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25 août 2015

In God they trust

Saint Mary's Cathedral vue de l'extérieur

Saint Mary's Cathedral



Mission Saint-François-d'Assise

La plus ancienne église de San Francisco a été fondée par les frères... franciscains. Plutôt évident une fois qu'on le sait. Pas besoin de lever les yeux au ciel, ou plutôt si, dans la première bâtisse, pour observer le plafond peint en hommage aux populations locales. La seconde ressemble davantage à l'idée qu'on se fait généralement d'une église, architecturalement parlant. Un musicien y répète pour un concert d'orgue imminent, une paire de baskets à côté de lui. Une camionnette passe ; on devine sa silhouette à travers le vitrail – et le bruit de la circulation et du vent dans les palmiers lorsque l'organiste s'interrompt. Ce n'est pas le cas, mais, pour un peu, on dirait que les vitres tremblent, prosaïquement, sans aucune intervention divine. Bizarre incarnation de l'Église dans le siècle que cette église dans la ville. Lève-toi et marche en baskets.

 
Grace Cathedral

Moment surréaliste en visitant Grace Cathedral : trois, quatre, dix, vingt, cinquante tapis de yoga, des tapis de yoga partout, dans les allées, entre les bancs, partout, partout, y compris sur l'autel ! L'église était envahie de jeunes (et moins jeunes) venus transpirer corps et âme, guidés par la voix d'un coach très inspiré. Breathe, breathe in the grace… Interloqués, nous sommes restés un moment, en faisant semblant d'admirer le triptyque de Keith Haring (que l'on peut de toutes façons retrouver à l'église Saint-Eustache, à Paris – certes en version argentée et non dorée). Palpatine a fait une vidéo en loucedé, persuadé qu'on ne nous croirait jamais. Est-ce parce que nous sommes athées que nous avons à ce point halluciné ? Quelque part, le sacré l'est encore davantage pour nous que pour les croyants – relique d'une espérance enterrée, qui, par l'absence qu'elle signale, doit nous nous empêcher de sombrer dans le « tout se vaut » et, ainsi, nous préserver de la tentation du nihilisme. J'imagine bien un cartoon dans le style du New Yorker, avec un trou béant, façon bouche d’égout, et un plot de sécurité, le tout légendé : Attention, emplacement sacré – gare à la chute.

 
Saint Mary's Cathedral

Cette église moderne est réellement saisissante. De l'extérieur, déjà, avec les nuages qui filent à toute allure au-dessus de ses courbes, si vite que l'on dirait un time lapse, comme si la Terre s'était emballée dans sa rotation. À l'intérieur ensuite, avec sa croix de vitraux en guise de voûte et ses grandes ouvertures sur la ville, baies vitrées donnant sur des pans de banlieue quadrillées, multitude de vie étalée à ses pieds. C'est incroyablement vide ; rarement mise en scène de l'absence m'aura semblé si spectaculaire et si... sereine. Alors que les églises classiques me terrassent par leurs proportions et que les églises baroques m'étouffent sous le poids de leur ornementation, je me sens dans Saint Mary's à l'abri. Ne serait-ce qu'à l'abri du vent, très prosaïquement. Il y a tant de vent dans cette ville que la nature du silence dans les églises s'en trouve modifiée : ce n'est plus une chape de plomb qui vous impose de chuchoter, c'est la simple privation du vent, une absence de bruit qui soulage et dont le prolongement est un plaisir très doux. À l'abri du vent, on se retrouve à l'abri du bruit, de la ville et de la vie trépidantes, dans un moment de suave mari magno comme en apesanteur – à l'image du mobile suspendu au-dessus de l'autel et dont j'aurais pu contempler indéfiniment le miroitement. Ses baguettes argentées recréaient à merveille les rayons dorés de l'esprit saint sur les tableaux de la Renaissance. Peut-être faut-il que j'aille dans les églises pour devenir sensible aux installations d'art contemporain...

22 août 2015

Street art in SF

Main V

 

Peinture murale, typo

  

Chenille dessinée sur un lambris

 

Les papillons suivent Palpatine - ça fait un mignon curseur, vous ne trouvez pas ?

 

  

Fresque baleine

 

Fresque et escaliers de secours

19 août 2015

Dame, auto, lunettes et fusil

La dame à l'auto. Non. La dame dans l'auto. La dame dans l'auto avec un fusil. Et des lunettes, merde. La Dame dans l'auto avec des lunettes et un fusil. Le film adapté du roman de Japrisot, quoi. Je n'ai pas lu celui-là, mais Piège pour Cendrillon m'a laissé un souvenir très vif et l'adaptation d'Un long dimanche de fiançailles m'a révélé Gaspard Ulliel. Alors bon. J'ai argué une alerte rousse, name-droppé Stacy Martin, et Palpatine s'est joint à moi. Heureusement qu'il n'y a pas eu de scène lesbienne avec Freya Mavor, parce que je crois qu'il ne s'en serait pas remis.

Il faut dire que Joann Sfar joue sur l'image de la secrétaire ultra-sexy made in les années 19501. Son film n'est même que ça : une image, ultra-léchée, qui ne se laisse pas pénétrer. Grandes lunettes, bouche incroyablement pulpeuse et toujours entrouverte, croix chrétienne en or, tailleur crayon puis mini-robe saharienne en talons. On y revient toujours en gros plan, comme on revient sans cesse sur des incohérences de plus en plus troublantes, des inconnus qui la reconnaissent, un pansement antérieur à l'agression qui le nécessite, un voleur séducteur à l'identité trouble... et un cadavre apparu dans le coffre de la voiture.

Qui est cette dame dans l'auto, Dany ? Le double est, à l'instar du doute, omniprésent : Dany permute sans cesse ses deux paires de lunettes, dialogue avec son reflet, invective l'autre avec qui on la confond, et jure ses grand dieux qu'on la confond pour mieux, l'instant d'après, confondre son interlocuteur, rejetant sur lui la folie qui la guette. Est-elle folle, retorse, simplette ? Joue-t-elle à l'être ? Est-elle jouée ? Qu'a-t-elle fait ? Les soupçons affluent : Dany est, par excellence, objet de fantasmes.

 

Dany, son reflet et leurs lunettes

 

Pour semer le doute et faire affleurer la folie, Joann Sfar emprunte à l'esthétique du clip : ralentis renversants (qui, en célébrant le pouvoir de ses jambes infinies, masquent sa démarche de bambi apeuré), split screens (rassemblant tous les hommes qui la matent), flashs back ou trash sans lien apparent (coups et blessures, à venir ? déjà passés ? inventés ?), raccords a-chronologiques motivés par le seul mouvement (les cheveux qui volent volent-ils sous l'effet de la jubilation ? d'une agression ?) et coupures fréquentes, y compris pour le même plan (le procédé est particulièrement efficace quand Dany parle à son reflet dans le miroir : est-ce elle ? son reflet ? de la schizophrénie ?). Sur le plan stylistique, c'est une réussite : Joann Sfar traduit brillamment le soupçon de folie, génial et glaçant, que j'avais expérimenté à la lecture de Piège pour Cendrillon et qui se retrouve manifestement dans cet autre roman de Japrisot.

Sur le plan narratif, en revanche, le résultat est plus mitigé : tout comme Dany, qui a décidé de bifurquer sur un coup de tête, on ne sait pas où l'on va. L'intrigue n'est dévoilée qu'aux trois-quarts du film, lequel tient uniquement par la fascination qu'exerce la dame dans l'auto... à tel point que la frustration remplace le suspens comme moteur narratif. La caméra caresse le mystère, encore et encore. D'abord délicieusement agacé, on finit par s'irriter : ne sait-elle pas, cette pimbêche, ne sait-il pas, ce réalisateur, que tant va la cruche à l'eau qu'elle se casse ? À la mer, oui, pardon, tu voulais voir la mer, Dany... Surimpression de son visage et des vagues… On finirait bien par avoir envie de la foutre à la baille.


1 S'y est superposée l'image d'Eva Green dans White Bird ; son personnage n'est pas secrétaire, mais fait partie d'un même imaginaire.

18 août 2015

Feel good, buddy & road-trip movie

Margo est la coqueluche badass du lycée. Quentin, son voisin, qui a passé toute son enfance avec elle, est devenu en grandissant son antithèse sociale : un nerd. Quentin ou plutôt Q, ainsi qu'on le surnomme1, regarde Margo embrasser des beaux gosses un peu idiots, de loin, et partage ses regrets avec Ben, qui chope mieux les Pokémons que les filles, et Radar, qui n'ose pas ramener sa copine chez lui parce sa maison est envahie par la collection de pères Noël noirs de sa famille. Quentin et ses amis savent appartenir à la caste des intouchables : on évite de leur parler ou de les inviter aux soirées et les filles populaires restent aussi lointaines que des stars de ciné. Du coup, le jour (enfin la nuit) où Margo débarque dans sa chambre par la fenêtre, Quentin se demande ce qui lui arrive et se laisse entraîner sans trop de mal dans le trip vengeur de Margo, que son boyfriend trompe avec l'une de ses meilleurs amies – sachant que Quentin est à peu près aussi à l'aise que moi avec l'illégalité et que le trip inclut de multiples entrées par effraction et des M tagués façon vengeur masqué. Qu'importe : Margo révèle le ninja qui sommeille en lui… et disparaît le lendemain pour ne plus réapparaître.

Le retour en grâce de Quentin aura été de courte durée, mais il en est sûr : les indices que Margo a laissés (elle en laisse toujours lors de ses fugues) lui sont destinés, et il se met à sa recherche, entraînant ses amis avec lui. La quête de Margo constitue l'essentiel du film, feel good et buddy movie, qui s'offre même le luxe d'un petit road-trip final, le départ impulsif étant tout de même ce qu'on a trouvé de mieux pour signifier l'engouement amoureux.

On s'amuse bien (j'ai même un fou rire quand, flippé, Quentin demande à ses potes de chanter quelque chose, n'importe quoi, et que le premier truc qui vient à l'esprit de Ben, bourré, est la chanson des Pokémons) et, mine de rien, on se prend d'affection pour les personnages qui, quoique archétypaux, ne sont pas que des flat characters. Même la copine de Margo, personnage secondaire qui a tout de l'icône sexy du club Disney, gloss compris, est montrée comme une fille sensible sujette au mal-être, intelligente et même… cool – suprême qualité qui la requalifie comme fille fréquentable (i.e. du même monde) par le trio Quentin-Ben-Radar. Il ne s'agit pourtant pas tant pour le réalisateur de démentir le cliché que d'exprimer la frustration qu'il engendre.

Si l'image (sociale) occupe une place importante dans Paper towns, ce n'est pas tellement dans le but de défaire des clichés que d'interroger les mythes qui les ont forgés. Qu'est-ce qui pousse Quentin à chercher une fille qu'il ne connait pas vraiment – plus depuis des années ? Margo elle-même ne se reconnaît pas dans « the Margo Roth Spiegelman myth », comme elle le dit elle-même, quotes manuelles à l'appui. Cette Margo n'est qu'une coquille vide sur laquelle chacun, Quentin compris, projette ses fantasmes ; dans le même temps, c'est ce qui pousse Quentin à sortir de sa zone de confort, à apprendre à vouloir, à désirer. Il finit ainsi par prendre conscience que, peu importe Margo, la chercher lui a fait vivre des expériences qu'il n'aurait pas vécues sans cela et qui l'ont rapproché de ses amis. Margo est une image du désir, de ce qui se dérobe toujours et risque de virer à l'obsession mais qui, compris pour ce qu'il est, est une formidable moyen de mettre sa vie en branle.

Peut-être est-ce la raison pour laquelle la traduction française a choisi l'objet de fascination comme titre ; La Face cachée de Margo épouse le mouvement de déception de Quentin découvrant que la seule chose que cache le mythe de Margo, c'est qu'il n'y a rien à cacher : «  She was just a girl. » Le titre anglais, cependant, est bien plus poétique : une paper town est une ville factice que les cartographes placent sur leurs plans pour déceler les cas de plagiats. C'est dans une de ces villes imaginaires et néanmoins géolocalisées qu'a fui Margo, pour lire et réfléchir, essayer de se trouver – sans épaisseur, écrasée par son propre mythe, une paper girl dans une paper town. Le rôle résonne avec l'histoire de son interprète, Cara Delevingne, qui a peiné à sortir du mannequinat et à se faire remarquer comme actrice. Paper towns est un peu son manifeste – à en juger par les critiques qui lui attribuent le rôle principal au détriment de Nat Wolff, le message est passé.


1 En anglais, ça fait [kjuː] comme cute, espèces d'obsédés du cul (je ne suis pas vulgaire, je travaille le référencement de mon blog).