07 février 2015
Hong Kong souterrain
Les transports font partie intégrante d'un voyage et c'est d'autant plus vrai de notre séjour à Hong Kong que, notre hôtel étant excentré, nous avons beaucoup pratiqué le métro, à raison d'une bonne heure par jour. Le métro a beau être un non-lieu, qui court-circuite la ville, c'est un endroit passionnant à observer quand on est à l'étranger, justement parce qu'il n'y a a priori rien à voir. Dans ce huis-clos quotidien, on peut regarder les gens sans qu'ils se sentent dévisagés, observer leurs habitude et deviner leur mode de vie1. Petit tour des étonnements souterrains.
L'organisation. Châtelet est l'antithèse parfaite du métro hong-kongais, où l'on sait gérer les flux de voyageur comme nulle part ailleurs. Les interconnexions entre les lignes les plus empruntées se font non par sur une mais deux stations : on ne descend pas au même endroit selon que l'on veut emprunter la ligne suivante dans un sens ou dans l'autre. Il en résulte des changements hyper optimisés, où la ligne suivante se trouve en face sur le quai (les deux directions d'une ligne sont souvent superposées). C'est au premier changement que l'on découvre...
La discipline. Stupéfaction : les Hong-Kongais attendent le métro en ligne. En ligne ! La réputation des Allemands est totalement usurpée ; même à Berlin, je n'ai jamais vu ça. Les passagers arrivent sans se presser et se placent derrière les précédents, formant peu à peu deux petites lignes devant chaque porte, de part et d'autre de la flèche qui indique la place à laisser aux passagers pour qu'ils puissent sortir de la rame. Mieux encore : quand le métro est plein (c'est-à-dire, selon la conception parisienne, quand il y a encore de la place pour faire rentrer facilement dix personnes par porte), ils restent debout devant les portes ouvertes et attendent tranquillement qu'elles se ferment et laissent place au métro suivant, le nez dans leur smartphone. D'un coup, on imagine beaucoup mieux comment ce peuple peut faire corps et la titraille racoleuse des magazines économiques, façon La Chine en marche, prend une tout autre dimension. Les passagers du métro hong-kongais sont une armée en puissance.
Les lois. Il faut dire que, d'une manière générale, ça ne rigole pas. On ne mange pas et on ne boit pas dans le métro, ni dans les trains ni dans l'enceinte (the paid area). On ne fume pas non plus sur les quais menant aux ferry, ni ailleurs, en fait – à se demander où les fumeurs fument. Des amandes substantielles sont là pour vous en dissuader et vous discipliner. On vous travaille au corps – qu'il faut sain.
La phobie des microbes. Le sol est si propre que l'on pourrait manger par terre – c'est-à-dire si on en avait le droit. Je croyais que l'interdiction de boire et de manger dans le métro était une question de propreté, mais à voir les masques chirurgicaux portés ça et là (les passagers masqués sont loin d'être majoritaires mais ils sont tout de même en nombre non négligeable), il semblerait que ce soit surtout par crainte des microbes. Le soupçon est entériné par la fréquence à laquelle les toilettes publiques sont non pas nettoyées mais désinfectées : toutes les deux heures. Dans chaque cabine, une petite pancarte Flush after use vous rappelle à l'ordre, quand la chasse n'est pas à détection automatique (moyenne de deux chasses par personne, du coup). La seule fois où la propreté s'est vue au niveau des stations services des autoroutes françaises, c'est sur le site touristique du gros Buddha. Ah, ces saletés de touriste
La pudeur. Crainte des microbes ou pudeur, on ne mélange pas sa salive : je n'ai vu aucun couple s'embrasser. Les bisous que je fais à Palpatine dans le cou (puis un peu plus haut à mesure que la barbe repoussait) en deviennent le comble de l'impudeur. Tout juste se tient-on la main. Question tabou corporel, Palpatine pourra vous parler de sa surprise en découvrant sur un étal de journaux du porno chinois, que, contrairement au japonais, il n'avait jamais vraiment vu passer (le plus étonnant, c'est quand même d'avoir réussi à trouver des Chinoises avec de la poitrine, parce que, d'une manière générale, elles en ont à peu près autant que moi, c'est-à-dire pas). Tout cela risque de changer dans les années qui viennent, sous les assauts des sex-toys made in China, que l'on trouve parmi d'autres babioles, plus ou moins artisanales, au marché de nuit de Temple Street ! Pour éviter la frustration enfantine d'avoir un jouet mais rien pour le faire marcher, le dernier stand de la rue s'est spécialisé dans les piles. On a bien ri. Fourni sans piles.
La climatisation. Il n'y a pas de fenêtres dans le métro, mais on a quand même les cheveux qui volettent. Au premier courant d'air glacé, Bill Bryson s'est mis à clignoter dans ma mémoire et je me suis souvenue des États-Unis et de la polaire qu'en plein été, j'étais obligée de trimballer avec moi pour ne pas prendre froid. J'aurais préféré que l'américanisation s'en tienne aux Starbucks.
La taille. La taille des gens, d'abord, plus petits en moyenne qu'à Paris : Palpatine se sent inhabituellement grand ; une dame nettoyant le lavabo des toilettes lève les bras en riant pour me faire signe qu'elle me trouve grande (ou alors elle apprécie ma casquette gavroche, je ne sais pas, après tout). La prolifération des terrains de basket, partout dans la ville, dans les écoles, sur les toits, paraît encore plus curieuse quand on prend en compte ce critère de taille.
La taille des rames de métro, ensuite, comme des gratte-ciel couchés. La longueur est telle qu'à Paris, la tête du métro serait déjà arrivée à la station suivante quand la queue entre en gare. Il n'y a pas de wagon (comme dans la ligne 14), si bien que, lorsque le métro prend un tournant, dévoilant l'interminable alignement des barres, j'ai l'impression de retrouver cet ersatz d'infini que, petite, je provoquais à souhait, en me tenant entre les miroirs qui recouvraient les portes de la penderie de ma grand-mère, me transformant à moi toute seule en corps de ballet (je crois que mon goût pour les mises en abyme vient de là).
L'anglais. Tout, presque tout, est sous-titré en anglais, quitte à être plus royaliste que la reine. Le fameux Mind the gap, importé par habitude alors même que le gap est quasiment inexistant, se trouve ainsi parfois explicité : please, be aware of the difference of level between the the train and the platform. Bien plus que la conduite à droite ou les uniformes très private school des écoliers (les filles, toujours aussi peu gâtées avec des jupes droites sous les genoux), la langue est l'aspect le plus visible de l'héritage colonial. Et sûrement le plus avantageux : Hong Kong offre ainsi au touriste le dépaysement de la Chine sans les inconvénients de la Chine. Pour se convaincre de la barrière mise à bas, il suffit d'essayer de comparer le nom d'un restaurant donné en chinois dans le guide avec les idéogrammes, comme tracés à la main, de la devanture : compter le nombre d'idéogrammes distincts est encore le moyen le plus rapide de savoir si l'on se trouve au bon numéro, tant la graphie manuelle est différente de la dactylographiée !
L'écriture. Véritable challenge informatique que de permettre la saisie de centaines d'idéogrammes à partir d'un clavier de smartphone... Rien que pour ça, j'ai adoré lorgner sur les téléphones. N'ayant pas le moins du monde l'impression de m'immiscer dans la vie privée des gens, analphabétisme local aidant, je ne m'en suis pas privée : entre deux pages Facebook, j'ai pu observer deux moyens d'écrire des SMS en chinois. Le premier relève de l'OCR : on dessine l'idéogramme à main levée et le téléphone propose le caractère correspondant (ou ceux qui s'en approchent). Le second serait davantage « syllabique » : on compose l'idéogramme grâce à des touches qui reproduisent les traits de base, les touches proposées s'adaptant aux traits déjà choisis, jusqu'à ce que le téléphone soit en mesure de proposer des idéogrammes entiers (un peu comme les machines de la SNCF, où les lettres du clavier se grisent en fonction du nom des gares correspondant aux lettres déjà entrées). L'ardoise magique découverte au Relay de l'aéroport, qui a pour particularité que son résultat est exportable en PDF, prend tout son sens dans un pays où écrire, c'est dessiner.
Il y a aussi les petites idiosyncrasies du métro, qui ne laissent rien deviner sur Hong Kong mais font qu'on le reconnaitra dans les films ou en photo comme étant bien le métro de Hong Kong. Ma préférée, c'est cette affiche :
On ne s'arrête pas quand on entend la sonnerie, mais quand on entend DO-DO-DO – par opposition à DING-DONG (affiche verte), qui indique que l'on doit laisser descendre les passagers avant de monter à bord de la rame.
Il y a aussi ce pictogramme de place prioritaire, où le petit vieux, à la différence de la femme enceinte et de l'éclopé, appuyés sur le dossier, est courbé en avant sur sa canne.
J'ai pensé aux petits vieux que l'on a croisé dans les rues en train de pousser des chariots de cartons et me suis aperçue à mon retour en France que notre pictogramme présente exactement les mêmes caractéristiques. Comme quoi... Les voyages conduisent à s'étonner de ce que nous ne verrions pas chez nous. Ce regard anthropologique ferait de nous des poètes si nous parvenions à le conserver en dehors du cadre qui l'a fait naître et à le poser sur nous-mêmes au quotidien pour nous voir, nous-mêmes, autres. Illuminations à suivre.
22:39 Publié dans Souris des villes, souris des champs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : voyage, hong kong