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05 octobre 2011

Apaisante apesanteur

(Pleyel, dimanche 2 octobre, Orchestre de Paris)

 

« L'âme s'apaise là, sévèrement contente »

Palpatine et moi remontons la rue du Faubourg Saint-Honoré pour nous rendre à Pleyel. Au milieu des VIPouilleries de la fashion week, il y a Dalloyau, dont je n'ai toujours pas goûté les chocolats. Avouez que cela ferait un excellent dessert après un très diététique japonais. Chaque bouchée est présentée au-dessus de la vitrine dans un petit écrin ouvert, la description inscrite à l'intérieur du couvercle. Carré d'épices, avec un thé de Noël, j'imagine déjà... carré noir, oui forcément ; éclat craquant moucheté de dorures et fourré aux cacauhètes, oh mon dieu, du peanut butter de luxe ; Pralinas, du praliné, mettez-m'en deux, s'il vous plaît ; pas moins de cent grammes, vous dites, ah, c'est fâcheux, je veux bien un autre éclat craquant alors ; Duja toujours, ce n'est pas de l'alcool au moins, non, bien, vous savez ce que c'est alors, non, bien, donnez-moi en un quand même ; la ganache, non merci, le praliné, c'est autre chose tout de même, mais une ganache Earl Grey, oui, je veux bien me laisser tenter ; puis un à la framboise et un au cédrat pour faire bonne mesure, soyons fous, soyons fruités. Le concert commence dans une vingtaine de minutes mais je commence tout de suite ma récolte, le soleil dans les rues, vous comprenez.    

Je confie les chocolats rescapés à l'ouvreur en espérant que le vestiaire soit aussi climatisé que la salle et l'on s'installe, Palpatine et moi, derrière Christian, Anne et Serendipity. L'ouverture de Los escalvos, un opéra inconnu de Juan Crisostomo de Arriga, lui-même inconnu pour cause de mort précoce, permet de s'éclaircir l'oreille comme d'autres s'éclaircissent la gorge. On s'enfonce dans son fauteuil rouge et les teintes chaudes de l'orchestre : un feu de cheminée jette ses reflets cuivrés dans le bois lustré des instruments à cordes tandis que les vents suscitent au hasard des étincelles de lumière. Doux crépitement.

Entre dans le salon un grand-père dont aurait rêvé Hugo : Menahem Pressler nous raconte le concerto pour piano n° 17 de Mozart. Silence, musique. C'est beau, c'est rond, sans aspérité sans être lisse. Cela rentre par les oreilles, passe dans tous les muscles, parcourt les veines, les tendons, les nerfs, toute la tuyauterie, se diffuse dans tout le corps comme de la morphine. La partition tricote à partir de mes nerfs en pelote : je me détends. Je suis bien. Mon corps s'assoupit, mon attention s'assouplit. Mes paupières deviennent visibles aux musiciens et je voudrais leur crier dans un chuchotement que je m'endors parce qu'ils ne sont pas soporifiques et que je baille parce que je veux continuer à goûter ce repos rebondissant de notes engourdissantes. Le pianiste caresse le piano et l'on ne sait pourquoi mais il ne peut en être autrement, le basson vient soutenir et éveiller le bercement. Menham Pressler est comme ces professeurs à l'autorité naturelle qui n'ont pas besoin d'élever la voix pour se faire entendre ; son jeu nous parle tout bas.

Avant le nocturne de Chopin qui tranche sur le diurne Garrick Ohlsson de l'avant-veille, il nous baigne au Clair de Lune. Debussy comme manière de nous souhaiter une bonne nuit avant de se retirer. La veillée est finie. Entracte.

Histoire de remercier Dieu pour ce divin concerto, la Messe de Sainte-Cécile constitue le second office. C'est grand, le chœur y est mais je n'ai plus la force de soutenir ma cathédrale mentale pour qu'y vienne résonner la sacrée musique de Gounod. Plus assez de nerf pour me tenir au centre de la nef et recevoir des trombes d'échos. Hébétée de béatitude, j'assiste à cette messe de l'autre côté du vitrail, celui qui ne reçoit pas la lumière. Les voix ne me transportent pas, je sais simplement qu'elles sont là, pas loin et que cela doit être beau si seulement cela pouvait être fort.

Pas entièrement convertie, je manque de charité chrétienne en refusant une demande implicite de chocolat à un ninja surgi d'on ne sait où. Je n'allais pas mettre en péril mon expérience nirvanesque par défaut d'échantillonage complet. Palpatine a raison : ce concert et ces chocolats sont deux preuves de l'existence de Dieu. Je n'ai pas jugé bon de préciser que je pensais Mozart plus que Gounod. Jour du Seigneur : même les mots sont bons.

04 octobre 2011

Ne pas se Barber en concert

(Pleyel, vendredi 30 septembre, orchestre de Radio France)

Palpatine voulait aller à Pleyel. Moi, je voulais aller au cinéma, un truc avec des images et une intrigue facile à suivre quand on est fatigué. J'ai ronchonné devant l'affiche, pensant Berg en lisant Bartók, mais la constatation que toutes les séances avaient commencé et un pudding plus tard, j'étais disposée à tendre l'oreille. 

Clic-clac Kodály, voici les Danses de Galánta. Cette fois-ci, j'avais substitué "valses" à "danses" (fatiguée, je vous dis, trois heures trente de cours sur la tuberculose du fondateur du Seuil, c'était tuant). Du coup, j'ai rapidement dû prendre une gomme pour effacer les lustres de mon image mentale et j'en ai profité pour astiquer les parqets marquetés d'un même mouvement. Je ne savais pas trop quoi faire avec mes meringues viennoises, alors j'ai coupé le bas de leurs robes froufroutantes. Déjà mieux. Mais voilà que surgit une danseuse pieds nus au milieu des couples qui s'écartent. Je fais se déchausser tout le monde. J'hésite à faire sortir les militaires, la salle de bal a laissé place à une pièce de Pina Bausch. Ils resteront tout de même, je reconnais maintenant la danseuse aux pieds nus pour être une tzigane. Les archets attaquent, les murs tombent. Danses, danses. 

Précipité, on déménage à New York. Dans un immense studio aux baies vitrées qui donnent sur la nuit décolorée. Le concerto pour piano de Barber, ce sont les volumes de Hopper, la mélancholie en moins. Il fait nuit, forcément, parce qu'on est en retrait du monde mais pas recroquevillé, simplement en décalage, comme dans la brèche où l'on s'installe lorsque l'on veille alors que tout le monde dort - cette brèche nocturne où les choses et les sons prennent un relief particulier, plus nets de n'avoir pas été émoussés par la lumière et le bruit des jours. Glaçons qui s'entrechoquent dans un verre, moments planant comme un goéland, violons nerveux d'être tâtillonnés par les archets : c'est exactement comme ça je me me sens.

Bonjour, comment allez-vous ?
Concerto pour piano de Barber.

Le pianiste est géant. Non seulement, Garrick Ohlsson doit baisser la tête pour passer sous la porte et arbore un sourire de gros ours sympathique comme Laurent, mais en plus bis il secoue Chopin comme une bouteille d'Orangina. Ses doigts retardent les notes, sans les étirer, mettent le spectateur en suspens, retiennent les notes puis les précipitent en une danse fringante. Cela me fait penser à Myriam Ould-Braham dans Suite en blanc ou à Mathilde Froustey dans le Grand pas classique d'Auber : des échappés ou des relevés d'acier, tenus jusqu'à la limite extrême de l'amusicalité et enchaînés avec agilité juste à temps, juste sur le temps, avec une maîtrise confinant à l'insolence. Quand la technique a la classe, et qu'elle se joue d'elle-même, voilà : le phrasé, me dit Klari. Rudement bien ponctué, les points sont sur les hiiiiii.

Le concerto pour orchestre de Bartók est juste toqué comme il faut, avec la baguette coton-tige de la percussion qui joue à pigeon-vole. Pour ne pas trop avoir l'impression d'assister à un match de tennis entre alto et violon, je délaisse un peu l'altiste solo au catogan, que je verrais bien en costume d'époque XVIIIe, pour la beauté médiévale de la violoniste que j'avais déjà tant apprécié la dernière fois. À mon regret d'être trop impair pour ne pas la voir de face, succède la satisfaction de pouvoir la regarder sans en commettre. Pas de risque de la dévisager de dos, je ne vois pas même le début de la tresse qui ceint asymétriquement sa tête, ainsi que je le découvrirai au salut où j'essayerai de lui envoyer mon plus beau sourire de remerciement comme si c'était une gerbe de fleurs. Le coude bien relevé comme une danseuse de flamenco, l'archet met en tension toute sa colonne vertebrale jusqu'à la nuque, que la musique agite et renforce tout à la fois. Avec elle, je peux voir la musique incarnée comme si c'était de la danse tandis que son voisin avachi me semble en contradiction totale avec ce que j'entends, comme un coup de klaxon en plein concerto.

Je pourrais dire de ce concert que j'en suis ressortie toute retournée mais cette image aurait été honteusement suggérée par la calzone que je me suis enfilée ensuite (après le pudding, donc) en compagnie de Klari, Serendipity et Palpatine. Fameux.

14:59 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : concert, pleyel

27 septembre 2011

Rentrée à l'OdP

Chemise blanche, veste noire, jupe à carreaux tache intégrée et grandes chaussettes grises, c'est en écolière faussement modèle que je fais ma rentrée... à la fac et à l'Orchestre de Paris. Distribution des manuels : les programmes sont passés d'un grammage épais à un papier glacé, nos cartables n'en seront que plus légers. Il y a des nouveaux et j'ai déjà repéré une potentielle nouvelle copine : la contrebassiste juste derrière le poète de Spitzweg, qui n'y va pas de main morte. Quand elle pince les cordes en alternance des deux mains, coudes relevés, avant-bras qui décollent, elle a le même entrain sérieux que si elle jouait du tambour. Mais laissons-là à son pupitre pour le moment, j'ai une copie à rendre.

Scherzo fantastique. Fantastique, on a dit, pas merveilleux. Il y a bien quelques pas dans la neige, quelques tintements scintillants mais, pour l'essentiel, les spirales de notes ressemblent plus à des tourbillons qu'à des volutes. Cela fait whirl-whirl, jusqu'à bourdonner, histoire d'établir un écho entre Stravinski et Rimski-Korsakov en sautant par-dessus Lalo.

Concerto pour violoncelle enmineur. J'ai le regard qui a un peu erré (Marc Coppey nous a fait une tête de Droopy) mais pas l'oreille. J'adore le premier mouvement : pas de questions-réponses entre l'orchestre et le violoncelliste et pourtant, le premier intervient régulièrement sans pour autant couper la parole au second. Ils ne jouent pas vraiment ensemble (pas en simultané) ni l'un contre l'autre (les grands traits brefs ne raillent pas la partition solo). L'orchestre ne souligne rien, si ce n'est que le violoncelle continue son chemin. Chaque ploum qui se met en travers semble marquer une marche supplémentaire comme les anniversaires sanctionnent une année écoulée. Le deuxième mouvement est celui d'une maturité non décrépie, seulement sereine, comme hors du temps. Comme si la musique avait été un projecteur, c'est à ce moment-là que je remarque en haut tout au fond de l'arrière-scène un vieux couple paisible, la tête rêveuse de la dame blanche sur la chemise blanche de l'homme, bien droit devant le mur blanc. La poursuite de mon imagination s'est immobilisée sur ce couple lumineux. Puis le troisième mouvement s'est enclenché et elle s'est éteinte. L'agitation de la vie a repris ses droits ; le soliste a replongé dans la foule de l'orchestre.

Shéhérazade, suite symphonique luxueuse comme un palais des mille et une nuits. Opulente mais pas langoureuse ; on se souvient soudain que c'est pour échapper à la mort que la fille du grand vizir raconte toutes ses histoires. Aurais-je lu le programme à l'entracte que j'aurais su qu'il était question de mer, de bateau, de fête et de naufrage mais comme je ne connais pas le prince Kalender ni l'histoire de Sindbad, je n'aurais pas été beaucoup plus avancée. Je me suis contentée à écouter le conte, cette voix qui vous tient éveillé la nuit par son ton de confidence, et m'en suis portée comme un charme, évidemment.

Avec Palpatine, as usual.

01 juillet 2011

La de(mi-)mesure russe

Le Prince Igor ? Une chorégraphie de Fokine. Et, ah oui, une musique de... euh... Borodine, dit le programme. And Co, semble-t-il, puisque Rimsky-Korsakov a fait du tri. L'Orchestre de Paris aussi, qui nous présente deux extraits de l'opéra. Avec l'ouverture, les souvenirs viennent me danser sous le nez, sous la forme de longues nattes noires qui ondulent au rythme des corps cambrés et des demi-pointes-coussinets qui caressent le sol. Le félin devient fauve avec les Danses polovtsiennes. D'un bond, je me retrouve au conservatoire, en train de sauter avec le poing en l'air. Coup de talon féroce, coude, épaule et poids du corps en avant, regard par en-dessous, on se sent viril – même en justaucorps et collants, à peu près aussi épaisse que Palpatine aujourd'hui. Fière et puissante. Cette musique est vraiment galvanisante – sauf après les quatre coups crescendo où la fusée-palmier explose à l'intérieur de la cage thoracique et le chœur tombe dans une descente vertigineuse, pluie d'or-tambourin. Là, c'est glaçant et le frisson ne peut être imputé entièrement à la clim, puisque j'ai simultanément les joues qui picotent. Fiévreusement, que j'applaudis. La délicatesse faite bourrin, si j'aime !

Après tant d'exaltation, je n'avais pas très envie d'une promenade au fond des bois avec Sibelius et respirer l'air pur alors qu'on vient de s'époumoner joyeusement tempère un peu mes ardeurs. Pas nécessairement celles du chef d'orchestre, qui appartient visiblement à la famille des cardiaques. J'ai d'abord penché pour le franc-maçon, à cause de ses gestes circonflexes (= je rassemble les mains devant ma tête et je les écarte d'un coup sec sur les côtés, en triangle isocèle) puis j'ai trouvé : Gianandrea Noseda est Coppélius ! Et quand sa poupée se redresse d'un brusque ploum (© Klari),il atterrit d'un grand moulinet de bras au garde à vous ; oui, chef ! Quant à la violoniste, Viktoria Mullova, en tunique blanche, elle se promène : le Concerto pour violon enmineur n'a pas l'air de lui causer grand peine, et elle ne me fait pas grand effet. Je n'ai pas aimé son bis de Bach, joué trop rapidement à mon goût : à chaque moment de suspension, où je pourrais sentir le précipice toonesque sous moi, elle m'écrase les doigts d'un coup d'archet et je décroche, comme un pauvre coyote. Bip bip.

Avec Alexandre Nevski, je m'aperçois que ce n'est pas Sibelius mais Kullervo que j'aime : de l'épique et des chœurs. Ce Prokoviev clôt la saison d'une belle boucle. Certes, le texte est moins beau que le Kalevala mais ça dépote. Les partitions du chœur battent à l'unisson et ça moutonne lorsqu'une page blanche est tournée sans que tous les chanteurs fassent de même. J'observe les assauts contre le tambour par des moustaches plus poète-de-Spitzweg que mon contrebassiste préféré (qui s'éclate, as usual) tandis que les pèlerins réclament en chœur d'avoir des cymbales aux pieds : « Peregrinus expectavi pedes meos in cymbalis » je savais bien que ce devait être du latin pour que je me mettre subitement à reconnaître du russe. Fatalement, tout cela finit dans le sang et les applaudissements.