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07 avril 2010

Quand la mort crâne


Palpatine, B#2 et moi avions résolu d'aller admirer Turner, mais vu la longueur de la file d'attente, nous avons décidé de ne pas perdre de temps à oublier que nous sommes mortels et nous sommes rendus à l'exposition des vanités au musée Maillol. Pas dépaysant à l'entrée, les prix sont les mêmes qu'au Grand Palais (et pour les deux non-jeunes avec qui j'étais, ça commence à douiller) ; heureusement, il n'y a pas qu'au sens propre que nous en avons eu pour notre argent.

 

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Mortel

 

Les œuvres sont exposées chronologiquement, mais à rebours, en commençant par les.. heu... sculptures, montages, installations et photos contemporaines pour finir par les tableaux plus classiques, logés au deuxième étage qui se visite avant le troisième dédié aux photos (avec des pauses Maillol pour arrondir les angles). Le sens de la visite prend toute sa signification dans cet entremêlement du présent et du passé, dans la mesure où, si l'art ne progresse pas à proprement parler, il évolue dans le sens d'une plus grande conscience de soi-même. Par la juxtaposition d'œuvres qui ont souvent plus d'idée que de consistance, l'époque contemporaine fournit l'occasion d'un brainstorming qui enrichit par la suite la contemplation de tableaux a priori moins déroutants.

 

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Prendre la température de la vie par la mort

 

La remontée dans le temps prend également sens par rapport à son thème, la mort, et à son titre paradoxal, « c'est la vie! » : c'est par la fin que tout commence, on regarde les œuvres d'hier avec notre sensibilité d'aujourd'hui, et la vie se définit comme ce qui repousse d'autant la corruption de la mort. J'ai lentement pris conscience de ce cheminement à rebrousse-poils qui les ferait plutôt hérisser : toute petite, avec une chanson de Renaud où un refrain comportait cette curieuse parataxe « c'est la mort, c'est la vie » (mon papounet est un fan – à cinq ans, quand j'allais en week-end chez lui, dans la voiture, je gueulais « casse-toi tu pues, et marche à l'ombre ») ; un peu plus tard, j'ai été intriguée par la quatrième de couverture des Folio junior, « Et si c'était par la fin que tout commençait... », hypothèse qui fait à présent les délices du fabuleux cours que je suis le mercredi sur la mise en intrigue du récit. Ce n'est qu'à la mort que la vie prend la forme du destin, celle-là est comme le négatif de celle-ci, sa négation, mais toujours révélatrice, à la manière d'une pellicule photo.

 

 

Et de comprendre l'enthousiasme dont a pu être animé Arriès, par exemple, à étudier une chose à partir de ses extrêmes. Aussi, à nos oreilles laïques, memento mori serait surtout une invitation à se souvenir que la vie a toujours déjà commencé. Rien de morbide, donc, dans cette exposition pourtant macabre. Et que l'on danse !

 

Arrêtez de crâner


 

Les crânes prolifèrent joyeusement, jusqu'à devenir le bisounours du rebelle. Pour (s')arracher (aux) les griffes de la mort, il suffirait presque de la dessiner et de lui donner un visage : et voilà qu'Oscar a supplanté la grande faucheuse. Rest in peace and love, Niki de Saint-Phalle a eu du nez en remplaçant la cavité de ce dernier par une espèce de cœur.

 

 

Cupidon voisine avec des têtes de mort : Thanatos a un long passé d'amant avec Eros.

 

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Cependant, il semblerait qu'à la mort on ait davantage choisi d'associer le luxe que la luxure. Ce qui rend troublant et quasiment glauque la photo/radiographie d'Hemut Newton, c'est le collier de diamants qui semble faire des cercles de feu (d'enfer) en-dessous du crâne. Autre curiosité, la légende mentionne le joailler, coup de pub mortel pour Arpel van Cleef. Indeed, diamonds are a dead's best friend, Damien Hirst (le requin en gelée ! Cela me disait vaguement quelque chose) en recouvre un crâne : comble du kitsch mercantile ? ou vanité de son brillant ? La seconde hypothèse, quoiqu'elle ne semble pas entièrement étrangère à l'artiste (une vidéo d'interview tourne dans une petite salle) qui constate que « la décoration, c'est tout ce que l'on peut jeter à la tête de la mort ». La moquerie de lui consacrer ce qu'il y a de plus précieux est de courte durée, on sait déjà qui rira bien qui rira le dernier, les dents du mort. On a pourtant du mal à ne pas voir qu'une blague dans tout ceci, une blague d'artistes qui décorent leur crâne à leur manière comme d'autres l'ont fait de vaches, dans une société où les ados gothiques arborent des T-shirt à têtes de mort.

 

Gauloises : fumer tue

 

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Je ne vous le fais pas dire

 

La vanité : quel genre ?

 

Avant de dire que la plaisanterie a assez duré, il convient de se demander ce qu'il y a sous le crâne. A force de le voir rouler dans les vanités, il devient un symbole et cesse d'être perçu comme le reste d'un être vivant après sa décomposition. Il s'autonomise en tête de mort, à visage humain, et l'emblème du trépas fait oublier le défunt, si bien que sa multiplication, loin de nous plonger dans l'horreur, tournerait au contraire à la farce. Les têtes s'inclinent d'autant moins que les crânes se déclinent. Sous le régime du minéral, ils ne nous émeuvent pas plus qu'un caillou (avec lequel un enfant joue au foot dans une vidéo – irrespect de la mort ou récupération de la vie ?) ; pour en percevoir l'aspect terrifiant, nous avons besoin qu'ils soient rattachés à la vie dont ils symbolisent la fin.

En un mot, pour qu'il y ait un os, il faut la chair. De fait, sa décomposition figurée par des crânes sculptés dans des légumes gâtés (la pastèque est vraiment trash) ou découpés sur tranche de mortadelle me dérangent bien plus que les austères compositions des vanités hollandaises (que j'aurais tendance à trouver simplement moches).

 

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C'est la chair aussi que j'ai trouvée fascinante dans la Madeleine pénitente de Francesco Trevisani, peau malaxée dans le gras, et qui paraissait se flétrir, peut-être au contact du tableau de Domenico Fetti, où livres, manteau et voiles se froissent. Et c'est encore la chair qui fonce de son absence les radiographies, nouvel avatar de la photographie, et seul moyen qu'on a trouvé pour pénétrer la surface du symbole. Voir ce qu'il y a sous le crâne, c'est s'apercevoir qu'il est déjà ce qui est en-dessous – à fleur de peau ; on en redeviendrait nerveux.

 

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A travers la chair, c'est bien de l'individu dont il est question. Alors que le symbole fait apparaître la mort, il occulte le mort et met ainsi son féminin à distance. J'ai lu, je ne sais plus si c'est sur les panneaux de l'exposition, assez peu bavards, ou sur le dossier de presse (qui référence les œuvres exposées, un vrai bonheur), que les vanités sont apparues au Moyen-Age et coïncident avec une individualisation de la mort. Il est alors cohérent que, lorsque leur symbolique s'essouffle (non pas dans sa signification mais dans sa puissance d'hypotypose ), elles présentent la mort comme une mort abstraite – « c'est toujours les autres qui meurent », lit-on dans les inscriptions lumineuses projetées sur les murs ou le sol. Derrière la netteté du crâne, l'individu s'efface, comme le suggère le flou où flotte le visage de Robert Mapplethorpe dans son autoportrait.

 

 

Le crâne est la chose la mieux partagée du monde et la mort s'impose donc comme la nouvelle star en laquelle tous s'identifient, sérigraphiée par Andy Warhol.

 

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Certes, on peut warholiser à peu près tout et n'importe quoi (un Gaffiot, par exemple ^^), mais dans ce cas particulier se trouve illustrée l'horreur de l'immortalité entendue comme ce qui, à notre mort, nous dépossède de notre vie passée. Impossible d'avoir prise sur le souvenir qu'on laisse aux survivants qui, en toute indifférence, multiplient les prises (Kundera power, of course) et figent le défunt dans une image qui pour être mémorisable est rarement mémorable. De la même façon que les esprits sont hantés par les vivants, les squelettes sont dépouillés par les mains artistes. Ce sont en effet de vrais os que Daniel Spoerri recycle dans La Lionne et le chasseur, trophée de chasse inversé où les lions du tapis ont été les prédateurs du chasseur qui n'a même plus la peau sur les os (en même temps, même le plus poilu des hommes manque de soyeux par rapport à la fourrure des animaux pour servir la bestialité d'amours au coin du feu).

 

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Les vanités sont-elles vaines ?

Ou peut-on représenter la mort ?

 

Un tel détournement fait sourire, et l'on finit par se demander si l'ingéniosité déployée pour renouveler une représentation au pouvoir évocateur émoussé ne se confond pas avec la paresse d'exploiter un filon, qui pourrait bien, pire encore, être un narcotique jetant un voile sur notre condition de mortel. « C'est la vie! » n'est plus, comme le trahit le point d'exclamation, l'acceptation d'un cycle naturel, mais l'enthousiasme pour un trop bien- connu que l'on ne voudrait surtout pas mettre à distance – on garde ses amis proches de soi, et ses ennemis, plus près encore. Surtout ne pas se risquer à regarder la mort dans les yeux, on ne verrait qu'un trou, une absence, rien qui puisse se représenter. A moins évidemment que la re-présentation opère un décentrement, comme c'est le cas de G. Richter (?) qui fait rouler le crâne sur le côté et consacre la majeure partie du tableau au rien, à une couleur dans laquelle tout se noie.

 

 

Sans un tel flou, le crâne ne parle guère que de ce que les vivants ont en-dessous, reflet d'une vie où les images sont des écrans et où la mort, guère visible, n'existe pas, est nié par ceux qui ne croient que ce qu'ils voient.

 

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Les vanités peuvent-elles encore être efficaces ou relèvent-elles désormais d'une thématique proche du « truc » ? Vanité des vanités : on se demande si les œuvres représentent le superlatif de la vanité des biens terrestres ou si leur existence même (« des vanités » se comprend alors comme complément du nom « vanité ») le présente. Mais alors, si l'art même est vain, que sont les vanités sinon la manifestation de l'orgueil de l'artiste qui croit encore pouvoir défier la mort ? Exception culturelle, sûrement, je ne me souviens pas avoir vu beaucoup de tableaux aux côtés des livres, violons ou partitions des natures mortes... Le paradoxe est garant d'un art vivant.

 

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Ce n'est qu'ainsi que je puisse comprendre pourquoi la presse présente le crâne en diamants de Damien Hirst comme le joyau de la collection : rappel de la vanité des biens, le kitsch de l'objet est en même temps davantage un rappel de celle de l'artiste qui voudrait la dénoncer. Le kitsch (Kundera power never fails) est bien ce qui dresse un paravent contre la mort et la merde (peut-être l'inacceptable même de la mort, de la décomposition qu'elle implique, et qui contamine même la vie en en faisant une maladie à laquelle on ne survit pas). Tout est vanité, y compris les vanités qui les dénoncent (l'homonymie est criante), puisque la mort ne se représente pas. Elle frappe une seule fois (rarement à la porte, d'ailleurs) et, einmal ist keinmal, ne se dépeint pas.

 

 

L'exposition élude finalement la question de la mort, mais comme elle éloigne aussi celle des petits neurones secoués, il n'y a pas d'os – sinon à se mettre sous la dent. Si l'horizon des créations n'avait peut-être rien de réjouissant, celui de leur réception l'est en revanche, en témoignent les nombreux jeux de mots mortels qu'a suscité cette surexposition de crânes (je n'y ai pas résisté non plus). Cela me semble nettement moins choquant de rencontrer cela dans des considérations esthétique que de lire aux information un « fait d'hiver » consacré aux (profanant les) sans-abris...

28 mars 2010

Un critique en or

 

Prise de remords ou d'ennui ou de court par le TD de recherche documentaire de vendredi matin, je me suis décidée à jeter un œil à quelques ouvrages critiques sur Kundera pendant les heures suivantes que le déjeuner ne parviendrait certainement pas à combler jusqu'au cours suivant. L'âge d'or du roman : le titre ne m'attirait pas, ça m'évoque trop un pré vert avec un arc-en-ciel doré au-dessus, à compléter, entre les deux, par ce à quoi s'applique l'expression, en l'occurrence, des livres. La quatrième de couverture m'a mise dans de meilleures conditions : l'auteur de l'essai explique qu'il a délibérément donné cette expression un peu vieillotte comme titre en guise de pied de nez aux éternels pessimistes pour qui le pire est toujours à venir, et le meilleur à partir. Et de montrer que la production littéraire de notre époque n'a rien à envier à celle du passé. Les articles sur Kundera étaient délicieux, si bien qu'après avoir fait couler un peu d'encre, je me suis octroyée le préface en dessert. Une défense de la critique. Je voudrais y revenir, parce qu'elle m'a d'autant plus facilement transformé les neurones en pop-corn qu'elle a ravivé des découvertes amorcées cet été à la lecture d'un numéro de la Quinzaine littéraire consacré au sujet.

 

Auparavant, je n'avais jamais porté attention à la division de la critique en analyses universitaires et en compte-rendus journalistiques. Pour être exacte, il faudrait dire que je n'ai même jamais pensé qu'elles pussent être unifiées (et sans unité, pas de division) : outre qu'elles occupent des espaces séparés, elles sont encore distinctes du point de vue de la temporalité, l'analyse universitaire arrivant après la lecture, la présentation journalistique, avant. Mais quand j'entends qu'on déplore l'état de la critique qui ne remplit plus sa fonction, je me dis que ma séparation n'est peut-être qu'un malheureux indice d'une situation dangereuse. Les journaux, en effet, ne critiquent pas (plus?), ils présentent les dernières parutions, et les quelques lignes qu'on leur consacre ne permettent pas d'effectuer un tri. Le choix n'est plus critique mais marketing ; le sujet, objet de consommation. De l'autre côté des lignes, à l'université, on travaille beaucoup sur les siècles passés, au risque que leur travail « à partir de » n'en vienne implicitement à leur faire penser qu'ils s'éloignent du bel et bon, bel et bien perdu.

Les classiques sont l'assurance qu'on ne perdra pas son temps qui, dans la perspective du littéraire n'est pas de l'argent, mais un élément porteur de sens, dont il est constamment à la recherche à travers un temps de lecture qui ne se contracte pas comme les trajets en train que l'on fait passer avec. On ne peut pas tout lire et l'on veut d'autant mieux bien lire. Derrière l'arrimage aux classiques, ce label rouge de la signification en littérature, il y a peut-être aussi la crainte de ne pas savoir quoi lire (problème de la critique qui fait défaut), et surtout de ne pas savoir quoi en penser (problème de la critique – sur quels critères juger d'un ouvrage ?). Je dois reconnaître que je m'aventure bien peu dans le domaine de la littérature contemporaine. Je me laisse entraîner par la couverture orange et l'incipit de l'Oiseau à ressort, de Haruki Murakami ; j'ai dans l'idée de lire un jour du Kazuo Ishiguro, dont on avait traduit un extrait en prépa ; la Bacchante me prête le Fusil de chasse ; j'espère que le livre de Marie Billedoux, que j'ai acheté à la sauvette au Relay sera moins mièvre que le nom de son auteur ; mon regard formaté à l'étiquette jaune tire un Paul Morand du rayon – confiance progressive à la collection de l'Imaginaire ; j'achète Vente à la criée du lot 49, de Thomas Pynchon pour comprendre quelque chose au cours de mercredi prochain... un peu de hasard et beaucoup de professeurs, j'ai toujours peur de lire des bêtises. Classique. Ce sera un nouvel essai.

 

Guy Scarpetta raconte comment il en est venu au sien : au cours d'une conversation, personne ne s'entendait sur l'époque qui constituerait l'âge d'or du roman, mais tous le situaient dans le passé et tous ont unanimement rejeté la possibilité qu'on puisse y être, là, maintenant, paradoxe qu'a tenu Guy Scarpetta. Pour le soutenir, il est aller à la librairie du coin acheter quelques ouvrages bien sentis pour ses hôtes qui ont dégusté. L'âge d'or du roman, c'est un peu faire au lecteur anonyme le cadeau que le critique a offert à ses amis.

Avant de penser au vacillement de la critique, je me serais plus longuement étonnée sur ce contre-exemple du sens du progrès - qui reste un des fondements de notre pensée même si nous avons assez creusé pour le faire remonter à la conscience et le sortir de la foi dans laquelle le positivisme l'avait plongé. Pas d'avancées en littérature sinon a posteriori. En un sens, c'est tout à fait juste, il n'y a pas de progrès en littérature (ou alors seulement en terme de conscience et de réflexivité – risque de tourner en rond, d'ailleurs). Mais l'absence d'avancées n'a pas à dégénérer en hantise de la régression. Le pessimisme littéraire serait-il si peu moderne, loin de la tentation du progrès, à brandir ses classiques des siècles passés en réaction ? A moins qu'il ne le soit que trop, et l'indice d'une résistance forcenée contre le préjugé de notre temps - pas un préjugé, mais le préjugement, la crainte de penser par soi-même et de s'abriter derrière les arguments d'autorité. Je ne dis pas qu'on n'ait pas besoin de repères qui fassent autorité, mais il faut les avoir éprouvés auparavant : après avoir goûté l'intelligence de Guy Scarpetta sur un auteur que j'ai lu, je suis tout à fait disposée à me diriger vers l'inconnu qu'il me désigne dans ses autres articles. D'une manière plus générale, le choix que l'on fait de ses critiques l'est aussi (critique), puisqu'il ne faudrait pas que le temps de passé à choisir ses lectures (paralittérature) nous ôte celui de les faire (littérature)... Il est toujours bon de savoir à qui l'on a affaire : par exemple, j'apprécie les critiques de danse détaillées et pertinentes de Syltren, mais je les (re)garde a(vec) une certaine distance, car j'ai pu constater sur des distributions que nous avons eu en commun (pas très difficile, il semble toutes les voir^^) que nous n'avons pas du tout la même sensibilité.

Il ne s'agit pas d'abord de trouver des critiques qui aient des goûts semblables aux nôtres, mais en l'intelligence desquels on ait confiance. Car, quoiqu'en disent messieurs Robert et Collins, un spoiler, dans une bonne critique, ne gâche rien. Plus on montre la cohérence d'une construction, plus la place devient forte – elle peut être complètement apparente (comme chez Kundera), cela n'ôte rien au suspens, dont la véritable nature pourrait bien être le suspends, « the willing suspension of disbelief » de Coleridge. Et Anouilh de présenter au début d'Antigone chacun de ses personnages et le destin qui les attendent : tout est dans le déroulement. Lorsque je lis une critique de Bamboo étiquetée « spoiler » comme « fragile » sur un carton de déménagement, en me disant que de toutes façons ce bouquin ne me dit rien, ou je n'irai pas voir ce film, c'est précisément une fois qu'elle en a dégagé le fonctionnement- patiemment, archéologue du sens avec son pinceau- que j'ai envie de me précipiter sur son pré-texte. Peut-être parce que j'ai ainsi un angle d'attaque, une interprétation dont je suis curieuse de voir si je l'adopterai et si oui, avec quelles nuances.

Quid des histoires qui reposent sur un renversement final, me direz-vous ? Regarder The Village a-t-il encore un intérêt lorsqu'on sait ? Cas délicat ; celui qui laisse échapper le truc ruine la magie et est volontiers taxé d'indélicatesse. J'ai oublié son nom, mais j'ai toujours une dent contre la cruche qui avait laissé échapper que Dumbledore mourrait dans le 7ème tome que je venais juste de commencer ; ne pouvait-elle pas me laisser tranquillement croire à la petite souris ? Et pourtant... quand il est passé à la télé, je n'ai pas pu voir The Others jusqu'au bout (shampooing impératif ou trop petite pour me coucher tard, je ne sais plus), et j'avais demandé à ma mère la fin de l'histoire. Quand j'ai récupéré le DVD chez mon père, l'histoire ne m'en a pas paru moins fascinante ou effrayante. Une histoire est bien ficelé lorsque, alors que vous avez repéré et coupé toutes les ficelles, elle tient encore d'une pièce. C'est même à cela qu'on reconnaît qu'elle sera toujours ragoutante.

Guy Scarpetta utilise pour argument une analogie musicale : si un profane peut écouter de la musique et l'apprécier, les musiciens vous diront qu'entendre l'entremêlement des différentes lignes musicales, les thèmes et les variations, bref, la structure, ne diminue en rien le plaisir de l'écoute, bien au contraire. J'en suis si intimement persuadée que je trouve frustrant de ne pas être capable de saisir ces nuances, qu'une reprise (le refrain pour les pauvres d'oreille dans mon genre, qui ne perçoivent que la partie émergée de l'iceberg) m'apaise, et que la lecdture d'une telle analyse me met en joie. Pour Guy Scarpetta, l'analogie lui sert à rendre convaincant son propos sur la critique, assimilée au déchiffrement de la partition (la lecture rejoue toujours l'œuvre par la suite) ; déjà convaincue, je vais en sens inverse, la littérature me sert de paradigme pour aborder la musique.

Voilà d'ailleurs une nouvelle confirmation de la correspondance des arts, s'il l'on doutait encore de l'existence de corrélation entre des modes d'expression divers mais qu'une même sensibilité peut faire converger. La domination d'un art sur un autre est une affaire personnelle qui dépend de l'attrait qu'il exerce sur chacun de nous. Palpatine déplorait il y a quelques temps (si tu te souviens de l'emplacement de tes dires, dear cobaye, tu as le droit de m'envoyer le lien) la prolifération de nanars au cinéma, ajoutant que pour le divertissement bas de gamme, il y avait déjà les livres. Curieusement pour lui, peut-être, j'aurais fait exactement la remarque inverse, qu'il y avait les (télé)films pour cela, qu'il fallait laisser aux livres la littérature. Cinéphile et littéraire. Personne n'a raison, parce que chacun à ses raisons, comme écrit Guy Scarpetta au sujet des personnages de la Lenteur (Kundera, who else ?). Je crois que ce n'est que depuis cette année que je commence à comprendre que le cinéma puisse être un art – par le biais de Rohmer, réalisateur « littéraire » s'il en est (qui va piano va sano). Qu'un film peut tout autant donner à penser qu'un roman.

 

 

Un classement des arts en mineurs et majeurs ne contient dès lors pas de jugement de valeur. Quel sens donner alors à ce distinguo ? Guy Scarpetta reprend la distinction de Hemingway : est un art majeur celui qui survit à la mort de son créateur (le peintre laisse des tableaux, l'écrivain des livres, le sculpteur etc.) ; mineur, celui qui meurt avec lui. (Où se trouve la danse, dans cette dichotomie ? Art majeur en tant qu'art de chorégraphe ? Ou art mineur du danseur ? - une fois de plus, elle échappe aux catégorisations. Par sa nature, mais aussi peut-être en raison des théoriciens de l'art, qui m'omettent purement et simplement). Et notre critique de ranger sa discipline dans cette dernière catégorie. Alors que j'ai tendance à valoriser la fierté au risque de l'orgueil et de la prétention, j'aime cette humilité : un bon article critique sait se faire oublier en tant que tel (sinon, c'est que son auteur s'écoute parler, et cherche à bâtir sa gloire sur les miettes grattées à la réalisation d'un autre), il se fond dans la conscience que l'on a de l'œuvre en question, après avoir rendue celle-là plus aiguë et dotée d'une perspicacité qui lui permette de saisir de nouvelles richesses passées inaperçues dans celle-ci. En somme, la bonne critique enrichit, et ne réduit pas. Pas une seule bonne lecture, mais des interprétations d'autant plus valables qu'elles sont superposables. Guy Scarpetta cite Aragon pour qui la critique se doit d'être une « pédagogie de l'enthousiasme ».

Dénigrer est toujours plus facile qu'apprécier (qui n'est pas uniquement synonyme d' « aimer », même si c'est souvent le cas pour moi qui aime ce que je peux structurer de manière significative), ne serait-ce que parce qu'apprécier nécessite d'exhiber les critères sur lesquels on juge (Guy Scarletta énumère clairement les siens : il considère comme grand roman celui qui 1° explore un territoire nouveau de la vie humaine, 2° renouvelle la forme, et 3° rende indissociable l'un et l'autre). Jugement subjectif, toujours, mais c'est le seul moyen aussi de viser juste. « Pour être juste, c’est-à-dire pour avoir sa raison d’être, la critique doit être partiale, passionnée, politique, c’est-à-dire faite à un point de vue exclusif, mais un point de vue qui ouvre le plus d’horizons », écoutons Baudelaire, et les auteurs, d'une manière générale, ils savent généralement de quoi ils parlent (un démenti au mythe de l'artiste inspiré, génial malgré lui). Pédagogie de l'enthousiasme... Même si les journalistes de Télérama n'ont pas leur pareil pour passer au vitriol ce qui leur a déplu en quelques lignes réjouissantes de méchanceté, il serait peut-être bon de le leur rappeler. Comprendre pour apprécier. *J'aurais voulu être un critique...* (sur l'air de « J'aurais voulu être un artiste). De danse, dans l'idéal.

Enfin non, transversal, dans l'idéal ; danse, littérature, cinéma, philo, peinture, photo... Ce que j'aime par-dessus tout, ce sont les rapprochements improbables mais pertinents, qui ont, comme dans une métaphore, d'autant plus de force que les termes sont éloignés l'un de l'autre. Les articles où tout s'articule (les fragments que l'auteur a empruntés à des univers différents), où tout converge (les réflexions du lecteur, qui trouvent là leur expression la plus directe), d'où tout rayonne (la structuration des pensées en relance de nouvelles). Les articles dont on oublie qu'ils sont démonstratifs, où l'on chemine dans l'esprit et la culture de son auteur. Chez Palpatine, par exemple, ce sont souvent les articles hebdomadaires qui m'amusent, où se rencontrent de façon plus ou moins lâchement noués des remarques éparses, où se constitue l'expérience - ils sont certes éloignés de la "critique" par leur contenu, mais la plupart du temps bien plus proches de l'essai que ses compte-rendus. J'aime que l'on structure le monde de manière imprévue, autre. Puisqu'une critique ne saurait égaler son objet,  plutôt que de s'épuiser à essayer de l'épuiser, je préfère qu'elle l'outrepasse, qu'elle puise à toutes les sources et le prenne ainsi dans ses filets, l'entourant ainsi de son affection et de sa curiosité.

 

17 mars 2010

Le détour du plaisir

« Aujourd'hui, je l'ai fait », sous des mines extatiques et rien d'autre, pas une marque (sauf peut-être à l'état de trace, l'empreinte de la couleur orange) : la technique marketing m'a rappelé la stratégie d'une campagne anti-tabac il y a quelques années, lorsqu'un message aveugle, « un ingrédient toxique a été découvert dans un produit de consommation courante », avait semé la panique – dans le monde de la communication, à tout le moins. « Je l'ai fait » : associé à un verbe d'action si vague, le pronom anaphorique sans référent est bien défini – le sexe est brandi comme la Revanche de l'individu sur la société, pensons-y toujours, n'en parlons jamais (encore qu'on pourrait se demander si, au contraire, on n'en parlerait pas tout le temps pour n'y penser jamais).

On a un moment de doute quand est ajouté (indice ? fausse piste ?) « avec un ami »en bas d'un visage masculin, mais après tout, l'homosexualité est tendance. Quelques jours plus tard, les affiches ont été remplacées dans le métro et, les nouvelles dûment complétées, on a pu découvrir le commanditaire, ING. De pas terrible, la campagne publicitaire est devenue ridicule : à qui l'ouverture d'un livret-épargne provoquerait-il un orgasme ? (peut-être à Picsou s'il n'est pas déjà impuissant, et encore, je doute qu'un compte vide le comble ; il faudrait au moins attendre le versement des intérêts).

 

Alors que l'allusion sexuelle est purement gratuite et ne s'avère donc pas vraiment payante, elle prend en revanche tout son sens dans la campagne Suchard : sexe et gourmandise ont en commun le plaisir. Comme ces choses-là se font de préférence à deux, les affiches vont la plupart du temps en couple (même si quelques solitaires ne boudent pas leur plaisir), ce qui assure du régime de la métaphore (et ruine par la même occasion celui que vous aviez peut-être commencé, à base de légumes).

 

 

Montrer un rocher nu ? What's the point ? me suis-je demandé, pas très réveillée, la première fois que j'ai vu la publicité. La lecture de celle qui la jouxtait m'a rappelé qu'il ne fallait pas déconner, « pas avant le mariage !», la chose est entendue.

 

 

La troisième affiche, je l'ai entraperçue alors que le train passait dans une gare où il ne marquait pas l'arrêt et n'ai eu le temps de saisir que les derniers mots « ou plutôt chocolat ? ». Parfait pour attiser l'envie la curiosité, parce qu'une alternative au sujet d'un rocher Suchard ne me semblait pouvoir être qu'entre chocolat noir et chocolat au lait (dilemme auquel 'ai été confrontée il y a peu et que je n'ai résolu que par le recours au hasard – le choix d'indifférence est le pire et ne peut se résoudre que par une apparente indifférence).

 

 

Passer et repasser devant ces affiches donne envie de mettre un gros truc dans sa bouche : ce bloc de chocolat, c'est vraiment énorme. Pas du tout nu, puisqu'enrobé de chocolat par-dessus les noisettes, mais brut, ce rocher écrase l'érotisme de pacotille de la publicité et se déguste avec humour. Le dégradé lumineux ne voile aucune peau, faussement pudique ; il permet juste de rendre le relief des noisettes sans l'écraser au flash (nouvel écueil trash évité). Sauf lorsque les vitres du métro projettent sur le rocher le visage lascif du mannequin de la pub pour le Bon marché... pas de regards langoureux, de lèvres entrouvertes, ou de cuisses écartées, rien que le chocolat. C'est précisément grâce à cette simplicité que les commentaires, a priori pas spécialement indiqués pour vanter une friandise, sont à sa (dé)mesure : énormes. Le registre sexuel est explicite sans rien avoir à montrer, si bien que le sous-entendu se déplace vers le décalage entre le produit et sa mise en bouche, c'est-à-dire du côté des codes publicitaires. L'auto-dérision a déjà donné de bons résultats, comme le spot télévisé Herbal essence, ou il y a un peu plus longtemps cette affiche :

 

 

venue à point nommé après la controverse sur Babette :

 

 

(d'autant plus drôle que c'est une femme qui porte le tablier et que c'est elle qui tient le fouet)

 

A force de taper sur leurs propres créations, on se dit que les publicitaires seraient plus cuir que chocolat, mais que leur importe s'ils jouissent des faveurs des consommateurs ? Le « retour du plaisir », c'est avant tout une stratégie marketing qui jette un rocher dans la mare des 0%. Puisqu'il est ringard de dire qu'une chose est bonne (à moins d'ajouter « pour la santé »), que ce détail ne peut être qu'un avantage optionnel, et que le Suchard est trop calorique pour avancer ces arguments de poids (plume), il ne reste plus qu'à se coucher, le plaisir semblant aller davantage de soi au lit qu'à table (pas pour tout le monde non plus. Je ne sais pas ce qui m'étonne le plus, de la pseudo-analyse catho ou du commentaire sur le carême). Un peu d'humour, voilà pourtant ce qu'on réclame en grandes lettres. Le slogan, lui, peu humoristique de nature, est relégué en bas de l'affiche, écrit minuscule. Le plaisir se fait tout petit, face à l'humour et au sexe : on va le manger. Retour ? Le détour du plaisir, plutôt... Le retour n'est autre que celui qu'on peut escompter sur l'évolution des chiffres de vente. Au plaisir de vous revoir. On l'a toujours SUchard et on ne va pas en faire un rocher.

 

05 mars 2010

In the Air

 

 

[spoilers, as usual]

 

Sans annoncer explicitement la comédie, le titre laissait entendre qu'elle serait légère. Pas inconsistante pour autant, Jason Reitman n'a pas fait de barbe à papa avec les nuages, ni fait boire de café à George Clooney, that was not the time. Il incarne en effet Ryan Bingham, un homme que la critique a un peu vite défini comme cynique d'après son job ingrat pour des boîtes qui l'emploient à licencier leurs employés. Malaussène est-il cynique, je vous le demande ? Vous m'objecterez que Ryan est sûrement moins naïf, mais je vous renverrai à ses conférences de management, où il explique de manière imagée que tout ce qui ne tient pas dans un sac à dos est un fardeau trop lourd à porter. Il n'a pas encore lu Kundera, mais c'est un bouc émissaire qui prend le taureau par les cornes. Plus qu'un self-made man, Ryan est self-sufficient : il sillonne le pays en avion, dort à l'hôtel, roule en voiture de location et n'a besoin de personne – un vrai stoïcien des temps modernes. Son mode de vie lui convient, et ceux qui le disent cynique sont surtout suspects d'être jaloux de son indépendance qu'il a choisie et assume.

 

 

Lorsqu'il rencontre une femme, il joue cartes sur table – au sens propre du terme avec Vera Farmiga (splendide Alex Goran, parfait pendant au bel homme qu'est Georges Clooney), femme d'affaire (et affair) dans son genre, qu'il agace et provoque à une bataille de cartes de fidélité en tous genres (la grande ambition de Ryan est d'atteindre les dix millions de miles – objectif qui témoigne d'une grande puérilité en même temps que d'un certain amour du jeu, de la collection belle car inutile). Toute la salle rit d'assister à cette scène de cours atypique, comme, après l'amour, de les voir dans un face à face qui figure la symétrie des têtes dans les cartes à jouer : laptop contre laptop, ils procèdent à la synchronisation de leurs agendas, l'un pourrait bien faire un peu effort et un saut dans la ville d'à-côté, une heure de vol, ce n'est vraiment pas le bout du monde. Toute la salle rit alors et ne trouve rien à redire à ce mode de vie que partagent l'un et l'autre. Willing suspension of disbelief... Natalie Keener (jouée par Anna Kendrick), la jeune femme qui propose une nouvelle méthode de licenciement à distance par ordinateur, et file le parfait amour avec son boyfriend qui remplit toutes les cases du jeune homme bien sous tous rapports n'est alors que la cruche de service, un contrepoint comique au couple libre que forment Ryan et Vera. Presque mariée et larguée par texto : now you feel how it's like being fired by proxy (en substance – j'ai vu le film il doit y avoir maintenant deux semaines...).

 

[Natalie, la catastrophe de service, avec sa valise aux roulettes qui grincent]

 

C'est comique mais pas encore romantique – sexy plutôt, donc pas romantique selon les canons de la comédie romantique. Pour cela, il nous faut un renversement, celui qui peut vous faire dire que l'amour, ça vous change un homme (la femme devient simplement plus niaise, c'est déjà dans sa nature ^^). On en sent les prémisses lorsque Vera déclare aimer les enfants, ce que fuit Ryan (un chiard hurleur dans un avion, c'est l'enfer au ciel). Le turning point, c'est le mariage de la soeur de Ryan, qui a émis le souhait particulièrement kitsch qu'on lui ramène des quatre coins du monde le cliché de leur photo montée sur carton (dégradation du plus poétique nain de jardin d'Amélie Poulain, qui du moins se savait kitsch).

 

 

La mariage ne rentre pas dans son cadre de vie, le couple encartonné dépasse même de son sac à dos, c'est dire. Il rechigne à y aller, mais avec Vera, ça passe tellement mieux.

Sur place, c'est lui qui rassure le futur marié pris de panique, et à le voir ensuite en famille et tendrement enlacé à Vera, les bons sentiments du spectateurs reviennent au galop : vous voyez, il s'y laisse prendre, il revient à ses racines, il s'attache, il y prend goût. Voilà que Natalie avait raison, elle était peut-être plus ridiculisée que ridicule, la pauvre. Voilà aussi que Ryan, à qui l'on avait tout passé jusque là, se révèle a posteriori avoir été cynique (qu'on se rassure, on l'apprend au moment où il devient « quelqu'un de bien », on peut continuer à l'approuver, parce que bon, c'est Clooney). Ré-évaluation, les apparences sont trompeuses, on s'était trompé, c'est beau l'amour.

 

 

 

Si le film en restait là, il aurait mérité son étiquette de comédie romantique, mais pas forcément qu'on s'y attarde. Les deux fils de l'intrigue qui reprennent vie sentimentale et vie professionnelle s'équilibrent l'une l'autre. Certes, Natalie n'avait peut-être pas entièrement tort concernant l'attachement (qu'il faudrait encore distinguer de l'engagement-enferrement de la bague au doigt, mais n'en demandons pas trop), mais c'est malgré elle, car il est manifeste, par la modernisation qu'elle met en place dans le système de licenciement à distance qu'elle ne comprend pas grand-chose à la psychologie humaine. Laquelle Ryan maîtrise, même s'il n'est pas forcément sous l'emprise de la compassion (réflexe de survie, aussi). Magnifique (trop) exemple d'un parfait licenciement où le gars, en rogne contre Natalie (vous aurez du temps pour vous accuper de vos enfants), se fait retourner comme une crêpe par Ryan : vous voulez mériter l'admiration de vos enfants, réalisez votre rêve, devenez un grand chef (indice d'inférence dérisoire : option cuisine au bac).

 

 

Du grand art de sophiste, mais qui aide certainement davantage les malheureux que les bonnes intentions maladroites de la jeunette. Ryan n'est pas un pur salaud, et Natalie aussi peut être inhumaine. Il n'y a guère que Pascal qui ne soit pas remis en cause : c'est bien par la rectification mutuelle des erreurs qu'on approche de la vérité.

Le professionnel contrebalance le privé, donc, mais surtout le renversement qui conduit chacun à reconnaître ses erreurs est lui-même suivi d'un autre renversement, qui ne nous ramène pas pour autant au point de départ (c'est beau comme c'est dialectique, vous ne trouvez pas, tout ce travail du négatif...) - même si tous les aéroports et tous les avions se ressemblent, je suis d'accord. Il n'arrive plus rien à Natalie, qui peut se remettre paisiblement de sa rupture et se décoincer un peu. C'est Vera qui est en cause : Ryan découvre qu'elle mène une double vie, entre terre (mari, gosses, maison) et ciel (amant, ordinateur portable, hôtel). Elle tient cet équilibre, et Ryan, à la franchise : l'atterrissage est brutal. Notre amoureux pas si cynique que ça n'est pas tombé sur quelqu'un qui ait le courage de sa cohérence, ni peut-être qui porte le même degré d'attention au bienaimé, s'il est vrai que son absence de lien ne signifie pas absence d'attachement et de considération). Si peu cynique, en réalité, qu'il est même profondément moral. Et si Ryan en a plein le dos de ses conférences et de la métaphore du sac, il ne peut que repartir (up in the air - décoller des étiquettes), fidèle du moins à son choix de vie.

A nouveau dans les airs, sans point d'appui (ni sur le ciel ni sur la terre – après Hegel, je sentais que vous vouliez aussi du Kant), la seule façon de ne pas basculer dans le vide vertigineux (if you haven't built castles in the air, qui se révèlent souvent n'être que paroles... en l'air) est de continuer sur sa lancée. What else ? Un avion à réaction, pirouettes, cacahuètes...