toute vitesse, courant accroupi, lorsqu'on doit retirer un chapeau (rangé dans sa petite pochette à chapeau).
Peu à peu, pourtant, ce que l'on n'arrivera certes pas à percevoir comme musique est néanmoins perçu comme ponctuation au récitatif et le regard se laisse happer par les petits visages aussi inexpressifs que lumineux, inclinés comme seuls les Asiatiques savent le faire1 (chez un Occidental, qui a une notion de l'humilité beaucoup plus limitée, ce serait pour bouder ou minauder) – et par les mains, plus finement articulées que le reste du corps, qui me rappellent l'opéra chinois vu en face, au Châtelet, par leur manière de désigner et de s'effacer devant le monde environnant. C'est donc la gestuelle qui me fait entrer dans ce curieux univers, bien plus que l'histoire, qui semble n'avoir été écrite que pour susciter les tremblements des marionnettes en pleurs, spasmes et soupirs. Peut-être est-ce aussi ce dont on se sont le plus proche lorsqu'en héritier du Cid et de Roméo et Juliette, on a du mal à concevoir l'amour comme ce qui donne la force de sauver son honneur par le suicide (lequel permet à l'amour véritable de se réaliser2) – et non pas comme ce qui est mis en balance avec l'honneur ou conduit à se suicider en son nom quand l'être aimé vient à disparaître. (En revanche, quel que soit le côté de la planète que l'on habite, on met toujours au théâtre beaucoup de temps à mourir.)
Au final, parmi quelques longueurs et beaucoup d'étrangetés, surgissent des moments d'intense poésie, comme lors de l'introduction, où l'héroïne vole au poing d'un marionnettiste au milieu de papillons – de papier, agités depuis les coulisses, et colorés, projetés sur l'écran juste derrière –, et de la conclusion, où les amoureux voient leur âme s'éloigner sous la forme de deux lucioles enflammées, avant de se tuer l'un l'autre devant un paysage hivernal d'arbres esseulés. J'aurais adoré un usage généralisé de la vidéo, moins traditionnelle mais plus poétique – à la manière, un peu d'un Akram Khan. J'espère que les connaisseurs ne s'étrangleront pas trop s'ils venaient à lire cela (une balletomane japonaise y assistait pour la cinquième fois !).
À lire, l'introduction de l'article de Wikipédia pour en savoir un peu plus sur la technique et l'organisation du bunraku, et surtout l'entretien avec Hiroshu Sugimoto, publié dans le programme et reproduit dans le dossier pédagogique du spectacle, pour approcher la philosophie de cet art.
1 Parlant de la musique, où l'on est « intentionnellement, dans une sorte d'imperfection », Hiroshu Sugimoto ajoute « qu'on évite, dans les arts visuels du Japon, tout effet de symétrie, toute définition d’un centre, d’un axe ordonnant par un milieu arithmétique ». L'inclinaison de la tête entrerait-t-elle dans cet esthétique de la dissymétrie ?
2 « […] dans le contexte chrétien, où le suicide est considéré comme une offense à Dieu – peut-être même l'offense suprême – une telle volonté de mourir, affirmée comme elle l'est ici, aurait sans doute été impensable. On ne peut y disposer à sa guise de la vie que Dieu vous a confiée. Alors qu'au Japon, détruire sa vie dans le but d'être accueilli par la divinité et d'entrer dans un état de Pureté est parfaitement concevable. » « La pièce est tendue vers un temps absent, celui d'après la mort, qu'elle donne à imaginer. Elle a convaincu la jeunesse de l'époque que ce temps était celui d'une expérience de la beauté qui ne pouvait avoir lieu dans le monde des vivants. » Cela entraîna la prolifération des suicides d'amour, contre lesquels les autorités durent prendre des mesures !
12:35 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tdv, marionnettes, culture japonaise, bunraku
01 juin 2013
Living drums
Photo d'Herman Sorgeloos
Anna Teresa de Keermaeker, deuxième round. Une fois installée, j'ai à peine le temps de remarquer que le tapis de sol est orange, à l'exception d'un lai noir, traversé par les branches d'une étoile elle aussi orange, et de déglutir ma dernière bouchée de sandwich au poulet qu'un coup de percussion déclenche lumière et mouvement. Le coup d'envoi est donné : la force d'inertie jouera cette fois-ci en notre faveur, perpétuant, ô joie céleste, le mouvement en continu.
Les percussions jouées en live au fond de la scène, qui tantôt martèlent, tantôt tintinnabulent, ainsi que les trajectoires nébuleuses mais néanmoins décidées des danseurs me font penser à Alban Richard – à moins que ce ne soit l'étoile au sol, comme tombée de sa Pléiade. Heureusement, la chorégraphie est mâtinée de Trisha Brown : sans atteindre cette qualité de rebond qui donne l'impression que la pièce est d'un seul tenant, parcourue d'un seul et même mouvement, la danse d'Anna Teresa de Keersmaeker est animée d'une semblable énergie. On y court, on y saute, comme pris du besoin impérieux de courir, de sauter, et on court et on saute, inépuisable, car la joie qui en naît fait encore courir, fait encore sauter.
Les corps ne se touchent pas tout de suite mais ils cherchent et soutiennent le regard avant de s'emboîter le pas – le regard décidé d'une gymnaste sur le point de s'élancer dans une diagonale, la connivence en plus. On attendrait des collisions et l'on est surpris ça et là par une rencontre : un danseur qui en déplace un autre d'un bond, tous deux avec leur force d'homme, ou une petite robe argentée, soulevée jusqu'à la naissance des cuisses, soulevée jusqu'à faire voltiger les longs cheveux noirs...
Drumming live n'est pas une révélation mais c'est une bonne soirée, sous le signe du soulagement : lorsque le lai étoilé, lancé par un danseur, se retrouve subitement en rouleau sous le pied d'un autre et que les lumières ont été éteintes d'un coup de percussion, je n'ai pas eu le temps de m'ennuyer. Collants, T-shirt et sac orange, j'étais en phase, sûrement.
Mit Palpatine
09:50 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, tdv, anna teresa de keermaeker
27 mai 2013
Une saison au théâtre de la Ville ?
Le public du théâtre de la Ville n'a pas grand-chose à voir avec celui des autres théâtres et on y croise bien peu de balletomanes quand le tiers de la programmation est étiqueté danse. C'est que ce théâtre est à la culture ce que Leader price est à l'alimentation : on y trouve le meilleur comme le pire, à des prix raisonnables. La tradition veut que l'on goûte avant de dire que l'on n'aime pas. Cependant, si vous voulez éviter de faire grincer votre siège en partant au milieu de la représentation (également une tradition du théâtre de la Ville), voilà quelques conseils profilés. Attention, le premier qui me parle du public au pluriel verra son adresse IP bannie de ce blog.
Pina Bausch :
♣ c'est un film en 3D.
♥ c'est Le Sacre du printemps.
♦ c'est 1980.
Jérôme Bel :
♦ vous avez particulièrement aimé Cédric Andrieux.
♣ ce nom vous dit quelque chose, ou peut-être pas.
♥ ce n'était pas le chorégraphe de Véronique Doisneau ?
Vous avez :
♣ une bonne vue, fût-elle corrigée.
♦ des lunettes.
♥ des jumelles.
La dernière pièce de théâtre que vous avez vue était :
♥ probablement un Molière ou un Racine.
♣ d'un auteur russe.
♦ politisée ou transdisciplinaire.
Le cirque :
♦ pourquoi pas au théâtre ?
♣ celui du Soleil a été une belle découverte.
♥ vous vous souvenez des contorsionnistes et des chevaux.
Millepied est :
♥ le futur directeur de l'Opéra de Paris.
♣le mari de Natalie Portman.
♦ le cadet de vos soucis.
Votre journal favori :
♦ est La Terrasse ou Télérama.
♣ est Slate.fr ou Rue 89.
♥ vient de disparaître.
Le Lac des cygnes est :
♣ de Tchaïkovsky.
♦ sujet à être revisité.
♥ inratable.
La bayadère est :
♣ un motif récurrent des magazines de déco.
♦ une figure indienne.
♥ un peu kitsch mais la descente des ombres, quoi.
Vous aimez dîner :
♦ avant le spectacle.
♣ à l'entracte.
♥ après le spectacle.
Votre brunch, vous l'aimez :
♥ organisé via doodle d'après une mailing list balletomaniaque.
♣ différent d'une fois sur l'autre.
♦ bio.
Vous repérez le côté cour et le côté jardin selon :
♦ les indications places paires et impaires dans le théâtre.
♥ le côté où commencent les diagonales et celui où elle finissent.
♣ que vous voyez ou non les mains du pianiste.
Un gala :
♣ est une occasion de découvrir des artistes qu'on n'a pas l'habitude de voir.
♦ ce n'est pas trop votre truc.
♥ vous mangerez des pâtes pendant tout le restant du mois s'il le faut mais vous y serez !
Vous avez un maximum de ♥ : cher balletomaniaque, je ne saurai que trop vous encourager à tenter la grande aventure du théâtre de la Ville mais, à vous plus qu'à d'autres encore, je me dois de recommander la plus grande prudence. Aussi rassurant soit-il, un nom connu n'est pas une garantie. Le Preljocaj du Funambule n'est pas celui du Parc, l'Anna Teresa de Keersmaecker de Garnier n'est pas forcément celle du théâtre de la Ville, pas plus qu'In the middle somewhat elevated ne vous garantie du WTF le plus total. L'Opéra agit comme un filtre : l'ôter peut être libératoire tout comme cela peut ruiner la poésie de la chose – le paysage médiocre sans filtre Instagram.
Le conseil de la souris : YouTube est votre meilleur ami. Mettez à profit les capacités acquises au cours des heures passées à dénicher des vidéos russes plus improbables les unes que les autres pour trouver des extraits des programmes proposés. En général, on se fait rapidement une idée. Trop lent, trop bavard, trop contemporain... vous finirez bien par trouver quelque chose qui soit assez étonnant pour retenir votre attention et pas trop bizarre au point de vous faire fuir. Bon courage et toutes mes condoléances pour la disparition de Danser.
Vous avez un maximum de ♦ : cher cultureux/théâtreux, vous êtes un lecteur assidu ou vous aimez les tests, parce que vous avez continué alors que vous êtes de toute évidence déjà abonné au théâtre de la Ville.
Le conseil de la souris, tout de même, pour que vous ne repartiez pas bredouille : méfiez-vous des « création de 2012 ». Probablement contaminé par la nouveauté publicitaire qui ne compte pas les mois passés en rayon, le théâtre de la Ville a conservé dans le programme 2013-2014 des créations de la saison en cours. Je vous épargne des rediffusions, ne me remerciez pas, profitez-en plutôt pour faire un tour dans un théâtre à l'italienne. Ou tester le resto à côté du Châtelet : la salade chèvre-miel-bacon et raisin vaut le détour et les desserts peuvent être surprenants (avouez que cela fait rêver, un douillet de meringue aux figues). Evitez cependant la mousse au chocolat si vous devez courrir à votre place juste après.
Vous avez autant de ♥ que de ♦ et aucun ♣ : vous avez un problème avec les maths mais allez quand même faire un tour du côté du Petit Rat, elle a un profil similaire au vôtre.
Vous avez un maximum de ♣ : vous êtes anormalement sain pour traîner sur ce blog sans appartenir à l'une des deux catégories précédentes. Je vous soupçonne donc d'être un mélomane s'étant abrité derrière les questions orientées danse pour ne pas révéler sa nature de mélomaniaque. Aussi discret que vous, l'abonnement spécial musique du théâtre de la Ville vous plaira peut-être. Avec de la musique indienne pour toi, Joël.
Vous n'êtes pas un mélomaniaque ? Vous n'êtes pas Aymeric non plus ? Vous n'êtes ni un spam, ni un provincial, ni un membre de ma famille ? Laissez-moi un commentaire, il faut qu'on aille se faire un ciné.
Le conseil de la souris : insaisissable et curieux comme vous semblez être, je ne vois pas trop ce que je pourrais faire pour vous niveau programmation. En revanche, je vous recommande de faire un tour à l'angle du Sarah Bernhardt : à partir de 20h, il n'est pas rare que les sandwiches soient soldés et, si tel n'est pas le cas, il y a toujours la crêpe à la crème de marron ou au Nutella.
21:18 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : tdv, danse