Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23 juin 2013

Julia, Chosta et autres ah !

Séance de dédicace à l'issue du concert. Dès qu'il l'apprend, Palpatine se rend au stand du disquaire pour trouver support à dédicace et se rend compte qu'il y a plein d'enregistrements qui lui manquent. Je suggère un coffret d'anniversaire : « - Avec Julia dedans ? Elle est petite, elle rentrera. » Je me souvenais pourtant d'une longue silhouette depuis le second balcon, rythmée par le balancement d'une queue de cheval. Assise au parterre, force est de constater que la violoniste n'est pas bien grande. Difficile pour autant d'acquiescer au « modèle de poche » : pieds en quatrième, colonne érigée quand elle ne part pas en cambré, Julia Fischer a la présence scénique d'une danseuse et occupe les deux mètres carrés dévolus aux solistes avec une puissance qui lui fait paraître dévorer l'espace – le voilà, le souvenir de grandeur. Le Concerto pour violon de Tchaïkovski renforce encore cette impression : la partition semble écrite pour parcourir des espaces infinis, embrasser les paysages passés et futurs dans le même instant, dans une même dynamique, anticipant les regrets à venir et triomphant de la nostalgie.

Plus encore que le chignon banane tiré à l'extrême, les coups d'archer font savoir que ce n'est pas un bout de femme à se laisser marcher sur les pieds : les lèvres esquissent parfois un sourire, soulignant le regard fier, et le pas, toujours conquérant, tend le tissu de la longue robe bleu nuit à chaque mouvement. À chaque avancée, le chef s'efface puis Julia part en cambré lorsqu'il reprend sa place : c'est une succession d'attaques et d'esquives – un concerto de cape et d'épée à la baguette et l'archer. À même pas quarante ans (un chef jeune !), Vasily Petrenko a déjà fait ses armes et n'a besoin pour diriger que de ses épaules et ses sourcils. Roulements et haussements, c'est fort amusant.

En bis, un morceau totalement injouable d'Hindemith, maté comme un tigre par une dompteuse. Palpatine grimpe aux rideaux, nous grimpons au second balcon. Chostakovitch s'apprécie mieux de haut : comme sur une carte, on voit les vents et les cuivres, relief de la quatrième symphonie, et les bataillons qui avancent sans s'arrêter, même lorsqu'un instrument trébuche, dérobant quelques mesures de solo esseulé avant de se faire piétiner. Vagues sonores, vagues d'applaudissements.

Ouvrez grand vos oreilles.

14 juin 2013

Bouclé et sautillant

Dernier rang du dernier balcon. Pour un peu, je me jetterais dans le vide tellement j'ai l'impression qu'on doit voler en se lançant de cet endroit déjà suspendu dans les airs. Pleyel est plein à craquer : l'âge du chef et/ou du soliste accroît la précipitation mélomaniaque. Il faut vite réserver, de crainte que le chef et/ou le soliste meure avant que l'on ait assisté à l'un de ses concerts. Sans attentes, j'ai parfois du mal à partager l'enthousiasme ambiant, véritable prophétie auto-réalisatrice, qui s'accomplit parce qu'elle a été annoncée, quel que soit le déroulement de la soirée. Mais parfois, aussi, il suffit de cette seule soirée pour comprendre l'origine de la prophétie et se mettre soi-même à y croire. Autant je n'ai toujours pas d'opinion sur Claudio Abbado, star number one du concert, autant j'envisage très bien à l'avenir de me battre pour entendre à nouveau la star number two, Radu Lupu, que j'aurais volontiers débarrassé de l'orchestre dans le Concerto pour piano n° 27 de Mozart. Le piano, qui paraît parfois un peu incongru en concerto, au milieu de toutes ces cordes, redevient le roi des animaux, se substituant à lui seul à toute la jungle des instruments – sans rugir, paisiblement, ses grosses pattes majestueuses paisiblement croisées devant lui, ronronnant le couvercle à l'air.

Ne vous méprenez pas, je n'ai rien à reprocher à l'orchestre, surtout pas aux cordes, surtout pas aux violoncellistes, surtout pas à... passe-moi tes jumelles que je mate ces boucle folles. Juste à côté de la violoncelliste qui fait saliver Palpatine, se trouve le violoncelliste qui, avec un de ses collègues de pupitre, un peu plus loin, me fait découvrir la loi de la bouclette : un musicien aux cheveux bouclés est inversement proportionnellement attirant à un danseur frisé. Et plus précisément : un violoncelliste aux cheveux bouclés de l'Orchestra Mozart est inversement proportionnellement attirant à une étoile frisée de l'Opéra.

C'est le rôle des ouvertures de concert, en plus d'offrir un sas entre le bruit de la ville et le silence musical, que de laisser au spectateur le temps de prendre ses repères – le repérage incluant aussi bien la disposition des pupitres que la localisation de la climatisation (juste au-dessus de ma tête, en l'occurrence – un truc à vous donner envie de prendre le voile) ainsi que des créatures de Prométhée des musiciens les plus canons, expressifs ou engagés. Et il y a fort à faire avec l'Orchestra Mozart : je ne sais plus où donner des yeux entre les flûtistes plus synchro que pour un pas de deux, le percussionniste couché sur ses tambours comme un Sioux sur le sol, à l'affût du moindre tremblement, et la rangée des contrebassistes, dont les crânes diversement dégarnis me rappellent les catégories fantaisistes des Chroniques de l'Oiseau à ressort, et l'engagement, celui du poète de Spitzweg ; vu d'en haut, leurs archets horizontaux ressemblent à un fil à froncer passé d'instrument en instrument, reliant des vaguelettes de bois précieux tandis que l'on tire dessus.

Reinhold Friedrich assure la suite du spectacle avec sa trompette qui fait des siennes : arrêt total et inopiné de l'orchestre, conciliabule avec le chef d'orchestre, solidarité de pupitre avec délégation d'un trompettiste, disparition en coulisses... Après un rire bonhomme, la salle retient son souffle : reviendra-t-il avec un autre instrument ? Va-t-il réussir à réparer le sien ? Peut-il y avoir un changement de programme de dernière seconde ? Mais voilà que le trompettiste de l'orchestre reprend sa place. Quelques secondes plus tard, une gamme descendante de clown marri précède l'entrée dans l'arène du soliste, les bras en l'air, trompette au poing, salué comme il se doit par des rires et des applaudissements. Des mimiques je-n'en-puis-mais viennent ponctuer les passages du soliste, qui souffle alors non plus dans l'embouchure mais dans le pavillon de son instrument. Un Concerto pour trompette de Haydn décidément réjouissant.

Plus réjouissant encore, la première symphonie de Prokofiev. Qui aurait cru qu'un ensemble nommé Orchestra Mozart serait encore meilleur en jouant de la musique russe ? Cela sautille de bout en bout, d'une fesse à l'autre, que dis-je ? d'une note à l'autre, d'une bouclette à l'autre ! À la fin du morceau, la tête débarrassée du manteau qui, selon Palpatine, me fait ressembler à un Sith, je lui demande si on ne pourrait pas ravoir toute la symphonie comme bis. Ou, à défaut, s'il ne m'aiderait pas à kidnapper les violoncellistes. (On a été raisonnables, on a laissé passer les cars et notre chance.)

 

Seuls bémols hors partition : le discours moralisateur d'ouverture, consacré au travail des enfants, la climatisation polaire et le sifflement des enceintes, franchement désagréable pour les oreilles...  

09 juin 2013

Rhapsodie sur un thème enjoué, pour Berezovsky, chœur verdien et orchestre forain

Après une journée de révisions, j'ai envie de sortir et de sauter partout. Une véritable souris en cage, diagnostique Palpatine, à qui je fais remarquer qu'il n'y a aucune roue dans son appartement. Le Divertissement pour orchestre de chambre de Jacques Ibert (que je découvrais) est tombé à pic pour suppléer ce manque. Le divertissement l'emporte largement sur l'orchestre de chambre et la musique très policée, jouée entre gens de bonne compagnie, que m'évoque sa mention.

Les décors se succèdent avec la rapidité d'un manège qui fait apparaître un nouvel univers à chaque demi-tour. Nous sommes de toute évidence dans une de ces vieilles fêtes foraines plus ou moins abandonnées, qui n'existent que dans l'imaginaire des films et des cartes postales jaunies, installées dans de petites baraques le long d'une jetée. La queue de cheval de la bassonniste se balance à la place des chevaux de bois tandis que le pianiste, éloigné du petit cercle du musicien par son comptoir à queue, attend qu'on vienne lui commander à boire. Le souvenir d'une fanfare passe, une marionnette surgit d'une des baraques, puis une bourrasque balaye le jour et la jetée. De nuit, soudain, on contemple la nappe noire. Aussitôt d'étranges lumières colorées rebondissent sur les docks ; le calme tombe à l'eau, on revient au jour. Un bal a déjà commencé sur la jetée, surpeuplée. Au moment où l'on se rend compte de l'incongruité de cette valse, une nouvelle danse la traverse, comme un couple qui fendrait la foule, bras en avant. Le chef d'orchestre, Yutaka Sado, n'est pas en reste, qui saute haut et fort, ne laissant aucun doute sur l'origine de sa maigre silhouette. On le croirait en train de s'entraîner pour le Boléro de Béjart lorsqu'il s'accroupit, une jambe derrière lui, les deux bras tendus de chaque côté, pour donner le départ des cordes. Et lorsqu'un sifflet retentit, c'est lui qui fait la circulation, sautillant au passage clouté de chaque mesure. Moulinets d'avant-bras alternent avec allers-retours de droite à gauche et de gauche à droite : ce n'est pas tous les jours qu'un chef d'orchestre se trouve au carrefour du gendarme et de la danseuse de french cancan agitant sa jupe à froufrous.

 

Rhapsodie sur un thème de Paganini, de Rachmaninov, c'est un peu le plaisir du bis prolongé dans tout une pièce : l'émotion s'installe, sans nous priver du frisson de la virtuosité paganinienne. Le lyrisme à la vodka de Boris Berezovsky est parfait, qui rend la légèreté des passages poétiques par une frappe étonnamment claire et le mordant des morceaux de bravoure par un toucher rebondissant, faisant jaillir main et bras bien haut, au-dessus du piano. Suit un fabuleux bis – ter, en fait, après la reprise du mouvement lent – mais le pianiste russe ne s'attarde pas, même pour être applaudi.

 

Je ne suis encore jamais allée écouter les Italiens à l'Opéra, craignant des livrets longuets purs prétextes à arias. Les airs que je connais, c'est par le biais des films et de la publicité – le CD La pub se la joue classique, que Mum me faisait écouter petite sous forme de quizz, a opéré la transition d'Aoste à Rigoletto. Je n'ai donc pas été dépaysée par la formule de best-of Verdi proposée en seconde partie de concert. Des extraits de Luisa Miller, Macbeth, Ernani, Il Trovatore et Nabucco, j'ai eu particulièrement aimé retrouver les voix graves du chœur des gitans et découvrir le prélude de Macbeth. D'après Palpatine, cet opéra est un peu plus consistant que les autres (Shakespeare oblige) : est-il mélomanement correct d'attendre une pièce anglaise pour un premier opéra italien ?

16 février 2013

La Damnation de Faust

La mise en scène kitsch de l'opéra de Gounod à Bastille et le Faust non moins kitsch d'Alagna m'avaient donné du personnage éponyme une idée un brin réductrice : un savant qui relève la tête de ses bouquins et se fait avoir comme un bleu par les plaisantes distractions de Méphistophélès.

Chez Berlioz, on perçoit l'errance intérieure d'un homme qui n'a pas de prise sur le monde. Il a bien essayé de le comprendre par l'étude mais n'embrasse toujours que du vide. Les abstractions du savoir ne l'ont pas sauvé de l'ennui : tout se passe comme si ce désintérêt initial pour la vie l'avait d'avance condamné. C'est une âme perdue, dont Méphistophélès veut s'assurer. Emmener Faust à une fête d'étudiants et de soldats lui confirme que, pas plus que le savoir ne l'a diverti de dieu, les plaisirs de la chair ne pourront le divertir du diable.

Le seul désir qui anime Faust est de se voir révéler le bonheur de ce monde qu'il ne fait que hanter – preuve s'il en est qu'il n'a pas la foi et que la piété est une carte à jouer pour Méphistophélès. Car ce qui démange, il l'écrase, comme l'avertit la Chanson de la puce. Au diable la quête spirituelle, Méphistophélès anéantit l'espoir de Faust en le comblant. Marguerite est belle, Marguerite est pure, Marguerite l'a vu en songe et l'aime (c'est une manie, ces derniers temps). Faust n'a plus rien à espérer et c'est le désespoir, Marguerite condamnée à mort, Marguerite coupable de meurtre par sa faute, involontaire mais irréparable – la faute, originelle, qu'il reconnaît comme la sienne en signant le pacte. Faust est damné, puni pour sa désespérance initiale (en l'amour divin), après que Méphistophélès lui a cruellement donné une raison de vivre (en l'amour humain) – quand Faust y voit une raison de mourir, mourir pour racheter Marguerite. Mais Marguerite n'a péché qu'avec beaucoup d'amour et d'innocence ; elle n'a besoin d'aucun autre sacrifice que le sien pour sauver son âme.

L'une s'élève tandis que l'autre sombre, offrant au compositeur le plus grand contraste qui soit – cymbales d'enfer, choeur céleste. Je crois que ce sont les contrastes que je préfère dans cette œuvre, les contrastes entre les scènes, qui ne donnent jamais le temps au lyrisme de devenir grandiloquent – alors qu'entre la nature (il faut de l'espace pour errer et introduire des divertissements folkloriques) et l'amour (Margueriiiiite), y'avait de quoi faire. (Soit dit en passant, les déclarations d'amour chaste, c'est ce qu'il y a de plus chiant long à l'opéra.) La partition de Berlioz ressemble à un texte très ponctué, qui aime mettre du relief dans ce qu'il raconte et souligner d'une échappée d'archet la dentale de la dernière syllabe : Faust !

Bryan Hymel n'est pas aussi audible que le Méphistophélès, digne comme un maître d'hôtel, d'Alastair Miles mais il forme avec lui un couple presque plus crédible qu'avec Olga Borodina, laquelle plante une Marguerite pas commode. Mais le personnage de la soirée, c'est le chef d'orchestre. La plupart dirigent la musique, entretenant avec les musiciens un rapport de complicité ou d'indifférence polie ; Tugan Sokhiev, lui, dirige ses hommes. Non, tu ne passeras pas, attends, attends, maintenant, fonce ! Toi, là, ralentis, et toi là-bas, accélère, je te dis, accélère, plus fort, on y est, on y est. Mi-alphabet sémaphore, mi-langage des signes, ses gestes orchestrent la bonne marche de la troupe. Malgré la petite estrade, il ne dirige pas d'un piédestal : le chef ne se ménage pas plus qu'il ne ménage ses musiciens et l'on sent que c'est pour son exigence envers eux qu'il en est apprécié. Il est tant que j'aille voir V. danser au Capitole.

Mit Palpatine.