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19 avril 2012

40 bonnes raisons d'aller à Londres

I'm back. Et j'ai envie d'émigrer.


1. Il suffit d'avoir une place à l'avant d'un bus à étage pour faire un tour de magicobus.

2. Les bus ne sont pas les seuls à avoir des étages : les présentoirs à gâteaux aussi.

3. Les carrot cakes.

4. Les scones. De chez Fortnum & Mason, de chez Richoux, de chez Valérie, de chez Mark & Spencer. Tous les scones.

5. Les madeleines de chez Fortnum & Mason. Ou comment un gâteau ridiculement banal peut se révéler divinement bon.

6. Les millionnaire shortbread. Même si ce qu'il y a par million, avec ce gâteau, ce sont sûrement les calories : du caramal pris en sandwich entre une galette au beurre salé et une épaisse rondelle de chocolat.

7. Ce qui nous mène donc à Peyton & Burnes.

8. Le thé Countess Grey que je me suis empressée d'aller acheter sitôt goûté.

9. L'absence de Lipton. Thank God, l'équation Lipton = thé est considérée par les Anglais comme une aberration mathématique et gustative de premier ordre.

10. Corrélatif du 9 : Twinings, le standard d'un certain standing.

11. La marmelade d'orange. La marmelade de citron. La marmelade de gingembre.

12. Le gingembre, qui semble être à l'Angleterre ce que la cannelle est aux Etats-Unis. Rien que pour la glace au gingembre, je dois retourner à Covent Garden.

13. Covent Garden et le Royal Opera House. Sa verrière qui transforme le bar en véranda, son escalier roulant habilement dissimulé, ses tartelettes aux fruits secs réhydratées avec force caramel, sa batterie de toilettes qui permettent de ne pas passer l'entracte à faire la queue, son amphithéâtre aéré et aménagé de confortables fauteuils, sa programmation alléchante et ses danseurs bondissants.

14. Son guichetier, aussi. Nulle part ailleurs vous ne trouverez craquant un mec avec les oreilles décollées. Par oreilles décollées, j'entends à la quasi-perpendiculaire du visage.

15. On vous renseigne aimablement.

16. On vous renseigne en français. La minorité française est tellement bien implantée dans la restuaration et l'hôtellerie, et le touriste si bien disséminé dans la ville qu'on croirait Londres la seconde capitale de la France.

17. Les deux voies du métro sont de part et d'autre du même quai. Pas besoin de sortir son plan dans les couloirs pour vérifier qu'on a bien pris la direction d'un bled de banlieue où on ne mettra jamais les pieds.

18. Le métro ne pue pas.

19. La pollution sonore y est aussi limitée à des cercles tracés au sol. Imaginez le rêve : aller à Pleyel sans accordéon. La musique sans le bruit.

20. On y repère très vite les grands : ils gardent la tête baissée pour ne pas se cogner.

21. En plus, le grand est souvent maigrichon.

22. On rentabilise son parapluie.

23. Les abribus tournent le dos à la route, si bien qu'on ne se fait pas slapsher quand on attend le bus précisément pour ne pas se faire saucer.

24. Saucer les beans avec un toast au petit-déjeuner. Manger le deuxième triangle dudit toast avec des scrambled eggs rendus plus moelleux avec un peu de lait. Attaquer une délicieuse sausage aux herbes. Tasser avec des pommes paillassons en triangle. Comme les toasts.

25. Le porridge.

26. Les Weetabix sont épanouis dans leur environnement naturel.

27. On peut recharger son Oyster card par internet.

28. L. K. Bennett. Une robe en soie grise, qu'on hésite à rapprocher de Cendrillon ou de Mad men.

29. Foyles. A Charing Cross, un troisième étage consacré à la musique, avec une étagère entière de livres sur la recherche en danse. Des partitions. Un présentoir spécial Joël et Klari, dédié à la musique et à la danse indienne. Non seulement j'y ai trouvé les sonates pour violon d'Ysaÿe, mais j'ai hésité entre TROIS interprétations.

30. Le vendeur de Foyles, qui a recalculé le pourcentage de remise accordé aux participants de la London Book Fair parce que je n'avais pas la petite monnaie nécessaire.

31. L'absence de prix unique du livre, qui a rendu la remise possible.

32. Les couvertures originales des bouquins.

33. Qui me donneraient même envie de lire de la vulgarisation scientifique.

34. Dont j'aurais pourtant encore moins besoin qu'ici, vu que la perméabilité d'un domaine à un autre est plus grande dans les pays anglo-saxons. On peut faire autre chose qu'éditeur, prof ou journaliste après des études littéraires.

35. On ne peut pas confondre les accents graves et les aigus en anglais, puisqu'il n'y en a pas.

36. La British Library, très accueillante avec sa colonne vitrine de livres anciens, sa boutique, ses tables dans le hall pour bosser de manière plus décontractée, et ses sièges verticaux pour se reposer en buvant un thé et grignotant un gâteau Peyton & Burnes (cf. 7) acheté à l'un des cafés de la bibliothèque.

37. Les manuscrits de la British Library, dont un Coran splendidement enluminé et une souris qui essaye de catapulter un chat en marge d'un livre d'heures (l'agenda de l'époque, en somme).

38. Une autre vision de l'Algéco.

39. Les spectacles de danse sont affichés partout dans le métro.

40. Londres.

09 janvier 2012

Lose is beautiful (4)

Chapitre 4 : C'est la fin des carrot cakes

Il était hors de question de commencer l'année aussi mal qu'elle avait fini. J'ai donc pris un solide petit déjeuner -- solide au vu des circonstances : un biscuit à l'avoine, méticuleusement coupé en morceaux, détrempés dans un peu de thé, comme un sucre dans une cuillère à absinthe. J'ai ainsi avalé au petit-déjeuner un cinquième de ce que j'avais mangé la veille en une journée, régime qui suffirait à peine à me rassasier pour un seul repas en temps normal.

C'est donc un peu faiblarde que je suis arrivée au musée Courtauld. Alors que Palpatine défaillait au sens figuré devant une toile de Cranach, j'essayais d'éloigner le sens propre en respirant comme si j'avais un stéthoscope dans le dos. Dans la salle des impressionnistes, je me suis mise à redouter celle du XXe, non seulement parce que les atrocités de ce siècle n'ont pas été que politiques, mais aussi parce que la salle se trouvait à l'étage, après un escalier dont chaque marche m'aurait ôté un millimètre de vie verte, eu-je été un Sims. Heureusement, Palpatine avait chipé je ne sais où une dosette de sucre et j'ai pu finir la visite sans avoir à ramper.

J'ai laissé le fail de l'après-midi aux Wagnériens qui n'ont pu endurer leurs cinq heures de délicieuses tortures à cause de places au prix un peu trop aigu. Je me suis réjouie un peu vite de leur malheur puisque, le lendemain, Covent Garden me renvoyait le boomerang : pas de backstage tour ce jour-là. Entre les séances loupées, complètes et les jours off, c'est une véritable malédiction ; je ne sais pas si je visiterai un jour les coulisses de ce théâtre.

Coeur brisé, évanouissement, gastro, et occasion ratée font déjà un beau week-end loseux. Mais le pire dans tout ça, c'est que Fortnum & Mason ne fait plus son carrot cake. Et ça, c'est intolérable. On ne me supprime pas ma consolation, même une consolation en différé à manger une fois l'estomac remis d'aplomb. En lieu et place de la généreuse part découpée dans un grand gâteau moelleux, il y a un petit cylindre "individuel" qui, sans doute sous la mauvaise influence du cupcake, exhibe des couches de crème entre des rondins de feu le gâteau aux carottes. Et cette chose mesquine qui ignore qu'un glaçage ne se trouve que sur le dessus usurpe désormais le nom de carrot cake. Il n'y avait plus qu'à retourner en France, après le sacrilège d'un séjour à Londres sans un seul salon de thé (alors qu'il y avait, ô ironie tragique, un Richoux juste à côté de l'hôtel).

A King Cross, j'ai tout de même goûté une mince pie, tartelette de Noël aux pommes et cranberries, dont j'ai vite compris le nom : ventre mécontent de l'acidité, mince ! Le fin mot de l'histoire.

Bilan du séjour : 1 gastro, 0 salon de thé.

08 janvier 2012

Lose is beautiful (3)


Chapitre 3 : En avoir dans le ventre

 

Ce chapitre aurait aussi pu s'intituler Peanut butter and belly, mais toute ressemblance d'un pot de confiture Fortnum & Mason avec du beurre de cacahouètes est fortuite ; la dernière fois que j'ai rapporté du fudge au peanut butter, je l'ai laissé traîner au point que Miss Red m'a demandé si le goût de parmesan était normal.

 

Que les lecteurs inquiets à la fin du précédent chapitre se rassurent, Palpatine s'en est bien sorti. Je me suis chargée de son sac jusqu'à la gare du Nord, il a dormi dans l'Eurostar et à peine a-t-il posé le pied dans le métro londonien qu'il s'est mis à râler, signe infaillible de bonne santé chez lui, au même titre que la truffe fraîche chez un chien ou un chat. L'après-midi, il s'est consolé de s'être vidé les entrailles en vidant son porte-feuille : top hat, chaussures et écharpe, pour se pendre élégamment en cas de découvert.

Mais assez parlé de Palpatine, il est temps de vous raconter mes malheurs et vous prouver que mon deuxième prénom n'est pas Sophie pour rien. Le soir, alors que Palpatine (m')achetait les saisons suivantes d'Angel (on devient beaucoup plus facilement croyant devant David Boreanaz que Michel-Ange) et que je renonçais à la troisième saison de Private Practice pour ma mère et moi parce qu'il y avait des sous-titres espagnols, arabes, néerlandais mais pas français, j'ai commencé à avoir le ventre en vrac. En me couchant, je n'étais pas très bien et une heure et demie plus tard, j'étais carrément mal. J'ai ôté les confitures de leur sac en plastique et je l'ai gardé à portée de main, au cas où. Un sac Fortnum & Mason pour vomir, je sais, je sais, nous n'avons pas les mêmes valeurs. Une demie-heure plus tard, je n'avais plus aucune valeur du tout, je voulais juste que ça s'arrête.

J'ai appelé la réception et demandé où je pouvais trouver des médicaments. Ils n'en avaient pas mais l'arabe au coin de la rue, peut-être. J'ai enfilé un pull, tassé ma chemise de nuit dans mon pantalon, enfilé maladroitement mes nouveaux boots en bousillant un peu le cuir, n'ai rien dit à Palpatine qui s'était rendormi sitôt le combiné raccroché (si tant est qu'il se soit vraiment réveillé – neveu indigne), et je suis partie. A l'aventure. A la mini-supérette du coin, je découvre que lorsqu'il est une heure du matin et que j'ai mal, mon anglais est passablement pourri. Mais je fais preuve de mon plus beau mime (main qui tourne devant le bide, contraction dudit bide et joues qui se gonflent) et je suis heureuse que mon interlocuteur trouve le moment manquant : belly. Moins d'apprendre qu'il a vendu la dernière boîte de medecine pour belly il y a un quart d'heure. Mais la pharmacie de Baker's Street en aura peut-être.

J'attends à l'arrêt du bus de nuit qu'on m'a indiqué et me rends compte que je n'ai pas mon Oyster Card sur moi au moment où le bus arrive. Je n'ai pas non plus de monnaie. Le chauffeur a pitié de moi ou la flemme de rendre le change sur vingt livres – toujours est-il qu'il me dit de m'asseoir et basta. Je descends à l'arrêt qui annonce Baker's Street pour me rendre compte que je n'ai pas la moindre idée d'où peut bien se trouver la pharmacie. Les passants que j'interroge non plus. A tout hasard, je me dirige vers la rue qui a l'air d'avoir le plus d'enseignes (éteintes, évidemment) et le moins d'obscurité. Plus j'avance, moins il y a de monde. En passant devant un tas de poubelles, je prends conscience que je me balade seule à une heure un quart du matin dans un quartier que je ne connais pas, dont je ne sais pas s'il est fréquentable et encore moins s'il est fréquentable la nuit. Enfin, j'arrive devant la pharmacie... fermée. Une feuille indique les pharmacies de garde selon les jours de la semaine. Mais à une heure du mat', est-on friday ou sunday... non, saturday, samedi, c'est saturday... fri. ou sat. ? Je n'en sais rien, je n'ai pas de carte de la ville ni de transport, j'ai mal et sommeil.

Un taxi passe et, une fois passé, je me sens devenir Carrie Bradshaw. Je hèle le suivant et lui demande s'il pourrait m'emmener là où je pourrais acheter des medecine. Le chauffeur ne connaît pas les pharmacies de garde, il peut m'emmener à Picadilly mais il n'est pas sûr... Merci bien, payer cinquante livres pour faire choux blanc, il y a des limites au piège abscons, piège à cons. Je rentre.

Enfin peut-être. Parce que l'arrêt où je suis descendue est dans une rue à sens unique et que je n'ai pas la moindre idée de l'endroit où je peux récupérer un bus de nuit. Comme un fait exprès, il n'y a plus de taxi. Me restent mes jambes. Et une vague idée du trajet du bus, à prendre à rebours. Marcher me fait un peu de bien, à moins que j'oublie mon ventre parce que je commence à flipper. Je suis dans une zone résidentielle et il n'y a personne. Une heure et demie du matin, pas âme qui vive, je suis sur le qui vive et le moindre écureuil me ferait faire une crise cardiaque. Autant dire que le mec qui surgit avec une mallette est forcément un serial killer. En fait, il se rend seulement à l'arrêt de bus et, fatiguée, décide d'en faire autant.

Dix minutes à se cailler plus tard, le bus arrive. N'ayant acheté aucun médicament, je n'ai pas plus de monnaie que tout à l'heure et me fais détester des passagers du bus le temps que le chauffeur, qui n'a pas dix-huit livres dans sa caisse ni la bonté de me laisser voyager gratuitement, trouve son porte-feuille et fasse de la monnaie sur ses propres deniers. Puis je me fais maudire par le chauffeur à qui j'avais dit pour l'attendrir que je descendais à l'arrêt suivant. Manque de bol, c'était celui d'après. J'aurais très bien pu finir à pieds et ne me sens pas plus légère d'être délestée de deux pounds. Retour à la case départ, sans toucher vingt mille francs. De toutes façons, le franc n'a plus cours.

 

Je me suis recouchée, puis relevée, puis recouchée, puis relevée, puis recouchée, puis relevée. La salle de bain et moi sommes devenues si intimes que je pouvais la trouver dans le noir sans plus craindre de me cogner. La nuit s'est ainsi éternisée vers quatre heures du matin, et l'éternité, c'est long, surtout sur la fin.

Enfin le matin, je peux faire ma princesse et réclamer un thé, dans lequel je suis sommée de verser du sucre, ce qui est une véritable abomination. J'envoie Palpatine chercher un médecin, qui revient bredouille : outre le fait qu'on soit un 31 décembre, le médecin est une denrée rare à Londres. « Apparemment, ça coûte un bras de faire venir un médecin ; ils n'ont pas voulu me dire combien et pour qu'un hôtel quatre étoiles trouve quelque chose cher... » Bien, bien. Baker Street, me revoilà. Palpatine est ahuri que je sois partie à l'aventure en pleine nuit et totalement sidéré que je ne me sois pas perdue en chemin. Mon sens de l'orientation décide de ne pas se vexer de cette remarque. Pharmacie. Médicaments. Alleluïa. Aïe, crampe. On décide de rester dans le coin pour se balader crampe dans Regent's Park crampe où il y a des hérons crampe mais à force de crampe de la ressentir comme la ponctuation d'un télégramme crampe, la crampe devient le sujet de la phrase et de l'attention. Retour à l'hôtel.

Je n'ai jamais mal au ventre (si, si, je suis bien une fille mais moi j'ai mal aux reins, pas au ventre) et n'ai absolument aucune résistance face à cette douleur qui me plie en deux. Je préférerais encore avoir de la fièvre, ça shoote, mais ça au moins, je connais : quand j'avais des angines, petite, j'avais quarante de fièvre et rien à la gorge. Le dieu de l'ironie tragique m'a entendu mais il a compris et en lieu et place de ou : j'ai désormais mal au ventre ET de la fièvre.

C'est là que tu te félicites d'avoir choisi un hôtel quatre étoiles – plus confortable pour y rester enfermée toute la journée. Pour éviter que Palpatine ne tourne en rond comme un lion en cage, je l'ai expédié se promener et reste seule avec la télé. Je trouve un bon film, Queen, mais la fièvre m'assomme avant la fin et je me réveille pour constater que la reine a changé son fusil d'épaule, sans savoir ni pourquoi ni comment, ce qui constituait tout l'intérêt du film...

J'ai chaud, forcément avec la fièvre... et le thermostat, que j'avais réglé à 20° plutôt qu'à 19° et qui a continué de grimper. Je n'arrive plus à l'arrêter, 23°, 24°, 24,5°, 25°... le concierge n'est pas meilleur que moi et c'est finalement la fenêtre ouverte une demie-heure qui a tempéré le problème. Demie-heure pendant laquelle, en manteau, écharpe et bottine, je me suis calée sur le rebord de la fenêtre et ai assisté au feu d'artifice. Dans l'angle de mon champ de vision, c'est London eye, devant laquelle Palpatine est planté depuis trois bonnes heures avec Serendipity. Il y a aussi plein d'autres feux d'artifices le long de la Tamise, plus petits, certes, mais cela me permet de profiter des bangs. Il faut zieuter de toutes parts, ici des escargots escarbilles, là des bouquets roses et oranges, et oh, un palmier doré, juste à côté de l'hôtel... Alors certes, c'est loseux de passer le 31 décembre au lit (surtout qu'on n'y était même pas à deux) et je ne pensais pas précisément à la gastro quand je cherchais un prétexte pour ne pas me cailler pendant des heures, mais finalement j'ai quand même bien profité du spectacle. Et rêvé devant les nacelles en papiers lumineuses envoyées dans le ciel comme autant de montgolfières miniatures...  

03 janvier 2012

Lose is beautiful

Cette fin d'année à Londres restera dans mes tablettes comme un "voyage à anecdote", expression pittoresque pour évoquer un certain art de la lose. Tout un roman...

 

Chapter 1: The omen

En partant de chez moi l'avant-veille du départ à Londres pour rejoindre Palpatine, je fais tomber mes clés. La poignée de la porte me semble un peu poisseuse et quand j'examine le porte-clef dans la paume de ma main, je constate plusieurs fissures. Ce porte-clé, remis par Palpatine voilà maintenant deux ans, est un petit coeur en plastique rempli d'un liquide rouge où baigne, en compagnie de quelques paillettes, un autre petit coeur en plastique rouge, embroché par une flèche de Cupidon. Objectivement, c'est atrocement moche, nous sommes d'accord, aucun problème là-dessus. Palpatine en était parfaitement conscient lorsqu'il m'a remis en riant de ma grimace la "love key", ancien achat de charité. A l'usage, elle s'est révélée rudement pratique, sa grosse forme permettant de retrouver aisément ses clés au fin fond d'un sac en vrac (et dieu sait que je fais le baudet depuis que je suis aventurée dans cette garde alternée). Dans la poche, je l'avais sous la main pour me rappeler le second degré qui a fait notre complicité ; il était entendu que la tendresse ne devait pas tourner à la kitschounerie, tout entière contenue dans le porte-clé (j'espère ne pas devenir un bisounours parce qu'il s'est déversé). En somme, la love key s'était parfaitement intégrée, jusqu'à former une boucle kundérienne :

Un seul porte-clés. La clé de chez moi accrochée à un autre summum de kitschounerie offert par la famille qui m'avait hebergée lors de mon stage de danse en Alabama, et sur lequel on pouvait lire "I can't help it if I'm good-looking".

Deux porte-clés. Après une période d'essai, où j'ai surtout essayé de ne jamais oublier le trousseau du jour, j'ai incisé mon porte-clé et y ai ajouté la love key. 2 en 1. Le gros coeur ironique tire la langue au premier porte-clé. Il était temps, j'allais finir par le prendre au pied de la lettre.

Un unique porte-clés. Un jour, le premier porte-clés en a eu assez de n'être plus pris au sérieux et il s'est cassé. Toutes les clés sont restées sur le même porte-clés, celle de Palpatine et celle de chez moi, qui est devenue synonyme de chez ma mère tandis que chez Palpatine, je faisais comme chez moi. (Pour éviter un chez nous abusif ou un chez ma mère qui laisse penser que ce n'est plus chez moi, j'ai pris l'habitude de dire à Ivry, à Versailles.)

Et voilà que la boucle casse avec le gros coeur. J'ai le coeur gros, forcément, et les mains dégoulinantes, fatalement. Opération à coeur ouvert : d'un mouchoir, je fais un sparadrap au porte-clés blessé et je file attraper le train. Mais voilà que bientôt le seul mouchoir à portée d'une seule main est détrempé alors que le petit coeur n'a pas fini de verser sa bile. Impossible de le ranger sans dégueulasser mon sac, impossible de mettre mes gants, j'ai le coeur sur la main et les doigts gelés par le liquide qui continue de couler. Enfin je retrouve Palpatine et,

contrite, lui avoue que j'ai le coeur brisé.